Sylvie Thénault
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Rédigé le 04/02/2022 à 14:04 dans Guerre d'Algérie, Racisme | Lien permanent | Commentaires (0)
Quand il parle du passé, le pamphlétaire accumule erreurs, dérapages et mensonges. Des historiens ont choisi de décrypter l’idéologie et les arrière-pensées qui les sous-tendent.
La rencontre de Montoire, le 24 octobre 1940. (Rue des Archives/Tallandier
Parmi toutes les cibles que s’est choisies le haineux M. Zemmour, les historiens d’aujourd’hui tiennent une bonne place. Pour l’homme qui prétend remettre le pays d’équerre, ces fourriers de la « propagande antifrançaise », à force de « repentance » et de « déconstruction », sapent la grandeur de notre passé. Comme le pamphlétaire ne fait jamais les choses à moitié, il n’hésite jamais au passage à insulter également la discipline de ceux qu’il exècre. Quand il se pique de raconter l’Histoire, dans ses livres, à la télé ou en meeting, le pamphlétaire-candidat égrène les contre-vérités à un rythme de marathonien. Face à cette outrance, quelle position devait tenir la communauté concernée ? Devait-elle rester sagement au chaud de ses bibliothèques, le nez plongé dans l’étude des siècles, en attendant que le vent mauvais se calme ? Un certain nombre d’historiens ont estimé que le péril était trop grand pour ne pas l’affronter, l’escroquerie trop manifeste pour la laisser passer sans réagir. Ils et elles le font savoir en librairie. A quelques semaines d’intervalle, deux livres courts, nerveux, brillants et diablement efficaces témoignent de ce combat.
Le premier de ces ouvrages, sorti en janvier chez Grasset, a un titre qui annonce son contenu de façon frontale : « la Falsification de l’histoire ». Sous-titré « Eric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs », il se concentre sur un épisode particulier des élucubrations historiques du mini-Maurras de CNews : sa relecture de la période de l’Occupation et, derrière elle, sa tentative de réhabilitation de Philippe Pétain. Laurent Joly, qui en est l’auteur, sait de quoi il parle. Il est un des éminents spécialistes de la question de la persécution raciale sous Vichy.
Au cœur de son propos, on trouve bien sûr la réfutation implacable des faussetés manifestes énoncées à ce sujet. Non, contrairement à ce qu’a publiquement prétendu le trublion à plusieurs reprises, le maréchal chef de l’Etat français n’a pas été ce stratège finaud qui a joué « double jeu » entre Berlin et Londres. Dès sa poignée de main à Hitler, en octobre 1940, dans la petite gare de Montoire, il fait, comme il l’annonce lui-même, le choix de la « collaboration » avec les nazis, tout simplement car il pariait alors sur une victoire de l’Allemagne hitlérienne, et essayait de mendier auprès d’elle une petite place pour le pays dont il tenait les rênes. Non, ce même vieillard n’a pas accepté de donner aux occupants des juifs étrangers pour « sauver les juifs français », comme s’est obstiné à le répéter M. Zemmour à de nombreuses reprises. En établissant pour eux un « statut particulier », promulgué durant ce même octobre 1940 sans demande allemande, en mettant, plus tard, sa police à la disposition des occupants pour effectuer les rafles, il a au contraire intensifié leur persécution. Si les trois quarts des persécutés ont échappé à la déportation, ils ne le doivent en rien à Vichy, mais en tout aux réseaux d’entraide mis en place par des milliers d’autres Français qui eurent précisément le courage de se dresser contre les volontés de ce régime indigne.
Ces mises au point factuelles sont évidemment salutaires. Le livre de Joly, toutefois, va bien au-delà. Pour montrer le rôle central que cette obsession pour une période tient dans le dispositif politique et intellectuel zemmourien, il élargit le contexte historique dans lequel elle s’inscrit. Il revient sur les maîtres revendiqués par le pamphlétaire lui-même, les pères français du nationalisme, Maurice Barrès, Paul Déroulède, l’Action française, chez qui il pioche ses lubies, la hantise de la décadence, la xénophobie, la recherche d’un bouc émissaire sur qui placer tous les péchés du monde. Quand on aime ces gens-là, on ne peut qu’apprécier le régime qui se mit en place en juillet 1940 : il fut le seul de notre histoire qui mit leurs idées au pouvoir. Non moins intéressante la façon dont l’actuel candidat a fait sienne une théorie qui apparaît après Vichy : l’idée qu’en réalité le général de Londres et le maréchal de Montoire étaient de mèche, qu’ils ont chacun servi la France en se répartissant les rôles, l’un tenant celui du combattant opiniâtre, l’autre celui du protecteur du pauvre peuple occupé. De livre en livre, l’auteur du « Suicide français » ne cesse de distiller cette thèse dite « du glaive et du bouclier ». Sur le plan des faits, elle est sans fondement. Elle circule pourtant depuis fort longtemps. Laurent Joly en refait pour nous la passionnante généalogie. Elle naît dès 1945, chez les avocats de Pétain, gagne un peu de force grâce à quelques mauvais historiens des années 1950 et ne cesse d’être reprise par les milieux d’anciens pétainistes pour des raisons évidentes : en faisant d’eux aussi des crypto-résistants, elle sert avant tout à les dédouaner de l’indignité où leur position les avait conduits. Zemmour, nous explique Laurent Joly, renouvelle cette antienne pour la mettre au service de son grand projet politique, la recomposition politique autour d’une union de la droite et de l’extrême droite. Depuis 1944, en effet, Vichy était le grand fantôme qui y faisait barrage. Qui, dans une droite se revendiquant de l’homme de Londres, pouvait accepter l’alliance avec les défenseurs de celui qui l’avait fait condamner à mort par contumace ? En tentant de réécrire l’histoire de l’Occupation, en noyant dans le brouillard du confusionnisme les rôles des uns et des autres, Zemmour tente de lever le dernier tabou qui s’oppose à son rêve politique. La neutralisation de Vichy, ajoute l’historien, présente un autre avantage, non moins redoutable : préparer le terrain à ce qu’il rêve de faire, y compris sur le pire des terrains. Il « cherche à banaliser la politique antijuive de Vichy pour pouvoir mener des politiques d’exception contre les étrangers et les musulmans ».
A lire l’autre petit livre dont nous voulions parler, on comprend vite que le candidat-trublion est, sur tous les plans, un homme qui voit large : sa volonté de réécrire le passé ne se limite pas au XXe siècle, mais remonte autrement plus loin. L’ouvrage qui le démonte a, lui aussi, un titre qui a le mérite de la clarté : « Zemmour contre l’Histoire ». Sa genèse n’est guère différente de celui dont nous venons de parler. Là encore, nous explique par exemple le médiéviste Florian Besson – un des jeunes chercheurs à l’origine du projet –, on trouve des historiens atterrés ou effrayés par le nombre de faussetés émises par l’ex-vedette de « télé-Bolloré » et terrifiés par le projet qu’ils sentent poindre derrière ces approximations très pensées. Miracle des réseaux sociaux. En quelques clics, à l’automne dernier, sans forcément se connaître auparavant, ils réussissent à former un petit comité de rédaction qui établit le plan d’attaque : chaque spécialiste sera chargé, de façon simple, courte et claire, de démonter une des contre-vérités pointées dans les livres ou les interventions du candidat. D’Alya Aglan, historienne de la Seconde Guerre mondiale, à André Loez, qui travaille sur la Première ; de Catherine Rideau-Kikuchi, médiéviste, à Gérard Noiriel, célèbre auteur du « Creuset français » (Seuil), seize noms ont répondu à l’appel. Nicolas Offenstadt, un des plus médiatiques d’entre eux, a proposé l’idée à Gallimard, qui l’a acceptée.
