Des harkis à cheval participent à un défilé militaire à Alger en 1957 pour commémorer la fin de la Seconde Guerre mondiale (Jacques Grevin/AFP)
Peu répandu dans le monde, le terme « harki » est chargé de controverse en France et en Algérie.
Issu de l’arabe harka (mouvement), il désigne les musulmans algériens restés fidèles à la France pendant la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, ainsi que leurs descendants qui résident encore aujourd’hui en France et en Algérie.
Parmi les Algériens, ce qualificatif a des connotations péjoratives, puisque ceux qui ont suivi la France pendant la lutte pour l’indépendance sont considérés comme des traîtres. Au sein de l’élite française, ce mot rappelle l’indifférence du pays à l’égard des non-Européens qui se sont battus pour préserver son empire.
Alors que les « pieds-noirs », les colons français en Algérie, ont été évacués après les accords d’Évian qui ont précédé le retrait français, les harkis ont été délibérément abandonnés au milieu d’une population qui les considérait comme une cinquième colonne déloyale.
Ceux qui ont pu quitter l’Algérie avec l’aide d’officiers français compatissants ont été envoyés dans des camps d’internement.
Alors que les dirigeants français qui se sont succédé ont cherché à tirer un trait sur cet épisode et fait l’éloge du rôle joué par les harkis dans l’occupation de l’Algérie, de nombreux membres de la communauté estiment que l’État français n’en a pas fait assez pour se racheter.
Ce sentiment a été mis en évidence lors d’un discours prononcé en septembre par le président Emmanuel Macron à l’Élysée devant un public de harkis, dans lequel il a exprimé sa détermination à agir davantage en faveur de la communauté.
Lors de ce discours prononcé quelques jours avant la Journée nationale d’hommage aux harkis, il a été interpellé par une fille de harki en larmes qui a dénoncé l’inaction de l’État. « Je ne fais pas de promesses en l’air », s’est-il défendu.
« Honorer les traîtres »
Chaque année depuis 2003, le 25 septembre, la France rend hommage au rôle joué par les harkis durant la guerre d’Algérie. Cette fois-ci, Emmanuel Macron a concédé que la France avait « manqué à ses devoirs envers les harkis, leurs femmes, leurs enfants ».
Le chef de l’État s’est ainsi engagé à présenter un projet de loi reconnaissant la responsabilité de l’État envers les harkis et prévoyant des « réparations » pour le sort qu’ils ont subi au fil des décennies.
Mais jusqu’à présent, les harkis affirment n’avoir guère reçu que des platitudes.
« Nous avons espoir que vous serez celui qui mettra fin à 60 ans d’une certaine hypocrisie consistant à reconnaître l’abandon des harkis dans les discours mais à la refuser dans une loi », indiquait une lettre ouverte publiée en amont du discours d’Emmanuel Macron en septembre.
À l’autre bout du spectre, la colère persistante envers les harkis en Algérie se manifeste encore aujourd’hui : le Front de libération nationale (FLN), qui a lancé la guerre d’indépendance en 1954, a accusé Emmanuel Macron d’« honorer les traîtres » et de tenter de créer « un colonialisme civilisé, qui ne peut effacer l’ampleur de la barbarie qui a laissé des millions de martyrs et de victimes de l’oppression coloniale ».
La lutte pour l’indépendance de l’Algérie a coûté la vie à environ 1,5 million d’Algériens, selon le FLN.
Middle East Eye s’intéresse à l’histoire de la communauté harkie, de sa formation pendant la guerre d’Algérie à sa lutte pour être reconnue dans la France contemporaine.
Éclaireurs, fantassins, travailleurs manuels
Peu après l’annonce par le FLN du début de sa campagne pour l’indépendance, le 1er novembre 1954, les officiers français ont commencé à armer les musulmans loyalistes et à les charger de protéger les infrastructures civiles dans un contexte de chaos croissant dans les régions rurales de l’Algérie, ce qui a donné lieu à la formation des premières unités en 1955.
Les harkis se distinguaient des élites musulmanes qui ont opté pour la nationalité française avant 1954 du fait de leur origine sociale et de l’absence d’intégration au sein des forces armées françaises.
Ainsi, la recrue type était généralement un individu sans éducation et issu d’un milieu paysan dont les préoccupations en matière de stabilité financière et de sécurité prenaient le pas sur les débats sur l’indépendance.
Ils servaient en tant qu’auxiliaires, faisant office d’éclaireurs, de fantassins et de travailleurs manuels.
