Nous relayons la pertinente tribune signée par Henri Pouillot suite à l’hommage rendu par le président français aux harkis. L’ancien appelé de l’armée française auteur de La Villa Sésini et de Mon combat contre la torture s’étonne de ce que la France présente ses excuses «aux Algériens qui se sont battus pour le colonialisme». «La date du 25 septembre pour commémorer le sacrifice des harkis devrait être supprimée», estime-t-il.
Le comble : la France présente donc ce 20 septembre 2021 ses excuses aux Algériens qui se sont battus pour le colonialisme, certains sans en mesurer les enjeux !
D’abord, il est important de rappeler qu’il n’y a pas une seule catégorie de harkis, comme on le laisse souvent penser. Mais les conditions d’engagement ou d’enrôlement sont multiples. Il suffit de reprendre l’étude remarquable de Pierre Daum, Le Dernier Tabou, les harkis restés en Algérie après 1962, pour mieux comprendre la complexité des situations.
Un certain nombre se sont effectivement engagés dans l’armée française, espérant ainsi, à l’issue de la guerre qu’ils pensaient gagnée d’avance par la France, se trouver ensuite récompensés, qu’ils seraient des citoyens français à part égale avec les pieds-noirs. C’était la promesse qui leur était faite pour les convaincre qu’il n’y aurait plus les deux collèges… Certains se sont engagés, après une sorte de conseil de famille, afin de ramener à la maison un peu d’argent pour faire vivre les siens, alors que le frère allait au maquis. Certains se sont engagés pour transmettre au FLN des informations ou pour déserter en emportant des armes.
D’autres ont été enrôlés de force : par exemple, des Algériens ont été arrêtés dans leur village, habillés d’une tenue militaire (avec une arme sans munitions) et envoyés au sein d’une patrouille qui allait commettre une exaction contre la population. Ce harki, alors considéré comme un traître, ne pouvait plus rentrer parmi les siens. A la fin de cette guerre, la grande majorité des harkis est restée en Algérie, ils sont rentrés dans leur village et y vivent tranquillement. Par contre, certains harkis, connus pour leur lourd passé de militaires français «zélés», ayant commis de nombreuses exactions, des tortures… ont été victimes de règlements de compte et quand ils ne purent quitter l’Algérie : un mouvement sensiblement similaire à celui réservé aux «collabos» en France dans les années 1945-46.
Les harkis qui sont venus en France furent majoritairement des engagés volontaires qui avaient cru aux promesses des autorités militaires de l’époque, imprégnés de l’idée d’une Algérie devant rester française où ils ne seraient plus des sous-citoyens.
Non seulement la France n’a pas tenu les promesses de les soutenir, de les considérer comme des citoyens français, et ceux qui ont franchi la Méditerranée, très majoritairement, se sont retrouvés dans des camps, des «villages forestiers», certains même «hébergés» dans des prisons, tous, dans des conditions de vie absolument inhumaines, indignes.
Donc, pendant cette Guerre d’indépendance de l’Algérie, la France a tenté de jouer avec les Algériens la pire des pratiques coloniales pour asservir encore un peu plus une partie de la population algérienne.
Un certain nombre d’associations de harkis se sont constituées, souvent à l’initiative de meneurs qui étaient restés dans la perspective d’un combat pour garder l’Algérie française, se sont donc «naturellement» retrouvées dans la même démarche que les nostalgiques de l’Algérie française, de l’OAS.
C’est cette tendance que le macronisme tente de séduire aujourd’hui en vue de la présidentielle, en particulier avec l’organisation de cette initiative du 20 septembre 2021 (invitation d’environ 300 personnes à l’Elysée).
Dans cette intervention Emmanuel Macron a simplement demandé pardon et promis une loi de réparation. Il manque l’essentiel : la condamnation, par ce pays revendiquant être celui des droits de l’Homme, de sa responsabilité dans ce crime contre l’humanité qu’est le colonialisme. Cette pratique mise en œuvre pendant cette Guerre d’indépendance de l’Algérie a généré les pires méthodes usant de crimes d’Etat, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre… pour tenter de maintenir cette domination. En 2017, lorsqu’Emmanuel Macron était candidat à la présidence de la République, il avait accordé une interview à une télévision algérienne dans laquelle il considérait que l’on pouvait considérer le colonialisme comme un crime contre l’humanité – bien que dans cette même interview il vantait les apports de la présence française dans ses colonies – et aujourd’hui il honore ceux qui, pour beaucoup, plus ou moins contraints, conscients, contribuaient à maintenir en place ce colonialisme.
En proposant une telle loi de réparation, qui aurait dû exister depuis longtemps pour cette catégorie, il espère ainsi récupérer des voix (qui, jusqu’à maintenant, quand elles s’exprimaient, allaient plutôt vers l’extrême droite lepéniste) aux prochaines élections présidentielles. Cette loi ne devrait pas porter réparation aux seuls harkis, mais à l’ensemble des victimes de cette période et la commission évoquée à cette occasion, ne devrait pas examiner que la réparation des familles de harkis, mais aussi, par exemple (et pas que), des victimes des essais nucléaires. En effet, les radiations générées par ces tirs d’alors continuent encore aujourd’hui de poser de graves problèmes de santé pour les populations de cette région.
La date du 25 septembre pour commémorer le sacrifice des harkis devrait être supprimée, ces soldats doivent être honorés comme tous les Français victimes de ce conflit, et ce devrait être le 19 mars, comme la tradition française l’a fait pour tous les conflits en retenant la date de mise en application de l’accord de fin de la guerre. Retenir une autre date pour les harkis, c’est une discrimination à leur égard, à connotation raciste.
Des rumeurs évoquent qu’Emmanuel Macron pourrait, dans quelques semaines, peut-être faire un nouveau pas en reconnaissant le crime d’Etat du 17 Octobre 1961 : ce massacre de centaines d’Algériens au Pont Saint Michel à Paris.
Par rapport à la période de cette Guerre de libération de l’Algérie, il serait plus que temps que ce ne soient pas des petits pas effectués les uns après les autres pour tenter de satisfaire une clientèle électorale, mais que la France reconnaisse enfin sa responsabilité globale dans l’organisation de tous ces crimes d’Etat (17 octobre 1961, 8 février 1962, etc.), ces crimes contre l’humanité (tortures, viols, corvées de bois, crevettes Bigeard, camps d’internement – pudiquement appelés de regroupement – ces crimes de guerre (utilisation du napalm, du gaz Vx et Sarin, les essais nucléaires…) et les condamne très clairement. Il en va de l’honneur de notre pays, du respect des valeurs républicaines de la France.
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