C’est ainsi qu’en quelques semaines ce brain-trust de la mémoire a produit un « Tract » qui nous semble d’utilité publique. Son espoir, nous explique en substance Sylvie Thénault, grande historienne de la guerre d’Algérie et contributrice, était de donner des arguments de raison aux profs ou encore aux journalistes, souvent démunis sur les plateaux face aux bombardements de fausse culture du vibrionnant extrémiste. Le pari est réussi. Leur livre est remarquable de clarté, de pédagogie. Il court de Clovis au procès de Maurice Papon (que Zemmour juge « idéologique ») et à chaque étape réussit à la fois à démonter le mensonge émis et l’arrière-pensée qui le sous-tend.
Dans l’étonnant univers parallèle que l’on découvre ainsi, tout n’est pas neuf. Dans les affirmations de cet homme qui déteste la modernité au point de sembler ne jamais avoir ouvert un livre publié après 1944, on retrouve beaucoup de poncifs de la littérature nationaliste, déjà datés d’il y a un demi-siècle, comme, par exemple, la relecture complotiste de la Révolution française, qui serait le fruit d’une conspiration franc-maçonno-jacobine. Les doutes émis sur la probité du capitaine Dreyfus – dont l’innocence est établie de façon absolue depuis plus d’un siècle ! – témoignent sans doute d’une volonté acharnée de défendre les maîtres de l’Action française, les plus célèbres des antidreyfusards. Partout ailleurs courent au long de la relecture des siècles les mêmes obsessions. Des approximations sur les Croisades – son grand moment – aux guerres de religion – dont il se sert pour transformer les protestants en coupables ! –, Zemmour réécrit l’Histoire pour la mettre au service de ses phobies, les minorités, la diversité, du fantasme d’un pouvoir fort. Dans le panorama, l’histoire de l’Algérie coloniale tient une place de choix. Pas moins de quatre articles y sont consacrés. Avec Vichy, nous explique Sylvie Thénault, elle représente une autre matrice de l’idéologie zemmourienne, celle où il puise aussi sa haine de l’islam et sa peur de la subversion.
Puisque l’ambiance est crépusculaire, reprenons un classique, le très sombre ouvrage de Gustave Le Bon, « Psychologie des foules », paru en 1895 et considéré comme l’annonciateur des totalitarismes du XXe siècle : « La puissance des mots est si grande qu’il suffit de termes bien choisis pour faire accepter les choses les plus odieuses. » C’est sous l’ombre portée de cette citation que la sémiologue Cécile Alduy dissèque le vocabulaire zemmourien dans la toute nouvelle collection « Libelle » du Seuil (qui vient concurrencer les « Tracts » de Gallimard). Professeur à Stanford, elle s’est fait connaître en concassant les discours des politiques, avec l’appui de logiciels et de méthodes statistiques. De la langue de Zemmour, elle note – c’est nous qui simplifions – qu’elle est à la fois dure et molle.
Dure quand elle évoque la « guerre » (le troisième mot le plus utilisé dans ses livres) et enjoint de choisir son camp. Dure quand elle sépare en blocs, quand elle amalgame (« tous » les mineurs isolés sont des « violeurs » et des « assassins ») et qu’elle manie l’antithèse pour écraser la complexité du réel dans des catégories anhistoriques et essentialisées (la « race », le choc des civilisations). Mais le candidat sait aussi dissoudre les concepts, inverser le sens et répandre le doute ; c’est le côté mou de l’affaire. Lorsqu’il enlace en permanence les noms de Pétain et de De Gaulle, lorsqu’il pioche à la volée des citations chez ses adversaires pour leur faire dire l’inverse de leur thèse, lorsque, enfin, il pratique le « retournement » (les immigrés « colonisateurs ») ou l’exagération hyperbolique (le « totalitarisme » féministe).
Rémi Noyon
« La Langue de Zemmour », Cécile Alduy, Seuil, 60 p., 4,50 euros.Selon un sondage Harris d’octobre dernier, 61 % des Français croient que « les populations blanches, européennes et chrétiennes » (soit 728 millions de personnes en Europe) sont « menacées d’extinction, à la suite de l’immigration musulmane provenant du Maghreb et de l’Afrique noire » (soit actuellement 8 millions de personnes, 1,1 % du total). Ciselée par l’idéologue d’extrême droite Renaud Camus et propagée par le candidat Eric Zemmour, la théorie du « grand remplacement » est donc largement acceptée, malgré ces chiffres qui devraient suffire à la réfuter. Dans cet essai à paraître début mars, le démographe Hervé Le Bras s’emploie à lui tordre le cou définitivement. Il retrace la généalogie de ce fantasme depuis les années 1970 (et le roman « le Camp des Saints », de Jean Raspail) et démontre qu’à l’échelle d’une génération une telle « submersion » est inimaginable, sauf à tordre les chiffres et à faire l’hypothèse absurde d’une absence complète de mélange des populations.
Pascal Riché
·Publié le
https://www.nouvelobs.com/idees/20220204.OBS54063/vichy-algerie-roman-national-les-historiens-rappellent-les-faits-contre-zemmour.html
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Rédigé le 04/02/2022 à 11:23 dans Décennir noire | Lien permanent | Commentaires (0)
Albert Gea
Le premier paragraphe du roman est une petite merveille d’écriture tant la phrase coule avec un rythme à la fois léger et grave : « Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la mort. Les vacances d’été sont depuis longtemps oubliées, la nouvelle année est encore loin ; la proximité du néant est inhabituelle. »
Dans Anéantir, de Michel Houellebecq, l’histoire commence avec ce pessimisme mâtiné de nihilisme qui est la marque de l’auteur. Démarrage plutôt réussi, avec, au cœur de l’intrigue, le personnage de Paul Raison, un inspecteur du Trésor de 47 ans, bien dépressif, qui travaille auprès du ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Juge, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Bruno Le Maire, lequel occupe la même fonction dans l’actuel gouvernement d’Emmanuel Macron, au point que l’on se demande ce qu’il ne lui a pas emprunté – peut-être sa vie sentimentale et sexuelle, espérons-le. Paul est marié à Prudence, mais entre eux l’idylle est finie. Pire, elle est devenue une vague indifférence, chacun faisant chambre, sinon appartement à part. Mais voilà que le père de Paul, un ancien des services secrets, qui réside non loin de Lyon, est victime d’un grave AVC, qui risque de lui être fatal. Cet accident va mobiliser toute la famille, la faire descendre à son chevet dans les monts du Beaujolais, dans cette France en voie de disparition, et nous permettre de découvrir les uns et les autres.
Bien sûr, d’autres histoires, avec notamment des attentats terroristes numériques, l’apparition de mystérieuses inscriptions inspirées de Lovecraft et une campagne électorale présidentielle qui commence – nous sommes en 2027 – viennent ajouter d’autres ingrédients à l’intrigue principale. On navigue donc à vue entre chronique familiale, roman de politique fiction, thriller d’espionnage, avec, pour compléter ce cocktail éclectique, un zeste de science-fiction et quelques cuillerées de mysticisme bon marché. On suit les personnages dans leurs relations, leurs petits et grands malheurs et leurs états d’âme. Il y a la sœur bigote de Paul et son mari, un notaire raté – tous deux campent à l’extrême droite – ; son frère, un tapissier besogneux, plutôt apolitique, époux d’une journaliste politique d’extrême gauche hystérique, d’autant plus qu’elle est passée elle-aussi à côté de sa carrière ; et Madeleine, la très dévouée compagne du père paralysé. Cela permet à Houellebecq de nous dépeindre un monde de « petits blancs », comme on dit aujourd’hui, nouveaux bourgeois ou prolétaires, plats et médiocres mais aussi attachants à leur manière.
