Dès sa fondation, l’ancêtre du « Nouvel Observateur » se fait l’écho des luttes anticoloniales. Ce qui vaudra à certains de ses journalistes de passer quelques nuits en prison…
« Le Nouvel Observateur » (devenu « l’Obs » en 2014) est né deux ans après les accords d’Evian, de la relance d’un journal de gauche très lié à la guerre d’Algérie, initialement nommé « l’Observateur ». Fondé en 1950 par trois journalistes, tous issus de la Résistance, Gilles Martinet, Claude Bourdet et Roger Stéphane, l’hebdomadaire est renommé « France-Observateur » en 1954. Il participe à tous les combats intellectuels et politiques de la IVe République, et le soulèvement des peuples colonisés devient rapidement un de ses grands sujets.
Très tôt, le journal dénonce les violences policières, les fraudes électorales et autres tares du colonialisme. En janvier 1955, Claude Bourdet rapporte plusieurs cas de sévices (voir archive n° 1), tandis qu’en septembre de la même année, un journaliste chrétien, Robert Barrat, relate sa rencontre avec l’un des « commissaires politiques » du mouvement nationaliste (voir archive n° 2). L’hebdomadaire est saisi – il le sera seize fois pendant la guerre. Robert Barrat est détenu quelques jours pour « non-dénonciation de malfaiteurs », avant d’être relâché. La chose est récurrente : en 1955, Roger Stéphane est incarcéré trois semaines pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » à cause de ses articles sur l’Indochine, et Claude Bourdet a droit à un séjour à la Santé pour « démoralisation de l’armée » en 1956. Le journal n’en continue pas moins de suivre l’actualité de l’Algérie et de l’indépendance qui se profile (voir archive n° 3).
En 1964, Claude Perdriel reprend « France-Observateur » qui devient « le Nouvel Observateur » sous la houlette de Jean Daniel – lequel, ami de Camus et lui-même pied-noir, a rapidement été convaincu de la nécessité de l’indépendance de l’Algérie et a dénoncé lui aussi la torture.
13 janvier 1955
Claude Bourdet, grande figure de la résistance et de la gauche non communiste, publie une enquête sur l’usage de la torture : « Votre Gestapo d’Algérie ».
Depuis le début de l’agitation fellagha en Algérie, la Gestapo algérienne s’est remise au travail avec ardeur. A l’heure actuelle, nous savons, par une série de témoignages concordants et dignes de foi, que les sévices de 1950-1951 sont répétés et dépassés. Le supplice de la baignoire, le gonflage à l’eau par l’anus, le courant électrique sur les muqueuses, les aisselles ou la colonne vertébrale, sont les procédés préférés, car « bien appliqués » ils ne laissent pas de trace visible. Le supplice de la faim est également constant. Mais l’empalement sur une bouteille ou un bâton, les coups de poing, de pied, de nerf de bœuf ne sont pas non plus épargnés. Tout ceci explique, comme on va le voir, que les tortionnaires ne remettent les prisonniers au juge que cinq à dix jours après leur arrestation. […]
Tout cela n’est possible que grâce à la complicité de la « justice » d’Algérie avec la police. Des juges bien choisis et bien stylés interrogent les prisonniers à six heures du matin ou à huit heures du soir, à l’abri des regards indiscrets. Ils cachent aux inculpés le plus longtemps possible la présence en Algérie de leurs avocats parisiens, dont il s’agit d’éviter par-dessus tout qu’ils voient les traces des tortures.
15 septembre 1955
Avec « Un journaliste français chez les “hors-la-loi” algériens », Robert Barrat crée l’événement dans « France-Observateur ». Le scoop est repris dans le monde entier.
Un sentier de chèvre escalade le ciel bleu dans un paysage de maquis corse : rocs gris, épineux et maigres arbustes. Après une marche d’un quart d’heure, mon guide s’arrête, écarte des branchages : sur une petite plate-forme, une quinzaine d’hommes m’attendent et se mettent au garde-à-vous sur un bref commandement en arabe de leur chef. Ils sont vêtus d’uniformes kaki, armés de fusils 37 et de mitraillettes. Leur chef se présente à moi : « Sergent Ouamrane, chef du maquis de Kabylie. » C’est un paysan robuste, aux forts maxillaires, au teint basané. […]
Un civil est à côté de lui : « […] Nous voulons faire connaître au monde extérieur, et surtout aux Français de France et d’Algérie, les raisons, qu’ils ignorent, de notre combat. La presse nous présente ordinairement comme des tueurs, des brigands ou des assassins. C’est ridicule et absurde et il faut que les Français le sachent. Nous sommes des patriotes qui luttons pour un idéal. Nous affrontons la mort non pour le plaisir de tuer, mais pour gagner le droit de vivre en hommes dignes et libres. Si nous avons les armes à la main, c’est parce que notre espoir en la France a été trahi. »
18 janvier 1962
A deux mois du cessez-le-feu, « France-Observateur » consacre sa « couv » aux Français d’Algérie : « Les pieds-noirs à l’heure du désespoir ».
[En Kabylie], nous sommes loin d’Oran, où les Européens sont encore en majorité. A Kherrata, ils sont deux cents, en face de vingt mille Kabyles, alors, il n’est pas question de plastronner, de faire le zigoto et de vouloir « casser du raton ». Les premiers Français arrivés ici ont dû se serrer les coudes. […] Ce pays, perdu, ingrat, sauvage, est resté invraisemblablement sous-administré. La grande majorité des Kabyles n’ont connu la France que sous l’aspect du caïd qui les exploitait et du porteur de contraintes.
Un instituteur français m’a raconté […] : il a été le premier d’une école fondée dans la montagne en 1951 aux frais de la commune. Il y montait à dos de mulet et avait réussi à réunir là quatre-vingts enfants et quarante adultes pour les cours du soir. Certains adultes y ont vu un Français pour la première fois ; la plupart des enfants ne savaient même pas s’asseoir sur une chaise. L’école avait été inaugurée par Fehrat Abbas. Elle a été brûlée par les fellaghas en 1959. « Alors, m’a dit un administrateur, comment pourrait-elle s’indigner d’être chassée d’un pays où elle n’a jamais été vraiment présente ? »
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