Photo: Joël Saget Agence France-Presse L’auteur algérien Yasmina Khadra explore les pensées, les doutes et les faiblesses d’un kamikaze des attentats de Paris pour combattre le radicalisme religieux.
Figure clé de la décennie noire — la guerre civile algérienne qui coûta la vie à plus de 60 000 personnes et força des dizaines de milliers d’individus à l’exil dans les années 1990 —, l’écrivain Yasmina Khadra a lutté pendant près de dix ans contre les organisations terroristes qui souhaitaient imposer un gouvernement islamiste dans son pays natal.
Témoin privilégié malgré lui des ravages de la radicalisation, Yasmina Khadra livre dans son dernier roman une approche téméraire du terrorisme, offrant aux lecteurs une plongée lucide et brutale dans l’esprit d’un kamikaze qu’il suit à la trace, révélant ses pensées, ses motifs, ses doutes, son égarement et sa douleur.
« Cette approche est importante, soutient l’écrivain. L’humanité se trouve présentement dans une espèce de psychose qui est en train de contaminer les esprits. En reléguant le terrorisme à la religion musulmane, on n’expose jamais la machine qui se trouve derrière, qui exploite les failles d’une culture stigmatisée pour rendre possible cette radicalisation. »
Le théâtre de Paris
Paris, 13 novembre 2015. Alors que les Bleus électrisent le Stade de France, la jeunesse parisienne profite du temps doux qui s’estompe pour festoyer sur les terrasses de la ville. À quelques pas, à l’entrée d’une gare, une ceinture d’explosifs autour de la taille, Khalil attend le signal. Quelques minutes plus tard, son sacrifice et celui de ses frères ensanglanteront la capitale pour le salut de son peuple.
Alors que, dans le stade, la rumeur d’un possible attentat se répand, la foule déferle. C’est l’heure pour Khalil. Il enclenche le mécanisme, sans succès. De ce rendez-vous raté avec la mort, le jeune radicalisé entamera une remise en question qui le mènera à la rencontre de ses propres contradictions.
Revendiqués par le groupe armé État islamique, les attentats de Paris ont fait plus de 130 morts et plus de 350 blessés. Pour Yasmina Khadra, dont l’oeuvre entière confronte avec réalisme et justesse la violence des enjeux planétaires à celle des crises identitaires, faire de ces événements tragiques le coeur de son roman relevait de l’évidence.
« Les attentats de Paris ont touché le monde entier. En présentant le personnage au coeur de cet événement, ça m’a permis de sortir de la fabulation et de rendre le tout plus tangible. Devant cette réalité, il devient impossible pour le lecteur de se fermer les yeux. »
À la recherche d’une famille
Comme dans plusieurs de ses romans — notamment Les hirondelles de Kaboul, où on entre dans les entrailles du régime taliban, ou encore L’attentat, où un homme doit composer avec l’attentat-suicide de sa femme —, Yasmina Khadra choisit avec Khalil de présenter le drame de l’intérieur.
En marchant dans les traces d’un adolescent radicalisé, l’écrivain explore le fil ténu sur lequel reposent en équilibre précaire la raison et la lucidité d’un jeune homme, dont l’identité se construit autour d’un perpétuel rejet, d’une marginalité involontaire, d’une grande solitude, de problèmes familiaux et d’un avenir sombre aux contours incertains.
« Tous les gens qui rejoignent des groupes de violence, que ce soient les néonazis, les narcotrafiquants ou la mafia, cherchent la protection d’une famille, affirme Yasmina Khadra. Livrés à la rue, ils se sentent en harmonie avec l’idée d’appartenir à une force qui leur donne l’impression d’avoir une certaine stature, une certaine visibilité au sein de la société. »
Humaniser le lecteur
En choisissant de présenter le terroriste dans ce qu’il a de plus humain — sa conscience —, Yasmina Khadra se défend bien de faire preuve d’empathie. « Ces gens ont tué ma famille et mes amis. Je ne cherche aucunement à les humaniser, je raconte la réalité. J’expose leurs doutes, leurs faiblesses telles qu’elles existent et qu’elles forgent leur cheminement et leurs choix. »
S’il cherche à humaniser par son approche, c’est plutôt le lecteur qui est visé. « En les contraignant à une proximité immédiate avec un être détestable, je souhaite montrer aux gens que le rejet n’est pas la réponse. Il est impératif d’essayer de comprendre. Sinon, on laisse la gangrène continuer son travail en toute tranquillité et la stigmatisation des musulmans devenir de plus en plus dangereuse. Chercher à comprendre, c’est prendre ses responsabilités, c’est faire un premier pas vers la solution. »
Il espère ainsi permettre aux jeunes de prendre une longueur d’avance sur le discours radical « en leur montrant que la violence terroriste se construit à partir du refus de voir et d’apprécier le bonheur des autres. Que reste-t-il lorsqu’on arrête de rêver, mis à part la folie ? J’espère leur donner les outils et le courage de continuer à chercher le trésor que la vie leur réserve. »
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Anne-Frédérique Hébert-Dolbec
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