C’est l’histoire d’un petit mec. Un citoyen lambda. Il est né avant la seconde guerre mondiale à Paris. Lors de la débâcle, ses parents s’installent en Normandie. Vie rude, car sa famille est extrêmement pauvre. Que dire de son enfance ? Pas grand chose, si ce n’est qu' à l’âge de 6 ans, à la sortie de l’école, il se bat avec ses petits copains paysans qui l’ont traité de fils de rouge. Premier contact avec une forme de racisme. Son père, en bon pédagogue, lui explique qu' il est communiste, donc rouge et qu' il n’y a aucune honte à ça. Il lui explique : « Les hommes naissent libres et égaux et ils le restent quelles que soient leurs races, leurs couleurs de peau, leurs religions ou leurs philosophies ». Cette simple phrase dite par un prolétaire chaleureux sera le pivot autour duquel se construira la vie de l’enfant, de l’adolescent et de l’homme.
A l’école, il a des facilités pour apprendre disent ses enseignants, aussi bien en primaire qu' en secondaire. Mais il s’ennuie ferme. En fait il ne s’intéresse qu' à la littérature et à l’histoire. La veille de son B.E.P.C., lors d’une course cycliste, il se fracture la clavicule. Exit l’école, il décide, contre l’avis de ses parents et professeurs, de travailler.
A 16 ans, il entre dans une administration comme employé de bureau, travail inintéressant, mais il gagne un peu d’argent, ce qui lui permet de s’émanciper. Achat de livres de poche, de disques de jazz, d’un appareil photo… et il se met à « courir les filles » avec quelques succès. Il ne pense pas trop à la guerre ….là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée ; pourtant des jeunes gens de son village y partent et en reviennent tout bizarre. Très sincèrement, il croit qu' elle finira bien avant qu' il ait 20 ans.
Tout de même, certainement vers 1957 (bataille d’Alger), il prend conscience qu' il se passe de drôles de chose là-bas, on parle de tortures, de paras, d’algériens qui disparaissent…, peu politisé, même s’il se sent vaguement de gauche, il veut comprendre, alors il va se livrer à son occupation favorite : la lecture. Il lit beaucoup, des auteurs anglo-saxéons, mais aussi Sartre et Nizan, puis il achète différents journaux, en particulier « Témoignage chrétien » et des revues : « Esprit » et « Les Temps modernes », simplement pour se faire une idée, il découvre ainsi les horreurs commises par l’armée française en Algérie. Cependant il a du mal à croire que son pays, la patrie des Droits de l’homme, a institutionnalisé ce genre de pratique.
1958 : il a 19 ans et la guerre s’éternise, se rapproche; de plus en plus il se sent du côté des Algériens, il trouve leur combat juste…mais il est Français, d’où ce dilemme qu' il se pose sous forme de question : « j’y vais ou j’y vais pas ? ». Il a beaucoup de mal à choisir, dans son petit village il contacte ses sept copains de classe, tous ont décidé d’y aller, même si cela ne les enthousiasme guère, d’ailleurs ils ne se posent pas de question existentielle comme lui. Il se sent seul, hésite à partir à l’étranger, ne se sent pas assez fort pour assumer ce départ, ne connaît aucun réseau organisant ce genre de voyage ; alors ils se tournent vers quelques copains des Jeunesses communistes, peu nombreux dans ce coin de Basse Normandie, très surpris il apprend qu' eux aussi vont y aller en Algérie. Désorienté, il va chercher de l’aide auprès d’un ami de son père, militant du P.C.F., celui-ci lui répond qu' il faut y aller pour deux raisons, premièrement : « il faut toujours être là où est le peuple », donc en Algérie pour les jeunes de son âge, deuxièmement : « si tu pars, tu pourras, peut-être éviter, une dérive fasciste de l’armée », c’est donc la rage au cœur et sur les conseils d’un militant du Parti, qu' il décide d’y aller.
Dans son livre : « Soldat, peut-être…tortionnaire, jamais ! »(1), écrit des décennies plus tard, l’auteur raconte qu' en fait ses ennuis ont commencé lors des trois jours de sélection à Guingamp. Il rappelle que c’est lors des tests que l’armée fait passer à ses futurs soldats, que tout va déraper. Très naïf, il s’applique à suivre les consignes. Catastrophe !
Sur 450 futurs soldats, il est sélectionné dans un groupe d’une trentaine de gus, tous sursitaires, la honte, lui avec son certificat d’études ! Un psychologue le reçoit et lui annonce qu' il y a un trop grand écart entre son absence de diplôme et son quotient intellectuel, ce qui ne lui fait ni chaud ni froid, l’important pour lui, c’est le futur départ en Algérie.
Dés son arrivée à Toul il comprend son erreur, il est affecté au peloton des E.O.R. (élèves officiers de réserve), les sous-offs lui font comprendre qu' il est là pour en chier : insultes, brimades, parfois des coups ; alors qu' il est très sportif, les classes se révèlent très dures physiquement. Au bout de deux mois il refuse de devenir officier, fureur des gradés et commence alors la longue litanie des humiliations, corvées, prison, mitard, refus de permission (deux permissions de 48 heures en 29 mois d’armée !), etc…Néanmoins il s’accroche et les appelés du contingent essaient de le protéger contre la hargne des rempilés, il est surpris de cette solidarité, celle-ci va continuer tout au long de son service militaire. Hypothèse : les gus se reconnaissaient un peu en lui, même s’ils n’osaient pas entrer en résistance comme ce « fada ».
