Agréables moments passés en compagnie de : Diane, Apollon, Déméter, Isis, Héraclus, Domitia Lucillia Minor, Cléopâtre Séléné et sa mère, Juba 1er et son intellectuel de fils Juba II, lui-même flanqué de son héritier Ptolémée, Esculape et d’autres personnages historiques et des divinités.
Tout compte fait, le déplacement valait bigrement la peine. On oublie rapidement, grâce aussi aux remarquables paysages qui s’offrent aux yeux sur la route du Sahel algérois, la distance relativement longue (100 km) du trajet entre Alger et Cherchell. Et ce ne sont pas ces joyeux élèves d’un établissement scolaire, venus en excursion éducative et de détente d’un village de la wilaya de Blida, qui diront le contraire. Ils ont été, eux aussi, fascinés par l’histoire, fabuleuse, de tous ces personnages historiques ou légendaires. Leurs statues, bustes et têtes plus ou moins fragmentés, abîmés sont réunis dans le magnifique musée de Cherchell. Cette ville fut un comptoir commercial phénicien sous le nom de Iol bien des siècles avant Jésus Christ, ensuite capitale de Bocchus 1er, puis celle de Juba II qui lui donna le nom de Césarée.
L’enseignante a su user de mots et de formules qu’il fallut pour captiver l’attention des collégiens et, parfois, celle des autres visiteurs, néophytes en majorité. “Qui était Diane ?” demanda l’une des élèves. “Diane était la déesse de la chasse et de la lune. On l’appelait aussi Artémis. Elle était la fille de Zeus, roi des dieux dans la mythologie grecque. Elle est la sœur jumelle d’Appolon, lui-même considéré comme le dieu de la musique, de la lumière, du soleil, du chant et de la poésie. On l’appelait aussi la fille de la prairie et la dame des animaux”, répondit l’institutrice, qui enseigne l’histoire-géo au collège. Elle semblait avoir bien fignolé le programme de la visite. Elle disposait de fiches de renseignements sur les principales œuvres exposées dans le musée.
La statue de Diane a été découverte en 1888 dans une ferme d’un colon, près des remparts de la cité antique. La plupart des vestiges qui constituent l’actuel musée, édifié en 1908 dans le style néo-mauresque, proviennent des entrailles de Cherchell et de ses environs immédiats, notamment d’El-Kantara, dans le sud-ouest de la ville. Les grands thermes en ont fourni une grande partie.
Prestigieuses collections
Les premières découvertes ont été enregistrées en 1840, année de l’occupation de la ville par les troupes coloniales françaises conduites par le maréchal Sylvain-Charles Valée. Elles ont été à maintes reprises endommagées, d’abord lors de l’effondrement, en 1846, de la mosquée des Berkani où ils étaient entreposés, puis lors de leurs différents déplacements d’un endroit à un autre, au gré des maisons et des locaux expropriés aux indigènes par les militaires et les services administratifs français. Ce n’est qu’en 1908 que les vestiges ont pu été réunis dans un vrai musée qui venait d’être créé en plein cœur de la ville. Entre-temps, plusieurs pièces avaient pris le chemin du musée du Louvre, à Paris, et celui des Antiquités d’Alger, créé en 1897. Cependant, les diverses collections de mosaïques, de statues, de bustes, entre autres, que le musée de Cherchell renferme aujourd’hui sont de nature à satisfaire l’intérêt et la curiosité des visiteurs. Elles “comptent parmi les plus prestigieuses” de l’Afrique du Nord, est-il précisé sur le site internet officiel de l’établissement.
Les entrailles de Cherchell n’ont pas livré tous leurs secrets. Des vestiges sont fréquemment découverts au fur et à mesure de l’extension de la cité et de l’édification de nouvelles constructions sur l’emplacement des anciennes. L’ancien musée étant archiplein, les autorités en ont créé un second en 1979 pour accueillir les nouvelles ruines antiques. Ils sont distants d’environ 500 m l’un de l’autre. Le nouvel établissement “abrite d’autres objets antiques trouvés à Cherchell, notamment des mosaïques et des petits objets de la vie quotidienne (monnaies, céramique...)”, peut-on lire sur le site.
“Certains constructeurs ne déclarent pas les vestiges trouvés dans leurs chantiers pour éviter l’arrêt des travaux par les autorités. Ils préfèrent, discrètement, les déplacer, les jeter dans la forêt ou ailleurs”, selon des habitants.
