Nous l’apprenons aujourd’hui Cécile Serra est décédée le vendredi 18 mars 2016, elle aurait eu 98 ans en juin de la même année… Elle était la preuve vivante qu’il était possible de vivre (même très âgée en ce qui la concerne) dans l’Algérie indépendante.
Cécile Serra : «Je suis espagnole d'origine, française de nationalité et algérienne de cœur.»
Cécile Serra, la doyenne des Français d’Algérie qui avait décidé de rester vivre dans notre pays au lendemain de l’Indépendance, alors que beaucoup d’Européens avaient choisi de partir, a expliqué, dans un entretien paru dans la Lettre d’information de l’ambassade de France à Alger, Binatna, les raisons qui l’ont amené à ne pas se séparer de la terre qui l’a vu naître.
Du haut de ses 98 ans, Mme Serra, comme aiment à l’appeler ses voisins avec affection, ne garde que de bons souvenirs de son vécu sur les hauteurs d’Alger, à Bir Mourad Raïs précisément, où elle est née en 1919, mais aussi à Alger où elle vit aujourd’hui.
Et lorsqu’on lui demande pourquoi avoir choisi de rester en Algérie à l’Indépendance et si elle avait eu peur à l’époque pour sa vie, sa réponse est sans détour : «Pourquoi serais-je partie ? J'avais toujours vécu ici. Et puis, je n'ai jamais eu peur. Peut-être parce que je n'ai jamais été confrontée à quoi que ce soit qui aurait pu me faire peur.
J'aime ce pays. Il y a tout ici : la mer, la montagne… Vous savez, je suis espagnole d'origine, française de nationalité et algérienne de cœur», tranche-t-elle. Et sa relation avec son voisinage qui sait évidemment ses origines européennes ? «C’est simple : je ne peux aller nulle part sans que l'on m'interpelle : comment tu vas, Mme Serra ? Les gens viennent me rendre visite, m'apportent à manger... C'est trop ! Mon congélateur déborde ! Et c'est sans parler de tous ceux qui m'écrivent !», tient-elle à témoigner à propos de cette relation si particulière, si intense, si chaleureuse qu’elle entretient avec tous ceux qui la connaissent. «Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter tout cela mais, en tout cas, je suis une vieille dame gâtée», finit-elle par avouer comme pour marquer d’une pierre blanche les rapports profondément humains qui la lient à ses voisins algériens.
Quels souvenirs garde-t-elle de son enfance qui coïncidait avec les années 20 du siècle dernier ?
Là, nostalgique, la dame remonte le temps et égrène les images, les unes plus belles que les autres, qui ont coloré ses tendres années. «Birmandreïs (ancienne appellation de Bir Mourad Raïs, ndlr), à l'époque, c'était la campagne. Les champs s'étendaient à perte de vue. Il n'y avait pas de route. A la place, c'était des rangées et des rangées de figuiers de barbarie», raconte-t-elle, avant de poursuivre : «Et puis, nous sommes venus à Alger et mon père a fait construire la villa que j'habite encore aujourd'hui. Le dimanche, il nous emmenait à la mer dans sa carriole. Nous y passions la journée, à nous baigner et à pêcher. On ne s'ennuyait jamais ! "
Le départ des pieds-noirs
et l’Histoire
Les conditions du départ massif et précipité des pieds-noirs en 1962. Et comme les réactions à un écrit de presse sont ce qu´est le filet pour la pêche, il y a eu aussi celles des falsificateurs qui veulent «triturer» l´Histoire pour accuser les Algériens d´avoir chassé les Français d´Algérie.
Certains vont même jusqu´à attribuer le slogan lancé à l´époque par l´OAS «la valise ou le cercueil», au FLN.
Mme Cécile Serra est une preuve vivante que les Algériens n´ont jamais chassé personne et que ceux, parmi les Français qui ont choisi de rester en Algérie en 1962 n´ont pas eu pour seul choix le «cercueil». Des mois marqués par «la politique de la terre brûlée» menée par l´OAS (Organisation armée secrète des ultras d´Algérie).
C´est cette même OAS qui détenait les moyens de communication (journaux, radios et télévision) pour lancer ses mots d´ordre et slogans comme le fameux «la valise ou le cercueil». D´ailleurs, le dernier attentat de cette organisation criminelle, à la veille de l´Indépendance, fut l´incendie de la bibliothèque de l´université (faculté centrale d´Alger). L´ALN n´a quitté les maquis pour rentrer en ville qu´après l´Indépendance.
Quant au FLN, il était décimé à Alger depuis l´assassinat de Ben M´hidi en 1957. Ce n´est pas la zone autonome que voulait ressusciter à Alger après le 19 mars 1962, date du cessez-le-feu, le commandant Azzedine, ni la faible autorité du «Rocher noir» des accords d´Evian, ni les barbouzes envoyés par De Gaulle qui pouvaient changer le cours de l´histoire.
