La nature a horreur du vide, c’est connu. Plus la voix de la femme est étouffée, plus on la chasse de l’espace public, et plus nous tous, femmes et hommes, nous perdons chaque fois de notre liberté.
C’est pourquoi je veux remercier le Collectif d’étudiantes libres de Bouira de m’avoir invité à ce séminaire et je veux les féliciter pour cette initiative qu’il faut encourager et multiplier car les concepteurs du code de l’infamie de 1984 et les tenants de la femme à la cuisine redoublent de férocité, comme aurait dit Kateb Yacine.
Pour ma part, j’essaie d’apporter ma modeste contribution chaque fois que l’occasion m’en est donnée. J’essaie de le faire à travers mes ouvrages dans lesquels le thème central est celui de la condition de la femme et de même, dans mes romans, le personnage principal est une femme.
C’est pourquoi j’ai accepté avec plaisir de participer à ce séminaire et de parler de la femme algérienne dans l’histoire.
D’où vient cette préoccupation pour le problème de la condition des femmes ?
Si vous me le permettez, je vais faire une digression pour vous parler d’abord d’une femme qui m’a marqué et pour vous expliquer pourquoi la question des femmes est un combat personnel.
Ma mère
J’ai été élevé par une femme, ma mère, au courage admirable, une héroïne anonyme. Ma mère est devenue veuve à 35 ans. Elle pouvait refaire sa vie mais elle a refusé et a préféré rester auprès de ses 5 enfants pour les protéger. Cette femme, ma mère, a fait ce qu’aucun homme n’aurait jamais fait et ne pourrait jamais faire. Pourtant c’était une femme, une simple femme marginalisée par son statut de femme, pauvre, sans moyens, à la parole inaudible, sans liberté de mouvement.
Elle a réussi comme femme à s’imposer et à imposer le respect et la reconnaissance de son mérite, de son courage, de son intelligence et de son dévouement, à tel point qu’à sa mort, les hommes ont cassé un tabou et enfreint une tradition : ils ont demandé à voir son visage. Qu’ont ils avancé pour justifier leur demande? Que cette femme qui gisait là n’était pas une femme comme les autres ! Elle avait valeur d’homme.
Cette marque de reconnaissance me bouleversait, j’étais fier de ma mère, bien sûr, fier de ce qu’elle avait accompli, mais en même temps cela me rendait triste car il avait fallu à ma mère endurer mille misères, milles brimades, mille privations et mille sacrifices pour être élevée au niveau de l’homme. Pour mériter la considération des hommes, elle devait être élevée à la hauteur de l’homme.
Ma mère n’est qu’un exemple parmi des centaines de milliers, des millions de mères et de femmes-courage. C’est pour cela que tous les efforts que nous pouvons faire, tous les hommages que nous pouvons rendre à la femme, ne seront jamais de trop pour lui redonner la place à laquelle elle a droit.
Ce qui doit nous interpeller aujourd’hui, et qui doit nous inquiéter en même temps, c’est que peu à peu, notre jeunesse s’est retrouvée sans repères culturels, sans modèles de personnages historiques auxquels se référer. Petit à petit, presque insensiblement, on a amené les jeunes, garçons et filles, à regarder ailleurs qu’à l’intérieur d’eux-mêmes, on a excentré leur regard et leur intérêt et on leur a fait aimer des personnages historiques qui appartiennent à d’autres peuples, à d’autres cultures.
Pourtant l’histoire de l’Algérie dont la civilisation a été contemporaine des civilisations antiques fourmille d’hommes et de femmes héroïques extraordinaires de courage, d’intelligence et d’exemplarité. Notre civilisation a côtoyé les civilisations grecque, romaine, égyptienne, phénicienne, elle a même rivalisé et échangé avec elles. Au temps où dans certaines contrées du globe, on enterrait les filles à leur naissance, en Algérie et en Afrique du Nord en général, des femmes étaient reines, chefs de famille. Nous n’avons nul besoin d’aller ailleurs chercher des modèles qui ne nous appartiennent pas et qui ne nous ressemblent pas.
Mais qui parmi la jeunesse d’aujourd’hui connaît nos héroïnes ? Qui connaît Tin Hinan? Qui connaît Damia ou Dihia, appelée la Kahena par les Arabes? Qui connaît Fatma Tazeggaght? Qui connaît aujourd’hui les saintes chrétiennes amazighes, Roba et Salsa, qui sont devenues des icônes de l’Eglise catholique ? Qui connaît la véritable histoire de Lalla Khlidja et de Yemma Gouraya ?
