Témoignage de M. Yves-Marie Hilaire
14La dernière période de la guerre d’Algérie en 1961-1962 est marquée par les attentats de l’Organisation Armée Secrète (OAS) qui atteignent la région du Nord, impressionnent fortement l’opinion et l’incitent à souhaiter une paix prochaine. Tandis que les libéraux sont assassinés par l’OAS en Algérie, les attentats au plastic se multiplient en métropole. La police française doit combattre sur deux fronts contre le FLN et l’OAS. Par crainte d’un attentat, nous éloignons le petit lit de Jean-François (6 mois) de la porte de notre appartement, rue Royale.
15Le jeudi 16 novembre 1961, après l’attentat contre le professeur Godement, un meeting intersyndical se tient à la Faculté des Sciences. J’interviens au nom du SGEN pour expliquer ; « l’OAS part d’une idée fausse, la déformation d’une idée vraie qui est le droit des minorités. Elle refuse à la majorité le droit de s’exprimer vraiment et veut s’imposer par la force et la guerre et prolonger la guerre. Nous sommes contre les solutions de partage et le racisme ».
16Le 19 décembre 1961 a lieu une journée de manifestation nationale contre l’OAS et pour la paix en Algérie par la négociation qui rassemble CGT, CFTC, FEN et UNEF. Dans la nuit du 15 janvier 1962, le local de l’UNEF, rue de Valmy, est plastiqué. Le soir même à 18 h 30 un meeting de protestation qui rassemble plus de 2000 personnes envahit la rue de Valmy. J’y prends la parole au nom du SGEN en rappelant que « la liberté de l’esprit, fondement d’une vie intellectuelle, ne peut survivre longtemps dans un climat de violence » et que l’Université française est menacée dans son existence même par des méthodes totalitaires destructrices de toute liberté ».
17Peu après, vingt organisations lilloises se rencontrent pour réclamer une paix négociée en Algérie et une action efficace contre l’OAS. Parmi celles-ci les divers syndicats, le CDLI et plusieurs partis politiques, le Parti communiste, le Parti socialiste unifié, et le Mouvement républicain populaire, ce qui élargit vers le centre la protestation. La SFIO se tient d’abord à l’écart avant de rejoindre ce comité de liaison anti-OAS.
18Le 6 février 1962, lors de la journée de protestation universitaire, près de 2 000 personnes écoutent un cours public du professeur Pierre Reboul, doyen de la Faculté des Lettres, qui se montre fort éloquent sur « La vocation de l’Université dans la situation actuelle ». D’abord il refuse une certaine neutralité de l’Université dans cette conjoncture : « Tout enseignement est témoignage parce que notre enseignement témoigne que la France doit être une nation raisonnable et juste. Faux universitaires que ceux qui se drapent dans leur dignité et attendent le coup de couteau pour murmurer : « tu quoque mihi Salan » ». Et il continue : « cette magnifique et nécessaire neutralité de l’École nous fait un devoir de prendre parti... Philippe est aux portes d’Athènes. Il faut que Philippe sache qu’il ne les franchira pas. Il faut qu’il sache qu’il y a incompatibilité – non pas d’humeur mais de principe – entre l’École française et un mouvement de plastiqueurs, de racketteurs et d’assassins. Il faudrait la pire et la plus ridicule des mauvaises fois pour avancer qu’un gouvernement issu, directement ou indirectement, de l’OAS, conservera les libertés nécessaires à notre métier ». Le doyen Reboul précise : quelques voix d’évêques ont, pendant la guerre, rappelé la frontière entre le bien et le mal, entre le déshonneur et la dignité. L’Université aujourd’hui ne peut faire moins... Notre chance veut que par l’effet d’une double tradition chrétienne et philosophique, la patrie n’ait jamais, dans les principes, tourné le dos à l’humanité... Nous condamnons toutes les violences... Nous avons le devoir de dire que le patriotisme de l’OAS est un leurre ».
19Le 8 février 1962, sur l’initiative de la CPTC, une manifestation silencieuse a lieu devant le monument aux morts de Lille en hommage à tous les morts de la guerre d’Algérie. Mais ce jour-là à Paris une provocation d’une partie de la police entraîne la mort de 8 manifestants au métro Charonne. La grève générale du 13 février, jour des obsèques des tués, est l’occasion de défilés de protestation dans toute la Prance. A Paris, Paul Vignaux rend hommage aux morts du 8 février en signalant que la manifestation parisienne exprime « l’affirmation d’une force populaire qui doit permettre d’écarter, après les obstacles à la négociation avec le Gouvernement provisoire de la république algérienne, ceux (violences fascistes ou intrigues politiciennes) que l’on pourrait opposer à l’application de l’accord qui semble si proche. »
20Après la signature des accords d’Évian, le cessez-le-feu intervient en Algérie le 19 mars 1962. L’indépendance de l’Algérie est acceptée par le peuple français le 8 avril au moyen d’un référendum dans lequel 90 % des votants émettent un oui. Le référendum a permis au peuple français, dans sa très grande majorité, allant des communistes à la droite, d’accepter l’indépendance d’une Algérie qui avait été française de 1830 à 1962. L’OAS se lance alors dans une stratégie de désespoir assassinant pieds-noirs libéraux et musulmans, pratiquant la tactique de la terre brûlée, incendiant la bibliothèque d’Alger, sous la direction de Georges Bidault devenu un fanatique de l’Algérie française. Les pieds-noirs, qui fuient précipitamment la terre de leurs pères, et les harkis qui seront massacrés par le FLN, peu respectueux des accords d’Évian, seront les victimes de cette stratégie folle.
21Toute une jeune génération a été durablement marquée par une longue guerre difficile à justifier et longtemps mal conduite. Son patriotisme, exacerbé pour une minorité, émoussé pour une majorité, sera à nouveau secoué par la crise de civilisation de 1968 qui manifestera la prétention de faire table rase du passé.
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