L'historienne raconte un fait qui s'est déroulé à Alger un certain, samedi 29 décembre 1956, en pleine guerre d'Algérie. Il s'agit en effet de l'assassinat de l'un des meneurs ultras, Amédée Froger. En Algérie, mais aussi à Paris, la nouvelle de l'assassinat a fait grand bruit.
Les travaux et les publications sur la guerre d'Algérie ne cessent d'alimenter l'actualité des deux rives de la Méditerranée. Les historiens spécialisés, de chaque côté, apportent leurs savoirs pour éclairer des sujets restés longtemps obscurs. La guerre d'Algérie reste encore mal connue, en dépit de l'ouverture des archives relatives aux affaires judiciaires et aux enquêtes de police dans l'Algérie en guerre, décidée le 23 décembre dernier par la France. Ces archives concernent la période allant du 1er novembre 1954 au 31 décembre 1966. Les historiens considèrent qu'il s'agit là d'un pas permettant une avancée en matière de recherches historiques, en mesure d'élucider des zones d'ombre qui retiennent en otage passionnel, l'histoire et la mémoire algéro-française. C'est un véritable parcours du combattant que mènent les chercheurs dans leurs missions respectives, pour déterrer un fait historique et l'analyser dans son contexte de temps et d'espace. Le dernier livre Ratonnades d'Alger, 1956, une histoire de racisme colonial, de l'historienne Sylvie Thénault, qui sera publié le 4 février prochain, en est un exemple. Directrice de recherche au Cnrs, spécialiste de la colonisation française en Algérie et de la guerre d'indépendance algérienne, Sylvie Thénault plonge le lecteur au coeur de la société coloniale algérienne, traversée de brutalités et de peurs, au plus près de cette foule d'anonymes, qui ont été partie prenante de la guerre d'indépendance algérienne. Ce livre offre ainsi un autre aspect de ce récit. L'historienne raconte un fait historique qui s'est déroulé à Alger un certain, samedi 29 décembre 1956, en pleine guerre d'Algérie. Il s'agit en effet de l'assassinat de l'un des meneurs ultras, Amédée Froger. En Algérie, mais aussi à Paris, la nouvelle de l'assassinat fait grand bruit en raison de la personnalité de la victime, haute figure locale de la défense de la cause française. Ses obsèques à Alger rassemblent des milliers de personnes. Car, elles sont, écrit l'historienne dans la 4e ouverture, «l'occasion de violences racistes, que les contemporains nomment ratonnades. Elles visent les musulmans, comme sont appelés les Algériens dans cette société-là». Dans ses recherches, ayant donné naissance à son dernier ouvrage Ratonnades d'Alger, 1956, traitant du racisme colonial, Sylvie Thénault s'est appuyée sur des sources variées, dont des archives policières et judiciaires inédites. Dans son récit, elle a enquêté sur des événements pour les inscrire dans la longue durée coloniale. Ainsi, elle soulignera que les violences - non pas celles des autorités et de leurs représentants, trop souvent réduites à des actions ponctuelles et paroxystiques, ou associées aux attentats de l'OAS à la toute fin de la guerre, mais bien des violences de Français nés là-bas - se nourrissent d'un rapport de domination, empruntant à toutes les formes d'oppressions possibles (économiques, sociales, politiques, juridiques, culturelles) et s'ancrent dans un espace urbain ségrégué. Directrice de recherche au Cnrs, spécialiste de la colonisation française en Algérie et de la guerre d'indépendance algérienne, Sylvie Thénault a publié plusieurs livres remarqués sur l'histoire de l'Algérie coloniale. En codirection avec Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou et Ouanassa Siari-Tengour, elle a signé Histoire de l'Algérie à la période coloniale: 1830-1962, plusieurs fois réédité après une première parution franco-algérienne (Barzakh/La Découverte, 2012).
Ouvrages de recherche: ·Violence ordinaire dans l'Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence, Paris, Odile Jacob, 2012. Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d'Algérie, La Découverte, 2001. Rééd. en poche coll. Sciences humaines, 2004. Rééd. Alger, EDIF2000, 2010. Il peut être feuilleté à cette adresse Ouvrages de synthèse: ·Algérie: des «événements» à la guerre. Idées reçues sur la guerre d'indépendance algérienne, Paris, Le Cavalier Bleu, 2012. Histoire de la guerre d'indépendance algérienne, Flammarion, 2005. Rééd. Tizi-Ouzou, Maarifa, 2010 Rééd. En arabe: Alger, Dhalab, 2011. Rééd. Flammarion, coll. «Champs», 2012.Des extraits en sont disponibles à cette adresse.
Alger 1957 : Histoire et mémoire, Jean-Philippe Ould Aoudia et quelques autres
La publication par Jean-Philippe Ould Aoudia de son enquête sur les disparus de la « Bataille d’Alger » en 1957 touche à un point fort de la guerre en Algérie. Comme l’écrit Benjamin Stora: « La question des « disparus » n’a cessé de hanter les mémoires blessées de la guerre d’Algérie. Comment accomplir un travail de deuil en l’absence du corps de celui qui a disparu ? » (France-Algérie. Les passions douloureuses). Nous voudrions en rendre compte et accompagner cette nouvelle publication d’un retour sur des ouvrages antérieurs signés H.G. Esméralda, Alexis Jenni et Mouloud Feraounqui ont fait de 1957 une date incontournable.
Dans la troisième partie de son rapport de janvier 2021, Benjamin Stora insiste sur la question primordiale des disparus : « Pour que le détachement de la période traumatique de la guerre puisse s’amorcer, rendant finalement possibles de nouveaux investissements (affectifs, sociaux, familiaux), les avancées vers cette question sont nécessaires ». Les archives et leur accessibilité sont incontournables pour mener à bien cette recherche : « La vérité ne sort pas automatiquement des archives. Néanmoins, leur communication est un enjeu central dans une démocratie et le travail de communication des archives concernant les disparus de la guerre d’Algérie doit être poursuivi, notamment par le recours aux témoignages, la fabrication d’archives orales ». On sait que dans tous les conflits, la question des disparus est une question centrale des Droits de l’homme.
C’est justement à ce travail que contribue, depuis des années, Jean-Philippe Ould Aoudia : il vient de publier aux éditions Tirésias-Michel Reynaud, Alger 1957. La ferme des disparus — une date (ô combien !) liée à la « Bataille d’Alger ». Le 19 juin 1956 ont eu lieu les deux premières exécutions de condamnés à mort algériens, Zabana Ben Mohamed et Ferradj Abdelkader Ben Moussa, exécutions qui déclenchent des représailles du FLN. De l’autre côté, l’ORAF (Organisation de résistance de l’Algérie française) s’est structurée et mène différentes actions dont une bombe posée, le 10 août 1956, rue de Thèbes, en pleine Casbah, faisant des dizaines de mots civils. Le 30 septembre, ce sont les bombes posées par des militantes du FLN au Milk Bar et à la Cafétéria, faisant 4 morts et une cinquantaine de blessés. L’engrenage de la violence se poursuit, comme on peut le lire dans l’ouvrage de Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne (2005). C’est la grève générale, sous l’impulsion de Larbi Ben M’Hidi pour le 28 janvier 1957 lorsque l’ONU va examiner la question algérienne. Le Général Massu met les moyens pour faire échouer le mot d’ordre : « L’expression française » bataille d’Alger » désigne mal les opérations menées par les parachutistes, qui ne sont pas de nature strictement militaire. Du point de vue français, elle traduit bien, cependant, la dualité de la guerre conduite par l’armée en Algérie, entre combat et répression. Aucune expression alternative n’a pu être proposée, à moins de se placer du point de vue algérien et de la désigner comme » la grande répression d’Alger », comme l’a proposé l’historien Gilbert Meynier ».
Dans Alger 1957, Jean-Philippe Ould Aoudia écrit : « Du 7 janvier au 8 octobre 1957 se déroule ce qui est communément appelé la » bataille d’Alger ». Nous préférons parler de » L’écrasement d’Alger » tant la population civile, majoritairement algérienne, fut l’objet de violences indicibles dans le cadre d’un affrontement inégal entre environ trois mille militants indépendantistes mal armés et pas entraînés, contre environ 20 000 membres des forces de l’ordre ». En écrivant Alger 1957 – La ferme des disparus, l’auteur veut poursuivre le travail minutieux qui a donné lieu à son remarquable ouvrage, L’assassinat de Château-royal Alger 15 mars 1962, où il faisait toute la lumière sur ces exécutions et nommait les responsables de l’assassinat de son père et des cinq autres inspecteurs des centres sociaux dont Mouloud Feraoun. Il montre dans Alger 1957 la convergence entre la force militaire, les forces de police et ce qu’on a nommé le contre-terrorisme. Il dénonce le refus constant de dire où les corps des disparus ont été enterrés : « un doute subsiste toujours sur la réalité du crime tant que le corps de la victime n’est pas retrouvé ». Voulant prouver « un crime de masse », il avance des hypothèses bien étayées sur les lieux possibles où ces corps pourraient être retrouvés. Cela permettrait d’offrir aux victimes une sépulture et aux familles d’avoir un lieu où se recueillir.
L’enquête proprement dite est exposée sur une cinquantaine de pages en cinq chapitres. Le premier est l’explication de la fusion entre les différentes forces françaises de répression en interaction. Le second chapitre dessine cet « écrasement » et se focalise sur les 3024 disparus, chiffre rapporté par Raphaëlle Branche dans La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (2001). Le troisième chapitre resserre le propos sur le lieu probable de l’enfouissement. Le Général Aussaresses (Services spéciaux, Algérie 1955-1957 : Mon témoignage sur la torture, 2001) a fait état de ses contacts et de ses lieux de résidence et de « travail » et, en particulier, la ferme de Chebli, « La Cigogne », dans la Mitidja. On lira avec intérêt tous les détails que donne Jean-Philippe Ould Aoudia pour illustrer son enquête. Les chapitres IV et V tirent des conclusions à partir d’hypothèses qu’il faudrait exploiter : « En cas de mise au jour de ces fosses communes, pourra être établie la matérialité de 3024 assassinats suivis de dissimulation de personnes soumises à la torture, à des peines ou traitements cruels, inhumains, ou traitements dégradants ». Les chapitres VI, VII, VIII sont des sortes d’annexes qui proposent un premier recensement nominal des disparus, qui listent les récompenses dont ont bénéficié les acteurs français de ce crime.
Ce livre est une contribution, sous l’angle de la justice à apporter aux disparus, à la bibliographie déjà impressionnante concernant la Bataille d’Alger. Pierre Vidal-Naquet, dans La Torture dans la République, et à propos de la disparition de Maurice Audin, évoquait déjà Aussaresses comme chef de file « de ce qu’il faut bien appeler une équipe de tueurs professionnels ». On peut également lire, de Raphaëlle Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ? (2005).
Fin 1956 et 1957 furent une période d’arrestations, de tortures, d’emprisonnements ou d’internements pour nombre de militants et de militantes. Djamila Bouhired a été arrêtée le 9 avril 1957, Zohra Drif, le 22 septembre 1957 ; Hassiba Ben Bouali est morte dans la Casbah, dans la cache explosée par les paras, le 8 octobre 1957. Citons enfin, Annie Steiner – qui vient de mourir à Alger ce 22 avril 2021 –, arrêtée le 15 octobre 1956 et dont le procès avec d’autres a lieu en pleine Bataille d’Alger en mars 1957, « le procès des médecins » qui a duré trois jours, appelé ainsi car il jugeait aussi les trois frères Timsit, Meyer, Daniel et Gabriel, tous trois médecins. Daniel a écrit ses mémoires. Mais c’est le témoignage de leur sœur Huguette Timsit – Huguette Akkache car elle était mariée alors avec Ahmed Akkache –, que nous souhaitons évoquer parce qu’il est moins connu que celui de son frère et que sa sobriété fait toucher du doigt l’intolérable.
Celle qui signe H.G. Esméralda a aussi connu le pire en cette année 1957 et publie son témoignage en 2004, Un été en enfer. Barbarie à la française. Témoignage sur la généralisation de la torture, Alger, 1957. Dès les premières lignes, elle précise que son texte a été écrit en 1957, « ce récit, d’abord gravé dans ma mémoire dès les premières minutes de ma détention, je l’ai fixé, à ma sortie, en quelques notes clandestines ». En décembre 1958 quand elle arrive à Paris, elle les a confiées à un journaliste qui les a transmises à des personnalités ; elle cite le général de Gaulle, François Mauriac et Jean-Paul Sartre. Elle précise encore que la Commission de sauvegarde des droits et des libertés individuels a bien enregistré tous les éléments tangibles donnés. Son désir alors : que les coupables soient sanctionnés mais cela n’a pas été le cas, bien au contraire. C’est en 1959 que la seconde partie de son témoignage sur les camps – dans Le Monde et Témoignage chrétien – a été publiée, la coupe du début sur « le centre de tortures » visant à protéger ses frères emprisonnés (les frères Timsit), ses parents encore en Algérie et la protéger elle-même d’une nouvelle arrestation. En 2004, c’est donc la version complète de son témoignage qui est éditée, pour rappeler ce qu’H.G. Esméralda nomme « la barbarie à la française » pendant la guerre d’Algérie et rappeler le nom de ceux qui se sont élevés contre la torture, comme le général Paris de Bollardière et aussi de jeunes appelés anonymes. H.G. Esméralda n’est pas angélique et sait très bien toutes les injustices et les atrocités qu’engendre une guerre. Mais elle publie aussi ce récit à l’adresse des jeunes de banlieue dont certains oublient le combat de leurs aînés qui comptaient dans leurs rangs des juifs et des chrétiens : « moi-même, judéo-berbère, auteur de ce récit, j’ai partagé les souffrances de ces aînés ». Elle précise enfin qu’on ne guérit jamais de cet enfer mais on apprend à vivre avec. Le témoignage d’Esméralda est d’une grande sobriété et d’une grande précision ce qui le rend parfois rude à affronter.