Qui a entendu parler de Chemsi ? Qui connaît l’épopée de Fatma nSoumer? Qui connaît la véritable histoire de la magnifique Djamila Bouhired? De Hassiba ben Bouali? De Fadila Saadane et de toutes les jeunes héroïnes de la guerre de libération? Qui se rappelle encore de Nabila Djahnine, présidente de l’association Tighri n Tmetoth, et de toutes les femmes victimes du terrorisme ?
Bien sûr, les noms de Tin Hinan, Dihia, et de toutes les autres ont été exhumés de l’oubli, l’état civil les reconnaît désormais, des jeunes filles les portent fièrement mais dans la plupart des cas, on ne connaît pas leur parcours.
Dihia, Fatma n Soumer, Tin Hinan, Djamila Bouhired, et les autres pourraient faire rêver et inspirer nos jeunes filles comme Massinissa, Firmus, Tacfarinas, Jughurta, pour ne citer que les héros de la résistance à la colonisation romaine, pourraient inspirer les garçons.
Mais ces personnages sont des femmes et cela semble poser un problème à certaines mentalités.
Quand on retrace le parcours historique de chacune de ces femmes légendaires qui ont fait la gloire de notre pays et qui devraient faire notre fierté, on est surpris de constater qu’elles ont des parcours curieusement identiques :
1- La plupart sont apparues à des moments de crise, et ont été confrontées à des épreuves terribles avant d’être reconnues comme cheffes.
2- toutes ont défendu leur pays et ont conduit leur peuple vers des victoires sur l’ennemi.
3- toutes se sont distinguées par leur courage, leur détermination et leur sens de la justice
4- la plupart d’entre elles ont connu des fins tragiques.
Tin Hinan, Fatma Tazeggaght, Chemsi, Kahena, Lalla Khlidja, Yemma Gouraya, Roba et Salsa, Fatma N Soumer, Djamila Bouhired et ses camarades ne constituent qu’une illustration du rôle de la femme dans l’histoire de notre pays. La majorité des héroïnes sont passées dans l’anonymat pour la simple raison qu’elles étaient femmes.
Elles ont été reines et ont dirigé leur peuple et leur pays, elles ont été guerrières et combattantes et ont défendu leur patrie, elles ont été saintes et mystiques et ont œuvré pour le bien des autres, elles ont été tout simplement mères et épouses et ont sacrifié leur propre bonheur pour celui de leur famille.
On ne peut pas les présenter toutes, bien sûr, je vous parlerai de quelques-unes qui sont les plus représentatives de ce que la femme algérienne a accompli au cours de l’histoire.
Tin Hinan
Chronologiquement, la première d’entre elles à avoir marqué l’histoire de notre pays est Tin Hinan.
Tin Hinan est la reine des Touaregs. Les versions divergent à son sujet :
Elle aurait fui sa famille suite à un conflit selon certains historiens, tandis que d’autres rapportent qu’elle aurait quitté sa région natale du Tafilalet marocain après la débâcle face à l’envahisseur romain. Elle traverse tout le Sahara, du Tafilalet marocain à Abalessa, dans la région de Tamanrasset, accompagnée de sa suivante Takama et de quelques hommes. Grâce à sa connaissance des étoiles et à sa détermination, elle arrive à survivre à la soif et à la chaleur du désert.
L’histoire retient de Tin Hinan qu’elle a fondé un royaume, qu’elle a jeté les fondements de la société touarègue caractérisée par le matriarcat dans lequel la prédominance revient à la femme. Elle serait l’ancêtre des Touaregs nobles, tandis que sa suivante Takama serait l’ancêtre des Touaregs de la plèbe.
Il ne reste de Tin Hinan que le souvenir que la mémoire collective des Touaregs entretient précieusement, dans lequel le mythe se mêle à la réalité. Les chants et les récits des femmes touaregues rejoignent le récit d’Ibn Khaldoun qui la présente comme une femme charismatique, autoritaire, d’une grande beauté, qui a régné sur le peuple touareg au temps de l’empereur Constantin au IVe siècle.
Ce qui distingue ce personnage est que, femme, elle a pris sa destinée en mains, femme, elle s’est révoltée, a pris la décision de fuir sa famille ou l’ennemi, et d’affronter avec succès les périls du désert. C’est en 1925 qu’a été découvert son tombeau dans lequel on a retrouvé, outre ses restes, son mobilier et ses bijoux, conservés aujourd’hui au musée du Bardo à Alger. Elle a inspiré beaucoup de créateurs, des films et des romans, dont le plus célèbre, «L’Atlantide», de Pierre Benoist, lui ont été consacrés.