L´objectif de l´OAS, en poussant les pieds-noirs à quitter l´Algérie, était clair. Il s´agissait, ni plus ni moins, que de tenter de paralyser le pays.
Tous les postes de commande étaient, en effet, entre les mains de cadres et personnels de maîtrise uniquement pieds-noirs.
La colonisation avait laissé derrière elle 99% d´Algériens analphabètes. C´est ce que le Parlement français appelle «l´oeuvre civilisatrice» dans sa loi du 23 février 2005. Il faut admettre que dans de telles conditions, les Algériens ont relevé un défi historique en réussissant à prendre les commandes au pied levé et remettre en marche le pays.
Cela dit et aussi vrai qu´on ne peut refaire l´Histoire, «la valise ou le cercueil» appartient à Salan, Ortiz, Lagaillarde et consorts. Personne ne pourra rien y changer.
« Je suis née en Algérie, je mourrai
en Algérie »
Cécile Serra, doyenne des Françaises à Alger, évoque sa jeunesse dans le pays qui va célébrer le 55e anniversaire de son indépendance.
« Eh! oh! Dites donc, le photographe. Attention, hein, ne me prenez pas de trop près. Sinon on va s'apercevoir que j'ai quelques rides. » A 98 ans, Cécile Serra ne manque pas d'humour. « Je suis coquette, je l'ai toujours été », corrige-t-elle, en souriant, un joli collier de perles autour du cou.
A Alger, tout le monde connaît cette vieille dame pimpante, installée depuis près d'un siècle dans un des quartiers chics de la ville. Ses voisins algériens sont aux petits soins pour elle. Ils se relaient devant la grille en fer de sa maison pour savoir si tout va bien, si elle ne manque de rien. « J'aime bien discuter avec tout le monde. Les jeunes en particulier. Je leur dis : Vous avez voulu l'indépendance. Pas de problème, c'est normal. Mais alors pourquoi cherchez-vous tous à partir? Restez. C'est un paradis ici, il y a mille choses à faire. »
La doyenne de la communauté française, elle, n'a jamais voulu quitter le pays. Ni après l'indépendance en 1962 (dont on célébrera le 55e anniversaire). Ni pendant la décennie noire (1991-2002), la guerre civile entre le pouvoir et les groupes islamistes qui a fait près de 200 000 morts. Ici, c'est chez elle.
« Je suis rentrée en France, une fois en 1964, pour rendre visite à ma famille. Avec mon mari Valère, décédé en 1986, nous sommes allés à Avignon, Toulon, Monaco. Mais nous avions des plaques d'immatriculation algériennes. Nous nous sommes fait arrêter sans arrêt, les gens nous regardaient avec un drôle d'air. Nous ne nous sentions pas les bienvenus… Après avoir traversé l'Espagne, on a décidé de rentrer le plus vite possible. Je pleurais de joie en ouvrant la porte de ma maison. Je suis née en Algérie, je mourrai en Algérie. »
Dans son jardin verdoyant, la vieille Simca Aronde des années 1950, qui appartenait à son époux, est recouverte de mousse. La télé fonctionne toute la journée, quand l'antenne ne déraille pas. Près du poulailler en bois, quelques canards déplumés grattent la terre durcie par le soleil. Le potager est envahi par les herbes folles.
Cécile Serra était couturière.
Elle a commencé à travailler en 1934 et s'est arrêtée il y a quatre ans seulement, les doigts usés par le temps. Aujourd'hui, il lui reste des photos jaunies sur son buffet Henri II, et des souvenirs en pagaille. « Si vous saviez, si vous saviez », raconte-t-elle inlassablement.
Son Algérie, c'étaient des sorties en bateau entre copains pour pêcher la crevette. Des promenades dans la montagne à la recherche de champignons savoureux. Le désert, les méchouis, le thé à la menthe et les repas que l'on préparait pendant « au moins » trois jours.
En 2003, elle fait la bise à Jacques Chirac, en visite à Alger. Elle aurait aussi aimé croiser Sarkozy, en 2007, mais cela « n'a pas pu se faire ». La politique algérienne, la maladie de Bouteflika, ça, elle s'en fiche un peu.
Malgré les guerres, malgré les morts, elle assure n'avoir « jamais été menacée, jamais inquiétée ». Au crépuscule de sa vie, elle ne garde en mémoire que les instants précieux. « Je dis à mes amis : Surtout, quand je partirai, ne pleurez pas. Car j'ai vécu heureuse dans un pays merveilleux. »
http://www.micheldandelot1.com/guerre-d-algerie-pieds-noirs-harkis-la-valise-ou-le-cercueil-a212172501
Lire aussi :
Sans valise ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie
https://www.monde-diplomatique.fr/2008/05/DAUM/15870
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