« C'est l'amitié entre Français et Algériens que je veux défendre »
« Monsieur le Président, [...] je suis prêt à combattre quiconque s'attaquerait à ma Patrie. [...] La guerre que font nos gouvernants au peuple algérien n'est pas une guerre défensive. Dans cette guerre, ce sont les Algériens qui défendent leurs femmes, leurs enfants, leur patrie, ce sont les Algériens qui combattent pour la paix et la justice. C'est l'amitié entre Français et Algériens que je veux défendre. C'est aussi la Constitution française que je respecte puisqu'il est dit dans son préambule : "La République française n'entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple". Et plus loin : "Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge, à la liberté de s'administrer eux-mêmes" [...] ». En me refusant à participer à cette guerre injuste, j'entends contribuer à préserver la possibilité de rapports librement consentis, basés sur les intérêts réciproques et le respect des droits de nos deux peuples, et rapprocher le moment où la guerre fera enfin place à la négociation. Veuillez croire, Monsieur le Président, à mes sentiments d'indéfectible attachement à la République Française et à sa Constitution [...]. »
> Lettre d'Alban Liechti au chef de l'État, le 2 juillet 1956. Le 2 juillet 1956, ce militant communiste écrit au président de la République, René Coty, pour lui faire connaître son refus de participer à la guerre. Condamné à deux ans de prison, il est libéré en 1958. En mars 1959, il réitère son refus alors qu'il doit à nouveau aller en Algérie. Il est encore condamné à deux ans de prison. À l'issue de sa peine, il accepte d'effectuer son service en Algérie, mais sans mettre de balle dans son fusil. Il est finalement libéré de ses obligations militaires en mars 1962. Une trentaine de soldats proches du parti communiste ont suivi son exemple et ont été condamnés, en règle générale, à deux ans de prison. Ses lettres ont été publiées dans Le Refus (éd. Le Temps des cerises, 2005).
Les états d’âme d’un jeune chrétien
« J'ai fait l'école des officiers de réserve de Cherchell, d'où je suis sorti sous-lieutenant [...] le 15 juin 1958. À la fin du stage, on nous a proposé différentes garnisons où fonctionner et aussi cinquante places dans les Affaires algériennes. Le colonel Marey, commandant de l'école, a vivement encouragé ses ouailles à choisir cette exaltante mission de pacificateurs [...]. Par atavisme, masochisme, candeur, idéalisme, parce que je me sentais solidaire et responsable de l'Algérie, j'ai choisi l'encadrement (chantiers, centres de formation de jeunesse) en me jurant bien d'y réserver ma liberté, de ne pas m'asservir à l'Algérie française, et avec le secret espoir, combien clairvoyant !, d'échapper ainsi à l'emprise militaire. À notre retour de permission, [...] on nous annonce la bonne nouvelle : d'abord bâtir, c'est entendu, mais faut quand même au préalable exercer un commandement de section pendant trois ou six mois. Après quoi, on aura encore besoin de vous ; s'il en "reste" [...]. [Ç]a me mettait au pied du mur. Il me fallait enfin résoudre un problème que j'avais jusque-là relégué dans les coulisses des restrictions mentales : "Pouvais-je en conscience, sans me contredire, faire la guerre aux fellaghas ?" Poser ainsi la question, c'était y répondre, et pourtant ça n'a pas été si facile. C'est qu'on hésite à affronter l'imposante machine, à sacrifier son confort, sa solde, et même la vie militaire, avec ses aventures et ses amitiés, et son expérience. J'ai quand même réussi à être logique et j'ai envoyé ma démission. »
> Jean Le Meur, publié par la revue Esprit (1959). La revue Esprit, d'inspiration catholique libérale, publie fréquemment des articles dénonçant la guerre et la torture. Il en est ainsi des lettres de Jean Le Meur, condamné à deux ans de prison pour son refus de participer au conflit. Comme lui, de nombreux chrétiens s'y sont opposés.
La lettre d'un déserteur
« Chers parents, nous sommes saufs ! Cette nuit nous avons traversé la frontière à dos de chameaux. Nous sommes maintenant chez les parents du jeune que j'ai libéré. Il a 20 ans et s'appelle Mohammed. La joie qu'ont eu (sic) les siens à le revoir, alors qu'il le croyait mort m'a payé au centuple pour tout ce que l'avenir me réserve de mal. Quoiqu'il me réserve je ne regretterai pas ce que j'ai fait car je ne me suis jamais senti aussi en paix avec moi-même et aussi libre. Jaurès disait : "L'Homme libre, c'est celui qui va jusqu'au bout de ses convictions." Je suis allé jusqu'au bout et je suis décidé à y rester. On y dort bien.
Pa, tu sais bien que je n'ai jamais trahi mon pays mais que, bien au contraire, c'est maintenant que je le sers en empêchant les Algériens de haïr cette France qu'ils ont aimée. Parmi eux, je suis la preuve que tous les Français ne sont pas de colonialistes et tous les paras des SS. Si j'avais agi autrement, si j'avais laissé assassiner Mohammed je crois bien que je n'aurais jamais osé te regarder en face, le résistant qui m'a crié : "Ne deviens pas un boche !"
Je sais que tu es avec moi, j'en suis sûr, mais j'aimerais que tu me le dises. Après ça, quoi que l'on me dise, quoi que l'on me fasse, rien ne pourra entamer ma joie. La joie de te savoir à mon côté et celle qui procure la certitude d'avoir raison ; dans les temps à venir, nous aurons raison.
Je vous écrirai très prochainement et peut-être alors aurais-je (sic) une adresse à vous donner.