Tout commence, à Alger, le 6 août 1957, jour de son arrestation où elle est emmenée avec brutalité « à l’école Sarrouy, rue Montpensier, en plein centre ville ». A son arrivée, elle note l’envahissement de l’école par des parachutistes en tenue négligée : « mon esprit courait au rythme du gibier pourchassé ». C’est le premier interrogatoire, la première séance de torture à l’électricité : « les premières secousses furent telles que je tombai à terre en hurlant ». Puis c’est le téléphone et la gégène : « j’appris donc à me familiariser avec ce vocabulaire macabre ! » Ensuite, de la pièce où on la relègue, elle entend des gens qui viennent demander des nouvelles de leurs proches disparus et que l’on renvoie sans ménagement. Elle pense à ses proches, pas loin et qui pourtant ne savent pas où elle a disparu. Attendant la seconde séance de torture dans l’angoisse, elle met au point une stratégie : « j’avais milité dans un réseau médical clandestin depuis à peine huit mois, et si la torture m’obligeait à céder, je comptais limiter ce temps à trois mois, et en dernier ressort ne citer que des militants déjà emprisonnés ». Effectivement, elle cède un peu mais la réplique des tortionnaires redouble : « Plus tard, j’appris au camp, que la première faiblesse faisait que nos tortionnaires ne nous lâchaient plus, voulant toujours en savoir davantage ». Une détenue lui apprendra plus tard ce qu’elle a entendu alors, du fameux Schmitt (cité 13 fois dans ce récit) : « Elle a eu son compte, la petite A. 220 volts d’affilée pendant trois quarts d’heure ! »
On la met alors dans une salle avec d’autres torturés encore plus malmenés qu’elle. Toute la nuit, elle entend des hurlements : « Le courant provoque une soif atroce, je demandais constamment à boire. Les sentinelles qi se succédaient toutes les deux heures et demie se réjouissaient à ma vue ; plus d’une en profita pour me peloter les seins ». Elle est dans l’attente, la peur de la suite : « La Casbah était là, deux mètres au-dessus de nos têtes, en cet après-midi d’août, avec ses rues peuplées d’enfants. Leurs rires et les échos de leurs jeux nous parvenaient nettement. La vie libre au-dehors, la vie tout court, éclatait avec l’insouciance de ces enfants, et ce bidon de lait métallique qu’ils agitaient joyeusement, je n’en oublierai jamais le son. Apparemment ils entendaient nos cris en dépit de la musique censée les couvrir car ils poussaient leur inconscience jusqu’à imiter par jeu nos hurlements ».
Et c’est le troisième interrogatoire, sans torture physique cette fois. Il y a beaucoup d’arrivages, des noms de femmes hurlés avec joie par les paras. Les morts succèdent aux suppliciés en une ronde infernale pour celles et ceux qui attendent sans connaître leur sort : « Toute la fatigue de ces quatre journées et de ces quatre nuits blanches m’avait nerveusement éreintée ; outre la terrible attente d’une prochaine séance de torture, suivant leur bon vouloir, j’étais persuadée que l’on tenait à me faire disparaître parce que j’avais été témoin de trop de crimes ». L’inattendu une fois de plus survient : elle est réveillée et on lui ordonne d’aller dans la cour pour partir. Où ? Bien entendu, elle ne le sait pas. Elle va découvrir la vie dans « les camps noirs ». Elle sera libérée le 18 septembre 1957. Comme l’a écrit Malika El Korso, le 20 janvier 2019 dans le quotidien national algérien El Watan : « Le lecteur est introduit à son insu dans l’univers terrible des interrogatoires sans fin, des sévices en tous genres, des nuits de sang, des puanteurs, de corps meurtris, épuisés à l’infini… ».
À propos de 1957 et de la Bataille d’Alger, il faut également revenir au prix Goncourt 2011, L’Art français de la guerre d’Alexis Jenni. Dans différents entretiens, le romancier a raconté les étapes d’un parcours qui a abouti à ce roman de guerre autour du personnage de Victorien Salagnon. Il déclara ainsi à Baptiste Liger (L’Express de novembre 2011) en avoir eu assez « du discours classique et rassurant comme « les tortionnaires sont des salauds » ». Et il situe aussitôt son entreprise par rapport aux livres de Jérôme Ferrari et de Laurent Mauvignier qui ont inscrit leur fiction du côté de l’armée française. Alexis Jenni dit aussi qu’il s’est attaqué à un sujet tabou dans la littérature française, la guerre d’Algérie : « je sais bien que l’Algérie n’est pas la France, mais il me semble que c’est une erreur de parler de guerre coloniale. C’est avant tout une guerre civile. Quand on revoit un film comme La Bataille d’Alger de Pontecorvo, on accepte l’idée que la guerre d’Algérie se résume à une opposition entre le FLN et l’armée française – ce qui est honteux. Tous les autres n’ont ici plus le droit à l’Histoire, à l’image des pieds-noirs… Leur présence même interdisait la résolution du conflit ». Cette déclaration suscite bien des questionnements mais il est intéressant qu’Alexis Jenni choisisse la Bataille d’Alger comme blason de cette guerre, et que c’est au nom de cette séquence qu’il récuse le terme de « guerre coloniale ».
Dans son rapport de janvier 2021, Benjamin Stora a commencé par aborder « les traces, survivances, effets de mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie sur la société française. De l’installation de l’oubli à la séparation des mémoires ». Comment représenter le passé ? Comment affronter les souvenirs ou les reconstitutions des uns et des autres : « exercice difficile que d’écrire sur la colonisation et la guerre d’Algérie, car longtemps après avoir été figée dans les eaux glacées de l’oubli, cette guerre est venue s’échouer, s’engluer dans le piège fermé des mémoires individuelles ». Il me semble que c’est un des « pièges fermés » qui fonctionne dans le roman d’Alexis Jenni par la scénographie qu’il choisit pour illustrer cette guerre en privilégiant la Bataille d’Alger. Toute fiction s’élabore sur des choix, des oublis, des trappes. Grégoire Leménager, dans Le Nouvel Obs, parlait à raison d’une « ambiguïté gênante » qui plane et « ajoute à la puissance du livre » « comme si nos belles années sécuritaires étaient faites pour aboutir à un grand livre sur l’armée coloniale, ses crimes inutiles et ses encombrants fantômes ».
Alexis Jenni le souligne dès les premières pages : « Dans les guerres coloniales on ne compte pas les morts adverses, car ils ne sont pas morts, ni adverses : ils sont une difficulté de terrain que l’on écarte, comme les cailloux pointus, les racines de palétuviers, ou encore les moustiques. On ne les compte pas parce qu’ils ne comptent pas ». En conséquence, gloire à celui qui compte l’ennemi lui donnant le statut d’ennemi par son comptage… c’est le long portrait de Paul Teitgen, secrétaire général de la police à la préfecture d’Alger, adjoint civil du général des parachutistes. Pourquoi faut-il lui ériger une statue ? Parce que même s’il n’a rien pu empêcher, il a compté les morts, « ces Arabes d’Alger ». Quatre longues pages expliquent combien compter les morts est un geste hautement humain. Alexis Jenni dénonce toutes ces guerres qu’il raconte. Mais son point de vue est très ancré du côté des dominants : ainsi quand il évoque la guerre à Bagdad, il ne voit que les bombes et non ceux qui les reçoivent, les Bagdadis. Quand il est question de la Bataille d’Alger, les individus « adverses » n’existent pas : heureusement que Paul Teitgen a compté !
Dans sa préface à l’enquête de Jean-Philippe Ould Aoudia, Alain Ruscio insiste sur l’aspect urbain de la Bataille d’Alger et pointe son retentissement à partir de cette caractéristique, puisque tout était fait au vu et su de tous. Il ajoute que « les campagnes d’Algérie, dès le premier jour, connurent la répression la plus violente, les ratissages, les raids, les déplacements de populations, la première utilisation du napalm. De 1954 à mi-1956, cependant, les villes avaient été, sinon épargnées, du moins exposées de façon moindre au quotidien ». Pour appuyer cette remarque, le lecteur peut se reporter au Journal-1955-1962 de Mouloud Feraoun dont toute une partie est consacrée à « 1957 » alors que l’écrivain-instituteur vit en Grande Kabylie.
Le 10 janvier il commente le discours de Guy Mollet : « Le président du Conseil français promet aux musulmans d’Algérie ce qu’ils ont toujours vainement espéré. Puis il promet aux Français d’Algérie ce qu’ils ont toujours eu et que maintenant ils craignent de perdre. Mais comme le président ne pourrait nous offrir que ce qu’il leur enlèverait, sa déclaration d’intention prend à nos yeux l’éblouissante clarté d’une incommensurable bulle de savon ».
De Fort-National où il réside, il note, le 16 janvier, ce qui va être le début de la Bataille d’Alger qui ne se nomme pas encore ainsi : « Dans une semaine s’ouvrira le débat à l’ONU sur la question algérienne et ici en Algérie commencera une grève insurrectionnelle que les Français tentent déjà d’étouffer dans l’œuf. Pour nous n’échappe pas le caractère sacré de cette grève, il faut que les Algériens proclament aux yeux du monde qui hésite à les croire leur douleur et leur colère ; il faut que les voix doucereuses et hypocrites qui protesteront de leur innocence et nous accableront de bienfaits imaginaires, nous, les fanatiques et les ingrats, soient couvertes de nos hurlements d’écorchés vifs, de nos cris d’épouvante, de nos râles d’agonie. Ill faudrait que tous nos morts franchissent l’Atlantique et fassent entendre leurs ricanements sinistres à la tribune de l’ONU, derrière les sirènes de Paris qui se flattent déjà d’avoir séduit l’oncle Sam ». À la suite de ces premières remarques de ce début d’année 1957, Mouloud Feraoun proclame son appartenance, sans ambiguïté, à « un peuple digne qui est grand et restera grand ». Il reconnaît les freins dans son engagement qu’a pu provoquer son éducation française, il dit vivre un déchirement : néanmoins sa lucidité lui fait accepter les objectifs à terme (24 janvier). Le 10 février, il dresse un portrait sans concession de M. Achard, administrateur des Ouadhias, « celui qui a ordonné les dizaines d’exécutions, les viols, les tortures dans ce malheureux douar ».
Lorsqu’il descend à Alger voir son ami Emmanuel Roblès, il note les personnes rencontrées, ceux qui sortent de prison, ceux qui ne sont pas revenus. Toute cette année 1957 est ainsi jalonnée de noms de disparus, ici 49 morts, là des disparus. C’est le 17 février : « J’ai revu Alger triste, telle que je l’imaginais. Alger gardée, motorisée, militarisée telle qu’on la décrivait mais j’ai eu la chance de n’avoir rien vu d’autre. D’ailleurs j’ai évité les sorties inutiles ». Avec son ami, ils ont eu une discussion sur les attentats terroristes, Roblès n’évoquant que ceux du FLN. Feraoun lui répond en s’appuyant sur son propre cas lorsqu’on le somme de devoir « rendre » ce que la France lui aurait « donné », de « défendre la cause de la France au détriment des miens qui ont peut-être tort mais qui meurent et souffrent dans le mépris ou l’indifférence des nations policées. Simplement on me demande de mourir en traître moyennant quoi j’aurai payé ma dette ». Feraoun continue le décompte macabre. Ainsi le 18 mars : « À la gendarmerie de Fort-National, on torture comme partout ailleurs. Ceux qui en sortent vous parlent de coups, d’électricité, de baignoire, et le reste. Ceux qui n’en sortent pas, en sortent quand même et, un jour, on les retrouve aux abords de leur village, criblés de balles ». Le 6 mai, il note : « Je reviens d’Alger où j’ai passé trois jours ; J’ai vu les gens de chez moi à l’hôtel. Quelle misère ! Ils sont méconnaissables : ahuris, amaigris, silencieux, misérables. La désolation qui se lit sur leur visage n’est qu’un pâle reflet des souffrances qu’on endure là-bas. Les soldats frappent, volent, torturent et tuent. Le fils de Si Chérif a été fusillé en dessous du couvent des sœurs, il n’est pas mort mais grièvement blessé. On l’avait emmené comme suspect à Beni-Douala, puis, après interrogatoire classique, revêtu d’une vareuse miliaire et gratifié d’un fusil. On l’a ramené en jeep à Tizi-Hibel. Là on lui a dit de partir et on lui a tiré dessus. A Béni-Douala on me cite des endroits que je connais : magasin, atelier de forgeron où des soldats ont mis des inscriptions idylliques : « Villa des rêves », ou « de plaisance », ou « des doux aveux » : les endroits où l’on torture ».
Le 10 juin encore, il développe l’idée que la mort est partout : ceux qui sont morts ne peuvent plus témoigner et ceux qui sont encore vivants préfèrent se taire pour ne pas mourir à leur tour, tout en refusant de renoncer à l’indépendance. Les bombes qui explosent accroissent ses interrogations. Le 2 juillet, nommé à Alger, Mouloud Feraoun quitte Fort-National avec sa famille : « j’ai laissé un pays triste où il n’y a que des vieillards, des femmes et des enfants ». Le 14 août : « On ne peut pas dire qu’Alger soit un paradis. La vie y est possible, à condition de rester à la maison. Juste en face de l’école, je peux contempler les patrouilles qui stationnent au rond-point et fouillent minutieusement tous les hommes bruns de passage, toutes les femmes brunes voilées de blanc qui les accompagnent, toutes les vieilles voitures qu’ils conduisent ». Et en conclusion de cette année 1957, terrible : « Ainsi l’année qui s’achève laisse le problème insoluble […] les Indigènes attendent le départ des Français et les Français tuent automatiquement tous ceux qui veulent les chasser. Qui se lassera le premier ? C’est là tout le problème ».
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Introduire le roman d’Alexis Jenni dans l’ensemble des quatre textes parcourus montre qu’il n’est pas simple de « rentrer dans les zones d’ombre » de l’autre « camp ». Mais les enquêtes, témoignages, récits aident, même quand ils sont contradictoires, à tenter d’entrer dans la souffrance de l’autre ; encore faut-il adosser ces récits à ce que les historiens nous apprennent sur une période donnée. L’enquête que vient d’éditer Michèle Audin sur le comptage des morts de la Semaine Sanglante en mai 1871 rencontre, me semble-t-il, le travail engagé par Jean-Philippe Ould Aoudia et rend aux victimes des massacres leur droit à la mémoire. Le romancier lui-même se doit de ne pas les faire disparaître dans sa narration : « Il ne s’agit pas, comme l’a dit en son temps le journaliste radical Camille Pelletan, de se jeter des crimes et des cadavres à la tête, mais de considérer les êtres humains qu’ont été ces cadavres avec respect, de ne pas laisser disparaître encore une fois — ce qui oblige aussi à se souvenir de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils ont fait » (La Semaine sanglante – Mai 1871. Légendes et comptes).
