Il est de ces plaies qui ne deviennent jamais des cicatrices. Tapie dans la mémoire, la douleur y est plus ou moins vive, reléguée au second plan, le temps de construire sa vie. La parole de ceux qui ont combattu en Algérie, désormais octogénaires, est encore rare. Le regard, simpliste, porté sur ces appelés a perdu en anachronisme pour se nourrir de l’Histoire fut-elle diversement, partialement, politiquement écrite.
Pour la reconnaissance de l’engagement imposé de la première génération d’appelés à aller au feu depuis la Seconde Guerre mondiale, les avancées, concernant près de 1,5 million de soldats (dont 400.000 militaires d’active) ont été longues à venir. La carte du combattant a été accordée aux combattants en Afrique du Nord en 1974. Et il a encore fallu attendre 37 ans après le cessez-le-feu issu des accords d’Évian pour qu’officiellement, « les opérations de maintien de l’ordre » soient reconnues comme une guerre par la loi de 1999.
Georges (au centre) au travail.
« Pour aider et protéger»
Cette guerre qui a tant tardé à dire son nom, Georges, bientôt 85 ans, y a été confronté pendant 20 mois. Fils d’agriculteur en Loire-Atlantique, Georges était depuis peu embauché dans une miroiterie nantaise, quand, à 20 ans, il a été appelé sous les drapeaux, en septembre 1957 ; il est arrivé à Oran le 20 avril 1958 après quelques mois d’instruction en Allemagne. « Je partais faire mon service militaire, pour faire du soutien, pour aider et protéger, pas pour faire la guerre », explique Georges qui, après plusieurs affectations est versé dans le 20e Bataillon de Chasseurs Portés, dans l’Oranais.
Un cantonnement au milieu des Aurès.
La guerre pourtant l’a rapidement rattrapé. Face à ceux qui leur tendaient des embuscades, « il a fallu défendre sa peau ». Quel que soit son ressenti. « Oui, il y avait les écoles, les logements, tous les aménagements faits par la France, mais il y avait aussi les bonnes terres piquées par certains colons Français, dans les lesquels travaillaient des Algériens plus ou moins payés et que l’on avait refoulés dans les montagnes… J’ai commencé à comprendre ce qu’il y avait d’injuste… », commente Georges.
Il a fallu se plier aux ordres de l’armée, cela n’a pas toujours été joli mais c’est comme ça.
« La première fois que je suis monté en embuscade, il y avait un Fell’ qui descendait sur moi, armé, je n’ai pas pu tirer. C’est le sergent qui était à côté de moi qui se l’est fait, et moi j’ai mangé un grand coup de pompe dans les fesses ».
Un moment de repos. En 20 mois, Georges aura eu une permission de 15 jours pour rentrer en France. Pris dans la tempête, son bateau mettra plus de 30 heures pour gagner les côtes françaises.
« La corvée de bois»
Parmi les événements marquants qu’il a eus à vivre, Georges cite celui qui s’est déroulé dans une ferme du côté de Palikao, à une quinzaine de kilomètres du cantonnement. « Nous avions l’habitude de venir y chercher de l’eau. Ce jour-là, le point d’eau avait été verrouillé par le colon. Notre lieutenant a fait sauter le cadenas et nous avons commencé à remplir la citerne. Le colon est arrivé avec un pétard. Il n’a pas eu le temps de tirer. Le lieutenant a été plus rapide… Nous, les appelés, nous serions sans doute repartis sans eau ».
La traversée d'un oued après un orage.
Et puis il y a eu la « corvée de bois » au poste avancé de Ain Farès. « Un soir, vers 10 heures, on m’a dit qu’il y avait corvée de bois. J’ai répondu qu’à cette heure-ci, c’était pas possible. J’ai compris quand on a fait monter des prisonniers musulmans dans un camion » et qu’ils ne sont pas revenus. « Cette histoire-là m’a beaucoup travaillé ».
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Il s'appelait Amar
Ces faits, traumatisants, et d’autres encore, Georges les a gardés précisément en mémoire. Sans pouvoir trop les dater. Il tenait un petit carnet dans lequel il consignait son quotidien, gardait quelques photos. « La DST (ex-service de Renseignements français) me l’a confisqué pour s’assurer que je n’étais pas de connivence avec les Fellaghas ».
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Dans un texte qu’il a récemment écrit pour ses cinq enfants, Georges dit qu’il a eu « de la chance ». Que ce « séjour en Algérie », il l’a fait « sans une blessure mais pas sans peur ». Et qu’il en conserve « beaucoup d’horreur dans son cœur ». Au cours de sa carrière dans le bâtiment, il a eu, pendant 15 ans, un Algérien pour collègue. Un homme de son âge. Il s’appelait Amar, et Georges l’aimait bien. « On aurait pu se trouver là-bas face à face, pendant la guerre. Un jour il m’a dit, “si tu veux pas qu’on ait d’histoire, il vaut mieux qu’on n’en parle pas”. On n’en a jamais parlé ».
Sophie Leclanché
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Sophie Leclanché
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Publié le 18/03/2022 à 08h30
https://www.leveil.fr/paris-75000/actualites/appele-en-algerie-en-1958-georges-pensait-qu-il-ne-partait-pas-pour-faire-la-guerre_14101135/
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