Mais, vers la 350e ou la 400e page, on commence à vraiment s’ennuyer. Le roman semble s’être enlisé. Et, au fil des pages, il l’est de plus en plus. Il faut dire que l’auteur n’épargne rien à ses lecteurs. Au point de nous décrire par le menu les nombreux rêves de Paul qui finissent par devenir aussi harassants qu’une nuit sans sommeil et qu’à les voir sans cesse s’étaler tout au long du récit, sans apporter grand-chose à l’histoire, on finit par sauter des pages.
Bientôt c’est le charme du roman qui se délite, tant il ne se passe plus grand-chose. Heureusement, un nouvel événement, un kidnapping plutôt surprenant, relance l’intrigue au deux-tiers du livre – ouf ! Il était temps. La fin du roman sera cependant abracadabrante.
Houellebecq nous raconte assez justement le mal-être et le mal-vivre de ces générations sans passion, sans grand horizon, sans étoile pour les guider depuis le triomphe du capitalisme financier et la fin des illusions politiques, sans grand naufrage non plus faute de grandes espérances, que l’on voit peu à peu aspirées par le vide existentiel, prélude à leur anéantissement. Non sans une lucidité souvent un peu amère, les personnages découvrent la vie qui passe et les laisse peu à peu de côté, l’amour qui n’est pas ce qu’ils en attendaient, l’érotisme devenir mou.
L’écrivain parle aussi avec justesse de nombre des hantises de ses contemporains : le chômage, le déclassement, la misère sexuelle malgré la libération des mœurs, ou peut-être à cause d’elle, le vieillissement du pays, son islamisation rampante, visible même au cœur du Beaujolais. Et il nous touche quand il évoque ses obsessions qui sont celles de son âge : la fin de vie, le délabrement des corps dans la vieillesse, la peur de la mort, l’égoïsme de ses contemporains qui laissent mourir à petit feu et dans la solitude ses anciens dans ces maisons de retraite que l’on désigne par l’affreux sigle d’Ehpad (Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) quand on ferait mieux de les appeler asiles de vieux. C’est même là qu’il est le plus juste, en particulier dans ses descriptions : « Les rectangles de verre qui composaient la façade de Saint-Luc avaient certainement pour objectif d’améliorer le moral des familles, de leur suggérer l’idée d’un hôpital pour rire, un hôpital de Lego, un hôpital jouet. L’effet n’était que très partiellement atteint, le verre était terne et sale par endroits, l’impression de gaieté douteuse ; mais de toute façon, dès qu’on pénétrait dans les couloirs et dans les chambres, la présence des moniteurs de contrôle, des appareils d’assistance respiratoire vous ramenait à la réalité. On n’était pas là pour s’amuser ; on était là pour mourir, la plupart du temps. »
Mais Anéantir est-il pour autant le grand livre, vendu avec toutes les tactiques du marketing comme une voiture électrique, que nous a promis l’ensemble de la critique française, à l’exception de quelques titres (L’Obs, Mediapart, France Culture...) qui, à l’inverse, l’ont carrément cloué au pilori ? Mérite-t-il les trois pages que Le Figaro lui a consacrées et l’interview sur trois pages également de son auteur dans Le Monde des livres ?
Assurément, Anéantir est un bon roman, certainement mieux écrit que les sept précédents et avec, enfin, des personnages féminins moins caricaturaux. Mais à la condition d’accepter que la paresse – la paresse dans la façon de dérouler l’histoire, la paresse dans le style de l’auteur, la paresse dans ses réflexions comme dans ses ambitions – ne soit plus considérée comme un péché capital en littérature. Et que l’ennui que provoque sa lecture, à partir du mitan du roman, soit considéré comme une vertu.
Anéantir de Michel Houellebecq, Flammarion, 2022, 730 p.
OLJ / Jean-Pierre Perrin, le 03 février 2022 à 00h02
https://www.lorientlejour.com/article/1289616/la-proximite-du-neant.html
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Rédigé le 04/02/2022 à 08:46 dans Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (1)
Du 4 février au 19 mars, découvrez l'exposition commémorant les 60 ans du drame de la manifestation de Charonne sur le parvis de la Mairie du 11e.
"8 février 1962. Métro Charonne. Alors que toutes les manifestations sont interdites en raison de l’état d’urgence, plusieurs milliers d’hommes et de femmes, en réponse à un appel unitaire des confédérations syndicales, manifestent contre les crimes de l’OAS (Organisation de l’armée secrète) et pour la paix en Algérie. Au moment de la dispersion de la manifestation, les forces de l’ordre interviennent avec une violence tant assumée qu’injustifiée. On relève huit morts au soir du 8 février et plus de deux cents blessés. Un neuvième manifestant grièvement blessé décèdera quelques semaines plus tard. L’indignation populaire est immense. Le 13 février, elle s’incarne dans l’énorme cortège qui accompagne les obsèques collectives des victimes depuis la Bourse du Travail, place de la République, jusqu’au cimetière du Père-Lachaise. Cette puissante affirmation de colère et le rejet de la guerre contribuent à en précipiter l’issue. Le 19 mars 1962, les accords d’Évian mettent un terme au conflit. Le 3 juillet, 130 ans après sa conquête, l’Algérie accède à l'indépendance. Soixante ans plus tard, la mémoire de ce massacre reste vive."
Exposition : "Il y a 60 ans, la manifestation de la rue de Charonne"
Rédigé le 03/02/2022 à 20:20 dans Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le cinéaste français et militant anticolonialiste, René Vautier, disparu en 2015 à l'âge de 90 ans, a marqué son engagement pour la cause algérienne à travers ses films en faveur de la Guerre de libération et le combat des Algériens pour l'indépendance.
Diplômé de l'Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) en 1948, René Vautier a baigné dès son jeune âge dans le cinéma en utilisant sa caméra au service des mouvements de libération de son époque, notamment la Révolution algérienne de 1954 contre l'occupation française.
En 1950, il réalise son premier, "Afrique 50", premier film anticolonialiste français diffusé clandestinement qui sera interdit pendant plus de 40 ans.
Au déclenchement de la guerre de libération, en 1954, il sort "Une nation l'Algérie", un film consacré à l'histoire de la conquête de l'Algérie par les forces coloniales qui sera interdit et vaudra au cinéaste une condamnation pour atteinte à la sûreté intérieure de la France.
Début 1962, René Vautier retourne en Algérie et crée le Centre audiovisuel d’Alger, une structure destinée à former les futurs cinéastes et techniciens de l’Algérie indépendante qu'il dirigera jusqu'à son départ en 1966.
Il réalise en 1963 "Un peuple en marche", un film qui passe en revue la Guerre de libération, le parcours de l'Armée de libération nationale (ALN) et l'effort populaire de reconstruction du pays après le recouvrement de l'indépendance.
En 1972, son film "Avoir vingt ans dans les Aurès", obtient le Prix international de la critique du festival de Cannes.