Fatma Tazeggaght
Le deuxième personnage historique féminin qui a retenu mon intérêt est Fatma Tazeggaght.
Qui connaît Fatma Tazeggaght ? Qui a entendu parler d’elle ? J’avoue que personnellement je n’ai appris son existence qu’il y a deux ou trois ans en entreprenant des recherches sur une autre femme historique dont je vous parlerai plus tard et qui constitue le sujet d’un roman en chantier.
Fatma Tazeggaght est un personnage hors du commun malheureusement tombé dans l’oubli. C’est une reine amazighe qui a vécu au 16e siècle, entre 1544 et 1641.
Nadir Sbaa, écrivain chaoui, la ressuscite dans son ouvrage «L’histoire des Aurès». Selon lui, elle descend d’Imouren, qui est un général berbère, lieutenant de Tarek ibn Ziyad, conquérant de l’Andalousie, ancêtre de l’inventeur du canon léger en bois de chêne (1908) Bouthaalavth, et du fabricant des tromblons et fusils à clous.
Elle était réputée comme étant une redoutable guerrière, une cheffe de guerre qui avait un excellent sens de l’organisation et du commandement à la tête de ses troupes.
Elle s’habillait en guerrière durant les batailles qu’elle dirigeait elle-même et exerçait sur les montagnards un incontestable ascendant. Pour imposer le respect et la discipline, elle n’hésita pas à exécuter deux de ses frères. Le grand mérite de Fatma Tazeggaght est d’avoir réussi à unifier les tribus amazighes de l’Aurès et d’avoir constitué un conseil des sages composé uniquement de femmes. La vie de Fatma Tazzeggaght est relatée à travers des poèmes et des chansons du terroir chaoui, qui la décrivent comme étant «une reine belle et rousse».
Chemsi
Un autre modèle de femme libre, courageuse, déterminée, qui peut inspirer nos jeunes filles et faire taire les discours rétrogrades qui font de la femme un être inférieur, est celui de Chemsi. Elle aussi, comme les autres, est tombée dans les oubliettes de l’Histoire, car l’Histoire, écrite par les hommes, ne s’intéresse pas aux femmes.
On ne connaît pratiquement rien de Chemsi sauf qu’elle était du village d’Adeni, de la confédération des At Irathen. Elle a pris le pouvoir et régné avec l’aide de ses dix fils et a vécu au XIIe-XIIIe siècle. Elle était contemporaine du sultan mérinide Abou el Hassen.
Pendant une longue période, elle a su diriger son territoire et son peuple avec bon sens et justice, et a su les défendre contre les convoitises et les ambitions des souverains mérinides et hafsides qui entouraient la Kabylie. L’histoire retient d’elle une anecdote très significative de la personnalité de cette femme hors du commun.
Un homme qui ressemblait au souverain mérinide Abou el Hassen et qui se faisait passer pour lui se réfugie en Kabylie et demande l’anaya à la reine Chemsi qui la lui accorde sans connaître les véritables raisons de sa fuite. Le souverain Abou el Hassen demande à Chemsi de lui remettre l’homme. En vertu des lois de l’anaya qui caractérise la société kabyle, et malgré les menaces du souverain et ses promesses de grosses sommes d’argent, Chemsi refuse de remettre l’homme. Quand elle comprend qu’il est réellement un imposteur, elle l’engage à quitter son territoire plutôt que de rompre sa ‘anaya. L’imposteur se réfugie chez un souverain hafside qui, lui, n’hésite pas à le remettre à Abou el Hassen.
Cette anecdote est intéressante en ce qu’elle porte un enseignement. Beaucoup de clichés sur les femmes doivent tomber. L’histoire fourmille d’exemples qui nous prouvent que la femme a autant ou plus de courage que l’homme, autant ou plus de bon sens que lui, autant ou plus de respect de la parole donnée que l’homme.
Je veux vous parler maintenant de deux femmes dont le parcours est étonnamment identique et qui sont allées jusqu’au sacrifice de leur vie. Toutes deux ont fait face à un adversaire féroce, plus fort, plus nombreux et mieux armé. Toutes deux étaient des guerrières et ont dirigé des armées pour défendre leur patrie.
La Kahina
Au VIIe siècle, à l’approche des armées arabes, une jeune femme des Aurès, Dihia ou Damia, que les Arabes appelleront El Kahina parce qu’elle avait, disait-on, des dons de divination, rassemble les tribus et résiste à l’avancée des Arabes. Elle est fille unique, et à la mort de son père elle est élue reine par les tribus de l’Aurès pour le remplacer. Elle prend le commandement de l’armée, dirige les batailles et y participe.
