« Un tonton sympa qui pouvait dire parfois des bêtises » : une phrase bien à l'image de ce qu'Alger pense de l'ancien président français qui vient de nous quitter.
« C'est le dernier grand président français dont l'histoire est intimement liée à celle de l'Algérie. » À l'évocation du décès de Jacques Chirac, ce jeudi 26 septembre, le journaliste algérien Boukhalfa Amazit, spécialiste des questions historiques, se souvient de « cette page d'histoire commune » qu'Alger et Paris ont tenté, en vain, d'écrire ensemble. « Il voulait un "partenariat exceptionnel" qui, malheureusement, n'a pas abouti. Je ne crois pas qu'une telle opportunité se représentera à nouveau. Macron est dans un tout autre registre, les anciennes colonies ne l'intéressent pas. Chirac était différent. Il était attentif », témoigne-t-il au Point Afrique.
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Un lien construit dès son jeune âge
Cet intérêt n'est pas dû au hasard. Jacques Chirac a 15 ans quand il découvre Alger. Il est alors mousse sur un navire de la marine marchande. Il y reviendra ensuite à 23 ans, comme membre du 6e régiment de chasseurs d'Afrique en pleine « guerre d'Algérie ».
« Pour moi, l'Algérie a été la période la plus passionnante de mon existence », témoigne-t-il au magazine Paris Match en 1978. « Pendant de longs mois, j'ai eu une vie passionnante et enthousiasmante, mais détachée de tous les éléments qui pouvaient alimenter une réflexion politique. Si bien que, pour moi, le problème algérien se situait dans un contexte très particulier. »
C'est à Alger qu'il reviendra encore en 1959, alors énarque, comme chef de cabinet du directeur général de l'agriculture et des forêts. C'est à Alger qu'il vivra pendant deux ans avec Bernadette et qu'ils verront naître leur première fille, Laurence.
L'Algérie française en question
Certains observateurs algériens lui reprochaient jusqu'à récemment d'avoir été trop « Algérie française », d'avoir « soutenu l'occupation du Sahara occidental » ou encore d'avoir été complice du président tunisien déchu, Zine el-Abidine Ben Ali. « On oublie juste que pendant la guerre contre la France, en dehors des militants comme Maurice Audin, tous les Français étaient favorables à une Algérie française », nuance Amazit Boukhalfa.
« On va dire que ce n'était pas le plus mauvais des présidents français », résume l'éditorialiste Saïd Djaffer. « Mais Chirac, c'est la Françafrique, le côté un peu débonnaire, très paternaliste. Il était toutefois plus traditionnel que Sarkozy, qui avait lancé aux Africains que le "drame de l'Afrique" était à mettre sur le compte de "l'homme africain" incapable de penser le progrès. Et puis surtout, il y a eu les "aspects positifs de la colonisation". Même si ce n'est pas de sa faute, c'est sous son mandat que c'est arrivé. »
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La colonisation interpellée
En 2005, le Parlement français adopte une loi « portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». L'article 4, qui parle du « rôle positif de la colonisation », déclenche la colère du côté sud de la Méditerranée. D'Alger, Bouteflika qualifie cette loi de « cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme ». « Comment un Parlement peut-il glorifier une présence coloniale coupable de massacres contre tout un peuple, et prétendre que cette présence a rendu service aux peuples colonisés ? » s'était-il emporté. En janvier 2006, Chirac fera abroger l'article de loi contesté.
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L'homme de la cause palestinienne
Pour la plupart des Algériens qui ont commenté sa disparition, notamment sur les réseaux sociaux – où même l'ancien ambassadeur de France en Algérie, Bernard Émié, aujourd'hui directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), rappelle son « amour pour l'Algérie » –, le passé algérien de Chirac n'est pas ce qui marque le plus les mémoires.
« Chirac est l'homme qui a pris un bain de foule au milieu des Palestiniens à Jérusalem-Est malgré l'interdiction des agents de la sécurité israélienne qui le confinaient ! » s'enthousiasme Farid, cadre dans la diplomatie. « Il a explosé de colère. Il a menacé de reprendre son avion pour Paris si les Israéliens ne cessaient pas cette "provocation". Et puis, traits serrés et rouge de colère, il reprit son sourire face à la foule palestinienne en serrant des mains et en répétant son "bonjouuur" chaleureux légendaire. Aucun chef d'État, encore moins arabe, ne l'a fait ! Chirac était populaire en Afrique du Nord alors que Sarkozy l'était chez les Ben Saoud, la famille régnante saoudienne, aux Émirats et au Qatar. » « Jacques Chirac avait été bien accueilli en Algérie, puis, dès que Sarkozy est venu au pouvoir en France, les relations n'ont jamais été aussi mauvaises entre les deux pays », ajoute, dans le même sens, un internaute sur Twitter.
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Bain de foule
De retour à Alger en 2001 – il visite alors Bab el Oued, quartier d'Alger meurtri par des inondations meurtrières –, puis en 2003 dans le cadre d'une visite d'État au cours de laquelle il connaîtra un bain de foule mémorable au milieu de centaines de milliers de personnes venues l'accueillir en héros. Rafik, journaliste à Alger, s'en souvient encore. « Un des journalistes qui le suivaient m'a dit : "Je n'ai jamais vu ça. Nulle part en France il serait accueilli comme ça !" », raconte-t-il. « Je l'aimais bien, ajoute Leïla, médecin. Un peu comme un tonton sympa qui dit parfois des bêtises, mais au grand cœur, capable de spontanéité. On pourrait même dire que c'était le dernier gaulliste. » « Il avait la sympathie des Algérois », admet Amazit Boukhlafa. « L'homme, joyeux, plaisait énormément, mais son coup d'éclat à Jérusalem l'avait incontestablement rendu populaire. Il avait aussi osé dire non aux Américains (contre la guerre en Irak), et ça, on ne l'oubliera pas. »
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Publié le
Par Adlène Meddi, à Alger
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