En 1984, il fonde "Images sans chaînes", une société de production indépendante puis continue à tourner entre la France et l’Algérie, principalement des documentaires films sur l’immigration et la citoyenneté française comme "Immigration Amiens".
D'autres films suivront, toujours dans le même élan engagé du cinéaste, notamment "Les Trois cousins" (1970), une fiction tragique sur le conditions de vie des Algériens à la recherche d'un travail en France et "Vous avez dit français ?" (1986), une réflexion sur la citoyenneté et l'immigration en France.
En reconnaissance à son parcours de cinéaste militant et engagé en faveur de la cause algérienne, la Cinémathèque algérienne a rendu hommage à René Vautier à l'occasion du 60e anniversaire du déclenchement de la lutte armée pour l'indépendance.
En 2018, René Vautier a été décoré, à titre posthume, de la médaille l"Ordre national" pour sa participation à la Guerre de libération et sa contribution, aux côtés d'autres cinéastes et photographes étrangers, à la naissance du cinéma algérien.
Lundi, 03 Janvier 2022 10:11
https://www.aps.dz/culture/133669-il-y-a-six-ans-disparait-rene-vautier-figure-du-cinema-militant
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Rédigé le 03/02/2022 à 20:05 dans Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
A chaque fois qu'on avait fait une place dans une société, au génie des enfants amazighs, les résultats furent édifiants et universellement fondateurs pour l'humanité, par les bienfaits des apports culturels, cultuels, moraux, intellectuels et philosophiques. Le caractère berbère, immuable porté par un élan instinctif vers les concepts millénaires issus de la liberté d'entreprendre et le réalisme greffé sur la sagesse de la terre nourricière de la montagne, réussit par sa clairvoyance à fonder des civilisations puissantes et pérennes. L'histoire de l'amazighité, un terme local devenu, enfin, visible pour l'ensemble des Nord-Africains, avait toujours été construite autour d'une dévotion singulière pour la liberté et la curiosité novatrice, en somme, la modernité de l'esprit. Tous les envahisseurs s'enrichirent de l'efficacité légendaire du pragmatisme de l'homme amazigh, jusqu'ici ignoré par les tablettes de l'histoire. Ils mirent à leurs services les compétences, le savoir-faire structurant et formateur de l'homme amazigh, tout en le brimant et en le classant en seconde zone comme persona non grata.
L'esprit tribal berbère façonné pour s'accrocher sur ce qui est vital, juste, utile, pratique et essentiel avait modernisé, consolidé et renforcé le socle de la civilisation chrétienne occidentale, par sa lumière visionnaire et son talent de constructeur. Il suffit de se référer au travail édificateur des trois papes berbères d'Afrique du Nord, en l'occurrence, Victor I er, Miltiade et Gélase I er, qui imposèrent le puissant pouvoir de l'église sur les royaumes et les empires occidentaux. Pour l'anecdote, nous citons un événement festif ; la Saint Valentin, la journée dédiée au bonheur des amoureux. Elle fut proclamée pour célébrer la fête de l'amour, par la persistance d'un de ces papes. Ça devrait être une fierté pour tous les Algériens et tous ceux qui se sentent amazighs, par le cœur ou par l'esprit. Ils étaient amazighs romanisés ! Me rétorquent certains avec véhémence, sur un ton qui sous-entend le mépris. Certes, ils étaient, effectivement, imprégnés et affiliés à la culture romaine. Il n'en demeure pas moins que leurs intellects fondamentaux furent façonnés et forgés dans un climat purement amazigh : ce qu'on appelle, communément, aujourd'hui, l'esprit de l'Algérie algérienne.
D'autre part, l'amazighité nord-africaine, depuis le VIIe siècle, avec ses enfants arabisés, islamisés, fidèles à l'islam et à l'arabité avaient, vainement, tenté de suivre la voie des meilleurs penseurs algériens, en l'occurrence, Saint Augustin, afin de créer une civilisation moderne, puissante et harmonieuse autour des valeurs de liberté et de modernité dans la pratique sereine d'un islam reformé. Nous revenons, dans cet article, sur le gâchis de la marginalisation du monde amazigh, par les influences nocives sur nos sociétés actuelles, des penseurs arabisants depuis le VIIe siècle jusqu'à nos jours. On ne s'étalera pas, non plus, dans notre écrit, sur nos illustres papes berbères. Mais, nous citons pour illustrer la véracité de nos propos, le rôle de Saint Augustin et l'impact fondateur de sa philosophie moderne, qui permit à la civilisation occidentale, en panne de modernisme et gangrénée par les inepties du charlatanisme, de faire un bond en avant miraculeux vers le développement des sociétés modernes et futuristes.
La finesse de l'esprit de Saint Augustin, empreinte de la saveur amazighe, une particularité issue du parfum à la terre, qui caractérise le Berbère. Cette élégance intellectuelle vint, comme une bénédiction, inaugurer une époque embrasée par les lumières du savoir. Une époque qui fit de la pensée religieuse, remodelée et novatrice, un modèle de liberté dans la société, où toutes les différences se respectent, se rejoignent et s'unissent. L'éloquence orale et écrite trouva sa place pour renforcer le langage moderne mis à la disposition de toutes les libertés d'expression en fortifiant le raisonnement des peuples pour instaurer la liberté, partout, dans les systèmes politiques et faire naître l'opulence et le bien-être.
A partir de cette pensée ciselée, simple, utile, accessible au plus grand nombre et tournée vers une vision moderne, les sociétés régies par la chrétienté édifièrent les bases de l'ensemble du monde occidental moderne, en le renforçant pour se projeter dans le futur et détenir, désormais et à jamais, une puissance durable sur le reste de l'humanité.
La puissance de la pensée de Saint Augustin fut décrite par Joseph Tabucco comme ceci : «L'esprit d'Augustin a été le lieu, non pas unique, mais privilégié, d'une des opérations majeures de l'esprit humain. C'est à lui, plus qu'à aucun autre, qu'il fut donné de réaliser la synthèse de la pensée antique et de la pensée chrétienne, dont a vécu, de longs siècles, la civilisation occidentale».
Saint Augustin avait contribué à sortir la pensée humaine de sa médiocrité et de la violence autoritaire des pouvoirs, en imposant des conceptions modernes de la liberté et de la nature humaine.
Parler de Saint Augustin, à notre époque, dans une Algérie, peu clémente pour les Berbères non musulmans, paraît incongru pour la plupart de nos compatriotes aveuglés par la haine du fanatisme. Pourtant, il serait une grande erreur d'occulter de notre histoire les qualités primitives d'une moralité forgée dans notre pays et véhiculée par l'un des fils les plus illustres, jamais égalé, dans l'Algérie de tous les temps.
Saint Augustin est moins connu en Afrique du Nord, dans son pays d'origine, qu'en Occident. On a effacé son histoire pour taire ses mérites, non conformes à la morale pernicieuse embrigadée dans le message islamique. C'est cette raison qui nous pousse à le faire connaître à ses compatriotes de l'an 2021. L'histoire et les mérites de l'enfant enfanté par la terre amazighe avait été, volontairement, effacée de la mémoire commune, même s'il était un savant mondialement connu, il était aux yeux des intolérants islamistes, qui détiennent le pouvoir avec la complicité des dirigeants partisans de la force, un chrétien, donc pas algérien. Nous souhaitons nous approprier son image, pour la partager avec la jeunesse algérienne affable de liberté, afin de faire un exemple et susciter des vocations chez des futures adeptes qui, demain, agissent en réalisant des projets autour des idéaux unificateurs communs d'une société malade par un excès d'une religiosité importée de l'extérieur.
