Samia Arhab « …la sœur du journaliste Rachid Arhab qu’on ne voit plus » Va bientôt interviewer Jacques cros dans le documentaire « MON ALGérie à moi »
Mais il y a 7 ans en 2014 Jacques Cros nous commentait quelques souvenirs concernant "sa" guerre d'Algérie et de son retour en France, en passant par le "putsch d'Alger" et le 19 mars 1962... En attendant le documentaire de Samia Arhab voici donc ses souvenirs en 2014 :
Départ pour l'Algérie, arrivée à Oran
Le Ville d'Alger
C’était à la fin février 1960 peut-être le 26, c'est-à-dire le jour de mes 20 ans. C’était l’après-midi. J’étais dans ma classe de CM1 à l’école de La Plaine à Bédarieux. Envoyé par Monsieur Espitalier, le directeur du cours complémentaire, qui était aussi le directeur de l’école primaire, un élève est venu m’apporter un courrier.
Il s’agissait de ce que dans la région on appelait «la billette». C’était l’avis de mon affectation pour effectuer mon service militaire. Il m’était ordonné de me rendre au Camp Sainte Marthe le 1er mars à Marseille afin de prendre le bateau pour Oran où je devais faire mes classes au 1/66ème Régiment d’Artillerie, un régiment disciplinaire était-il précisé.
J’ai accusé le coup. J’espérais en effet que mes classes se feraient en France et que cela me permettrait d’avoir un délai avant de partir en Algérie. Avec les déclarations de de Gaulle sur le droit à l’autodétermination je pensais même que ce serait bientôt la fin de la guerre. Eh non !
Je ne sais plus si je suis allé en classe le lendemain. En tout cas le 29 je ne me suis pas rendu à mon travail. Le dimanche j’étais allé m’entraîner à La Prades. Oui, à cette époque là je faisais du cross-country l’hiver et du demi-fond l’été. Je me revois en train de faire ce qu’on appelait du fractionné. Je ne savais pas encore que c’était déjà la fin de ma carrière sportive !
J’avais écouté la chanson de Berthe Sylva « On n’a pas tous les jours 20 ans » en compagnie... elle s’appelait Jacqueline et nous avions l’un et l’autre perdu notre vertu il y avait quelques jours !
Il fallait s’organiser pour aller prendre un train assez tôt à Béziers le 1er mars. Jeannot Escudier un Cessenonais de ma classe qui était appelé à Alger avait trouvé une solution. Lucien Taillades qui était épicier allait se ravitailler à Béziers le matin de bonne heure avec sa camionnette. C’est ce moyen de transport que nous avons emprunté.
Nous avions beaucoup de temps devant nous avant le départ de notre train. Nous l’avons passé chez un boulanger, il s’appelait Charles Orus, un parent de Jeannot Escudier, et la boutique se trouvait pas très loin des Allées rue Solferino.
En gare de Béziers d’autres conscrits prenaient également le même train que nous. Je leur ai demandé si eux aussi allaient défendre nos puits de pétrole afin de pouvoir approvisionner nos briquets en essence !
A Marseille nous n’avons pas eu à flâner. Des camions militaires nous ont emmenés illico au Camp Sainte Marthe. C’était Mardi Gras et c’est ce jour-là que j’ai été déguisé en troufion. Nous avons fait un paquet de nos vêtements civils et l’armée s’est chargée de les expédier à l’adresse que nous avons indiquée.
Il me semble qu’il y a avait un self installé sous une tente et que c’est là que nous avons mangé.
Je revois le soir sous la lumière des réverbères du camp mon ombre portée avec un calot sur la tête ! Je découvre aussi que la bière pouvait être conditionnée autrement que dans des bouteilles puisqu’on la trouvait en boîte !
La veille il y avait eu un tremblement de terre à Agadir. Dans ma naïveté j’imaginais que nous pouvions être envoyés au Maroc pour apporter notre aide aux sinistrés. Mais la guerre se fout des serments d’amour… elle n’aime que le son du tambour !
A l’armée on ne fait rien mais on le fait de bonne heure. Nous avons dû nous lever vers les 3 h du matin pour embarquer au milieu de la matinée sur Le Ville d’Alger. Le navire appartenait à la Compagnie Générale Transatlantique. Les vêtements de l’équipage portaient le sigle CGT ! Il y avait de quoi rêver !
La société propriétaire du bateau Le Ville d’Alger (et de quelques autres à n’en pas douter) a dû faire de bonnes affaires pendant toute la durée de la guerre. Dommage pour elle que celle-ci se soit terminée. Le Ville d’Alger a été démoli en 1969.