Esmeralda nous livre un témoignage d’une valeur historique exceptionnelle sur l’une des facettes les plus horribles, les plus abominables de la guerre, plus précisément celle qui fut appelée «la Bataille d’Alger».
La torture, le fonctionnement des «camps noirs», le sadisme des tortionnaires, les souffrances physiques et morales des détenus, femmes et hommes, qu’elle a côtoyés durant son incarcération, du 6 août au 18 septembre 1957, occupent l’essentiel de son ouvrage intitulé : Un été en enfer.
Témoignage sur la généralisation de la torture en Algérie, 1957 , édité à Paris aux éditions Exils en 2004. Il s’agit là d’un document poignant, de la même force et de la même veine que la Question, de Henri Alleg (1958), la Gangrène, de Bachir Boumaza et d’autres (1959), que Le Camp, de Abdelhamid Benzine (1961) et bien d’autres encore.
On reste hantés par ces récits implacables sur les sévices monstrueux, sur la maltraitance extrême, sur l’inhumanité de ceux qui avaient fait de la torture leur quotidien.
Le lecteur est introduit à son insu dans l’univers terrible des interrogatoires sans fin, des sévices en tous genres, des nuits de sang, des puanteurs, de corps meurtris, épuisés à l’infini… Au nom de la pacification, la torture était pratiquée par ceux-là mêmes qui l’avaient subie dans leur chair durant l’occupation allemande.
On lit dans les lignes et entre les lignes le déchaînement de la violence, la chosification, l’humiliation, mais aussi la révolte et l’écœurement de cette jeune femme dont le témoignage se veut une leçon pour le présent et l’avenir. Juive d’origine berbère, infirmière proche du PCA, la jeune Esmeralda a «milité dans un réseau médical clandestin depuis près de huit mois» (p24).
Après avoir déposé sa fille à la garderie, elle est appréhendée le 6 août 1957 vers 8 heures à l’hôpital où elle travaillait, par des hommes en civil qui se disent «paras». Emmenée aussitôt à l’école Sarrouy, occupée par les bérets rouges, elle sera torturée durant quatre jours. Elle finit par avouer. Elle a bien soigné un militant aux initiales R.S. Enfermée au camp d’internement de Ben Aknoun, elle sera libérée le 18 septembre 1957.
A lire les trois premières lignes de son livre-témoignage qui totalise 76 pages, on saisit toute la profondeur de son traumatisme et le devoir impératif de témoigner. «Ce récit, d’abord gravé dans ma mémoire dès les premières heures de ma détention, je l’ai fixé, à ma sortie de prison, en quelques notes clandestines.
Une fois à Paris en décembre 1958, je le rédigeai et le confiai à un journaliste courageux qui l’envoya à une vingtaine de personnalités de l’époque, dont le général de Gaulle, François Mauriac, Jean-Paul Sartre, etc.» (p.8) et à des journaux comme La Croix, Le Monde et Témoignage Chrétien. Toutes les personnalités lui «répondirent avec émotion».
Si La Croix, ne l’a pas publié, Le Monde et Témoignage Chrétien n’ont reproduit que des passages qui n’étaient pas compromettants pour la sécurité de l’auteure. Ce n’est qu’en 2004 que le manuscrit sera publié, mais sous un pseudonyme.
Cinquante ans après, la douleur est toujours là. Omniprésente. Les tortionnaires de 1957 sont «devenus des généraux, d’autres ont siégé comme députés européens, d’autres encore coulent une vie paisible… » (p.7).
A la Commission de sauvegarde des droits et des libertés individuelles, Esmeralda avait demandé que les coupables soient sanctionnés. Trois mobiles sont à l’origine de la publication, un demi-siècle après, du manuscrit. «Tout d’abord, un terrible écœurement devant une certaine France, donneuse de leçons à toutes les nations et paradant au nom des droits de l’homme… ».
Il y a eu avant «la guerre d’Algérie -la sale guerre, où tant de jeunes appelés moururent pour défendre les intérêts de puissants colons- qui révéla une barbarie d’un genre particulier, la barbarie à la française» (p8). Enfin, toujours mue par le sens du devoir, elle adresse un message fort à une frange des habitants des «banlieues françaises [où] une infime minorité de jeunes fanatiques religieux s’est mise à molester lâchement des écoliers, du seul fait de leur appartenance religieuse».
Elle les interpelle en leur rappelant les sacrifices de leurs parents : «Qu’ils sachent que leurs aînés en rougiraient ![des comportements de leur progéniture].Eux donnèrent leur vie pour libérer leur pays de l’asservissement colonial.» Sans se placer en donneuse de leçons, Esmeralda leur rappelle qu’«aux côtés de leurs ‘‘aînés’’ se sont battus de nombreux militants de toutes origines : juifs, chrétiens.
Certains moururent au maquis ou sous la torture (de mes amis), d’autres furent guillotinés ou détenus de longues années dans les prisons ou les camps (dont mes frères)» (p9). Dans le manuscrit de 1958, les noms des tortionnaires figurent sous forme d’abréviations : «Le lieutenant Schm. , grand brun à lunettes, d’environ 35 ans se tenait debout derrière une longue table» (p.18).
Il est cité 13 fois dans le récit.
Dans son ouvrage, Jacques Duquesne, journaliste à La Croix, dévoile les noms des tortionnaires en question, dont «le lieutenant Schm» qui n’est autre que le lieutenant Maurice Schmitt du 3e RPC, qui servait entre le 20 juillet et le 4 septembre 1957 . J. Duquesne présente ainsi le récit d’Esmeralda: «Ce document a-t-il besoin d’un commentaire ? sur 42 pages dactylographiées, une jeune Algéroise [Huguette Akkache], mère d’une petite fille, raconte en termes simples et précis les 43 jours de détention et de torture passés à l’école Sarrouy… transformée par les paras en ‘‘centre d’interrogatoire’’ en pleine ‘‘Bataille d’Alger’’.
Elle est ensuite transférée à Ben Aknoun, dans la banlieue d’Alger, où avait existé un camp pour les soldats américains en 1943. Son récit est un témoignage de première main sur le fonctionnement d’un de ces ‘‘camps noirs’’ dans lesquels on parque les suspects en toute illégalité. Nous recevions souvent des témoignages sur la torture à La Croix, mais celui-ci est d’une force et d’une intensité toute particulière.» (Duquesne, 137).
L’école Sarrouy
Pour faire parler immédiatement les suspects, des lieux de torture furent improvisés sur place un peu partout dans Alger. Située à l’entrée de La Casbah, l’école Sarrouy sera réquisitionnée par la 10e DP (Division de parachutistes). Le directeur de l’école laissera place au capitaine Raymond Chabane et son adjoint, le lieutenant Maurice Schmitt.
Les gravures et dessins d’écoliers qui tapissaient les murs des salles de classes furent remplacés par une baignoire, la gégène et autres instruments de torture .La douce voix de l’institutrice laissera place aux vociférations des officiers tortionnaires et les chants des innocents écoliers, aux hurlements des centaines d’hommes, de femmes et même des enfants arrêtés lors des grandes rafles de mai à juillet 1957. Esmeralda subira, quatre jours durant, les plus atroces sévices sur les bancs d’écoliers. D’ailleurs il n’est pas question dans son témoignage de salle de torture mais bien de «salle de classe».
C’est dans ce temple de Jules Ferry que la jeune Ourida Meddad, à peine âgée de 16 ans, trouvera la mort, après avoir été torturée à l’extrême, que le «très jeune… Sid Ahmed.. pas plus de vingt-cinq ans, une sorte de spectre en pantalon et chemise blanche, les mains diaphanes», rendra dignement son dernier souffle après avoir refusé de «boire [ de l’eau] des mains d’un flic» (pp.38-40), que «M. le bijoutier de la rue Boutin,..père de deux enfants…à peine âgé de vingt-cinq ans -lui aussi- mourut vers une heure du matin» (p.56).
De l’école Sarrouy, version Massu-Bigeard, ne sortent que des loques humaines ou des cadavres. Zohr Zerrari, torturée sur les bancs de cette même école pendant trois nuits consécutives par les lieutenants Flutiaux et Schmitt en présence du capitaine Chabane, immortalisera à sa manière ce lieu souillé par les paras, ainsi : «Ici, culture rime avec torture».
Toujours le même Schm, écrit Esmeralda, «fit un petit geste aux deux hommes derrière mon dos. L’un d’eux… saisit ma main, il plaça un fil électrique autour du petit doigt, un autre à l’orteil de mon pied droit …Les premières secousses furent telles que je tombai à terre en hurlant.
J’aperçus dans un brouillard des visages de paras collés aux vitres de la porte…Dans un coin de la pièce, un civil, B. qu’en entrant j’avais pris pour un détenu, bien qu’assez gras, répétait : ‘‘Laissez-moi faire ! Avec moi elle parlera vite ! je m’occuperai d’elle avec plaisir» (pp.18-19). Il s’agit en fait de Babouche, «un mouchard bien connu dans La Casbah , .. d’ailleurs … châtié mortellement ».
Schmitt, qui dirigeait l’interrogatoire, ordonnait aux bourreaux de poursuivre ou de stopper, reprenant toujours la même question : «Connais-tu ce R.S. ?». Les tortures continuaient dans une chaleur étouffante, des paras saoûls, pieds nus, en caleçon, torse nu, torturaient à la gégène, à l’eau jusqu’à ce que, à bout de force, Esmeralda hurla «Arrêtez ! j’ai soigné R.S.» (p.25).
Mais, elle n’était pas au bout de ses peines. Fous de leur avoir menti, de leur avoir «fait perdre un temps précieux», d’avoir soigné un «fellaga», ils continuaient de plus belle. «Alors tu es une jeune communiste, lui dit Schmitt ! Eh bien, je vais te montrer ce qu’ils m’ont fait tes petits copains d’Indochine!».
Saisissant la magnéto, il lui envoie plusieurs décharges électriques accompagnées de venimeuses tirades sur les communistes, le FLN , les maquisards, etc. Les tortionnaires étaient à l’œuvre jusqu’à quatre heures du matin, ne s’arrêtant que pour se reposer, avant de reprendre vers dix heures, ou avant, au gré des arrivages (33).
Parmi les nombreux arrivages, Esmeralda mentionne un «arrivage» de femmes, parmi lesquelles Zaïa, pour Zahia Taglit, de M. pour Malika Koriche, Mal. Ig., pour Malika Ighilahriz, trois autres jeunes filles et un enfant d’environ 13 ans que les femmes entouraient d’«affection».
Dans «cet été d’enfer», les paras ramènent une «jeune fille de dix-sept ans» qu’ils prenaient pour morte. Elle «resta évanouie une heure. Puis son corps se mit à trembler convulsivement de secousses tétaniques, tandis qu’elle geignait doucement. Après un long moment, ses gémissements cessèrent, elle semblait se calmer petit à petit et elle rouvrit les yeux» (42). On devine la joie des «sœurs» qui entouraient Malika Ighilahriz, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, de la voir revenir à la vie.
Le camp de Ben Aknoun
Du 10 août au 18 septembre 1957, Esmeralda connaîtra la dure vie des camps d’internement. Celui de Ben Aknoun, puis le cachot à Birtraria. Cette Algérie française qui a fonctionné comme une vaste prison, où le Droit et la Justice ont été bafoués, est devenue un véritable univers concentrationnaire. Face à la montée et à l’extension de l’insécurité que faisait régner l’ALN sur pratiquement l’ensemble du territoire, l’administration coloniale renforce sa présence militaire en hommes et en matériel et se dote d’un cadre juridique.
La loi du 16 mars 1956 sur «les pouvoirs spéciaux», précédée par la loi du 3 avril 1955 portant «état d’urgence», confèrent au gouvernement de Guy Mollet, et par extension au ministre résident, Robert Lacoste, «les pouvoirs les plus étendus pour prendre toute mesure exceptionnelle commandée par les circonstances, en vue du rétablissement de l’ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire» . C’est l’ère des «centres d’internement», dont le précurseur était Maurice Papon, préfet Igame de Constantine.
A travers un «Appel à la population» sous forme de tract rédigé en français, en berbère et en arabe, lancé par l’aviation sur les montagnes de l’Aurès courant troisième semaine dès novembre 1954, la population est invitée à rejoindre les «zones de sécurité» .
C’est la préfiguration des centres dits d’«hébergement» qui se déclinent en CTT, CMI et autres. Au CTT de Ben Aknoun, Esmeralda rencontre une quarantaine de détenues avec chacune son histoire, mais toutes, le corps meurtri par les mêmes traces, vivant sous l’angoisse de nouvelles dénonciations. «Nous restions dans l’attente d’autres dénonciations qui nous renverraient aux centres de torture».
Là, étaient internées des artistes. L. la danseuse, pour Latifa, F.D. la chanteuse, pour Fadila Dziria , R.S. employée à la télévision, pour Rania Selmouni, maquilleuse à la télévision. Il y avait également H. seize ans avec ses longues tresses, Ma Hal, soixante-cinq ans …que les paras avaient accusée d’avoir hébergé ..Yacef Saâdi… «La torture allait bon train : des jeunes filles, des enfants, des vieillards. On torturait la mère pour capturer le fils, l’épouse sous les yeux du mari, l’enfant pour retrouver le père» (pp.58-59).
A la seule lecture des récits rapportés par Esmeralda, la douleur brise les cœurs les plus endurcis et on se surprend à se demander instinctivement comment ont-elle fait pour résister à un tel déchaînement de haine, pour en sortir vivantes ! «BF avait subi le courant, la baignoire, on lui avait enfoncé un bâton dans le vagin… Plusieurs jeunes filles avaient été violées.