Saint Augustin est un sujet immense, on évitera d'expliquer ses œuvres, mais nous ne pouvons pas parler de Saint Augustin sans évoquer au passage, succinctement, l'ardeur de son œuvre ; les confessions. Une œuvre qui garde jusqu'à nos jours sa jouvence, depuis quinze cents ans, où beaucoup viennent découvrir, avec émotion, le sincère monologue de l'auteur avec son Dieu. A la lecture des confessions, nous nous sommes trouvés face aux vérités d'un homme qui se met à nu, sous le regard omnipotent de Dieu. Nous avons eu l'impression de sentir le parfum de la menthe des contrées lointaines de la Méditerranée, en dégustant ses écrits comme un repas savoureux. Des écrits enrobés par l'aisance subtile des formulations construites par une intelligence raffinée. Cependant, dans notre époque peu encline à la ferveur religieuse, la lecture des confessions semble, à beaucoup, comme un écrit d'un illuminé qui dialogue avec lui-même, en prenant la place de Dieu pour répondre à ses propres démons et angoisses.
En dehors des confessions, l'œuvre la plus importante de Saint Augustin est sans conteste «La cité de Dieu», avec ses 22 volumes. «La vraie religion» est une œuvre sentimentale pour le théologien, car elle était écrite en collaboration avec son fils qu'il perdît à l'âge de 17 ans.
Jusqu'ici, toutes les tentatives, des hommes de haute envergure de la berbérité, je veux dire les Algériens dans leur ensemble, avaient échoué, bloquées, détournées, délibérément, par les esprits chagrins, les partisans des frustrés par leurs échecs répétés et les improductifs, pour sortir l'Islam de sa liturgie entachée par le wahhabisme. Mohammed Arkoun, précurseur de la pensée moderne dans l'islam, dont le profil se situe dans le sillage de Saint Augustin, fut muselé, bloqué, menacé et traité de mécréant, à son époque, par la folie wahhabite, pour sa tentative de proposer ses services, pour chercher des outils afin de moderniser la langue arabe et l'islam. Mohammed Arkoun nous alerta, avec un langage fleuri de la sagesse des hommes compétents qui veulent se rendre utiles, sur la lecture biaisée et falsifiée de l'islam prêché par les wahhabites et les islamistes qui faisaient l'impasse sur la raison, l'esprit critique et de l'esprit épris de modernité.
Beaucoup du calibre de Arkoun avaient prédit : sans la séparation de la religion et la politique dans notre modèle actuel de société, toutes les nations musulmanes gouvernées par une idéologie islamique cesseront d'exister ou éliminées par la force de la science des nations occidentales. Le système sociétal, préconisé par les islamistes, relève d'une société pieuse, non ouverte à la modernité, incompétente, non rentable et vivant avec les créations des mécréants.
L'aubaine suscitée par Arkoun avait été une occasion manquée, comme beaucoup d'autres occasions, d'ailleurs, en Afrique du Nord et particulièrement en Algérie.
Ne cédons pas au désespoir et saisissons l'opportunité qui se présente, aujourd'hui, à nous, pour soutenir en masse Saïd Djabelkhir, pour libérer la parole et encourager ce spécialiste de l'islam à exploiter cette aubaine rare. Si Saint Augustin avait réussi à réformer le christianisme, Saïd Djabelkhir l'est autant pour l'islam. Il ne manque pas d'atout pour faire sortir l'islam de l'impasse dans laquelle il fut engouffré par les esprits dégénérés, entraînés par le désespoir de se sentir inutiles et vivre dans l'échec permanent. La comparaison entre Augustin et Djabelkhir est peut-être exagérée, mais on peut espérer que ce dernier dépassera son maître.
Tous les démocrates doivent se lever comme un seul homme, le Hirak est là ! Pour nous unir, encore plus, dans notre volonté de nous imposer, durablement, sur les autres.
Levons-nous pour permettre, en toute liberté, aux chercheurs d'engager des travaux scientifiques pour inventer, à la lumière des concepts de la modernité, des outils philosophiques pour purifier la langue arabe d'un langage guerrier et souillé par la haine d'autrui. Faisons confiance à la compétence, neutre et sans idéologie, de ce chercheur éclairé pour assainir l'islam et, enfin, le libérer des turpitudes des islamistes et wahhabites. Donnons la chance à nos enfants amazighs pour sortir leur pays des blocages idéologiques stériles et obsolètes, en vigueur depuis le VIIe siècle, qui enfoncent, de plus en plus, leurs quotidiens dans l'obscurantisme.
Cette lecture de l'islam erronée et entachée par la pauvreté de la pensée des wahhabites n'avait édifié aucune civilisation à la hauteur des vertus morales de l'islam des lumières. Faisons confiance à la force de l'islam et convoquons nos spécialistes, parmi lesquels Saïd Djabelkhir, d'ailleurs son nom indique un bon présage, pour réformer l'islam et surtout donner une dimension universelle à la langue arabe en la débarrassant de son insidieuse carapace religieuse. La laisser en état serait, assurément, la condamnée à sombrer dans les oubliettes de l'histoire et connaître, au mieux, le même sort que le latin. La langue arabe a un besoin impératif pour se moderniser. Aujourd'hui, chaque jour apparaissent dans le monde des milliers de projets desquels sont issus des mots illustrant des concepts nouveaux ; des mots techniques, scientifiques, écologiques, sociologiques et j'en oublie. La langue arabe est la seule qui regarde le temps passer sans aucune perspective de changement.
Par Abdelaziz Boucherit
Jeudi 3 février 2022
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5299126
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Rédigé le 03/02/2022 à 19:17 dans Algérie, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
Livres
Par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 3 février 2022
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5309564
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Rédigé le 03/02/2022 à 10:13 | Lien permanent | Commentaires (0)
Retracer l'histoire des ultimes vicissitudes de la guerre d'Algérie dans la multiplicité de leurs aspects, tel est le défi que relève Malika Rahal dans son dernier livre « Algérie 1962 » (éditions La Découverte). Elle y livre un récit dense, complexe où s'enchevêtrent les dimensions sociologique, psychologique et révolutionnaire. Elle révèle notamment comment la population algérienne, ses démunis, ses femmes, ses illettrés, a vécu ce laps de temps, avec ses heurs et ses malheurs, ses hauts et ses bas, ses joies et ses drames. C'est parce que l'année 1962, qui clôt la période coloniale et qui en inaugure une autre, féconde en possibles contrastés, est vue d'une manière particulière que nous sommes allé à la rencontre de cette historienne de l'Algérie dont le singulier propos retient l'attention. Entretien. Omar Merzoug: Après votre biographie « Ali Boumendjel, une affaire française, une histoire algérienne » (Belles-Lettres, 2010), suivie de « L'Udma et les Udmistes » (Barzakh éditions, 2017), vous publiez, aux éditions La Découverte, «Algérie 1962 », une histoire de l'année 1962 que vous qualifiez de « populaire », qu'est-ce qu'une «histoire populaire »?