Sur le pont les postes radio à transistors donnaient la chanson de Bourvil « Salade de fruits, jolie, jolie… »
Pour moi la nuit s’est passée sur un transat. Les membres de l’équipage louaient leurs cabines à ceux qui pouvaient payer.
Nous avons dû arriver en vue des côtes d’Afrique au petit matin. La silhouette bleue des montagnes que nous avions aperçues m’avait impressionné. Nous sommes entrés dans le port d’Oran sans doute en début d’après-midi. Dans tous les cas on nous avait servi un repas dans un plateau métallique à alvéoles. A l’entrée du port, sur le quai apparaissait l’inscription en lettres énormes « ICI LA FRANCE ». De rage j’ai envoyé mon plateau par-dessus bord ! C’était haut, il a mis du temps à atteindre la mer !
"ICI LA FRANCE"
C’est l’inscription qui figurait sur la jetée du port d’Oran quand j’y suis arrivé sur le Ville d’Alger en mars 1960. Je l’ai raconté par ailleurs, cela m’avait mis hors de moi et de rage j’avais jeté par-dessus bord le plateau métallique dans lequel on nous avait servi notre repas.
Un ancien d’Algérie, avec lequel j’ai pris contact via Internet, m’a envoyé la photo de cette jetée et de cette inscription. De six mois mon aîné, lui n’avait découvert l’inscription qu’après moi car il avait effectué 14 mois en métropole avant de rejoindre le théâtre des opérations de « maintien de l’ordre ». Oui c’est ainsi qu’on désignait ce que plus tard on a avoué être une guerre, la guerre d’Algérie.
Avec le recul on mesure combien les autorités civiles et militaires n’avaient pas préparé les Européens d’Algérie à l’issue pourtant prévisible. Deux ans avant le cessez-le-feu, prélude à l’indépendance du pays, on entretenait encore la fiction d’une Algérie française.
Fiction lourde de conséquences pour la suite. On a conditionné les Pieds Noirs à l’idée qu’il n’y avait d’autre avenir pour eux que dans la perpétuation du colonialisme lequel avait débuté en 1830 avec le débarquement à Sidi-Ferruch et s’était maintenu par la force, y compris militaire, jusque là.
Que ce colonialisme ait été par nature source d’injustices et de révolte n’était pas reconnu. Les rapports entre les communautés, entachés au mieux de condescendance, mais le plus souvent de racisme, faisaient des autochtones des gens que la logique des choses maintenait dans une manière d’apartheid.
En France aussi on avait entretenu l’illusion que nous apportions là-bas « la civilisation ». L’Ecole laïque elle-même avait joué sa partition dans ce concert même si des voix s’étaient élevées pour réclamer l’égalité entre les citoyens d’Algérie, qu’ils soient d’origine européenne ou maghrébine.
A Oran nous étions donc en France affirmait l’inscription sur la jetée du port ! Pourtant dès 1959 De Gaulle avait déjà lâché le mot « d’autodétermination » pour la plus grande colère d’ailleurs des Européens d’Algérie. Oui, on ne leur avait vraiment offert aucune alternative, en tout cas pas celle de rester dans un pays, qui était celui où ils vivaient, si celui-ci devait accéder à l’indépendance.
A partir de là s’est déroulé un enchaînement d’actes désespérés parmi lesquels, outre la semaine des barricades à Alger, s’inscrit la tentative de putsch des généraux félons en avril 1961 puis le déchaînement de violences qui a caractérisé l’action de l’OAS.
On connaît la suite, particulièrement ce qu’ont été les événements du 5 juillet 1962 à Oran.
ICI LA FRANCE disait l’inscription sur la jetée ! Il eut à coup sûr été préférable d’engager le dialogue sur d’autres bases. Mais le colonialisme n’est que le fruit du capitalisme et à vrai dire ceux qui le justifient encore aujourd’hui sont cohérents avec leur acceptation d’un tel système dans lequel « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». Sauf que… l’histoire a tranché !
Sur le putsch d’avril 1961
Je ne suis pas exactement sûr de la chronologie dans le récit que je vais faire de ces événements que j’ai vécus en tant qu’appelé du contingent.
Le samedi 22 avril, en fin d’après-midi en revenant de la piscine du Kreider qui se trouve à une dizaine de kilomètres au nord de Bou-Ktoub où était cantonnée la moitié de la 4ème batterie du 1/66ème régiment d’artillerie, j’ai appris la nouvelle de la tentative de putsch qui venait d’avoir lieu à Alger.
