Diffusée à l’occasion du soixantième anniversaire des accords d’Evian, la série documentaire de France 2 propose des archives visuelles exceptionnelles.
Il faut absolument regarder « C’était la guerre d’Algérie », la série documentaire en cinq épisodes que diffuse France 2 ce soir et demain soir. Ne serait-ce que pour ces incroyables images d’archives : celles de Messali Hadj au Ruisseau, le grand stade municipal d’Alger, en août 1936, à l’occasion du Premier congrès musulman, organisé notamment par Ferhat Abbas et les Oulemas, les religieux modernistes. Le père du nationalisme algérien et président de l’Etoile nord-africaine (ENA), fondée dix ans auparavant, s’apprête à faire son fameux discours. Il va se baisser pour ramasser une poignée de terre et à la brandir en criant : « Cette terre n’est pas à vendre ».
« Deux peuples déchirés un temps mais liés à jamais par ce passé commun »
Ces quelques minutes sépia, où l’on aperçoit les gradins du stade bourrés à craquer (15 000 personnes étaient présentes) éclairent la « préhistoire » de la guerre qui éclatera 18 ans plus tard. Tout comme les images de ces gamins algériens, en haillons, pieds nus, qui courent après un riche colon, en costume et en voiture, celles du président Gaston Doumergue venu célébrer en 1830 le centenaire de la conquête de la « plus belle des provinces » de l’Empire, grande comme cinq fois la France, « où nous avons tout créé, tout transformé », ou encore celles de Maurice Viollette, ancien gouverneur général de l’Algérie, surnommé « Viollette l’arabe », qui avait eu l’audace de vouloir faire adopter, en vain, un texte de naturalisation de 24 000 musulmans (anciens combattants, caïds, notables…), une infime minorité sur une population de 6 millions. Les colons les plus puissants et les plus influents d’Algérie, vent debout, feront capoter le projet Blum-Viollette avant même qu’il ne passe à la Chambre des députés.
Ecrit par Georges-Marc Benamou et l’historien Benjamin Stora, à l’occasion du 60e anniversaire des accords d’Evian (le 18 mars 1962), « C’était la guerre d’Algérie », entend retracer l’histoire de « deux peuples déchirés un temps mais liés à jamais par ce passé commun ». Le documentaire a choisi de consacrer sa première partie aux 124 années ayant précédé la Toussaint rouge du 1er novembre 1954 et réalise ainsi un exercice salutaire et hautement instructif. On ne peut pas comprendre la colonisation en Algérie si on ne raconte pas l’histoire par le début : la conquête sanglante, la dépossession des terres des populations musulmanes, le « code de l’indigénat »... La série a aussi pris le parti des archives visuelles, du récit linéaire et de la pédagogie historique.
On reste abasourdi par ces cinq heures qui racontent « les » guerres d’Algérie (celle, impitoyable et sanglante entre le FLN et les partisans de Messali Hadj, peu à peu éliminés, ou celle entre les jusqu’au-boutistes de l’OAS et les représentants de l’Etat français…), les tentatives de dialogue avortées (du Royaume arabe de Napoléon III à la trêve civile réclamée par Albert Camus) et la radicalisation de ses acteurs, à commencer par le parcours de Jacques Soustelle, ethnologue, résistant, intellectuel pacifiste avant-guerre, nommé par Pierre Mendès France comme gouverneur général de l’Algérie, au début de la guerre. On le voit, au départ, prôner l’égalité des droits et des devoirs, le rattrapage des inégalités scolaires et sociales, il confie même une mission à Germaine Tillion, la créatrice des centres sociaux. Il sera à la fin du conflit un des fervents soutiens de l’OAS. C’est l’un des « personnages » suivis par le documentaire, avec Ferhat Abbas et Albert Camus, tous emportés par la tragédie de la guerre d’Algérie.
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