Il existe désormais un climat de terrorisme médiatique en Algérie. Un climat de terreur sournois et discret. Il y a une sorte d’extension de l’impunité, du droit au scandale et du droit à l’outrage et la fatwa qui font que tout est permis. Du coup, on aboutit à un climat de crainte, d’inquiétude, de retour de l’arbitraire, de chasse à l’homme et de loi de gangs. En effet, malgré le matraquage, l’affaire de l’arrestation de quelques bloggeurs et journalistes, dont Abdou Semmar, n’arrive pas à être «transformée» en une affaire de «justice» qui suit son cours, mais de justice détournée. Le traitement médiatique scandaleux fait par une chaine TV qui bénéficie de tous les privilèges, le fait de filmer des gens qui sont présumés innocents et de porter atteinte à leur image, a laissé conclure, très vite, à la volonté de lynchage, de règlement de compte personnel et de message politique pour «les autres» leaders de contestation.
On a beau ne pas vouloir céder au corporatisme, mais quand un islamiste vous menace de mort et appelle à votre assassinat et qu’il finit par vivre libre et heureux et continuer ses prêches haineux, malgré deux procès que vous avez intentés, alors qu’un blogueur est traité comme un poseur de bombe, c’est qu’il y a un problème. Pour ce haineux islamiste, la justice s’est déclarée «incompétente» à Oran. Pour le blogueur, elle l’est universellement.
Quand vous déposez plainte contre une personne qui vous accuse dans un livre, publié par un éditeur algérien, d’être membre des GIA et que votre plainte dort dans un tiroir et que Abdou Semmar & Cie est traité, avec célérité, comme un terroriste capturé dans un maquis, c’est qu’il y a problème. Et ce problème, on le connaît tous. Et ce n’est qu’une illustration personnelle.
Quand on diffame un politique du RCD, en le désignant, par un journal islamiste à grand tirage, comme apostat pour les apprentis tueurs, c’est qu’il y a problème. Et rien ne vous protège contre ces nouvelles katibates médiatiques, leurs partis, leaders, hallucinés et juges inquisiteurs. Le commissariat politique a changé de camp.
Mais aussi il faut dire que dans le cas de Abdou Semmar et des autres, il y a dérive et dérive scandaleuse. Que ces présumés innocents aient porté atteinte à des personnes ou usé des nouveaux réseaux pour des œuvres basses comme certains le soutiennent, on peut le traiter par la loi, selon la loi et par un juge, pas par des médias. Il ne s’agit pas de remplacer le service de presse de l’antique DRS, par un autre, «civil», au bout du compte. Et on doit aussi analyser ce phénomène pour ce qu’il est : une défaite de l’éthique et du sens. C’est le métier de journaliste, en Algérie, qui en sort défait et encanaillé. Par ceux qui en usent pour filmer leurs collègues menottés pour régler leur compte et pour ceux qui, parce que la presse n’est plus ce qu’elle était et n’ose plus ce qu’elle osait, ont versé dans la facilité et les populismes des oppositions, le non éthique que permet internet. Les uns valent les autres parfois et les uns ont plus de pouvoir de nuisance que les autres, c’est tout. Le capital de prestige du journalisme algérien des années 90 en sort dilapidé. On est dans le paparazzi politicien, la lapidation, l’outrage, la diffamation, l’exagération, le plagiat et la facilité irresponsable. Le FLN est passé des «historiques» à l’usage de la chaine et du cadenas pour fermer un Parlement, le journalisme est passé de Said Mekbel à l’usage de la caméra qui insulte et de la page Facebook qui diffame.
Il se trouve aussi que ces arrestations interviennent avant le 5ème mandat, ont visé le spectacle plus que le souci d’application de la loi, juste après le feuilleton triste et comique de l’APN et dans un climat de perte de centre de décision. Cela pousse à conclure.
Cette affaire intervient aussi dans une sorte de retour des vieux diables du pays. Entre médias islamistes qui fabriquent des apostats pour mieux les faire tuer, et médias populo-nationalistes qui fabriquent des «traitres», on est dans un retour, sous d’autres formes, du FIS et DRS et de leurs méthodes. On coupe toujours des têtes, des langues, des mains, on viole et on accuse. C’est cela la réalité triste et inquiétante. C’est ce qui fait peur en Algérie. C’est ce qui rappelle les années de sang et les mémoires meurtries : la chasse, la décapitation, la manipulation, la défaite de la loi et la possibilité d’être tué dehors, dans la rue en sortant d’un café. D’être assassiné par une caméra ou le marteau d’un halluciné. Quand je lis ce que publient, quand je regarde ce que filment certains, je comprends le sentiment de peur qu’éprouvent beaucoup. On parle avec impunité d’apostat, on désigne du doigt des ennemis à abattre, on ment et on diffame avec une telle facilité que j’ai peur pour ce pays. Quand je vois qu’on peut arrêter, mettre en prison sans s’expliquer, qu’on peut filmer en jugeant avant les tribunaux, qu’on peut laisser un ex-Emir des maquis terroristes avouer qu’il a tué un soldat algérien, sans qu’il soit inquiété et qu’un islamiste est traité comme un diplomate avec immunité et qu’un bloggeur est accusé de tous les maux du pays, j’ai peur pour l’avenir. Quand je vois ce même blogueur user des réseaux pour plagier, diffamer et publier sans vérifier, j’ai peur pour ce qui nous reste de sens de la vérité et du réel et de la justice. Car, désormais, chacun est, d’une manière ou d’une autre, le prochain désigné à être filmé menotté, à être diffamé, à être jugé par un caméraman ou une page Facebook. Il y a une peur, comme durant les années 90, de ce retour de la terreur en Algérie et des instruments de la terreur.
par Kamel DAOUD
Jeudi 14 octobre 2021
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