Ce soir-là nous n’avons pas bougé. Le lendemain les langues allaient bon train dans le bordj de Bou-Ktoub où était une garnison d’une cinquantaine de soldats, essentiellement des appelés du contingent. Le capitaine était un certain Giscard d’Estaing et était je crois un oncle du futur président de la république. Ceux qui servaient au mess des officiers nous avaient signalé qu’il avait fait enlever la photo du général de Gaulle aux murs de celui-ci.
Le dimanche après-midi nous avons décidé de rédiger une déclaration exprimant notre volonté de rester fidèle au gouvernement légal. J’ai été chargé de la rédaction du texte et Bernard Donjon, l’autre maître-chien de l’unité, s’est occupé de le recopier.
Nous avons présenté cette déclaration à la signature de tous. Nous avons recueilli me semble-t-il 47 signatures. Parmi le contingent il n’y a pratiquement pas eu de refus, sauf celui du chauffeur du capitaine, lequel, selon le mot de Donjon pratiquait de manière constante l’alliance du volant et du goupillon. Oui il ne manquait pas la messe le dimanche !
N’avait pas non plus signé un maréchal des logis d’origine bretonne, dont le nom était peut-être Hascouet ou quelque chose d’approchant et qui avait paraît-il le projet de s’engager dans les CRS.
Par contre un autre maréchal des logis, un certain Lucien Dugardin, originaire de Roubaix et communiste, de « semaine » selon l’expression en usage dans l’armée, nous avait fait distribuer la totalité de nos munitions. Oui, pour des raisons de sécurité, on ne nous en laissait qu’une partie.
Dans l’après-midi du dimanche des camions de la Légion Etrangère sont passés, montant sans doute vers Oran. Il y en avait un grand nombre, peut-être un régiment complet, et nous n’aurions pas été en mesure de nous opposer à quoi que ce soit.
Je pense que c’est le dimanche en fin d’après-midi qu’un train rempli de libérables parti de Méchéria qui est à quelques dizaines de kilomètres au sud de Bou-Ktoub avait été renvoyé depuis Saïda ou Perrégaux vers son lieu de départ et avait stationné quelque temps dans la gare de notre localité. Nous étions allés essayer de convaincre ces libérables de protester mais ils étaient trop accablés pour réagir.
Le dimanche soir j’étais de garde. Pendant cette période les postes à transistors ont joué un rôle important pour faire passer les informations. Nous avions entendu, sur je ne sais plus quelle station, que le lieutenant colonel Singer qui commandait le 1/66ème R.A. avait rallié les putschistes. Nous n’avons jamais pu le vérifier.
Au milieu de la nuit il y a eu l’appel de Michel Debré précédé de La Marseillaise. Comme j’étais à ce moment là au poste de police je me suis mis ostensiblement au garde-à-vous ! On sentait de l’angoisse dans la voix du Premier Ministre !
Le lundi nous avons fait partir notre pétition à notre lieutenant colonel qui se trouvait à la Batterie de Commandement et de Services située près de Saïda. Nous avons également envoyé un double dans les batteries où nous avions des contacts.
Nous avons également avisé les deux sous-lieutenants, des appelés, qui étaient en poste l’un à Bou-Ktoub l’autre au Kreider que nous leur confierions le commandement s’il s’avérait que notre capitaine prenait partie contre le gouvernement légal. Quoiqu’en désaccord avec les putschistes ils étaient dans l’expectative ! L’aspirant responsable du service de santé avait lui par contre signé notre déclaration de principe, fustigeant avec insistance et détermination les généraux félons !
Le lundi ou le mardi soir je ne sais plus, nous avons tenu une réunion dans une pièce qui servait de salle de classe. Oui l’armée faisait du social à bon compte avec les appelés du contingent qui étaient instituteurs dans le civil et même avec ceux qui n’avaient pas de formation particulière en la matière.
Nous étions un groupe assez décidé. Le responsable du magasin d’entretien, peintre dans le civil, était d’accord pour nous fournir de la peinture afin d’aller badigeonner les murs de la ville d’inscriptions donnant notre position sur le putsch. Comme j’étais surveillé il fut convenu que l’opération se ferait le mercredi où je devais être de garde à nouveau. Mais le mercredi c’était la reddition des putschistes !
Il y avait deux bistrots à Bou-Ktoub, l’un très exactement devant l’entrée du bordj, l’autre guère plus loin, en face du chenil. Les propriétaires avaient pavoisé et mis un drapeau tricolore sur la devanture de leurs établissements. Le maréchal des logis qui n’avait pas signé notre pétition voulut se rattraper. Il subtilisa le drapeau qui était le plus éloigné de l’entrée du bordj… et me le remit !