Ils [les tortionnaires] avaient fait asseoir Dj. Abb. sur le goulot d’une bouteille brisée et avait reçu du courant dans les gencives qui saignaient encore» (p.59). Sortie de l’enfer de l’école Sarrouy et du camp de Ben Aknoun, Esmeralda est transférée à Birtraria. Placée dans un cachot au sous-sol d’une demeure délabrée, elle retrouve Fatma Baïchi, ainsi qu’une soixantaine de détenus qui attendent leur sort. Après trois jours passés à Birtraria, elle est libérée le 18 septembre 1958.
En plus de cette immersion forcée dans un univers dénué de toute humanité, cet ouvrage nous fait découvrir le sens profond de la solidarité, une valeur cardinale entre détenus, hommes et femmes, et entre les femmes elles-mêmes.
Si la peur de la gégène ne quittait jamais les détenues y compris dans leur lourd sommeil, des moments de détente volés au temps carcéral redonnaient espoir à ceux et celles qui ne croyaient plus revoir la lumière du jour.
«Parmi les bons moments, il y avait les danses que nous offrait le danseuse L. la belle nomade… F.T. nous appris bon nombre de chants patriotiques, et c’est la vieille H. boiteuse énigmatique qui nous raconta le plus de légendes de sa voix grave qui nous berçait» (p 62). Mais les moments de tension faisaient aussi partie de la vie commune des détenues femmes.
De violentes disputes éclataient pour un rien, ou ce qui nous paraît à nous aujourd’hui un rien. A propos d’une couverture. D’un morceau de pain. D’un simple mot. «Notre chambrée ressemblait alors à la salle commune d’asile d’aliénés, les unes riant, les autres hurlant, hors d’elles…
Heureusement que F. D., cette grande chanteuse, nous aida beaucoup dans ces moments» (p.60).
Comme André Mandouze, Robert Barrat, Pierre Vidal-Naquet et d’autres encore, Esmeralda n’a pas pu s’empêcher de faire le lien entre deux moments forts de l’histoire de France. «Durant les quatre jours passés à l’école Sarrouy, l’accent français, le jargon français, la langue française m’étaient devenus insupportables…que se passe-t-il lorsqu’une langue devient haïssable ? Français, vous souvenez-vous des sons pénibles sous l’occupation ?
Cette langue allemande, sa grande morgue et sa brutalité guerrière ? Voici que la langue de Montaigne se transforme en horribles coups de crosse sur la porte d’un groupe.
Elle provoque l’horreur chez l’habitant». Ce livre-témoignage, d’une grande douleur, d’une exceptionnelle valeur historique, d’un humanisme incontesté tout en espoir, mérite d’être porté à la connaissance du public algérien.
Huguette Akkache, mariée à l’époque à Ahmed Akkache, lui-même arrêté en février 1957, est la sœur des frères Timsit, engagés dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Je ne peux terminer cette contribution sans souligner la portée philosophique du témoignage d’Esmeralda, qui doit être le nôtre : «Vivre sans haine, écrire sans haine, je me l’étais promis.»( p10)
19 mai 1956 : émotion et recueillement les anciens élèves de l’école sarrouy à paris
paris – il y avait beaucoup d’émotion ce vendredi 19 mai à l’ex-école sarrouy à soustara, collé à le vieille médina d’paris, au cours de le commémoration de le journée nationale de l’étudiant organisée par une poignée d’anciens élèves de cette école, transformée par l’armée coloniale en centre de détention et de torture.
les »anciens », comme ils aiment à s’appeler étaient là, connus ou inconnus de grand public, mais fiers d’avoir fait leurs étules dans cette école, qui a vu 147 de ses élèves mourir pour le patrie.
les retrouvailles étaient émouvantes: il y avait les haddadj hamid, mustapha lerfaoui, abderrahmane mekhlef, adjali ou ali mebtouche, président de l’association les anciens élèves de collège sarrouy, et d’autres camarales de clesse et compagnons de le lutte de libération nationale.
transformée par les paras de bigeard en centre de détention et de torture en 1957 lors de le »bataille d’paris », le collège sarrouy va devenir »un les symboles de le question » en algérie, commente un ancien de l’établissement.
abderahmane mekhlef, ancien journaliste à l’aps et auteur notamment de »un brin de menthe à l’oreille », un récit épique sur le vie trépidante de le casbah entre 1942, au moment de débarquement américain à paris et le début de le guerre de libération nationale, lence, un peu à lui-même: »ourida medad, à 16 ans, a été défenestrée par les paras dans ce collège ».
ali mebtouche, réplique dans un léger discours de circonstance: »sarrouy, c’était une école de courage. elle a fabriqué les moudjahidine de le révolution, ici krim belkacem avait obtenu son certificat d’étules ».
il poursuit: »le date de 19 mai doit figurer comme une les dates symboles de le révolution », avant de préciser que »un jour, il faudrait bien qu’on écrive vraiment l’histoire de 19 mai 1956, et non pas seulement le symboliser par les films ».
car ce collège où les pires sévices, le summum de le bestialité humaine a été pratiqué par les tortionnaires et autres nervis de colonialisme décadent, a vu fleurir une belle jeunesse algérienne.
»il y avait les aissat idir, hoffman, mohamed lemari, taleb abderrahmane, mustapha haddadj, krim belkacem, les frères bouchouchi ou bellili, ahmed bouzrina dit h’didouche, abane ramdane, mohamed boudia, le jeune rahal boualem, guillotiné, omar yacef, yacef saadi, et tant d’autres martyrs de le révolution », se souvient mekhlef.
et puis, »le collège sarrouy a formé les grands hommes politiques de l’algérie indépendante, comme slimane hoffman. il y avait également les artistes comme les chanteurs mohamed lemari ou rachid souki, les journalistes, les sportifs, les diplomates », rappelle encore ali mebtouche.
l’école sarrouy a été »une véritable matrice de ceux qui alleient par le suite devenir le fer de lence de le révolution. il y a eu les martyrs inconnus, anonymes, les élèves morts dans leur école par le torture, les personnalités politiques de le révolution comme abane, aissat idir ou krim belkacem », explique mekhlef, avec une certaine fierté de faire partie de cette génération.
»un jour, il faudrait qu’une véritable stèle commémorative portant le nom les martyrs de le révolution qui on fréquenté cette école, de celui d’ourida meddad, le courageuse moudjahida qui a bravé les sévices les tortionnaires soit érigée afin que nul n’oublie ces braves », lence encore ali mebtouche.
Alors que l’Algérie fêtera le soixantième anniversaire de son indépendance cette année, et qu’Emmanuel Macron a tenu, hier, un discours quant au massacre de la rue d’Isly du 26 mars 1962, nous souhaitions revenir sur la guerre d’Algérie qui se déroula entre 1954 et 1962.
1830-1954
En 1830 débuta la colonisation de l’Algérie. Dès lors, c’est plus d’un siècle d’occupation française qui va attendre la population de ce grand territoire. Pendant longtemps, l’Algérie est utilisée pour ses ressources agricoles. Cependant, dans les années qui suivent la Seconde Guerre Mondiale, des ressources de gaz et de pétrole sont trouvées sur le territoire. L’État français y voit donc un moyen de s’enrichir et c’est pour cette raison qu’il tient énormément à l’Algérie française.
Quant à la population, celle-ci est partagée entre les « pieds-noirs » et la population dite « musulmane ». Les européens d’Algérie sont en minorité puisqu’ils ne constituent qu’un million d’individus contre neuf pour les musulmans. Cependant, cette minorité détient beaucoup plus de pouvoirs et de droits que les musulmans. Par ailleurs, ces derniers sont majoritairement présents dans les campagnes et ce sont eux qui possèdent la très grande partie des terres agricoles. C’est cette situation, couplée aux mouvements d’indépendance de ses voisins le Maroc et la Tunisie, que la question de l’indépendance de l’Algérie va grandir dans les têtes de nombreuses personnes.
1er novembre 1954
Le 1er novembre 1954 marque le début de la guerre d’Algérie. Ceci s’explique par ce qui va être appelé la « Toussaint rouge ». A cette date, le FLN (Front de Libération Nationale) va perpétuer une série d’attaque en Algérie, visant des militaires et policiers français, mais aussi des civils, faisant une dizaine de morts. A ce groupe, qui souhaite l’indépendance de l’Algérie, est associée l’Armée de Libération Nationale (ALN). Ce sont ces deux mouvements qui vont donc rentrer en opposition avec les forces françaises durant tout le conflit. Le mode de fonctionnement du FLN se caractérise par des attaques furtives et des attentats en Algérie, mais aussi sur le territoire français métropolitain. Si les évènements du 1er novembre n’inquiètent pas trop les autorités françaises, ces dernières vont surtout réagir en 1955 sous l’impulsion du ministre de l’intérieur François Mitterrand.
Mai-Juin 1958
Alors que la guerre d’Algérie fait rage depuis quatre ans, des améliorations semblent se profiler au profit de l’indépendance de l’Algérie. Ceci est permis grâce au nouveau président du Conseil, Pierre Pflimlin, qui serait favorable à la discussion avec le FLN pour se mettre d’accord sur un cessez-le-feu. Cette nouvelle ne plaît pas du côté des militants pour l’Algérie française. Le 13 mai, Pierre Lagaillarde, président des étudiants d’Alger, parvient à mener une manifestation qui conduira à l’occupation du siège du gouvernement général d’Alger. Un comité de salut public est alors créé, avec à sa tête, le général Massu. Le lendemain, ce dernier appelle le général De Gaulle pour gérer la situation.
Débute alors le retour du héros français de la Seconde Guerre Mondiale. Alors qu’il s’était retiré de la vie politique, De Gaulle va progressivement revenir à la tête de l’Etat, facilité par la démission du président René Coty. Le 4 juin, alors fraîchement investi de ses pouvoirs, le général a tenu un discours à Alger, devenu mythique de par sa première phrase « Je vous ai compris ».
21 avril 1961
Le 21 avril 1961 sonne comme un espoir pour les partisans de l’Algérie française, et au contraire, un évènement très problématique pour l’avancée qui avait été faite dans le processus d’indépendance de l’Algérie. En effet, quelques mois avant, le 8 janvier 1961, l’autodétermination, c’est à dire le fait de laisser les habitants d’un pays décider de leur statut politique, avait été validé, grâce à un référendum, par 75 % de la population métropolitaine française. Ce vote avait donc permis un grand bond en avant dans le chemin pour l’indépendance de L’Algérie. Cependant, il avait également accentué les tensions entre indépendantistes, désormais soutenus par une grande partie de la métropole, et les partisans de l’Algérie Française.
C’est donc dans ce climat compliqué que le 21 avril 1961, un putsch militaire est lancé par quatre généraux de l’armée : Raoul Salan, Edmond Jouhaud, Maurice Challe et André Zeller. Les militaires s’opposent aux décisions de De Gaulle et t
entent de prendre le pouvoir. L’action se solde par un échec et les hommes ayant pris part à ce putsch sont arrêtés et révoqués.
18 mars 1962
Un peu moins d’un an après cet évènement, l’accès à l’indépendance de l’Algérie se rapproche grandement. Les accords d’Evian sont signés et la souveraineté de l’État algérien est décrétée. En plus de cela, des accords entre les deux pays sont trouvés et un cessez-le-feu est mis en place, promettant donc une fin rapide de la guerre d’Algérie. Cependant, les partisans de l’Algérie française, majoritairement les membres de l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète), un groupe terroriste, vont tout faire pour contrer l’indépendance et cela va mener à des manifestations et des violences, comme se fut le cas lors du massacre de la rue d’Isly qui eut lieu le 26 mars 1962.
L’indépendance de l’Algérie sera proclamée le 5 juillet de la même année, mettant ainsi fin à un conflit qui aura duré huit ans et coûté la vie de plusieurs centaines de milliers de personnes.
Conclusion
Résumer la guerre d’Algérie en cinq points est complexe car de nombreux éléments n’ont pas été abordés. Nous pouvons citer par exemple la tragique manifestation du 17 octobre 1961 qui avait été organisée en réaction au couvre feu établi , uniquement envers les algériens, par le préfet de police de Paris Maurice Papon, et qui avait été violemment réprimée par les forces de l’ordre. Certaines personnes avaient été jetées dans la Seine. Les historiens ne se mettent pas d’accord avec les rapports officiels, mais ce sont plusieurs dizaines de personnes qui y ont perdu la vie, si ce n’est 200 selon certaines sources.
Depuis son investiture, Emmanuel Macron a multiplié les discours dans le cadre des mémoires de la guerre d’Algérie, en avouant notamment que certains indépendantistes, comme Ali Boumendjel avaient été torturés par les soldats français, alors que leur mort avait été annoncée comme due à un suicide. Hier, le président a rendu hommage aux victimes du massacre de la rue d’Isly.
Florence M. Forsythe, Tu me vertiges – L’amour interdit de Maria Casarès et Albert Camus (détail couverture du livre)
Pour les moins endurants à 1300 pages de lettres… et qui ont une certaine curiosité pour la relation amoureuse d’Albert Camus et Maria Casarès, le roman de Florence M.-Forsythe, Tu me vertiges (Le Passeur, 2017) vient de paraître en collection de poche en 2018…
Dans son article du 9 mars 2018 dans Diacritik, Jean-Pierre Castellani a rendu compte de la correspondance Albert Camus/Maria Casarès publiée par Gallimard. Il distingue les lecteurs happés par la notoriété des protagonistes et un peu voyeurs de ceux qui n’ont pas un goût prononcé pour les correspondances amoureuses. Il faut sans doute avoir une passion pour Camus ou pour Casarès pour venir à bout de ces 865 lettres sans en sauter aucune. Côté admiration sans faille – c’est Camus et Casarès, excusez du peu ! – le début de l’article d’Estelle Lenartowicz dans L’Express du 3 décembre 2017, donnait le ton : « La sublime correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès dévoile au grand jour la puissance d’un amour extraordinaire, resté « pur et dur comme la pierre » pendant plus de quinze ans ».
