FÊTES DE FIN D’ANNÉE
Épuisés par la crise sanitaire qui dure depuis deux ans, les Algériens tentent d’échapper à la sinistrose. Quoi de mieux que les fêtes de fin d’année pour renouer avec la joie et conjurer la morosité pesante. Faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Ils renouent timidement avec les voyages... vers le Sud algérien. Une échappée.
Faire contre mauvaise fortune bon cœur. Éreintés par une infinie crise sanitaire et son effet économique pervers, les Algériens veulent revivre. Et quoi de mieux que les fêtes de fin d’année pour rompre avec une pesante morosité qui a rythmé leur quotidien. S’offrir quelques jours de vacances en cette fin de mois de décembre, histoire de finir, sur une note de gaieté, une année à jeter aux oubliettes, car très pénible. Ils n’hésitent pas à rogner sur leur budget pour aller se payer des moments de farniente et d’évasion dans des contrées lointaines, notamment le sud du pays, dans le but de se remonter le moral, bien en berne. Mais sont-ils des masses à s’offrir un tel “luxe” en ces temps de vaches maigres ? Les avis des professionnels du tourisme sont partagés. Installé il y a une trentaine d’années à Timimoun, Mohamed Bourad, consultant en tourisme durable et ancien directeur du tourisme de la wilaya d’Adrar, a vu déferler sur l’oasis rouge des essaims de touristes en cette fin d’année. “Actuellement, il y a des touristes locaux qui commencent à arriver ici à Timimoun. Ils y viennent seuls ou en famille à bord de leurs véhicules”, dit-il, avant d’ajouter : “Bien que la crise sociale se fasse sentir, les flux n'ont pas baissé en cette fin d'année. De plus en plus de personnes tiennent à partir en vacances pour décompresser et changer d’air pour entamer la nouvelle année sous de bons auspices. En gros, Timimoun demeure toujours attractive pour les clients nationaux, malgré les aléas socioéconomiques.”
Ainsi, en cette fin d’année, “tout est complet” à Timimoun et certaines agences de voyages qui se sont mises sur le tard sur cette destination “n'arrivent pas à offrir plus de lits aux clients”. Solution de rechange : elles se sont rabattues sur Adrar, tout en organisant à leurs clients des excursions vers cette région. Selon ce consultant en tourisme durable, la fermeture des frontières Est avec la Tunisie est à l’origine de ce rush vers le sud du pays. S’il considère que “la demande existe”, Salem Badache, directeur de l’agence de voyages Symphony Travel, déclare qu’“en termes de flux, ce n'est pas terrible”. La raison ? L’absence de moyens pour prendre en charge la demande, selon ce professionnel, qui pointe du doigt l’“insuffisance de la capacité du transport aérien sur le Grand-Sud (Tamanrasset et Djanet), mais aussi sur le Moyen-Sud (Timimoun, Ghardaïa et Taghit)” et “les capacités extrêmement limitées (1 hôtel de 3 à 4 étoiles par ville ne dépassant pas les 50-60 chambres) des principaux pôles touristiques du sud du pays”. Lui-même a perdu beaucoup de demandes à cause, justement, de “l'indisponibilité des vols et de l’hébergement depuis les 4-5 décembre”. Face à cet impondérable, beaucoup d'agences ont été contraintes de “programmer des départs par bus pour des distances de 1 000 à 1 200 km !...”. “Incroyable ! En plus, elles recourent aux maisons d'hôtes et à l’hébergement chez l'habitant où les conditions de confort et, parfois, d'hygiène laissent à désirer”, s’offusque-t-il, avant de lâcher, plein d’amertume : “Je ne pense pas que ce soient là les meilleures conditions pour relancer la destination Algérie.”
Moins enthousiaste, l’expert international en tourisme et président du Syndicat national des agences de tourisme (Snat), Saïd Boukhelifa, refuse, lui, de parler de rush de touristes sur le sud du pays en cette fin d’année. “Quelques agences seulement ont eu des activités, mais limitées, vers le sud du pays (Tamanrasset, Djanet, Ghardaïa, Timimoun, Béni Abbès, Taghit, Brezina”, dit-il, avant d’enfoncer le clou : “Mais relativement, il n’y a pas un grand nombre de touristes nationaux qui se sont rendus au sud du pays. Ils sont moins de 5 000, compte tenu des capacités d'accueil hôtelières.” Aux yeux du président du Snat, cet afflux est “loin de correspondre aux attentes des professionnels”.
Pour ce qui est du tourisme de montagne, M. Boukhelifa déplore, là aussi, la faiblesse des capacités d’hébergement privant ainsi les agences de voyages d’un produit. “La faiblesse des capacités litières pour le tourisme de montagne (Tikjda, Tala Guilef, Chréa, etc.) — qui sont de moins de 2 000 lits — ne permettent pas aux agences de commercialiser les séjours de neige, car les structures d'accueil affichent complet à la suite des réservations faites par les clients directement aux hôtels. Les gérants ne collaborent pas avec les agences car l'offre est nettement inférieure à la demande”, soutient-il.
Une aubaine pour les agences
Il reste qu’avec la reprise des vols et l’allégement par les autorités des mesures sanitaires, certaines agences ont pu, cette fin d’année, renouer avec l’activité après deux années de chômage forcé pour cause de pandémie qui a poussé plus d’un millier de professionnels à mettre la clé sous le paillasson. Pis encore, pas moins de 50 000 travailleurs du secteur ont perdu leur emploi et les établissements hôteliers ont accusé, selon M. Boukhelifa, des pertes sèches de 500 milliards de centimes. Comme chaque médaille a son revers, ce regain d’activité des agences de voyages peut présenter un risque de propagation de la Covid-19, avec cette 4e vague de la pandémie. “Je crois que d’une manière générale, les clients, en ville comme sur les sites, ne se soucient point des mesures anti-Covid. Le problème se pose davantage pour ceux qui ont opté pour le transport terrestre”, lâche Mohamed Bourad, avant d’insister : “Bien que les hôteliers aient été rappelés à l'ordre par les services de la wilaya, néanmoins, en ville, notamment dans les lieux publics, très peu de personnes observent les mesures de distanciation sociale et portent le masque.” Le directeur de l’agence Symphony Travel fait le même constat : les mesures sanitaires sont très peu respectées par les touristes. “Les mesures sanitaires sont presque inexistantes. Les bus qui doivent se limiter à 50% de leurs capacités, partent surchargés vers des gîtes et des maisons privées non appropriés. Des fraudeurs, via leurs pages facebook, proposent des tarifs alléchants mais au détriment de la sécurité, de la qualité du séjour et du programme”, déplore-t-il. S’il n’écarte pas les risques de contamination au Covid, le président du Snav assure que “ceux qui voyagent ont été vaccinés et respectent les prudences sanitaires”.
Par Arab CHIH
le 27-12-2021 12:00
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