Malika Rahal : Depuis Antonio Gramsci, les historiens savent qu'il est plus difficile de connaître les expériences des personnes modestes que celles des puissants ou des élites. On sait aussi qu'en situation coloniale, il est très difficile de connaître les expériences de la population soumise à l'hégémonie coloniale-ici, les expériences des Algériens, car elles laissent moins de traces écrites. Or, ce qui me frappait concernant 1962-le moment de l'effondrement de la colonisation en Algérie-est qu'on continuait de mieux connaître les expériences de l'ancienne population coloniale que celles des Algériens. J'ai donc entrepris d'écrire une histoire populaire de cette année 1962. Il s'agit d'une histoire qui s'éloigne de l'histoire politique ou militaire pour s'intéresser aux expériences vécues par les personnes, à leurs souvenirs et à leurs récits.
O.M. : Comment votre livre a-t-il été conçu ? Sur quels matériaux avez-vous travaillé concrètement? Quels ont été vos méthodes et vos procédés d'autant que sur un sujet aussi vaste, vous avez sûrement dû faire des choix?
M.R. : J'ai essayé de faire feu de tout bois. D'abord j'ai utilisé des entretiens que j'avais réalisés pour d'autres enquêtes. Interviewés au fil des années, ces témoins m'ont, les premiers, fait ressentir que 1962 était un moment exceptionnel dans leur vie, une année à nulle autre pareille. Puis j'ai essayé de lire autant d'autobiographies et de livres de souvenirs que j'ai pu trouver, en arabe et en français. La majorité de ceux qui sont publiés en Algérie ont été écrits par d'anciens moudjahidine et d'anciennes moudjahidate. Mais on trouve de plus en plus de mémoires de personnes plus jeunes. Souvent dans ces livres, 1962 est la fin de leur récit, moins détaillé que ce qui concerne la guerre. Pourtant, l'accumulation des récits qu'ils donnent de cette période est très informative. On découvre par exemple comment les combattants de l'ALN ont été démobilisés, alors que l'ALN inventait les documents de démobilisation ; on perçoit leur malaise au moment de changer de vêtement pour « se déguiser » en civil, de se regarder dans un miroir pour la première fois depuis des années. J'ai aussi utilisé les nombreux témoignages réalisés dans la presse, par exemple une série de portraits réalisés par El Watan en 2012, au moment du cinquantenaire. On découvrait par exemple le récit Jeanine Belkhodja, médecin envoyée par le GPRA pour gagner la Zone autonome d'Alger dès le début de l'année 1962 : elle a alors contribué au développement d'un système de santé algérien. Bien sûr il a fallu faire des choix parmi tous ces parcours passionnants, mais aussi laisser de côté certains thèmes qui seront, je l'espère, traités par d'autres historiens. Ainsi, je consacre un chapitre à l'autogestion agricole, notamment dans la Mitidja (on suit par exemple l'agronome René Dumont ou la sociologue Claudine Chaulet dans leurs efforts pour connaître ce qui déroule dans les campagnes à partir du départ des propriétaires français). En revanche, l'autogestion industrielle, qui aurait été aussi passionnante, demeure encore un angle mort.
O.M. : En focalisant votre regard sur l'année 62, vous vous heurtez d'emblée au problème, si fondamental en histoire, de la périodisation : « Ce livre délimite une tranche de temps quelque peu arbitraire » écrivez-vous. Comment traitez-vous cet « arbitraire » ?
M.R. : J'assume d'étudier une année calendaire, du 1er janvier 1962 au 31 décembre 1962 : l'année est marquée par la fin de la guerre et les négociations qui aboutissent au cessez-le-feu du 19 mars 1962. Elle est marquée aussi par la période transitoire et la violence de l'OAS qui meurtrit les principales villes du pays. Vient ensuite l'indépendance de juillet (avec le référendum d'autodétermination, le 1er juillet, le transfert de souveraineté, le 3, et l'indépendance fêtée et officielle, le 5) et la crise à l'intérieur du FLN durant l'été. Enfin, à partir de septembre, c'est la mise en place des institutions de l'Algérie indépendante, l'élection à l'Assemblée constituante, la proclamation de la République algérienne démocratique et sociale. Mais dans le même temps, il est intéressant de réfléchir à un « long 1962 », marqué par l'effervescence populaire et l'ouverture des possibles. De ce point de vue, le renversement que constitue 1962, avec la ferveur, l'enthousiasme et la présence des Algériens en foule dans l'espace public commence avant le 1er janvier 1962. Il débute avec les manifestations de décembre 1960 et, durant toute l'année 1961, l'on a des témoignages de Français d'Algérie rendus inquiets par cette présence souvent sonore (avec les youyous, les slogans, les chants) qu'ils jugent menaçante. On peut aussi réfléchir à quand s'arrête cette séquence de l'enthousiasme et de la ferveur : il me semble qu'on peut au moins la faire courir jusqu'en mars 1963, lorsque les décrets de mars organisent la propriété des biens vacants et que la loi sur la nationalité définit plus précisément qui sera légalement Algérien. On a alors une dernière séquence de la révolution algérienne qui va de décembre 1960 au moins jusqu'en mars 1963.
O.M. : Quels sont, de votre point de vue, les événements les plus marquants ou les plus significatifs qui ont scandé cette année 1962 ?
M.R.: Je suis frappée du nombre d'événements et de phénomènes de cette année qui sont mal connus aujourd'hui. Avant d'écrire ce livre, je ne savais rien du retour des réfugiés algériens en Tunisie et au Maroc (ils étaient plus de 300 000 à la fin de la guerre) : ils sont rapatriés en quelques semaines dans une opération internationale qui implique le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l'ONU, la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge, le GPRA, l'ALN, les autorités provisoires algériennes ainsi que les autorités françaises, marocaines et tunisiennes. On connaît aussi très mal les expériences d'un quart de la population algérienne qui vivait dans des camps de concentration de population : à partir du cessez-le-feu, leurs occupants pouvaient quitter les camps. Certains l'ont fait pour retourner dans leurs villages ; d'autres ont préféré rester plutôt que d'affronter des villages détruits et des champs saccagés par la guerre ; d'autres enfin ont quitté pour s'installer en ville. Parfois les camps ont été immédiatement réoccupés par des réfugiés qui n'avaient nulle part où aller.
Sans doute l'un des phénomènes les plus troublants est-il la résistance algérienne à la violence de l'OAS, l'auto-organisation des quartiers face à cette violence et la mise en place d'un système de santé pour soigner les blessés des attentats. Mais il faut aussi parler des festivités qui commencent avec le cessez-le-feu, trouvent leur apothéose en juillet et se poursuivent sans doute jusqu'à l'automne ; dire aussi qu'elles étaient entremêlées de deuil, de peines, de commémoration de tous les martyrs morts durant la guerre, chacun vivant des émotions parfois contradictoires. Il faut parler de la recherche des corps des disparus, de l'organisation de la rentrée 1962. Bref, l'année est une profusion d'événements et de dynamiques d'une richesse inouïe.
O.M.: Si l'on vous comprend bien, votre souci dans votre ouvrage est d'entendre et de faire entendre la voix des « sans voix », des démunis, des femmes, des illettrés, « afin, écrivez-vous, d'approcher la façon dont ils et elles ont vécu l'avènement de l'indépendance », qu'est-ce que ces minorités ont à nous dire sur leur vécu ? Ou pour le dire autrement, en quoi le discours de ces minorités sur l'indépendance tranche-t-il sur le discours des autres catégories sociales, les hommes politiques, les militaires, et même les Européens d'Algérie?