Je vous aime et je vous embrasse
Noël. »
> Noël Favrelière (1934-2017) a effectué son service militaire en Algérie en 1954, dans une unité parachutiste. En mai 1956, il est rappelé, et si, comme beaucoup, il rechigne à partir, il se résout néanmoins à cette nouvelle période sous les drapeaux. Ce qu'il voit en Algérie le révolte. En août, il se rend compte que l'un des prisonniers détenu dans son unité est exécuté, précipité depuis un hélicoptère. Le lendemain, un autre captif, un jeune homme du même âge que lui est promis au même sort. Il décide alors de le sauver. Les deux hommes s'enfuient dans le désert pendant une semaine, avant de traverser la frontière algéro-tunisienne. C'est alors qu'il écrit cette missive à ses parents.
Une demande de grâce adressée à Yvonne de Gaulle
« Madame la Présidente, C'est parce que je suis une femme et une mère de famille que je prends la liberté de m'adresser à vous, puisque l'on vous appelle la "première dame de France". Mon mari avait écrit au général de Gaulle au début d'octobre dernier et la lettre n'a pas dû parvenir car elle est restée sans réponse. Il s'agit d'un drame intimement lié au destin et à l'honneur de notre pays, et qui prend pour une mère, vous le comprendrez, les sens d'une tragédie personnelle. Mon fils, Noël Favrelière (lire p. 41), fit son service militaire en Algérie et fut ensuite rappelé sous les drapeaux en qualité de sergent du 8e régiment de chasseurs parachutistes. Le 26 août 1956, ayant assisté à l'assassinat d'un prisonnier projeté d'hélicoptère au vol, il se vit confier la garde d'un second prisonnier promis au même sort le lendemain matin. Nous avons élevé nos enfants en honnêtes gens et en bons Français. Mon mari et moi sommes donc responsables et nous ne rougissons pas de ce qui s'est passé alors. Plutôt que de devenir criminel de guerre, Noël a désobéi à ses chefs qui n'étaient finalement, comme le général de Gaulle l'a dit, que des enfants perdus. Noël a déserté, il a libéré le prisonnier et rejoint l'étranger. Le tribunal militaire l'a condamné à mort par contumace le 29 mai 1958. [...]
Le jugement par contumace a été annulé par le décret de grâce du président de la République algérienne en date du 6 décembre 1962. Pour des raisons que j'ignore, la Chancellerie a répondu qu'elle ne reconnaissait pas cette grâce. Les années passent. Notre fils a maintenant 31 ans et il est obligé d'attendre en dehors que son pays veuille bien de lui. C'est douloureux et aussi profondément injuste car il a agi en homme d'honneur et en patriote. La situation est telle que seul le président peut mettre fin à ce drame, rendre un fils à la France et ramener la paix dans le coeur d'une mère. C'est pourquoi je me suis permis de vous faire remettre cette lettre, convaincue que vous jugerez utile de la soumettre au Général. La France est sortie du drame algérien. Des amnisties ont eu lieu qui tournent une page d'histoire. Il existe pourtant, dans les Charentes, une mère malade qui attend son fils et qui se tourne vers vous pour obtenir justice. »
> Lettre d'Aimée Favrelière, le 12 mai 1965. Noël Favrelière, déserteur (lire p. 41) et condamné à la peine de mort, sera gracié en 1966. Son témoignage, "Le Désert à l'aube", publié en 1960, inspirera le scénario du film "Avoir vingt ans dans les Aurès" (1972)
Un Européen passé à un maquis de l'ALN
« Je ne suis pas musulman, mais je suis algérien d'origine européenne. Je considère l'Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Au moment où le peuple algérien s'est levé pour libérer son sol national du joug colonialiste, ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur. La presse colonialiste crie à la trahison. Elle criait aussi à la trahison lorsque, sous Vichy, les officiers français passaient à la Résistance, tandis qu'elle servait Hitler et le fascisme. En vérité, les traîtres à la France, ce sont ceux qui, pour servir leurs intérêts égoïstes, dénaturent aux yeux des Algériens le vrai visage de la France et de son peuple aux traditions généreuses, révolutionnaires et anticolonialistes. De plus, tous les hommes de progrès de France et du monde reconnaissent la légitimité et la justesse de nos revendications nationales.
Le peuple algérien, longtemps bafoué, humilié, a pris résolument sa place dans le grand mouvement historique de libération des peuples coloniaux qui embrase l'Afrique et l'Asie. Sa victoire est certaine. Et il ne s'agit pas, comme voudraient le faire croire les gros possédants de ce pays, d'un combat racial, mais d'une lutte d'opprimés sans distinction d'origine contre leurs oppresseurs et leurs valets sans distinction de race.
Il ne s'agit pas d'un mouvement dirigé contre la France et les Français ni contre les travailleurs d'origine européenne ou israélite. Ceux-ci ont leur place dans ce pays. Nous ne les confondons pas avec les oppresseurs de notre peuple. En accomplissant mon geste, en livrant aux combattants algériens des armes dont ils ont besoin pour leur combat libérateur, des armes qui serviront exclusivement contre les forces militaires et policières et les collaborateurs, j'ai conscience d'avoir servi les intérêts de mon pays et de mon peuple, y compris ceux des travailleurs européens momentanément trompés. »
> Henri Maillot (1928-1956) est un Européen d'Algérie. Militant du Parti communiste algérien, il est comptable au journal Alger républicain. Après avoir été rappelé trois mois sous les drapeaux, il s'engage avec le grade d'aspirant et est affecté au 57e bataillon de tirailleurs de Miliana. Le 4 avril 1956, il passe au maquis avec un camion d'armes et adresse cette lettre à la presse parisienne. D'autres Européens d'Algérie, essentiellement des membres du PCA, ont rejoint les maquis de l'ALN, certains dès les premiers mois de l'insurrection.
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