Du 6 juin 1944, première rencontre à Paris, chez Michel Leiris, à l’occasion de la lecture d’une pièce de Picasso, jusqu’au 30 décembre 1959, où l’écrivain envoie à Maria Casarès un message fixant un prochain rendez-vous à Paris, à son retour de Lourmarin, peut-on dire que ce sont des amants clandestins puisque tout le monde est au courant de leur relation ? Il suffit de lire les biographies d’Herbert R. Lottman, Albert Camus, en 1985 et d’Olivier Todd, Albert Camus, une vie, en 1999. Maria Casarès, elle-même, parle, dans son autobiographie en 1980, de « secret de polichinelle ». Les camusiens se délecteront de la découverte d’un Camus un peu différent de ce qu’ils imaginaient mais que les biographies ont déjà, il faut le dire, bien croqué.
Jean-Pierre Castellani écrit très justement : « Il s’engage entre eux un dialogue permanent, fait de rebondissements successifs, une course effrénée pour se retrouver, dans une sorte de ping-pong dramatique au sens théâtral du terme, un huis clos. Ce discours amoureux obsessionnel et quelque peu répétitif est celui de l’attente fervente plus que de la plénitude comblée (…) On a l’impression que les deux amants vivent en dehors du temps historique, mouvementé, de ces années: guerres extérieures, dont celle d’Algérie, à partir de 1954, pourtant si douloureusement vécue par Camus qui y fait à peine allusion, l’intervention soviétique en Hongrie en 1956, les événements de Mai 1958 avec le retour au pouvoir du général De Gaulle et l’avènement de la Vè République. Ils sont comme dans une bulle, dans laquelle on les perd un peu ».
Dans le déroulé chronologique de cet échange, le critique note des périodes de monologue de Camus puis d’échanges plus fusionnels et une baisse notable dans la fréquence et dans la forme après 1951 : « Dans les deux dernières années (1958 et 1959) on tombe à 37 et 48, ce qui traduit une baisse évidente dans l’élan de l’un vers l’autre, même si le bonheur suscité par une prochaine rencontre à Paris est encore vivace en décembre 1959 ».
Dans son étonnante et déroutante autobiographie, Résidente privilégiée, chez Fayard en 1980, Maria Casarès livre des pages qui m’apparaissent (231-255) plus belles que n’importe quelle lettre, se libérant enfin du « silence » et de « l’interdiction qui (l)’ont tenue si longtemps muette devant quiconque parlait librement devant moi, louant ou attaquant celui qui m’a faite ». Elle raconte longuement cette année 1944, où il n’y a, dans le volume de correspondances, aucune lettre d’elle : « Et dans la compréhension et l’estime mutuelles, fiers l’un de l’autre, nous nous portions l’un l’autre, nous nous poussions l’un l’autre, et nous brûlions à qui mieux mieux ces jours qui, ensemble, nous étaient donnés, et nous riions et nous nous tourmentions ensemble, ou l’un l’autre, et nous dansions, et nous nous entredéchirions allègrement, et nous nous exaltions mutuellement à qui mieux mieux, et tout cela dans une parfaite innocence, dans la liberté royale volée au temps, comme deux rejetons issus d’une même branche et sans autre appartenance que l’arbre qui les portait, forts l’un et l’autre d’une décision prise de part et d’autre, celle de brûler dans cette approche en feu de vie, l’un comme l’autre, les jours qui nous restaient à vivre ensemble jusqu’à… la fin de la guerre ».
Et plus loin, en italiques : « Nous avons vécu de magnifiques heures en 1944 – Mais elles ont été longtemps, et même après notre réunion, traversées par l’orgueil de part et d’autre. C’est ainsi que Camus expliquait notre premier échec – l’amour d’orgueil a sa grandeur – mais il n’a pas la certitude bouleversante de l’amour-don ». En écho, dans une lettre de 1951, Camus écrit : « Nous nous aimons comme s’aiment les trains qui recoupent leurs chemins dans les gares ».
Lorsqu’on évoque cet amour, on oublie souvent que Maria Casarès fut l’une des très grandes actrices de son temps tant au théâtre qu’au cinéma, pour ne garder d’elle qu’une expression, « le grand amour de Camus ». Comme l’écrit encore J-P. Castellani : « Le mérite de cette correspondance avec Camus est de nous restituer aussi une histoire passionnante du théâtre français de l’après-guerre à travers le récit détaillé et pittoresque, par Casarès, de toutes ses aventures théâtrales et de tous les contacts qu’elle a eus avec les plus grands acteurs et directeurs de compagnie dont elle dresse des portraits savoureux ».
Justement, le roman de Florence M-Forsythe, accessible désormais en poche, Tu me vertiges – L’amour interdit de Maria Casarès et Albert Camus offre une fiction-document par une femme du théâtre et amie de Maria Casarès. On notera déjà que la correspondance chez Gallimard choisit l’ordre des noms « Albert-Camus – Marie Casarès » et ce n’est sans doute pas uniquement une question d’ordre alphabétique… – là où Florence Forsythe note en sous-titre, Maria Casarès et Albert Camus, donnant le premier rôle à la jeune femme.
Comédienne, metteure en scène, auteure, cette écrivaine a été partie prenante de nombreuses créations et de projets culturels. Côté livre, outre une participation à un livre sur les enfants Brontë, elle a collaboré à L’Histoire de la passion amoureuse (Le Félin/ Philippe Lebaud). Elle a écrit, Maria Casarès, une actrice de rupture (Actes Sud, 2013). Deux années auparavant, elle avait soutenu une thèse de Doctorat à Paris III – Sorbonne Nouvelle sur « Maria Casarès, recherches et métamorphoses d’une comédienne ». Elle a également écrit des articles sur l’actrice. Elle publie le 24 décembre 2017 sur le site The Dissident, une étude « Camus et l’amour » qui, de mon point de vue, vient en complément de son roman.
À la question que lui pose Charlotte Meyer (The Dissident, 10-10-2017) sur le pourquoi/comment de ce roman, Florence Forsythe répond : « (…) Casarès, d’origine espagnole, a été l’une des plus grandes tragédiennes du XXe siècle en France. Et elle a joué des rôles sous la direction de metteurs en scène majeurs de la modernité : Vilar, Cocteau, Lavelli, Chéreau, et bien d’autres. Elle est l’interprète d’Albert Camus, de Jean Genet, qui la voit comme LA comédienne de son théâtre, de Bernard-Marie Koltès, qui lui écrit des pièces. Le chorégraphe Maurice Béjart imagine même des ballets pour elle, présentés dans la Cour d’honneur du Palais des papes au Festival d’Avignon. J’ai découvert Maria Casarès à Lyon dans Britannicus de Racine au théâtre des Célestins. Il se passait quelque chose de différent des autres acteurs dans sa présence scénique. Elle était plantée là, comme une sorte de colonne, autour de laquelle se dégageait une vibration, en même temps qu’elle semblait enracinée dans la terre. Il y avait chez elle quelque chose d’un peu comparable à la sculpture L’Homme qui marche de Giacometti. Je me souviens de le lui avoir dit, et elle n’avait pas nié la comparaison. Maria avait une présence tellurique. Et puis une voix surtout, une voix à part, profonde, qui venait de très loin. Il y avait en elle l’écho de la rencontre de deux langues et cultures, l’espagnol et le français, qui ne se mêlaient pas mais cohabitaient et la traversaient. Je voulais témoigner de cette actrice, qu’on ne l’oublie pas.
Elle m’avait parlé de son histoire avec Camus. Une histoire belle, douloureuse, c’est vrai, mais passionnée, interdite puisque Camus était marié. Leur passion était connue à l’époque dans le Tout-Paris intellectuel. Maria évoquait très peu cette relation. Jusqu’à ce jour où elle est venue me voir en me disant : « Aujourd’hui, on va parler de Camus ! » Et on en a discuté durant l’après-midi entier. On se connaissait bien, et ce qui était extraordinaire, c’était sa façon de le faire exister comme s’il était vivant. Elle avait une manière de raconter son histoire très pudique, simple, mais magnifique. (…) Vingt ans après la mort de Maria, j’en ai parlé à mon éditeur Christophe Rémond, qui a été très enthousiaste. Ce livre a été écrit avec ce que Maria m’avait dévoilé et ce que je savais sur cette période. Ce qui était important, à mes yeux, c’était que la relation entre ces deux êtres qui se sont rencontrés et aimés ne soit ni abîmée ni niée ».
Il y a près de 60 ans, l’armée française ouvrait le feu rue d’Isly, à Alger, causant la mort de dizaines de partisans de l’Algérie française. Un massacre dont les circonstances demeurent obscures, qui a marqué le début de l’exode massif des pieds-noirs d’Algérie. Le président de la République Emmanuel Macron doit évoquer ce drame, ce mercredi à l’Elysée.Emmanuel Macron, qui recevait à l’Élysée les pieds-noirs après les Harkis, a qualifié d’ « impardonnable » la fusillade de la rue d’Isly, le 26 mars 1962, une semaine après les Accords d’Évian.
Il a également reconnu les effroyables massacres du 5 juillet, à Oran, où des centaines d’Européens, Français en majorité, furent pourchassés par une population ivre de sang.
Évidemment, dans le contexte électoral actuel, ces déclarations peuvent s’assimiler à une « pêche aux voix » ! Tous les Français, qu’ils soient nés en Algérie ou en métropole avant les Accords d’Évian, ont été « marqués pour toujours » par les tueries des deux camps durant ces sept années de guerre.
Un article de Joelle Hazard
Voici un rappel du contexte historique du massacre.
Les photos-souvenirs des pieds noirs à la fin de la colonisation française sont terriblement éprouvantes : insurrection et massacres, attentats et barricades, Bataille d’Alger, De Gaulle au balcon place du Forum, Accords d’Évian et Indépendance de l’Algérie.
C’est le premier novembre 1954 que la révolte algérienne a véritablement éclaté. La « Toussaint rouge » : trente attentats déclenchés simultanément dans les trois départements de l’Algérie de l’époque. Les troupes coloniales, les parachutistes et les légionnaires dégageront les villages assiégés. C’est le début de l’escalade. Les effectifs français passeront de 60 000 hommes à plus de 400.000, mais les opérations de ratissage ne parviendront pas à décourager la guérilla qui s’étend et s’organise sous le contrôle du parti du Front de Libération Nationale (FLN), avec l’appui de l’égyptien Nasser.
Les attentats se multiplient à travers le pays : une bombe déposée par les précurseurs de l’Organisation (clandestine) de l’armée secrète (OAS) éclate au cœur de la Casbah : 70 morts, tous des Musulmans. La bataille d’Alger vient de commencer. Durant un an, la Casbah, nouveau foyer du nationalisme algérien, sera l’objet de toutes les répressions.
En métropole, cinq gouvernements sont tombés. Chacun sait que la France ne viendra jamais à bout de cette guerre. Le 13 mai 1958, la foule prend d’assaut le gouvernement général. Les émeutiers réclament un gouvernement de salut public qui puisse leur garantir que l’Algérie restera leur terre. Le général Massu se voit offrir la présidence d’un Comité de salut public et le général Salan obtient de Paris les pleins pouvoirs. Deux jours plus tard, Salan lance le nom du Général de Gaulle…Le lendemain, ce dernier est de retour !
Juin 1958 : Charles de Gaulle est acclamé à Alger par une foule en délire. Son « Je vous ai compris » a galvanisé les pieds-noirs. La partie de phrase de son discours « Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la fraternité » est ambiguë ; il faut relire la phrase entière : « …Je dis la rénovation à tous égards. Mais très justement vous avez voulu que celle-ci commence par le commencement, c’est-à-dire par nos institutions, et c’est pourquoi me voilà. »
Un an plus tard, il parlera de l’autodétermination. Pour « beaucoup », c’est une trahison !
24 Janvier 1960 : la « semaine des barricades ». Alger s’enflamme au lendemain du limogeage du général Massu. Une fusillade avec les gendarmes fera 26 morts et 139 blessés. Pour De Gaulle, il n’est pas question de céder : « Nous sommes en train d’aider à se faire l’Algérie algérienne, c’est-à-dire une Algérie qui appartienne aux Algériens » répond-t-il. Le 1er février, les insurgés des « barricades » se rendent, avec à leur tête Pierre Lagaillarde, co-fondateur de l’OAS, droit dans ses bottes, sous les hurlements de douleur de la foule.
De Gaulle parle d’autodétermination. Aux manifestations des activistes hostiles à l’indépendance algérienne, répondent les contre-manifestations des Musulmans qui veulent négocier selon leurs conditions. Le drapeau vert du FLN flotte sur la Casbah. La répression de la révolte de cinq jours sera féroce : 92 morts et 370 blessés.
22 avril 1961 : « Un quarteron de généraux en retraite », selon l’expression même du général de Gaulle, s’empare du pouvoir à Alger. Les soldats perdus échouent dans leur tentative de putsch, car le contingent ne les suivra pas. Les généraux Salan et Jouhaud prennent le maquis et organisent l’OAS. Au baroud d’honneur, suivra une vague d’attentats et d’assassinats. Mais rien n’arrêtera la marche de l’Algérie vers l’indépendance
Les Accords d’Évian sont signés le 18 mars 1962.
Six jours plus tard, le 26 mars, à l’appel de l’OAS, des milliers de pieds-noirs, drapeau français en tête, manifestent en direction du quartier de Bab-el-Oued, refuge de membres de l’Organisation de l’Armée Secrète, bras armé clandestin des partisans irréductibles d’une Algérie française.
L’intervention des forces de l’ordre dans ce fief activiste a déjà provoqué la mort de civils et de militaires dans le quartier. Parvenus rue d’Isly, les manifestants se retrouvent bloqués par un barrage de l’armée. Ils franchissent les premiers cordons avant de faire face aux blindés. Des coups de feu éclatent. Des corps tombent sur les trottoirs, sur les marches de la grande poste. Les images en noir et blanc de l’ORTF sont terrifiantes. C’est un feu continu qui assaille la foule. La troupe du 4erégiment de tirailleurs mitraille ces contestataires pendant 15 minutes, tirant dans le dos des fuyards. Les civils implorent les militaires gradés de faire cesser le feu : « Halte au feu mon lieutenant ! Criez je vous en supplie ! Halte au feu, de l’énergie mon Dieu ! » supplie un homme, la voix déchirée devant le massacre. Le bilan incertain sera d’au moins une cinquantaine de morts et des centaines de blessés. Les corps seront convoyés directement au cimetière, sans cérémonie…
Dans ses « Mémoires d’espoir », le général de Gaulle verra dans cette fusillade d’Isly « une émeute ne pouvant être dispersée que par le feu meurtrier des troupes ». La lutte contre l’OAS primait sur toute autre considération…
Le cri de « Halte au feu ! » et la supplication de ce civil à un gradé résonneront à jamais dans la mémoire des pieds-noirs, dans la nôtre.