Elle mobilise la population, prépare la résistance car elle comprend que ce sera une guerre de longue haleine. Elle remporte des batailles historiques et règne durant cinq ans sur toute l’Afrique du Nord orientale, c’est-à-dire l’est de l’Algérie et la Tunisie.. C’était une reine guerrière dont l’autorité ne fut jamais remise en question tant elle faisait montre d’un grand bon sens, d’une grande intelligence et d’une détermination à toute épreuve.
Les armées arabes étant plus nombreuses, mieux armées et mieux équipées, elle est acculée ; elle change de stratégie, passe de la guerre conventionnelle à la guérilla et au harcèlement des unités arabes, mais refuse de déposer les armes et de se rendre. En l’an 693, elle est faite prisonnière par Hassan ben Nouamane, elle est décapitée à l’endroit qui porte aujourd’hui le nom de Bir el Kahina et sa tête est envoyée au calife.
Elle a inspiré des films, des romans, beaucoup d’historiens se sont intéressés à elle.
Il y a quelques années, on lui a élevé une statue dans sa région natale et des ignorants l’ont saccagée sous prétexte que c’était une mécréante car elle s’opposait à l’arrivée de l’islam. La bêtise n’a pas de limites car d’abord elle était croyante car elle était de confession juive, chrétienne, selon certains historiens. Ensuite, elle défendait son pays, non pas contre des hommes qui venaient avec le Livre Saint à la main mais contre des guerriers venus à cheval sabre au clair.
Aujourd’hui beaucoup de jeunes filles et de jeunes femmes portent le nom d’une héroïne symbole de résistance, de patriotisme, et de courage. Le nom de Dihia doit être pour nous le synonyme de l’amour de la patrie, de la liberté, de l’indépendance et de la vie.
Fadhma n’Soumer
De toutes les femmes qui ont occupé la scène de l’Histoire de notre pays, l’une d’elles m’a particulièrement subjugué, au point qu’elle m’a incité à écrire un roman historique.
Il s’agit de Fadhma N’Soumer. Fadhma N’Soumer a surgi de nulle part. C’était une jeune fille de la montagne, d’une famille simple de marabouts de Ouerdja, les Ait Sidi Ahmed, du nom d’un aïeul Hend Ou Meziane dont le tombeau est jusqu’à aujourd’hui vénéré et visité, à quelques kilomètres à l’est de Michelet, née en 1830 l’année du débarquement français. On dit d’elle qu’elle était belle et charismatique, intelligente et dotée d’une grande éloquence et d’un esprit rebelle.
L’expression «Lalla n’Ouerdja» est connue dans la région. Cette expression désigne une fille qui veut se révolter, qui veut sortir du rang, qui ne veut pas se soumettre. Elle fut accolée d’abord à Fadhma n Soumer. En effet, dès son jeune âge, elle se distinguait par son esprit d’indépendance et son caractère réfractaire. Elle refusait d’accepter la condition dans laquelle on voulait la confiner. Dès l’âge de 6 ans, elle veut aller à l’école comme ses frères, chose inconcevable pour une fille à l’époque, de surcroît fille de marabout !
Elle insiste si bien que son père lui permet d’assister aux cours dans sa zaouïa, cachée derrière la porte de la classe. Elle apprend le Coran, la langue arabe, la géographie, l’astronomie. A l’âge de 16 ans, beaucoup de prétendants se présentent pour demander sa main, elle les refuse l’un après l’autre et se rebelle contre l’autorité familiale en refusant de se marier. On la met en quarantaine, elle est enfermée dans une cellule, tient tête, attrape une dépression mais refuse toujours d’obéir à ses parents. Face à sa détermination, on la libère.
Mais à la mort de son père, son frère la marie de force. Plus déterminée que jamais, elle refuse de consommer le mariage et elle abandonne son mari au bout d’un mois pour retourner chez ses frères à Ouerdja. On la met en quarantaine de nouveau, refuse de retourner auprès de son mari et au bout de quelques mois, elle est autorisée à aller rejoindre son frère dans sa zaouia à Soumer. Son mari refusera toute sa vie de la répudier pour lui permettre de se marier. C’est à Soumer qu’elle commence à se faire connaître par son éloquence, sa piété, son don de guérison, son charisme.
Elle se consacre aux pauvres, on vient la voir de toutes les régions de Kabylie.Quand le maréchal Randon décide de partir à la conquête de la Kabylie, elle lance l’appel à la mobilisation et à la résistance et les tribus de la Kabylie lui remettent le commandement. Elle organise la résistance, engage la population dans une économie de guerre, lance la fabrication d’armes et de munitions et prépare des réserves de guerre. Elle seconde Boubaghla dans la résistance contre les incursions de l’armée française et à la mort de ce dernier, elle dirige seule la résistance.