Avant 1961, date à laquelle les harkis se sont vu accorder un statut légal, nombre d’entre eux avaient été recrutés indépendamment par des commandants français pour des contrats à court terme, dans des conditions d’emploi vagues et sans garantie d’avantages futurs.
À la signature des accords d’Évian en mars 1962, deux mois avant la déclaration d’indépendance du 5 juillet, 58 000 Algériens sur un total de 260 000 avaient servi les Français sur le plan militaire ou bureaucratique.
À l’approche de la fin de la guerre, la France a commencé à démobiliser des milliers d’auxiliaires algériens pour récupérer des armes et des fournitures.
Trois options s’offraient alors aux harkis : être enrôlés dans l’armée française à un grade inférieur et stationnés en Europe sans leur famille, retourner à la vie civile avec une prime calculée en fonction de la durée du service ou être affectés à des postes de non-combattants.
Ceux qui ont choisi la deuxième option espéraient retrouver leur village et leur ancienne vie. Mais leur décision de combattre aux côtés de la France n’était pas passée inaperçue.
Contrairement à la croyance populaire selon laquelle tous les harkis restés en Algérie ont été massacrés, l’historien Arthur Asseraf affirme que « ce ne fut pas le cas, bien qu’il y ait eu beaucoup de violence ».
Les estimations du nombre de harkis tués en Algérie varient entre 75 000 et 150 000, la majorité des représailles violentes étant le fait de civils cherchant à venger des proches assassinés ou torturés.
Le FLN et son bras armé, l’Armée de libération nationale (ALN), ont dans un premier temps fait preuve de compassion envers les harkis et se sont montrés prêts à les pardonner s’ils rejoignaient l’ALN, affirmant qu’ils avaient été « trompés par l’ennemi ».
Vengeances personnelles
Toutefois, dans le climat tendu qui a suivi la guerre, les vengeances personnelles ont pris le dessus et des individus ont souvent été accusés à tort d’avoir trahi leur pays et ont retrouvé leur nom sur des listes noires établies pour localiser les harkis.
Les harkis ostracisés qui ont fui en France avec leur famille ont été stigmatisés en raison de la honte associée à leurs actes et beaucoup n’ont pas pu rentrer au pays compte tenu des difficultés qu’ils auraient rencontrées auprès de leurs compatriotes.
La stigmatisation persistante associée à l’identité harkie s’est par exemple manifestée en 2000 lorsque le président de l’époque, Abdelaziz Bouteflika, a suscité l’indignation lors d’une visite à Paris en comparant les harkis aux collaborateurs qui ont aidé les nazis et en excluant un retour en Algérie, tout en reconnaissant néanmoins les mauvaises conditions dans lesquelles ils vivaient en France.
Le dirigeant est revenu sur sa position en 2005 en reconnaissant les erreurs commises « à l’encontre des familles et des proches des harkis ».
En raison d’un niveau élevé d’analphabétisme et d’aliénation sociale tant en Algérie qu’en France, les harkis n’ont pas été en mesure de produire un corpus conséquent détaillant directement leurs expériences. En France, ils étaient relégués au rang de sous-produits largement ignorés de la tentative manquée d’incorporation de l’Algérie initiée par l’État, tandis que dans leur pays d’origine, la stigmatisation associée à cette « trahison » leur offrait peu de possibilités d’avancement social.
Les Mémoires de Saïd Ferdi, publiés en 1981, ont été l’un des premiers témoignages publiés par un harki et ont initié une vague de littérature secondaire sur les harkis, notamment les écrits de Dalila Kerchouche et Fatima Besnaci-Lancou, deux filles de harkis qui ont cherché à mettre en lumière l’expérience des harkis auprès du public français.
Une carte politique utile
Après avoir quitté l’Algérie, plus de 42 000 harkis sont passés par des camps d’internement dans le sud de la France entre septembre 1962 et décembre 1964.
« On les décourageait de venir et leur accueil n’avait pas été véritablement planifié », explique Arthur Asseraf.
« [Les camps] étaient censés être temporaires, mais cela a parfois duré plusieurs années. Ils étaient souvent relogés dans des villages forestiers très ruraux et reculés, afin d’être éloignés des villes et d’éviter les troubles avec les habitants locaux et les immigrés algériens, où les conditions de vie étaient extrêmement mauvaises. »
La France craignait que l’afflux de 85 000 musulmans et pieds-noirs d’Algérie, pour la plupart pauvres, ne modifie la démographie de la France et ne renforce l’extrême droite.