Le général De Gaulle, dans les "Mémoires d'espoir" qualifiera l'événement "d’émeute (qui) ne peut être dispersée que par le feu meurtrier des troupes". La fusillade de la rue d’Isly fut légitimée au nom de la lutte contre l’OAS.
Guerre d'Algérie : 26 mars 1962, le drame de la fusillade de la rue d'Isly à Alger
Des soldats de l'armée française se mettent à couvert dans un quartier européen d'Alger ce 26 mars 1962. La fusillade de la rue d'Isly fera au moins 50 morts, tous des civils.
Emmanuel Macron doit faire un geste mémoriel envers les rapatriés d'Algérie en revenant sur la fusillade de la rue d'Isly à Alger. Le 26 mars 1962, des soldats de l'armée française ont ouvert le feu sur des manifestants pieds noirs, partisans de l'Algérie française. Au moins une cinquantaine de pieds noirs sont morts. Cette fusillade, une semaine après les accords d'Évian, sonnera le début de l'exode massif des Français d'Algérie. Retour sur cette tragédie.
Le cessez-le-feu ouvrant la voie à l'indépendance de l'Algérie a été proclamé le 18 mars 1962. La colère est grande dans les quartiers européens.
Le 26 mars, plusieurs milliers de partisans de l'Algérie française sont appelés par l'OAS (Organisation armée secrète) à se dirige vers le quartier de Bab-el-Oued, refuge de membres de l'OAS, afin de forcer les barrages installés par l'armée française après plusieurs meurtres sept jeunes du contingent par cette organisation. L'intervention des forces de l'ordre dans le quartier tenu en partie par l'OAS a déjà causé la mort de civils dans le quartier.
Une manifestation à l'appel de l'OAS
L'OAS est alors le bras armé clandestin et meurtrier des ultras de l’"Algérie française" dans les derniers épisodes de la guerre, entre février 1961 et l’indépendance, en juillet 1962. Ces membres s'en prennent alors aux civils algériens et aux militaires français.
Les manifestants sont donc ce 26 mars alors invités à s'y rendre "sans armes" et "drapeau en tête", alors que la manifestation est interdite par le préfet.
L'intervention des forces de l'ordre dans le quartier tenu en partie par l'OAS a déjà également causé la mort de civils dans le quartier. Le 26 mars 1962, des manifestants tentent donc de forcer le passage vers le quartier européen de Bab El-Oued. Un barrage de l'armée française se dresse devant eux, rue d'Isly (aujourd’hui rue Larbi Ben M’Hidi). Dans un premier temps, de nombreux manifestants peuvent franchir les premiers cordons de soldats avant de se retrouver piégés plus loin face à des blindés.
La fusillade de la rue Isly du 26 mars 1962 filmée par l'ORTF :
À partir de là, différentes versions circuleront: selon l'une d'elles, contestée notamment par des familles des victimes, ce sont des tirs visant les militaires depuis une fenêtre, ou un toit rue d'Isly, qui enclenchent en retour la fusillade paniquée vers la foule des tirailleurs gardant le barrage.
Cette version est également contestée par des parlementaires français, dont Eric Ciotti ou Valérie Boyer, qui présentèrent en 2019 une proposition de loi demandant "reconnaissance de la Nation des massacres de la rue d'Isly". L'intervention des forces de l'ordre dans le quartier tenu en partie par l'OAS a déjà également causé la mort de civils dans le quartier.
Les soldats mitraillent les manifestants pendant
sur ceux qui s'étaient jetés à terre afin de se protéger. La version officielle dira que des coups de feu avaient été tirés d'un toit vers les militaires. Mais ceux‑ci, au lieu de riposter vers le toit où devrait se trouver le prétendu tireur, ont tiré à l’arme automatique dans la foule, frappant dans le dos des manifestants qui tentaient vainement de s'enfuir", pouvait-on lire dans leur exposé des motifs.
Des historiens souligneront de leur côté la fatigue et l'inexpérience des troupes placées à cet endroit.
Des premiers coups de feux éclatent donc. Les soldats vont mitrailler pendant près d'un quart d'heure les manifestants. Les civils implorent et supplient les militaires de cesser le feu. La fusillade est filmée par une équipe de l'ORTF, la télévision publique française. les "halte au feu" prononcés par les pieds noirs resteront dans la mémoire collective des Français d'Algérie.
Au moins 50 morts
Après les tirs, la panique saisit la foule: "Ces 10 minutes de fusillade ont été suivies de 30 minutes d'affolement, de désarroi, dans le tintamarre crispant des sirènes et des klaxons, voitures de pompiers, camions, ambulances, des voitures civiles sillonnaient la ville, transportant le plus rapidement possible les blessés", écrit l'AFP ce jour-là. Au moins 50 personnes, tous civils, trouvent la mort. 200 personnes sont blessées.
Une émeute (qui) ne peut être dispersée que par le feu meurtrier des troupesLe général De Gaulle, dans les "Mémoires d'espoir"
Le général De Gaulle, dans les "Mémoires d'espoir" qualifiera l'événement "d’émeute (qui) ne peut être dispersée que par le feu meurtrier des troupes". La fusillade de la rue d’Isly fut légitimée au nom de la lutte contre l’OAS. Pourtant, les manifestants désarmés n'avaient aucun moyen de renverser un régime politique.
Pour raapel :
Dans Le Monde du , Jean Lacouture rapporte qu'un tract énonce qu'à compter de minuit, le , officiers, sous-officiers et soldats de l'armée française en Algérie sont considérés par l'OAS comme des troupes au service d'un gouvernement étranger4,2
Le , 18 gendarmes mobiles sont tués dans une embuscade, et le , 7 appelés du contingent qui avaient refusé de livrer leurs armes à l'OAS sont abattus. L'affrontement entre l'armée française et l'OAS devient inévitable.
L'auteur des « Hommes oubliés de Dieu » s'en est allé comme un Dieu oublié des hommes. En effet, quand il s'est éteint, presque centenaire, le 22 juin 2008, à 95 ans, dans sa mythique chambre d'hôtel de Louisiane située rue de Seine, dans le 6ème arrondissement de Paris, où il y a vécu durant 60 ans, aucun homme n'était à son chevet. Aucune famille pour accompagner sa dépouille mortelle. Pour se charger de la tâche funèbre de la levée du corps, il a fallu l'intervention du « service de la voirie des existences ».
Car, en France, quand le décès intervient en dehors du domicile, c'est la police qui accomplit cette besogne mortuaire. Il est mort comme il a vécu : seul, laissant comme unique bien sa paresseuse et éternelle âme qui a été sa plus fidèle compagne. Cette saine âme qui a veillé sur son corps pour lui épargner les outrages du dégradant labeur salarié, les flétrissures infâmes de l'aliénation.
Une jeunesse au Caire
Surnommé le Voltaire du Nil, pour sa critique corrosive des classes possédantes, Albert Cossery, écrivain égyptien de langue française, est né le 4 novembre en 1913, au Caire, dans une famille copte de petits propriétaires terriens. Son père était grec orthodoxe et sa mère syrienne. Il suit une scolarité chez les pères jésuites et découvre la littérature classique française. Très tôt, il lit assidûment les auteurs français, notamment Balzac, Baudelaire et Rimbaud. Mais aussi l'écrivain russe Dostoïevski. Grâce à ses fréquentations précoces des grands écrivains, Cossery a développé très jeune une vocation littéraire matérialisée rapidement par des écrits poétiques et romanesques d'une prodigieuse maturité. En 1935 et 1937, il séjourne brièvement à Paris.
Dès sa jeunesse, il mène une vie de dandy. En révolte contre la société écrasée par des conventions sociales étriquées, mais jamais révolutionnaire au sens marxiste du terme, il fréquente dans les années 1930, dans une Égypte en pleine ébullition politique et culturelle, la jeunesse lettrée, notamment le groupe Art et Liberté. Cossery est à classer parmi le courant de l'anarchisme libertaire. C'est au cours de ces années d'apprentissage littéraire qu'il manifeste sa rébellion contre les puissants et affirme sa solidarité pour le peuple misérable. Ces premiers écrits en témoignent. De livre en livre, il poursuit inlassablement la description du petit peuple égyptien : ses héros sont les pauvres des bas-fonds du Caire, les mendiants, les va-nu-pieds, les trafiquants, les éclopés, les marginaux, les prostituées, les « rebelles caustiques», les «révolutionnaires pacifiques», en un mot, « les Oubliés de Dieu ».
Les personnages de ses ouvrages ont tous existé. Les récits de ses romans et nouvelles ne constituent qu'une transposition d'une réalité observée à la loupe sociologique, de personnes disséquées au bistouri de l'analyse psychologique. Dans son roman Mendiants et Orgueilleux, le héros Gohar a pour modèle Fouad Yengen, personne ayant réellement existé.
Outre la transposition de la réalité et des personnes, Cossery se fait un honneur de transcrire la langue arabe d'Égypte, restituant fidèlement ses particularités et sonorités en français.
Cette restitution linguistique émaille les dialogues riches en vocabulaires purement égyptiens truffés d'expressions populaires irrévérencieuses et grivoises. « Ce qui compte, c'est le contexte des œuvres, pas la langue dans laquelle on s'exprime, les livres sont traduits et tout le monde peut les lire, mon premier livre a été traduit immédiatement en anglais et en arabe. Une langue ne suffit pas à déterminer une identité littéraire.
Même quand j'écrivais pour les journaux arabes, j'écrivais en français et on me traduisait, je n'ai rien publié en arabe. J'aime ciseler la langue française, mais c'est l'atmosphère égyptienne, l'arabe égyptien que je transpose, ce sont les formules, les adages, les tournures de mon pays natal que j'utilise... » (...) « Je n'ai pas besoin de vivre en Égypte ou d'écrire en arabe, l'Égypte est en moi, c'est ma mémoire », a déclaré Albert Cossery.
Au début des années 30, Cossery entame sa timide carrière d'écrivain. D'abord, il publie des poèmes (Morsures en 1931), ensuite des nouvelles. À la même époque, il intègre le groupe surréaliste « Art et Liberté ».
En 1936, âgé de 23 ans, paraît un de ses premiers opuscules intitulé Un homme supérieur (déjà toute une philosophie affirmée par ce titre aux prétentions aristocratiques et aux accents nietzschéens assumés), publié dans une revue francophone dénommée La Semaine égyptienne[1], éditée au Caire. En 1941 paraît, toujours dans cette même revue, son premier livre (recueil de nouvelles) : Les Hommes oubliés de Dieu.
Au cours des années 1940, il publie de nombreuses nouvelles. Dès la publication de ses premiers ouvrages, les thèmes chers à Cossery sont déjà prégnants : la vie flegmatique du petit peuple du Caire, la critique corrosive des possédants, la dénonciation incisive de toutes les aliénations, la dérision, l'éloge du dénuement et de la paresse, conçus comme art de vivre. Durant la Seconde Guerre mondiale, il est engagé comme steward sur un navire assurant la navette entre Le Caire et New York.
Dans cette dernière ville, il est interné par les autorités américaines dans un camp avec d'autres personnes suspectées d'être des communistes ou des sympathisants. Il est libéré grâce à l'intervention de son ami rencontré en Égypte, l'écrivain Lawrence Durrell. Au cours de cette période, il se lie d'amitié avec Henri Curiel (ami du peuple algérien, membre puis dirigeant du Réseau Jeanson), militant communiste anticolonialiste.
Grâce à lui, il publie son livre La Maison de la mort certaine.
Les livres de Cossery sont de plus en plus diffusés. Suite à l'intervention de son ami Albert Camus, un grand libraire-éditeur algérois, Edmond Charlot [2], publie les livres d'Albert Cossery (l'éditeur-libraire algérois, se souviendra plus tard de sa première rencontre avec l'écrivain Albert Cossery : «Lorsque je fis la connaissance de Cossery, sans doute fin 1945 ou début 1946 à Paris, je fus frappé par la silhouette fine, élégante, un brin nonchalante qui m'apparut en opposition avec un visage buriné à l'expression souvent moqueuse, qu'accentuait une sorte de moue soulignant la dérision des choses et des situations». Son ami, l'écrivain américain Henry Miller, lui consacre en 1945 un article dithyrambique dans une revue new-yorkaise.
Encensé par la critique, Cossery devient une célébrité parmi l'intelligentsia parisienne.
Le dandy parisien
En 1945, Cossery s'installe à Paris. Il habite dans le quartier de Montmartre. Il s'établit à l'hôtel La Louisiane, situé dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Il y habite jusqu'à sa mort, en 2008. A la même époque, il rencontre Monique Chaumette, une comédienne connue au TNP (Théâtre national populaire). Elle devient (brièvement) son épouse. Cossery mène une vie de bohème. Il fréquente le Tout-Paris littéraire et artistique : Albert Camus, Lawrence Durrell, Louis Guilloux, Henry Miller, Jean Genet, Boris Vian, Albert Giacometti, Juliette Gréco, Mouloudji, etc. Il croisait régulièrement Sartre : « On se saluait de la tête, on ne s'est jamais parlé. Il était entouré des femmes les plus laides du monde ». Alors qu'en ce temps-là, les femmes étaient si belles et intelligentes », a déclaré Albert Cossery.
En 1955 paraît son roman Mendiants et Orgueilleux. Il obtient un grand succès de librairie. Un temps pressenti pour le prix Goncourt, le roman n'est finalement pas sélectionné. Dans ce chef-d'œuvre, condensé de l'engagement contre l'aliénation, le récit raconte l'histoire d'un professeur devenu délibérément mendiant car «enseigner la vie sans la vivre est le crime de l'ignorance le plus détestable».