M.R. : Ce que les historiens connaissaient le mieux jusqu'ici était double : côté algérien, depuis les travaux récents de l'historien Amar Mohand Amer, qui suivent ceux de Mohammed Harbi et de Benjamin Stora, l'on connaît surtout la crise politique de 1962 qui divise le FLN, qui donne de 1962 l'image d'un mauvais départ ; côté français, l'on connaît maintenant très bien l'expérience douloureuse des pieds-noirs qui ont quitté l'Algérie en 1962, ainsi que celles de certains harkis qui ont également gagné la France. Dans les deux cas, l'on a donc une histoire tragique, un récit de la déploration de 1962. Or, on oublie sans doute que 1962 est une histoire de fin de guerre et, pour beaucoup d'Algériens, l'histoire d'une grande victoire et d'une grande joie. Malgré les deuils, les contradictions, les doutes et les inquiétudes, c'est un moment inoubliable et heureux pour bien des témoins.
O.M. : La focalisation de votre intérêt sur l'année 62 change-t-elle l'interprétation générale de l'histoire algérienne entre 1954 et 1962, et si oui, en quoi ?
M.R. : Cette focalisation sur 1962 dessine des sujets que l'on pourra plus tard traiter dans la continuité. Si l'on prend par exemple la question des camps de concentration, les considérer jusqu'au présent invite à regarder comment certains d'entre eux ont continué à être habités jusqu'à aujourd'hui, avec des problèmes de propriété qui ont encore une actualité et avec des revendications dans le présent.
De la même façon, au moment où on s'interroge beaucoup sur l'entretien du bâti ou sur la façon dont on occupe l'espace public ou les parties communes des logements, c'est important de revenir sur la façon dont beaucoup d'Algériens ont occupé leurs logements en 1962.
O.M. : L'année 1962, c'est aussi l'année où l'OAS, qui prétend parler au nom de la population européenne, des « petits blancs » intensifie son terrorisme, comment, dans la perspective qui est la vôtre, lisez-vous son action ?
M.R. : L'OAS est créée au début de 1961 mais à partir du début de 1962, sa violence s'accroît. À mesure que le cessez-le-feu approche, le soutien dont elle bénéficie au sein de la population française d'Algérie se renforce. Les Français d'Algérie avaient vécu dans l'idée que l'Algérie était la France, et qu'ils y bénéficiaient d'une position inégale et privilégiée. Pour ceux d'entre eux qui n'étaient pas prêts à se convertir à une Algérie indépendante fondée sur l'égalité, l'indépendance qui approchait en 1962 apparaissait comme l'effondrement de leur monde et une perspective terrifiante. La terreur provoquée par cette fin du monde semble avoir nourri le soutien dont a bénéficié l'OAS dans les six premiers mois de l'année 1962.
O.M. : On a beaucoup parlé des événements du 5 juillet 1962 notamment à Oran. « En apparence, l'événement « massacre du 5 juillet à Oran » ne fait aucun doute » écrivez-vous. Pourtant, vous en proposez une interprétation plus complexe alors que celle que l'on entend en France où l'événement est parvenu manifestement « tronqué » et a été traité généralement de façon unilatérale.
M.R. : Oui, ce qui se déroule à Oran en 1962 est un cas unique en Algérie en 1962 et très mal connu. L'on entend souvent en France, dans plusieurs livres, articles et documentaires, la formule de « massacre oublié » du 5 juillet. Pourtant, s'il y a un oubli, il n'est pas à l'endroit du massacre des Européens le 5 juillet, souvent évoqué. Comme l'a déjà souligné l'historien Fouad Soufi, ce qu'on oublie est en fait ailleurs : l'on oublie d'abord que des Algériens aussi ont été tués le 5 juillet 1962 ; l'on oublie également que la violence à Oran ne commence pas le 5 juillet mais plus tôt dans l'année. En effet, il est clair à partir de janvier ou février 1962, qu'Oran fait exception en Algérie du fait du niveau de violence créé par l'OAS dans cette ville bastion de l'Algérie française. Les visiteurs dans la ville-par exemple le consul américain William Porter - sont en fait sidérés par le degré de la violence menée par l'OAS à l'encontre des quartiers algériens (bombardements, attentats à la bombe, snippers notamment). Mais en se focalisant sur une vision tronquée de ce qui se passe à Oran et réduite au 5 juillet, on nie la nature de l'événement.
O. M.: En quoi l'année 1962 comporte-t-elle comme vous le dites, « une dimension révolutionnaire » ?
M.R.: C'est une année qui mêle à la fois des bouleversements très profonds par exemple le bouleversement de la propriété privée sous l'effet du départ des Français d'Algérie, avec la création des biens vacants et l'autogestion et la présence du peuple sous la force de foule dans l'espace public : bien des jeunes de 1962 se souviennent d'avoir participé à des manifestations émeutières du début de l'année, puis aux festivités spectaculaires qui s'étalent de mars à juillet. Ce qui marque également le caractère révolutionnaire de 1962, c'est la transformation des corps (collectifs ou individuels) et leur dynamisation. Beaucoup de témoins de l'époque disent n'avoir pas dormi durant cette période, du fait de l'excitation (anxiété ou enthousiasme) nécessaire pour accomplir toutes les tâches de cette année de toutes les urgences. Les événements bouleversent bien des normes, même au sein des familles.
Beaucoup de jeunes disent avoir vu danser des adultes pour la première fois de leur vie, avoir vu les hommes et les femmes (ou les différentes générations) se mêler, les avoir vus boire ensemble le café ou manger ensemble alors que cela ne se faisait pas auparavant. C'est l'ensemble de ces bouleversements qui fait de 1962 une révolution.
O.M.: Si on devait faire un bilan, de tous les possibles dont cette année 62 était grosse pour les ex-colonisés, en est-il qui aient trouvé un commencement de réalisation ?
M.R.: Bien sûr. Par définition, une ouverture des possibles comme celle de 1962 est toujours dans l'histoire suivie d'une phase de déception. C'est le cas après la Révolution française, après la Révolution russe par exemple, mais aussi après la fin de guerres qui bouleversent les sociétés. En Algérie, la création de l'État, la définition de la nationalité ou les mesures concernant les biens vacants visent le retour à l'ordre. Ils mettent fin à l'effervescence et à la ferveur des mois précédents et créent des frustrations parfois profondes. La mise en place du pouvoir d'Ahmed Ben Bella par exemple exclut ceux qui ont été ses adversaires durant la crise de l'été ; de même, la loi sur la nationalité sépare ceux qui sont Algériens et ceux qui ne le sont pas alors qu'en 1962, on avait l'impression que l'Algérie est le pays de tous ceux qui avaient lutté pour son indépendance. Comme tous les moments de ce type, il n'est donc pas étonnant qu'on parle de 1962 comme un moment qui n'a pas porté tous ses fruits, ou pas donné à chacun selon son dû. Pour autant, il ne faudrait pas oublier la réalité de certaines réalisations, vécues par ceux qui en ont été les acteurs comme des miracles. Ainsi par exemple, la réalisation de la rentrée scolaire au mois d'octobre 1962. L'éducation ouverte à tous avait été l'une des promesses de l'indépendance ; elle supposait un changement d'échelle délicat, l'éducation à l'époque française étant conçue pour une minorité. Mais la difficulté est encore accrue, en 1962, par le départ d'un nombre inattendu de Français. Durant l'année 1962, ce sont quelque 650 000 Français qui quittent l'Algérie, dépeuplant les postes de la fonction publique. Organiser la rentrée, dans un contexte encore violent et au milieu de tant d'autres urgences devient une gageure. L'on voit alors les appels au retour des enseignants français se multiplier, mais surtout, les formations accélérées se mettre en place. En octobre, s'achève par exemple une formation accélérée au cours de laquelle quelque cinq cents stagiaires ont été formés, hommes et femmes à parité dont la moitié est arabophone, pour tenter de mettre un enseignant dans chaque classe. Malgré les difficultés de l'éducation dans les années qui ont suivi, ce changement d'échelle du système éducatif, réalisé à partir de 1962, est ce qui a permis de former les générations éduquées après l'indépendance.