Début 1962, le ministre français des Affaires algériennes, Louis Joxe, a souligné devant le Conseil des ministres la nécessité de « combattre une infiltration qui, sous prétexte de bienfaisance, aurait [eu] pour effet de [pousser la France à] accueillir des éléments indésirables ».
D’après Arthur Asseraf, les attitudes à l’égard des harkis dépendaient des appartenances politiques.
« Les partisans de l’Algérie française, situés à droite, éprouvaient une certaine sympathie, les gens de gauche leur étaient hostiles, mais la majorité des gens étaient probablement indifférents et peu enclins à assumer la responsabilité de leur sort. »
Environ un demi-million de harkis et de descendants de harkis vivent aujourd’hui en France, notamment des personnalités de premier plan comme le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, dont le grand-père, prénommé Moussa, était un harki
Environ un demi-million de harkis et de descendants de harkis vivent aujourd’hui en France, notamment des personnalités de premier plan comme le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, dont le grand-père, prénommé Moussa, était un harki. Plusieurs gouvernements de gauche comme de droite ont également nommé d’anciens harkis comme ministres.
Cette situation contraste fortement avec celle des harkis en Algérie, où une loi adoptée en 1999 exclut de certains emplois les personnes qui n’auraient pas eu une « attitude patriotique » pendant la guerre d’Algérie.
Depuis 1974, les harkis protestent contre leur sort par des grèves de la faim et des manifestations. En août 2001, une coalition de 50 groupes de harkis a tenté de poursuivre l’État français, l’accusant d’avoir commis « un crime contre l’humanité ».
Une loi accordant une allocation d’environ 400 euros par mois « en faveur des harkis, de leurs orphelins et des rapatriés d’origine européenne » a été votée en février 2005, tandis qu’en 2018, un plan de 40 millions d’euros a été mis en place pour venir en aide aux familles de harkis.
La même année, le Conseil d’État a condamné l’État à indemniser un fils de harki pour des séquelles subies en raison de son incarcération dans les camps.
L’attention portée à la situation des harkis en France s’accroît généralement à l’approche des élections. Dans la mesure où des centaines de milliers de harkis et de descendants de harkis vivent en France, le groupe constitue un bloc d’électeurs important et a été courtisé dans le passé par des personnalités comme Emmanuel Macron et l’ancien président Nicolas Sarkozy.
De Zidane à Booba
Tant en Algérie que parmi les groupes minoritaires en France, le mot « harki » est souvent employé de manière péjorative à l’encontre des Maghrébins soupçonnés de faire preuve d’une sympathie excessive à l’égard des Français.
Ainsi, en Algérie, l’ancienne ministre de l’Éducation nationale Nouria Benghabrit a été qualifiée de harkie, tout comme son père et son grand-père, Kaddour Benghabrit, le premier recteur de la Grande Mosquée de Paris, pour avoir reçu la Légion d’honneur.
L’insulte a également été normalisée dans le rap français et les artistes incluent souvent ce mot dans leurs paroles, qu’ils soient maghrébins ou non.
Cette année, l’artiste populaire Booba a utilisé le terme dans sa chanson VVV, tandis que le rappeur Rohff a qualifié de harki l’artiste franco-algérien Rim’K, dont le père était dans la résistance algérienne, lors d’un clash entre les deux hommes.
Le terme est également employé pour désigner les footballeurs d’origine algérienne qui choisissent de jouer pour la France.
En 2001, Zinédine Zidane a été la cible de menaces de mort et d’accusations selon lesquelles son père était un harki après avoir participé à un match amical entre l’Algérie et la France, le premier depuis l’indépendance de l’Algérie.
« Eh bien mon père n’a jamais combattu contre son pays, c’est clair ? Mon père est un Algérien fier de l’être, et moi je suis fier que mon père soit un Algérien », a déclaré Zinédine Zidane après le match.
De même, Nabil Fekir, actuellement au Real Betis, a été critiqué en 2015 et traité de harki pour avoir choisi de jouer pour l’équipe de France plutôt que pour l’Algérie, alors qu’il avait initialement affiché un intérêt pour les Fennecs.
La sélection algérienne a en revanche autorisé des fils de harkis à représenter le pays : footballeur dans les années 1980, Abdelmajid Bourebbou a confirmé après sa retraite qu’il était fils de harki, une identité qu’il ne cachait pas – il a toutefois affirmé qu’il aurait rejoint la résistance s’il avait eu l’âge à l’époque.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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