Elle fait face aux multiples expéditions de Randon durant 8 ans, use 13 généraux français, et remporte à la tête des troupes de paysans kabyles des batailles historiques comme à Azazga, à Bordj Sebaou, mais surtout à Icheridden et à Tachkirt lors desquelles elle inflige des défaites mémorables à Randon. Elle ne se rend pas, tient tête à l’armée française composée de 35 000 hommes. Elle participe aux batailles en compagnie d’un contingent de femmes toutes aussi courageuses.
En Kabyle Lala Faḍma n Sumer (vers 1830 - 1863), est une personnalité kabyle de la résistance algérienne contre la conquête de l'Algérie, dans les années 1850.
La Kabylie est ravagée, les villages incendiés, détruits, les récoltes détruites, les paysans sont exténués et les tribus cessent le combat sous l’avancée des Français mais Fadhma refuse de rendre les armes. Elle finit par être capturée en juillet 1857 dans le village de Takhlijt n at Atsou, près de Tirourda.
Randon veut absolument voir cette femme qui l’a défait plusieurs fois et qu’il a appelée la «Jeanne d’Arc» du Djurdjura. Lors de la discussion, elle lui dit ; «Nous faisons partie de cette montagne, nous sommes comme les pierres et les rochers qui la composent. Tôt ou tard, vous partirez et nous resterons».
Elle est envoyée en captivité dans une zaouia à Beni Slimane, près de Tablat, où elle meurt à l’age de 33 ans. On a érigé une statue entre son village natal Ouerdja et le village dont elle porte le nom, Soumer, en pleine campagne. L’état déplorable dans lequel est la statue et le terrain sur lequel elle est érigée montre le peu de considération qu’on a pour cette héroïne.
Djamila Bouhired, Hassiba ben Bouali, Fadila Saadane et les autres
Je ne peux pas terminer sans dire un mot des héroïnes de la guerre de libération. Je n’ai pas besoin de parler de Djamila Bouhired, de Fadila Saadane, de Malika Gaid, d’Annie Steinner, de Louisette Ighil Ahriz et de leurs camarades, leur histoire est mieux connue, contrairement aux héroïnes dont je viens de parler. Mais cette notoriété ne semble pas aller au-delà de leur nom. La jeunesse, quand elle connaît le nom de ces héroïnes, ignore tout de leur parcours. Un parcours dont la notoriété semble se limiter aux générations de l’indépendance. Il est vrai qu’aussitôt descendues du maquis, aussitôt l’indépendance proclamée, elles se sont vues petit à petit refouler dans l’anonymat.
Les promesses d’égalité des sexes furent vite oubliées et le code de l’infamie de 1984 est venu les enterrer officiellement. J’ai participé dernièrement au festival Racont’Arts à Tiferdoud, près de Ain El Hammam, et Djamila Bouhired est venue l’honorer de sa présence. Elle a reçu un accueil plus que chaleureux, digne d’un chef d’Etat, chargé d’émotion. Mais beaucoup de jeunes étaient étonnés de cet accueil, et demandaient : «Qui est cette femme ? Qui est Djamila Bouhired ?»
Djamila Bouhired, Hassiba Ben Bouali, Malika Gaid, Annie Steiner, Fadila Saadane, et des milliers d’autres femmes ont sacrifié sans hésiter leur jeunesse, leurs rêves, parfois leur vie, pour libérer la patrie. La liste est longue de toutes celles qui ont fait don de leur vie, de leur mari, de leurs enfants mais qui sont restées anonymes….
La femme a été autant que l’homme une actrice de l’histoire, elle n’a pas assumé que les tâches ingrates de la logistique. Elle a souvent combattu les armes à la main, a été torturée, emprisonnée, et a enduré les mêmes privations et les mêmes difficultés que ses camarades de combat masculins.
Quand la femme sera libérée et se sentira un être humain à part entière, pas le complément de l’homme, l’homme sera libéré de lui-même et de ses démons. Il n’y a pas très longtemps, des femmes, des étudiantes, des enseignantes, des femmes ordinaires, anonymes, des mères de famille se sont montrées les dignes descendantes de toutes ces héroïnes que je viens de citer en bravant les ultimatums des terroristes. Beaucoup ont payé de leur vie leur courage et leur résistance. Durant cette période des années de terreur, la mort ne faisait aucune distinction entre les sexes et les âges. Les femmes et les hommes étaient égaux dans la mort, la peur et la résistance.
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