Par Propos Recueillis Par Omar Merzoug
Jeudi 3 février 2022
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5309563
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Rédigé le 03/02/2022 à 10:01 dans Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
En effet, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) français a émis une déclaration. Celle-ci concerne l’éventuelle publication d’archives inédites que la France envisage de dévoiler relatives à la guerre d’Algérie. En tout cas, c’est ce qu’a indiqué le quotidien arabophone Echorouk.
Dans ce contexte, l’institut a divulgué le contenu des archives qu’il s’apprête à publier. Il s’agit donc de documents historiques. Mais aussi, de témoignages vivants qui relèvent de la révolution algérienne. Cela vient conformément aux recommandations de l’historien Benjamin Stora. De même, sous la direction du Président français, Emmanuel Macron.
En outre, l’Institut français a annoncé la date prévue pour la publication des archives en question. C’est à compter du 1er mars 2022. De plus, cela se ferait à travers le site internet officiel de la tutelle. Cette déclaration a fait l’objet d’un communiqué de l’INA français. Du moins, c’est ce que précise la source médiatique précitée.
Dans le détail, l’institut en question dévoilerait les dites publications par étape. Dans un premier temps, celui-ci dévoilerait 180 heures d’entretiens avec des civils et des combattants des deux camps, algérien et françai. Ainsi, cette nouvelle source historique est constituée de soixante-six (66) témoins. Ceux ayant personnellement vécus la guerre d’Algérie (de 1954 à 1962).
Par ailleurs, le rapport de Benjamin Stora suppose que cette initiative s’inscrit dans un cadre bien déterminé. Il est question d’accélérer le processus de déclassification des documents. Par conséquent, parvenir à permettre le transfert de certaines archives de la France en Algérie. Souligne Echorouk.
Pour conclure, il est important de noter que ce pas vient à l’occasion du soixantième anniversaire de la signature des accords d’Evian. Qui coïncide avec le 18 mars 1962. Ainsi, cela va permettre d’apporter lumière à de nombreux faits inédits jusqu’à présent. Ceux liés à la guerre d’Algérie évidemment. Indique la même source encore.
https://www.dzairdaily.com/guerre-algerie-france-apprete-publier-archives-inedites/
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Rédigé le 03/02/2022 à 09:40 dans Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Alger a fermé unilatéralement sa frontière et rompu des relations diplomatiques avec Rabat.
Voisins, majoritairement arabes et musulmans, on les qualifie parfois de frères ennemis ; Maroc et Algérie entretiennent en effet de lourds contentieux les ayant déjà menés au bord de l'affrontement. Mais, à bien y regarder, reproches et revendications proviennent surtout d'Alger qui, en 2021, a fermé unilatéralement sa frontière et rompu des relations diplomatiques avec Rabat. Une rancoeur qui se nourrit aux réalités et représentations suivantes.
D'abord, il y a cette condescendance pour un régime représenté comme archaïque car monarchique, faible de ne pas s'être décolonisé par la guerre. Et pour cause : la dynastie chérifienne a réussi l'exploit - quasi unique dans l'immense espace arabe - de demeurer indépendante face à l'Empire turc ottoman comme devant les puissances européennes, incarnant (un demi-siècle seulement) un simple protectorat jusqu'au retour à la pleine souveraineté dès 1956. Cette posture à la fois "viriliste" et victimaire du régime d'Alger permet à la caste des généraux, au pouvoir presque sans discontinuer depuis l'indépendance, d'autolégitimer sa propre férule et la répression de toute contestation.
Ensuite, bien qu'officiellement non alignée, l'Algérie a toujours suivi Moscou (et acheté russe) jusqu'à et y compris après la chute du communisme, se revendiquant du nationalisme arabe et du tiers-mondisme - a contrario du Maroc, qui a diversifié ses partenariats et maintenu d'étroits liens avec la France et les Etats-Unis. Or, depuis la signature en 2020 par Rabat des accords d'Abraham (aux côtés des Emirats arabes unis, de Bahreïn et du Soudan) qui impliquent paix et coopération avec Israël, "l'entité sioniste" honnie par Alger devient à son tour un partenaire privilégié du Maroc, comme l'a récemment illustré la visite officielle du ministre hébreu de la défense (et ancien chef d'état-major de Tsahal) Benny Gantz.
Enfin, le choix opéré par Mohamed VI de reconnaître non plus seulement symboliquement, mais aussi constitutionnellement une triple culture - arabe, berbère et juive - exaspère le pouvoir algérien. Arc-bouté sur un narratif strictement étato-national et arabe, celui-ci n'a jamais réglé socialement ni culturellement sa propre question berbère, et craint un nouveau printemps kabyle d'une ampleur inégalée.
Enfin et peut-être surtout, en termes géostratégiques, l'Algérie verrait d'un bon oeil une "bi-océanité", autrement dit un accès privilégié à l'Atlantique via un Etat sahraoui qui lui serait redevable, sinon inféodé, tant elle aurait soutenu ses promoteurs. L'annexion et le solide contrôle du Sahara occidental ex-espagnol par le Maroc - déjà reconnus par nombre de capitales, y compris désormais Washington - interdisent évidemment cette perspective.
Plus prosaïquement, l'amertume récurrente d'Alger ne provient-elle pas de l'échec d'un régime ayant adopté quantité de mauvais choix ? Le rejet de l'apprentissage du français après l'indépendance, qui a affaibli les capacités commerciales et l'aura diplomatique du pays - les professeurs d'arabe "importés" d'Egypte ayant ramené avec eux le fanatisme des Frères musulmans en contribuant à la terrible guerre civile de la décennie 1990 ; un système économique rentier, dirigiste et corseté par le FLN et l'armée qui a plombé un pays pourtant riche en hydrocarbures, dont les retombées n'ont jamais bénéficié à la population - d'où la récurrence et la force des mobilisations sociales jusqu'au récent Hirak ; le jusqu'au-boutisme dans le soutien politico-militaire aux militants sahraouis et dans l'intransigeance inopérante sur le conflit israélo-palestinien, qui isole un peu plus diplomatiquement un Etat déjà entouré à l'est et au sud d'Etats faillis...
D'autant qu'en face, sans ressource naturelle commercialisable (sauf les peu lucratifs phosphates), le Maroc a progressé en deux décennies, sur les plans aussi bien de la diplomatie, des infrastructures ou du commerce, en Afrique subsaharienne francophone notamment, s'offrant le luxe d'une chute sans violences du courant islamiste aux dernières législatives.
Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences-Po Paris, professeur à la Paris School of Business, auteur de L'Atlas des frontières (avec Hugo Billard, Autrement, 2021), fondateur des Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer.
Publié le
https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/derriere-la-brouille-avec-le-maroc-les-mauvais-choix-d-alger_2166940.html
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Rédigé le 03/02/2022 à 08:25 dans Maroc | Lien permanent | Commentaires (0)
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