Pillage des ruines
Cette pratique n’est pas nouvelle. Elle a déjà été utilisée pendant la colonisation française. Les colons étaient allés plus loin en transformant les vestiges trouvés dans leurs champs ou dans les fondations de leurs maisons. Ils “ne s’abstiennent pas bien souvent de les briser pour en faire de la chaux ou en tirer des matériaux de construction. Nos musées ne recueillent malheureusement que des épaves ; et l’on doit s’estimer heureux lorsqu’on peut en réunir un aussi grand nombre de celles qui constituent les collections de Cherchell”, peut-on lire dans un Catalogue du musée de Cherchell publié en 1902 à Alger. La ville moderne coloniale a été elle-même édifiée, en partie, sur et avec des ruines antiques. Certains sites avaient été transformés en carrière, où les constructeurs venaient “s’approvisionner” en pierre, comme cela s’était passé dans pratiquement toutes les cités antiques du pays.
Outre le musée, Cherchell abrite aussi des vestiges de quelques infrastructures antiques qui méritent le détour. C’est le cas de l’aqueduc, dont on peut admirer quelques arches depuis la route nationale Alger-Cherchell. Il alimentait les citernes et les fontaines de la cité. L’eau est ramenée depuis l’oued Boukadir, près de Beni Menacer. L’ouvrage comptait 40 km de long et 35 de haut. Des spécialistes estiment qu’il est faux de croire que la construction d’aqueducs était indispensable à la survie de la cité dans l’Antiquité. Cette “question, surtout dans le passé, semble secondaire, et nous aurions tort, avec nos idées actuelles, de l’imaginer décisive”, relevait A. Demangeon, cité par P. Leveau et J.-L. Paillet dans un livre sur L’Alimentation en eau de Caesarea de Mauritanie et l’aqueduc de Cherchell (Éditions L’Harmatan, Paris, 1976).
“La construction des aqueducs y est relativement tardive parce qu’elle ne s’explique pas par des besoins primaires naturels, mais par l’existence de certains édifices caractéristiques de la culture romaine, comme les thermes”, selon ces deux spécialistes. “L’organisation de l’approvisionnement en eau est en effet liée à une ‘base culturelle’ spécifique à un certain mode de vie”, ajoutaient-ils.
La fontaine romaine
En parlant justement de l’eau, le visiteur peut apprécier la superbe “fontaine romaine”, qui orne la place du 1er-Novembre-1954. Elle est décorée de quatre répliques de têtes démesurées moulées au ciment, de vasques en marbre, de jets d’eau et de fragments d’architecture antique. Les orignaux de ces figures se trouvent dans le musée, dont la façade donne sur la même esplanade. La place du 1er-Novembre, qui domine le petit port et le phare datant de l’époque de Juba II, est embellie, elle aussi, de fragments antiques. Elle est plantée de splendides bellombras, originaires d’Amérique du Sud, aux troncs larges, touffus de feuilles vert foncé. “Il est bon pour son ombrage, mais son bois ne sert à rien”, dira un vieil homme, assis adossé à un arbre de cette espèce planté juste en face de l’entrée du musée. Les bellombras “sont plantés spécialement pour ombrager les jardins publics, comme ici par exemple, les promenades et les routes”, ajoutera-t-il.
De l’autre côté de la principale route qui traverse la ville de part en part, en face de l’Esplanade et de la fontaine romaine se trouve une somptueuse et imposante bâtisse ressemblant à un édifice romain. Il s’agit en fait de la mosquée Errahman, connue aussi sous le nom de la mosquée aux Cent (100) colonnes. Elle a été construite en 1574 par un bienfaiteur andalou. Les matériaux ayant servi à son édification provenaient des ruines antiques. Transformée en hôpital dès le débarquement des troupes coloniales françaises dans la ville, le 15 mars 1840, ce lieu de culte n’a retrouvé sa fonction originelle qu’en 1985.
Parmi les sites et monuments que renferme l’ancienne Césarée figurent entre autres les grands thermes, l’hippodrome, le théâtre et l’amphithéâtre d’une capacité de 14 000 places après son agrandissement, contre 9 900 places à sa construction. Toute cette abondance de vestiges, surtout les remarquables œuvres qu’abrite le musée, confirme que le roi Juba II qui fit de Césarée, l’actuel Cherchell, la capitale de la Maurétanie césarienne, fut un grand homme de culture, un inconditionnel amoureux des arts et des lettres. Il réunit dans sa capitale une pléiade d’artistes de divers horizons. C’est à eux qu’on doit toutes ces belles œuvres et ces splendides objets qu’on peut admirer au musée de Cherchell.
“La visite des Antiquités de Cherchell, éparses et fragmentaires par la force même des choses, impose-t-elle un effort particulier d’imagination au touriste, curieux de relier entre eux les vestiges qui en subsistent et de se faire une idée suffisante de l’ensemble de la ville et du caractère, unique dans toute l’Afrique du Nord, qu’elle a gardé malgré tout et sur lequel il faudra bien insister chemin faisant”, soulignait Jean Glénat, ancien conservateur du musée.
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