Dans une tribune, Tawfiq Belfadel, écrivain et chroniqueur algérien, fondateur-directeur du magazine littéraire « Lecture-Monde » et auteur de « Sisyphe en Algérie » (Samar, 2017), revient sur l'influence des islamistes dans les écoles algériennes, à la lumière d'un incident qui a récemment défrayé la chronique.
Un évènement survenu récemment dans un lycée de l’ouest algérien ne cesse depuis d’enflammer la Toile. Lors d'un cours, un jeune professeur suppléant à la barbe dense a conseillé à une élève de porter la tenue convenable, dictée par la charia, c’est-à-dire le voile. La tenue de l'élève était indécente et attirante, selon lui. Le père de la jeune fille est ensuite intervenu et le directeur a licencié l’enseignant. Invité par diverses télévisions, évoqué amplement sur Internet, le professeur est devenu une star nationale. Cette histoire représente une occasion de réfléchir sur l’état de l’école en Algérie et les États qui lui ressemblent.
Bien qu’il choque dans d’autres pays, cet évènement à caractère extrémiste est fréquent et insignifiant en Algérie, à l’école et même à l’université : interdiction de jupe courte, campagne de hijabisation, installation d’espaces pour la prière dans les établissements publics, fatwas extrémistes… Le jeune homme en question ne mérite pas le mot « enseignant ». Il s'agit plutôt d'un moralisateur-prédicateur à l’image de ces muftis du Golfe, esclaves des princes corrompus. L’école algérienne assure éducation et apprentissage certes. Mais par « éducation », on entend la diffusion des valeurs universelles tels que le respect, la tolérance, la fraternité, l’écocitoyenneté…
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L’extrémisme islamique – l’islamisme – est avant tout un ensemble de confusions et d’hypocrisies. Pour les extrémistes musulmans, comme ce jeune homme, l’éducation, c'est la diffusion de la charia islamique. Autrement dit, apprendre aux enfants à porter le voile intégral et le qamis – vêtement long traditionnel – croire en l’exorcisme avant la médecine, penser au Paradis avant le présent, haïr l’Occident sans raison, différencier le halal – le licite – du haram – l'interdit – …
Certes, l’islam fait partie des valeurs de l’école algérienne en plus de l’arabité, l’amazighité (l'identité berbère) et l’ouverture sur l’universel, comme le dicte bien un grand texte législatif : la loi d’orientation, texte fondateur de l’école qui inspire les programmes scolaires. Pour les extrémistes, comme ce « professeur », l’islam est synonyme de charia islamique, ce qui est faux et même un crime contre l’islam lui-même.
L’islam est une religion, un lien spirituel entre la créature et Allah (Dieu). Ce lien est intime, abstrait, transcendant, tissé par la foi. La charia est la fabrication des muftis et imams intégristes stipulant, tel un code pénal, ce qui est permis et ce qui est interdit. La charia a travesti l’islam en le déspiritualisant. Certaines de ses prescriptions n’ont aucune référence dans le Coran ou la vie du prophète Mahomet. Par exemple, selon la charia, la femme ne doit pas conduire une voiture, le citoyen doit obéir au président/roi du pays même si c'est un dictateur, l’habit obligatoire des femmes est le voile intégral de couleur noire. Voilà ce qu'est la charia : le délire humain incarné en loi.
NOTION RELATIVE
En Algérie, dans le programme de la matière « éducation islamique » des différents cycles, il est question de mémorisation et d'analyse de quelques versets du Coran et d’étude des valeurs comme le respect, le bon comportement, la solidarité… Ce qui signifie, pas de place à la morale ! La législation scolaire interdit également toute propagande à l’école, qu’elle soit religieuse, politique ou sportive. D’un point de vue pédagogique et législatif, le « professeur-prédicateur » n’a pas respecté le programme. Son licenciement est bien mérité.
Même la notion de hijab ou voile islamique est relative, devenue complexe à cause des nombreuses interprétations subjectives des donneurs de fatwas. Le mot « hijab » veut dire « voile », c’est-à-dire tout ce qui voile le corps comme la robe, la veste, la chemise, le pantalon…
Cela change d’une culture à l’autre et précède même l’avènement de l’islam. Chez les Touaregs, les hommes se voilent le visage avec le chèche et les femmes sortent le visage découvert. Le sari indien, le haïk algérien, le boubou africain sont autant de voiles… Ce qui veut dire que le voile est une tradition vestimentaire, pas une obligation religieuse. Le reste n'est que du délire humain qui a inventé des dimensions et des styles : niqab, tchador…
En outre, parmi les finalités de l’école algérienne citées dans la loi d’orientation, on trouve la formation à la citoyenneté. Les enseignants forment les futurs citoyens du pays, pas des imams ou des muftis ou des éléments de guerre au nom d’Allah. C’est plutôt ce jeune « professeur-prédicateur » qui a besoin de conseils. S’il assume son extrémisme, il pourra ouvrir une boutique de vêtements salafistes ou devenir maître d’école coranique.
« MÉCRÉANTISER » L'ÉCOLE
Si l’école algérienne est devenue une usine de la propagande salafiste, elle véhicule aussi un courant misogyne. Le « professeur-prédicateur » n’a pas osé conseiller les garçons qui fument et viennent avec des vêtements et coupes contraires aux règlements intérieurs de l’école. Il ne leur pas non plus conseillé de baisser leur regard devant les femmes, comme c’est écrit dans le Coran. La société algérienne est machiste depuis la nuit des temps et ce machisme héréditaire se diffuse à l’école. Autre exemple : quand le professeur ou le surveillant surprend un garçon et une fille en train de parler d’amour dans un coin discret, il relâche le petit mâle et accuse la fillette de tous les maux et va jusqu’à déclarer le « crime » au père (machiste par naissance).
En plus du comportement de ces enseignants à la tête intégriste-machiste, il faut prendre en compte le programme scolaire qui n’œuvre pas à l’égalité des sexes et à la culture féministe. L’ancienne ministre de l’Éducation, Nouria Benghabrit, travaillait à révolutionner l’école en déconstruisant les clichés. Malheureusement, elle a été écartée assez rapidement. La majorité du peuple ne voulait pas d’une femme à la tenue « indécente », aux cheveux courts, et surtout aux origines troubles. Elle était aussi accusée surtout de « mécréantiser » l’école. Au lieu de juger son excellent travail suivant les dernières théories psychopédagogiques et didactiques, on regardait sa tenue et sa généalogie. Mais jamais le peuple n’ose juger les ministres hommes qui distribuent le bac avec une note de 9 sur 20, qui ruinent l’école sur tous les plans, et qui ne savent pas non plus parler en arabe classique dans les cérémonies officielles. Quelle hypocrisie !
L’école est la moelle épinière de la société. C’est elle qui forge le citoyen de demain. Si elle était en panne, elle produirait des criminels, des corrompus, des terroristes… Pour éliminer ces deux fléaux que sont l’extrémisme et la misogyne, deux propositions sont possibles : adopter des lois qui pénalisent tout acte extrémiste (la propagande, les campagnes intégristes…) et encourager la culture féministe à travers le programme scolaire. Par exemple, insérer dans les projets d’apprentissage des leçons sur les figures féministes, les gestes d’égalité, l’histoire du combat féminin… L’école algérienne est en danger. Il faut la sauver pour sauver le pays !
Par Tawfiq Belfadel
Publié le
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