L’invasion russe de son voisin le 24 février dernier constitue un véritable choc géopolitique, à l’image de l’invasion américaine de l’Irak il y a près de 20 ans. Des tournants remettant en question à deux décennies d’intervalle deux postures érigées en dogmes : celle de l’interventionnisme, puis du désengagement occidental... au profit d’autres acteurs aux ambitions tout aussi impériales.
Des marines couvrant la tête de la statue de Saddam Hussein d’un drapeau américain, avant de le remplacer par celui de la République irakienne, et de mettre à bas le monument à l’aide d’un câble. 9 avril 2003. Patrick Baz/AFP
Ça leur est arrivé comme ça, du jour au lendemain, clouées au pilori par leurs anciens fans. Pour une phrase jetée de manière spontanée devant un public londonien en liesse. Car outre-Atlantique, dans leur pays, le moment est grave. On ne plaisante pas avec les symboles ; surtout quand vient l’heure du ralliement autour de la bannière étoilée. Depuis plus d’un an, dans le sillage du 11-Septembre, Washington mène une « guerre contre la terreur », guidée par un messianisme américain opposant le camp du « bien » – le sien – au camp d’un « mal » indéfinissable.
Or, en ce 10 mars 2003, un peu plus d’une semaine avant l’invasion de l’Irak, la chanteuse de l’illustre groupe de musique country Dixie Chicks, Natalie Maines, lance à la foule qui l’acclame « Nous ne voulons pas de cette guerre, de cette violence. Et nous avons honte que le président des États-Unis soit du Texas », en référence au locataire républicain de la Maison-Blanche de l’époque, George W. Bush. Ni une ni deux, les réactions à domicile ne se font pas attendre. De Denver à Nashville, les stations de radio sont inondées d’appels à la déprogrammation. Les supporters conservateurs du groupe, très nombreux, accusent le coup et traitent leurs idoles d’hier de traîtresses ou encore d’« anges de Saddam ».
Dans l’Amérique de Bush Jr., la majorité de la population se prononce ainsi en faveur de l’odyssée martiale qui se prépare. 58 % selon un sondage CNN/USA Today/Gallup datant du 14-15 mars 2003, soit de quelques jours avant l’agression US de l’Irak. Un chiffre qui grimpe à 71 % une fois la campagne de bombardements enclenchée. La psychose suscitée par le 11-Septembre est toujours là, prégnante, obsédante. Le spectacle ahurissant d’un effondrement sonnant la sortie d’une ère, dix ans après la victoire idéologique des États-Unis sur l’ennemi soviétique.
Fin de l’insouciance mais pas de l’hybris. Au contraire. Le nouveau siècle débute par la célébration mortifère du « choc des civilisations », offrant aux néoconservateurs au pouvoir une opportunité en or d’imposer leur agenda. Celui d’un Oncle Sam qui n’hésite pas à renforcer son hégémonie par la force pour diffuser son idéologie aux quatre coins du monde. Animés par un impératif jugé « moral » mais aussi sécuritaire, convaincus que les « démocraties » ne se font pas la guerre. Saddam Hussein, dictateur sanguinaire mégalomane et paranoïaque, est un alibi de poids. Ses faits d’armes sont nombreux, trop nombreux pour que la liste soit exhaustive. Et l’embargo imposé par la communauté internationale tout au long des années 90 lui a permis d’endosser le costume du héros arabe qui résiste à l’impérialisme occidental, qui tient tête à Washington à coup de sorties menaçantes.
OLJ / Soulayma MARDAM BEY, le 25 mars 2022 à 00h00
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