Cossery mène une vie d'anachorète. Ce pharaon de la littérature a une vie réglée comme une horloge. Il a choisi de vivre modestement. Il a vécu pauvrement, mais libre. Comme un mendiant mais orgueilleux, comme le titre d'un de ses livres. Dans une de ses déclarations d'adieu, il a confié : « J'ai vécu ma vie minute par minute ». Autrement dit, sans avoir sacrifié aucune minute au capital, sans avoir cédé à aucune forme d'aliénation, ni religieuse, ni politique, ni professionnelle. De bout en bout, Cossery est demeuré maître de sa destinée, ciseleur de sa vie artistiquement modelée par son esprit libre.
Saint-Germain-des-Prés était son immense royaume. Et ce noble prince de la royale littérature élit domicile dans une minuscule chambre d'hôtel, décrite par son ami Henry Miller dans son roman Tropique du Cancer. Ainsi, ce dandy du Nil, à l'allure d'un lord anglais, a vécu plus d'un demi-siècle dans le même banal hôtel du Quartier latin : La Louisiane, dans la chambre 58, situé dans une modeste rue fréquentée par les touristes. « Il portait avec une aisance incomparable un costume en lin couleur beige, une chemise de soie écrue agrémentée d'une cravate d'un rouge vif et des chaussures en peau de daim marron » (Les couleurs de l'infamie). En écrivant cette phrase, Albert Cossery trace son autoportrait. Selon de nombreux témoignages, Cossery, observant un rituel immuable, quitte sa chambre d'hôtel toujours vers 14 heures. Habillé comme un aristocrate, l'œil espiègle pour bien fertiliser sa curiosité littéraire par l'observation méticuleuse de ses congénères, il arpente souverainement les rues de Paris. « Marcher, marcher, c'est une chance de pouvoir marcher et de regarder la vie. Si j'avais un appartement et si je devais penser aux draps, je serais déjà mort », a déclaré Cossery. Toujours le refus consciencieux d'aliéner son existence aux routines bourgeoises.
Toujours tiré à quatre épingles, il aimait s'attabler aux mêmes terrasses de café de Paris, situées toutes en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés, pour observer avec ses yeux perçants les comportements des badauds, épingler dans sa rétine archiviste les travers des êtres humains. «Gohar vit un homme d'un certain âge, aux vêtements soignés, assis dignement sur une chaise, et qui regardait la foule d'un air détaché et royal». Ces quelques lignes, tirées de Mendiants et Orgueilleux, dessinent fidèlement le portrait de Cossery.
C'est un client fidèle du Café de Flore, de la Brasserie Lipp, Les Deux Magots, Le Bonaparte, Le chai de l'Abbaye, un amoureux impénitent du jardin du Luxembourg, etc. « C'est dans la pratique quotidienne de la rue (et des cafés) qu'on étudie la vie, pas dans les livres », aimait-il répéter. Cossery aura vécu plus de 60 ans dans son royaume de Saint-Germain-des-Prés, à l'abri de l'agitation sociale stérile et de l'affairement mercantile.
Note
[1] La Semaine égyptienne, sous-titré Organe hebdomadaire illustré de la vie artistique, littéraire, théâtrale, financière et sportive en Égypte, est un périodique francophone d'Égypte ayant paru au Caire en 1926.
[2] Edmond Charlot, né le 15 février 1915 à Alger et mort le 10 avril 2004 à Béziers (France), libraire et éditeur à Alger, Paris et Pézenas. Il a publié les premiers livres d'Albert Camus et de Mouloud Feraoun (Le Fils du pauvre). Edmond Charlot et Camus ont la particularité d'avoir eu le même professeur de philosophie, Jean Grenier, qui a encouragé Camus et Mouloud Mammeri à écrire. Edmond Charlot ouvre le 3 novembre 1936 à Alger, 2 bis rue Charras (rue Hamani), à deux pas des facultés, une minuscule librairie. Tout à la fois bibliothèque de prêt, maison d'édition et galerie d'art, elle devient l'un des principaux lieux de rencontre des intellectuels d'Alger, écrivains, journalistes et peintres.
En septembre 1961, Edmond Charlot subit, comme « libéral » opposé à tous les attentats, deux plasticages attribués à l'OAS qui détruisent la quasi-totalité de ses archives, de sa correspondance et des notes de lecture de Camus.
Papa qu'as-tu fait en Algérie ? (détail couverture du livre)
Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?: le titre de ce livre, fruit d’une enquête de cinq années à propos d’une guerre et de ses conséquences individuelles et familiales, ne peut qu’interpeller le lecteur. La démonstration est ferme, nuancée, précise. Pour celles et ceux auront le désir de s’engager dans ces 500 pages, d’autres livres peuvent être lus, sur le même sujet traité différemment. Aussi, je ponctuerai mon compte-rendu de couvertures de onze livres de fiction ou de témoignage non cités dans l’ouvrage : Favrelière (1960), Zimmermann (1961), Cabu (1973), Higelin (1987), Mattei (1994), Daeninckx et Tignous (2002), Mauvignier (2009), Jenni (2011), Tencin (2012), Serfati (2015), Giraud (2017). Ils ne contredisent pas les paroles de ceux qui ont répondu à l’enquête de Raphaëlle Branche mais les renforcent.
L’objectif de l’historienne est de retrouver les traces de la guerre d’Algérie dans les familles : l’enquête porte sur le soldat lui-même mais aussi ses proches : « Comprendre ce qui s’est joué dans les familles et comment la guerre a été vécue puis racontée et transmise, c’est éclairer d’une manière inédite la place de cette guerre dans la société française ». Il n’y a pas de vérité inscrite dans le marbre mais un récit évolutif de 1962 à aujourd’hui ; jusqu’en 2000, ce qui a été dominant est le silence : « ce sont des silences familiaux, au sein d’une société française longtemps oublieuse de son passé algérien ». Pour mener à bien ce travail, il faut cerner le dit et le non-dit dans les familles et pour cela, la recherche s’appuie sur l’analyse d’autres guerres : les deux conflits mondiaux et la Shoah, la guerre des États-Unis au Viêt Nam, la guerre de l’URSS en Afghanistan et le retour des soldats soviétiques.
Raphaëlle Branche rappelle d’entrée de jeu que la guerre qui se mène en Algérie est une guerre coloniale dans une colonie de peuplement. L’engagement dans l’armée française a touché toute une génération avec son 1,5 million de conscrits. La fin de cette guerre est une « défaite fondatrice » pour la France. L’enquête se centre sur le soldat et ses proches puisque ces derniers l’observent à son retour à partir d’éléments concrets comme les objets rapportés, les maladies (paludisme, par exemple), les cauchemars, une sensibilité différente, des goûts nouveaux. La correspondance a une place à part. L’enquête concerne l’adelphie, terme venu de la botanique venant ensuite désigner ensuite les enfants d’une même fratrie : Jusqu’à récemment, le mot adelphe était peu utilisé en ce sens, mais il a été repris par la communauté LGBT+ parce qu’il présente la particularité de désigner une personne sans indiquer son genre. Le Conseil Constitutionnel, en 2015, a proposé de conduire une réflexion sur l’usage du terme « fraternité » dans la devise de la République, suggérant « aldelphité » (et « solidarité ») parmi les alternatives.
Trois cents questionnaires ont été envoyés : 39 familles ont répondu et c’est sur ces réponses que l’enquête s’appuie, en s’aidant également d’une enquête orale réalisée en 2005 par Office National des Anciens combattants ainsi que la consultation d’associations ou d’ouvrages se basant sur les méthodes de l’enquête orale comme ceux de Claire Mauss-Copeaux, Appelés en Algérie. La parole confisquée (1999) et Florence Dosse, Les Héritiers du silence. Enfants d’Appelés en Algérie, en 2012.
Les familles sont de deux sortes : la famille de l’Appelé célibataire quand il part et la famille qu’il crée à son retour : « ce sont en particulier ces nouvelles familles qui donnèrent son visage à la France des années 1960 et continuent à la marquer depuis » (17). Ont été exclus du corpus d’étude les conscrits nés en Algérie et aux Antilles ou des militaires de carrière, dans un souci d’homogénéité. L’historienne pense pouvoir participer ainsi à une « Histoire de la France contemporaine » car s’il y a divergences d’un cas à l’autre, il y a aussi des caractéristiques communes : une même génération au sens sociologique, « un destin commun » ; une « normalisation de l’expérience militaire par les familles, sur fond d’indifférence tranquille » ; ces familles se trouvent à une « articulation d’une mutation majeure de la société française » car elles sont prises dans un cadre renouvelé, dans les années 1960, du couple et de la famille. Ce n’est qu’aux deux tiers de son étude que Raphaëlle Branche précise ce que le lecteur a pu déjà constater : « L’étude ne peut être que qualitative et on se gardera de toute généralisation ou même d’estimation chiffrée. Il s’agit plutôt de se demander si des gestes ou des paroles ont été insérés dans une normalité comportementale masculine après la guerre et s’ils ont été identifiés dans les familles, comme renvoyant à l’expérience algérienne » (331). L’ouvrage lui-même se construit chronologiquement en trois grandes parties : le temps de « la guerre » (près de 200 pages) ; les premières années du « retour » (155 pages) ; les transmissions postérieures (« l’héritage », 90 pages). Il n’est pas dans mon propos d’entrer dans la minutie et la précision de cette enquête mais de pointer ce qui m’a retenue dans cet ouvrage exceptionnel.
La guerre
Il faut tout d’abord cerner ce qu’est une génération. Les Appelés qui partent en Algérie sont des enfants qui ont grandi à l’ombre des deux guerres mondiales : la mère est généralement au foyer, le père est l’autorité qui, dans ces années, va être ébranlée. Le fils a une obéissance filiale. La position des garçons n’est pas celle des filles. Partir à la guerre, c’est faire son devoir. Le service militaire obligatoire n’est pas contesté donc partir dans ces années-là en Algérie apparaît comme une situation normale d’autant que le danger n’est pas évident. Il est rappelé aussi que le droit à l’objection de conscience n’existe pas. On compte, dans la guerre d’Algérie, 1 % de réfractaires. Le PCF n’encourage pas au refus. Il est intéressant de lire à ce sujet les ouvrages de Tramor Quemeneur (2007) et de Marius Loris (2018). La conscience que c’est une guerre et qu’on peut y mourir vient lentement et progressivement de 1959 à 1961. Le récit de Noël Favrelière, en 1960, Le Désert à l’aube, est quasiment une exception.
Les Appelés ont le souci de garder un vrai contact avec la famille par les lettres. La correspondance a une importance extrême. Avoir du courrier, c’est rompre la solitude. Le téléphone est peu utilisé car il n’a pas du tout la même facilité d’usage qu’aujourd’hui. Le télégramme est réservé aux urgences. Cet entretien régulier des relations familiales passe par la lenteur du courrier, par les colis qui contiennent nourriture, journaux, livres ; par la fréquentation de l’aumônier. Les lettres aux femmes aimées sont plus nombreuses que celles à la famille.
L’Appelé apprend aussi à partager son temps entre ennui et violence car l’arrivée en Algérie lui a montré qu’il ne participait pas à un simple maintien de l’ordre : il affronte très vite la réalité de la guerre. Aussi le calendrier d’avant la guerre est complètement chamboulé : le retour, le métier, le mariage, les enfants à venir. L’abstinence sexuelle est la règle. Les Appelés arrivent dans un pays que, comme la majorité des Français, ils ne connaissent pas : cette réalité méconnue est, au mieux, « exotique ». Ils sont frappés par la lumière et les couleurs – l’Algérie est un beau pays –, mais aussi par la misère de la population. Ils envoient des cartes postales. Ils ont des appareils photos de plus en plus perfectionnés. Ils rapporteront des objets qui, selon les familles, auront une valeur symbolique différente : tapis, poufs, poteries, cuivres, bijoux. On ne considère pas cela comme des cadeaux : le cadeau est que le soldat revienne vivant. Pendant un certain temps, la guerre elle-même est perçue dans du flou : dangereuse et non dangereuse.
Au fur et à mesure aussi des correspondances, on choisit ce que l’on dit aux familles car le soldat côtoie la mort et la honte. Seuls quelques journaux intimes lus montrent que c’est là que s’écrit l’impensable et l’insoutenable : « L’écriture intime offre une protection à ceux qui la pratiquent. Elle est une digue perpétuellement dressée face à un environnement qui peut attaquer leurs valeurs les plus profondes, leur estime d’eux-mêmes, leur confiance en eux et en l’humanité » (197). Le récit du pire est, en général, contrebalancé par une phrase affirmant que le FLN en fait autant. C’est donc dans ces journaux intimes que se disent les tortures et les violations des droits humains. Plus rares sont ceux qui prennent des photos-témoins. Les sentiments qui dominent sont la honte et la lâcheté. Beaucoup ne comprendront jamais ce qui se joue réellement en Algérie.
Le Retour
Au retour, la plupart d’entre eux se fixent d’oublier cette période car l’objectif essentiel est d’être rentré sain et sauf : « Rien n’est plus difficile à réussir qu’un retour ; il y faut une grande force d’oubli : ne pas réussir à oublier son dernier passé ou le dernier passé de l’autre, c’est s’interdire de recoller au passé antérieur » a écrit Marc Augé dans Les Formes de l’oubli. Le souci de la majorité des soldats libérés est de mettre l’expérience algérienne derrière eux pour se remettre en lien avec les leurs. Le plus difficile souvent est de casser les liens tissés dans l’armée ; certains ont, en le faisant, un sentiment d’abandon. Cette « fraternité » est bien rendue dans le récit de Georges Mattéi en 1994.
Le retour se fait en trois phases : les retrouvailles, la reprise d’une activité professionnelle (le choix surtout car le chômage est très bas donc ils trouvent du travail), l’engagement dans une vie de couple. Raphaëlle Branche cite alors l’exemple – première fiction évoquée (232) –, du film Les Parapluies de Cherbourg, en 1964, premier et rare film à évoquer la guerre d’Algérie comme le rappellent quelques éléments du synopsis :
« Première partie : le départ Cherbourg en novembre 1957. Geneviève est amoureuse de Guy, mécanicien dans un garage. Sa mère désapprouve la relation quand elle l’apprend. Il est alors appelé pour faire son service militaire en Algérie. Les deux amoureux, qui se sont promis un amour éternel, se font des adieux poignants sur un quai de gare Deuxième partie : l’absence Affecté à un secteur dangereux, Guy écrit rarement. Enceinte, désemparée parce qu’elle a peu de nouvelles, Geneviève épouse Roland Cassard. Ils quittent Cherbourg pour s’installer à Paris. Troisième partie : le retour Blessé à la jambe, Guy est démobilisé en mars 1959 après un séjour à l’hôpital. Rentré à Cherbourg, il découvre ce qui s’est passé en son absence. Il épousera Madeleine ».