Mais l’armée ne sait où le caser, il est inclassable, alors on l’envoie faire un stage de dactylo à Mourmelon, les seuls moments heureux dira-t-il dans son livre. Ensuite mutation à Metz où il s’occupe de la comptabilité d’une compagnie du train. De nouveau de multiples accrochages avec les gradés suivis de sanctions. Il ne faut pas croire qu' il met tous les types de carrière dans le même sac, non, simplement il demande qu' on le respecte et en retour il respectera la hiérarchie, chose bien sûr impossible dans une armée coloniale où la plupart des officiers et sous-officiers sont fortement imbibés d’alcool.
Le capitaine qui le commande est un de ces saoulographes et bien sûr ce qui devait arriver, arriva, pour une infime histoire de centimes manquants, l’appelé va prendre par le colbac l’officier, l’insulter, lui demander d’enlever ses galons … pour se battre en « hommes », ce qu' il refuse, direction la prison suivie d’une mutation disciplinaire dans les Aurès.
L’Algérie. Dans son livre, l’auteur raconte des scènes parfois désopilantes, comme lorsqu' il décrit les rapports qu' il entretient avec la hiérarchie, mais aussi, hélas, des incidents dramatiques, car c’est la guerre, la sale guerre coloniale.
Son premier constat est le suivant : il est très surpris par l’extrême pauvreté des paysans chaouïas, même si ceux ci savent rester dignes. Les quelques colons se sont réservés les meilleures terres et la plupart expriment un racisme ordinaire. En parlant de racisme, il est également surpris par l’attitude de certains de ses camarades du contingent qui très rapidement deviennent racistes. Il prend le chemin inverse : il s’intéresse à ce nouveau pays, à ses coutumes, ses paysages, sa culture, ses habitants, allant jusqu' à chercher un bouquin vaguement ethnologique pour comprendre cette nation en devenir.
Mais la longue série des « emmerdes » continue, son dossier, marqué au crayon rouge, a suivi, alors de nouveau c’est la prison, les brimades, les insultes, etc… Et puis un jour il disjoncte : au lieutenant « arabe » qui le commande, il lui renvoie en pleine gueule que si lui était Algérien, il serait depuis longtemps au maquis, fureur de l’autre. Conséquence : 4 à 6 semaines à casser des cailloux dans un bagne militaire.
Ensuite ce sera le commando, puis la police militaire, le quotidien des appelés : patrouilles, embuscades, combats (il tire en l’air), mais surtout il échappe à plusieurs attentats dont un très meurtrier pour la population. Pour la première fois il rencontre l’équipe de la gégène commandée par le capitaine M…, plusieurs sous-offs de carrière plus quatre jeunes gus de son âge ! Il comprend alors que le système de la torture est à la base de cette guerre coloniale. Le capitaine du 2° bureau lui ordonne d’intégrer son équipe, il refuse avec énergie en lui répondant qu' il est prêt pour aller jusqu' au T.M. (tribunal militaire), fureur du tortionnaire. Il restera très fier de ce refus pendant des décennies.
Le putsch des généraux, il participe très activement à son échec, au cas où il aurait réussi, il avait préparé son sac à dos pour rejoindre les Algériens au maquis. Dns les Aurès, les putschistes n’ont jamais réussi à prendre le pouvoir, en grande partie grâce au contingent.
Surprise, vers la fin de son service, il est muté à l’état-major comme dactylo, cette partie du livre est farcie de franches rigolades au détriment des gradés.
Un colonel de la Légion venant prendre le commandement de son détachement, il va devenir son secrétaire particulier. C’est à cette occasion qu' il va découvrir le premier document secret sur l’utilisation de la torture, il en ait tout retourné. Il cherche dans les archives et en trouve de nombreux autres, partant du Q.G. d’Alger jusqu' au niveau du régiment. après avoir mûrement réfléchi, il décide de les subtiliser en les photographiant, avec un seul but : témoigner de l’horreur. De retour en France, il se rendra au siége de « France-Observateur » et remettra ses pellicules à Gilles Martinet. Quelques mois plus tard Pierre Vidal-Naquet écrira « La raison d’état », la majorité de ses documents y figurent. Il rencontrera l’historien et ils resteront amis pendant des décennies.
Voilà « ma » guerre d’Algérie. Elle me collera aux basques le restant de ma vie, ainsi le choix de ma profession de psychologue aura à voir avec ma participation à cette sale guerre coloniale. Comment devient-on un militant anti-fasciste et anti-colonialiste à travers une expérience douloureuse, ce livre essaie d’y apporter une réponse. Au fil du temps, j’ai continué à lutter contre l’utilisation de la torture, comme aujourd’hui en Irak.
Conclusion : il y a toujours un choix possible lors d’événements dramatiques.
https://www.collectif-communiste-polex.org/librairie/soldat.htm
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