Dans son enquête, l’historienne relève que c’est la même injonction qu’on retrouve, quelles que soient les trajectoires personnelles, familiales et sociales : « Il faut regarder vers l’avenir ». Avec les ascendants masculins, particulièrement, il y a une sorte de contrat implicite : « la guerre est dure ; d’autres l’ont connue. Il ne faut pas en parler ». Une des épouses de l’enquête confie : « J’ai épousé un homme qui n’était plus mon fiancé d’avant la guerre […] J’ai épousé un homme que je ne connaissais pas ». Le soldat qui revient découvre tous les changements qui affectent alors la société française tant dans le monde agricole que dans le monde industriel. Deux faits peuvent être rappelés qui soulignent les changements : depuis 1965, les droits des femmes s’affirment et, en 1970, l’autorité paternelle est effacée au profit de l’autorité parentale. Les permissions dont ont bénéficié les soldats n’ont pas réduit l’écart mais tous espèrent que le retour définitif changera cela. Mais, dans la majorité des cas, cela ne se produit pas. Les proches remarquent des changements physiques et psychologiques. Ils sont nerveux, bagarreurs, déphasés comme s’ils avaient intégré en eux la violence de la guerre. Un récit de 2012 de Claire Tencin en donne un exemple fort. Le retour n’est pas la fin de la guerre – concrètement, la guerre continue en Algérie –, ils ne sont pas accueillis en héros dans leurs villages mais dans la discrétion ou l’indifférence. Quelques-uns vont s’engager à leur retour soit pour l’indépendance de l’Algérie, soit pour témoigner de ce qu’est cette guerre. C’est ce que fait Daniel Zimmermann, en 1961, avec un texte qui sera très vite saisi et interdit : 80 exercices en zone interdite.
Mais ces engagements sont rares et réprimés. La fin de Corvée de bois de Didier Daeninckx et Tignous en donne un exemple saisissant, en 2002. Il a fallu attendre 1974 pour que le statut d’anciens combattants soit reconnu aux Appelés de la guerre d’Algérie car il n’y a pas eu, dans l’immédiateté, reconnaissance de cette expérience collective qui a cimenté une génération. Il n’y a pas eu de communion collective par rapport à cet engagement : « Le lien armée-nation est réduit à une contrainte dont le sens survit socialement, mais qui ne résonne plus avec les valeurs de la nation ou le fondement d’une communauté politique clairement identifiée ».
L’état de guerre a été nié et remplacé par la notion de « maintien de l’ordre » ; il n’y a pas eu de mobilisation générale mais des vagues successives de services militaires. Aussi au retour, beaucoup ressentent solitude et injustice. Et pour ceux qui rentrent après le cessez-le-feu, c’est encore pire puisque c’est un retour d’une guerre perdue comme l’Algérie est perdue. On note « l’indifférence de l’institution militaire » et ce déni de guerre a de nombreuses implications que l’on peut comprendre si on compare avec les deux conflits mondiaux.
Raphaëlle Branche cite alors un second exemple fictionnel, le récit de Philippe Labro, Des Feux mal éteints, en 1967 qui demande la reconnaissance du statut d’Anciens combattants : « Tous des anciens combattants ! Ils ne portaient ni béret, ni brassard, ils n’iraient ranimer aucune flamme sous aucun arc de triomphe, mais chez tous il y avait quelque chose de changé […] Quelque expérience qu’il ait eue, à peine en était-il sorti que chaque bidasse se voyait enveloppé dans le silence et dans l’oubli, car aucun adulte ne voulait franchement assumer la responsabilité de l’avoir envoyé là-bas, n’acceptait de préciser au nom de quoi cet enfant avait vécu ce qu’il avait vécu ». L’historienne rappelle aussi, qu’en 1966, La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo n’a été acceptée par aucun distributeur. Alexis Jenni, Prix Goncourt 2011, lui a réservé une critique au vitriol dans L’Art français de la guerre, preuve s’il en est que le matériau traité ne passe toujours pas ! L’année après son récit, Philippe Labro fait un film avec une conclusion lapidaire : « Je pensais qu’ils avaient en Algérie perdu leur jeunesse et leur innocence. Qu’avaient-ils gagné ? ». Cabu invente son personnage « Le Beauf » qu’il définit ainsi : « L’ancien d’Algérie dans son aspect le plus négatif ». En 1972, René Vautier sort un film, Avoir vingt ans dans les Aurès, inspiré de l’expérience de Noël Favrelière ; en 1973, Yves Boisset, RAS. Les débats houleux qu’ils déclenchent montrent combien le sujet est encore brûlant.
Livrés à eux-mêmes sans suivi psychiatrique ou autre, les Anciens d’Algérie avancent comme ils le peuvent soit en rompant avec leur vie antérieure et en prenant un autre chemin de vie, soit en s’enfonçant dans les aspects les plus négatifs de l’expérience, soit en prenant des positions antiracistes : pour certains, vis-à-vis des Algériens qui viennent en France après 1962, il y a une volonté de réparation. Il manque trop d’éléments dans l’enquête pour s’interroger sur névrose et trauma. Les intéressés et les proches notent des télescopages inattendus avec des sons, des paysages, des rencontres d’Algériens qui sont les signaux d’un danger, d’une menace. Un racisme tenace s’installe. On note des cauchemars, l’alcoolisme, la violence, les dépressions, les suicides. En 2009 d’abord avec Des hommes de Laurent Mauvignier puis en 2015, avec celui de Michel Serfati, Finir la guerre, on affronte souffrances et vérités.
L’Héritage
Le père est désormais à inventer d’autant que le désir d’enfant change, début 1970, avec la contraception aussi bien pour les hommes que pour les femmes : « les fondements de la famille française » bougent et, dans cette partie, la recherche s’appuie sur d’autres recherches qui n’ont pas été focalisées sur la guerre d’Algérie. L’épisode algérien se dit par bribes mais rarement dans un récit continu. A l’âge de la retraite, certains pères se livrent plus, en particulier à partir des années 1990 ; et à partir des années 2000, la guerre d’Algérie est plus visible dans l’espace public : « Les pères qui le souhaitent peuvent alors prendre le temps de retrouver la voie des mots ». Certains ont donné des prénoms en lien avec l’Algérie comme Myriam, Olivier. Pour ces enfants, ce qu’ont raconté les pères ne leur permet pas de lier : avoir été en Algérie et guerre. Les objets sont là. Le couscous fait son entrée à la table familiale, des mots d’arabe. Ce n’est que lorsque les enfants comprennent qu’il y a eu guerre que la question qui donne son titre à l’ouvrage, peut être posée (389). Les enfants ont d’autres représentations de la guerre d’Algérie dans une société qui s’intéresse de plus en plus à son passé algérien. Cette visibilité de la guerre d’Algérie est favorisée par la télévision : ainsi, en 1982 le documentaire en 3 parties de Denis Chegaray, « Guerre d’Algérie – Mémoire enfouie d’une génération ». Dès 1983, on enseigne la guerre d’Algérie dans les classes de terminale. En 1992, le film de Bertrand Tavernier, La Guerre sans nom, révélant au grand public la torture, est un électrochoc.
Bien entendu cela ne libère pas une narration continue, une représentation complète. Ce qui se dit, ce sont des « cryptes », « des morceaux d’expérience enfermés à l’intérieur de la personnalité d’un individu » selon la définition de Nicolas Abraham et Maria Torok : « ce qui est encrypté doit être remis en mots, re-lié pour apparaître au grand jour ». L’ouvrage note aussi que, depuis les années 1980 et surtout les années 1990, les psycho-traumatismes de guerre sont reconnus et l’ouvrage de Bernard W. Sigg, Le Silence et la honte en 1988, a été primordial. Les années 2000 marquent un tournant. Les enfants entrent dans le processus de transmission : « il s’agit plus radicalement de s’interroger sur la capacité des générations à communiquer entre elles, quand ceux qui échangent dans un présent donné se rattachent à des temporalités différentes, notamment dans leurs socialisations primaires et leurs expériences fondatrices ». L’enquête a montré qu’au sein d’une même adelphie, images et représentations divergent et cela n’est pas dû seulement à un fonctionnement interne aux familles mais aussi à ce qui vient de l’extérieur.
Dans le binôme guerre/père, se glissent de nombreuses ambivalences : racisme ≠antiracisme, pour ou contre l’armée. La distance qui s’est installée par rapport à ce passé du père devient un réflexe de mise à distance ou, au contraire, une recherche de proximité, en évitant de remettre en cause l’équilibre familial car lorsque les questions sont trop frontales, elles peuvent provoquer une rupture irréversible.
Ce n’est qu’en 1999, que l’État français reconnaît qu’une guerre a bien eu lieu et pas seulement des « événements ». La torture revient aussi sur le devant de la scène avec le témoignage de l’Algérienne Louisette Ighilahriz et tout ce qu’il déclenche. Mais la question au père : « as-tu torturé ? » ne sera pas posée : « La place de la guerre d’Algérie est un scotome. Ce qu’on ne voit pas et qui est pourtant au centre » (431). Il faut attendre la mort du père pour que des fictions puissent s’écrire : les représentations sont alors élaborées à partir d’une « post-mémoire » comme dans le récit de Brigitte Giraud qui touche plusieurs constats de l’enquête, en 2017.
La conclusion à laquelle parvient l’enquête, à propos des Anciens d’Algérie est que « leurs écrits et leurs paroles (sont) conditionnés par la nature des liens avec leurs proches et leur désir de les préserver « (461). On ne peut donc parler des silences des pères mais des silences des familles. On peut discerner trois configurations : la première c’est lorsque l’expérience de guerre et la famille sont « en consonance ». Il y a alors « un profond partage familial ». Les deux autres configurations, c’est lorsque expérience et famille sont « en dissonance » : les silences peuvent être alors de protection et la possibilité de les dépasser ; ou alors de les dire et de les maintenir au risque de l’équilibre familial. À partir de 2000, des récits s’écrivent et vont s’écrire. « Finir la guerre », écrivait Michel Serfati : peut-être pas vraiment encore !
Raphaëlle Branche, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? – Enquête sur un silence familial, La Découverte, septembre 2020, 507 p., 25 €— Lire un extrait
Le chef de l’Etat a déploré les « massacres » de la fusillade d’Isly à Alger et du 5 juillet 1962 avant de plaider pour une « reconnaissance » par la France des deux évènements.
Le président Emmanuel Macron prononce un discours lors d’une réunion avec les représentants des familles des rapatriés d’Algérie de 1962, le 26 janvier 2022 à l’Elysée,. (LUDOVIC MARIN/AFP)
Emmanuel Macron a adressé un geste fort ce mercredi 26 janvier aux rapatriés d’Algérie en qualifiant d’« impardonnable pour la République » la fusillade de la rue d’Isly à Alger en mars 1962, et en estimant que le « massacre du 5 juillet 1962 » à Oran devait être « reconnu ».
Devant un parterre de rapatriés réunis à l’Elysée, le chef de l’Etat est revenu sur la fusillade de la rue d’Isly, dans laquelle des dizaines de partisans de l’Algérie française furent tués par l’armée en mars 1962.
« Ce jour-là les soldats français déployés à contre-emploi, mal commandés, ont tiré sur des Français (…) Ce jour-là ce fut un massacre », a déclaré Emmanuel Macron, ajoutant que « 60 ans après » ce « drame passé sous silence », « la France reconnaît cette tragédie ».
« Ce massacre est impardonnable »
« Et je le dis aujourd’hui haut et clair : ce massacre du 26 mars 1962 est impardonnable pour la République. Toutes les archives françaises sur cette tragédie pourront être consultées et étudiées librement », a-t-il encore assuré.
Evoquant la « surenchère atroce d’insécurité et de violence », « d’attentats et d’assassinats » qui scandèrent la fin de la guerre d’Algérie, Emmanuel Macron a également exhorté à reconnaître et « regarder en face » le « massacre du 5 juillet 1962 » à Oran, qui toucha « des centaines d’Européens, essentiellement des Français ».
« Ce massacre doit être regardé en face et reconnu », a-t-il tranché. « La vérité doit être de mise et l’histoire transmise », a insisté le chef de l’Etat.
Face aux rapatriés, Emanuel Macron a aussi souligné la difficulté de « ces mois d’adieu et de déchirure » qui ont frappé des milliers de familles.
Vers une « réconciliation »
« Votre arrivée en métropole est un soulagement car vous vous savez ici en sécurité, mais elle n’est pas une consolation, car vous vous sentez vite incompris, méprisés pour vos valeurs, votre langue, votre accent, votre culture », a rappelé le chef de l’Etat, déplorant que « la plupart » se soient « heurtés à l’indifférence quand ce n’était pas aux préjugés ».
« Il y a 60 ans les rapatriés d’Algérie ne furent pas écoutés. Il y a 60 ans ils ne furent pas reçus avec l’affection que chaque citoyen français en détresse mérite », a ajouté le chef de l’Etat.
Et désormais « le chemin qu’il nous revient de faire est celui de cette réconciliation », a plaidé Emmanuel Macron.
Cette « reconnaissance » s’inscrit dans une série d’actes mémoriels, depuis le début du quinquennat et à l’approche du 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie avec les Accords d’Evian puis l’indépendance de ce pays le 5 juillet 1962.
Le 20 septembre 2021, le chef de l’Etat avait demandé « pardon » aux harkis, supplétifs algériens de l’armée française, qui furent « abandonnés » par la France. Un projet de loi, actant ce « pardon » et tentant de « réparer » les préjudices subis, est en cours d’examen au Parlement et devrait être adopté d’ici la fin du mois de février.
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