Qu’en faire ? Je l’ai finalement planqué dans une espèce de galetas qui était au-dessus de la chambre des deux maîtres-chiens. J’étais un peu inquiet car il y était pendant que s’effectuait une revue de munitions étalées sur nos lits. Oui, comme il y en avait qui étaient subtilisées et qu’elles arrivaient sans doute dans les mains des combattants de l’ALN ces contrôles étaient fréquents. Au passage je dois dire que ce n’était pas très exaltant d’enlever les 8 fois 25 cartouches de nos chargeurs de mitraillette et de les remettre après la revue. Aussi Donjon les laissait dans un chapeau d’où il les sortait à la demande ! Pour un peu il serait parti en opération avec des bouteilles de bière dans ses sacoches à la place de ses chargeurs, arguant qu’en cas d’accrochage il se contenterait de les décapsuler !
Quelques jours après la fin du putsch le chef d’escadron Guyot qui commandait en second fit une visite dans notre cantonnement. Nous étions tous rassemblés dans la cour du bordj quand l’adjudant Chassagne me fit sortir des rangs afin que je sois présenté à l’autorité en visite. Je n’en menais pas large ! Il y eut simplement un discours au terme duquel on nous assura que nous n’aurions en aucun cas été entraîné dans une aventure ! Après coup c’était facile de le dire !
Après ces événements nous ne revîmes plus notre capitaine Giscard d’Estaing. Sans doute fut-il muté de manière disciplinaire. Nous reçûmes en remplacement un capitaine que j’avais connu à la BCS avant de la quitter pour devenir maître-chien. Le bruit courait qu’il était chargé de la sécurité militaire et qu’il enquêtait pour savoir qui était à l’origine de la pétition.
Ce n’était pas mon écriture qui figurait sur celle-ci j’étais donc un peu à l’abri. Donjon était tellement farfelu qu’on ne pensait pas à lui. Il était pourtant communiste ! Les soupçons s’étaient portés sur un certain José Bianco, originaire de Marseille lui aussi aux jeunesses communistes et fils de républicain espagnol. Là c’est un maréchal des logis, un engagé, qui avait tenté de trouver le responsable, faisant venir les choses de loin dans le style : « Vous, Bianco si vos parents sont partis d’Espagne c’est à cause du régime ? » A quoi Donjon, qui assistait à l’interrogatoire, avait répondu ! « Mais non, c’est à cause du climat et de la nourriture ! »
Ah non, nous n’étions pas encore au bout de nos peines, j’ai dû subir l’absurdité de cette guerre pendant encore un an !
Le 19 mars 1962 à Géryville
A cette date j’étais encore « sous les drapeaux » et mon unité se trouvait à Géryville, une sous-préfecture au sud de Saïda, située sur les hauts plateaux à l’est du Chott Ech-Chergui, qui porte aujourd’hui le nom de El Bayadh. Culminant à 1376 m la ville est la capitale de l’alfa.
Dans les dernières semaines qui avaient précédé le 19 mars nous avions été déplacés à plusieurs reprises. Venus de Bou-Ktoub nous étions arrivés une première fois à Géryville, en étions repartis pour l’oasis « Les Arbaouet » et nous étions à nouveau à Géryville. Après le cessez-le-feu nous avons encore quitté la ville pour l’oasis de Ghassoul située plus au sud. C’est d’ailleurs à partir de Ghassoul qu’a commencé vers la fin avril mon long rapatriement en France.
Personne ni chez les gradés ni parmi la population européenne ne donnait l’impression d’une prise de conscience de ce qui se passait avant le 19 mars.
Le cessez-le-feu entrait en vigueur à midi. Dans la cour du cantonnement Kadri Benkadour, que les circonstances avaient amené à être dans l’armée française, m’avait invité à boire une bière pour célébrer la fin de la guerre. L’espoir changeait de camp, le combat changeait d’âme !
Déjà, je l’ai su par la suite, des militaires de carrière d’origine arabe ou kabyle, négociaient leur pardon auprès des Algériens en détournant des munitions qu’ils faisaient passer au FLN.
Dans l’après-midi de ce 19 mars 1962 ma section a été appelée à une opération de maintien de l’ordre dans un quartier périphérique de Géryville. Il y avait là des mechtas, c'est-à-dire des maisons basses avec un toit en terrasse. Leurs occupants avaient mis de petits drapeaux verts, ceux du FLN, sur ces toits.
Un groupe de soldats de mon unité, normalement affectés au garage, constitué de pieds-noirs qui avaient participé aux barricades de janvier 1960 à Alger et qui à ce titre et sous peine de sanctions pénales s’étaient vus contraints de s’engager, a fait irruption dans le quartier. Apparemment ils n’avaient pas reçu d’ordre mais agissaient de leur propre chef. Leur action consistait à se faire ouvrir les portes et à faire enlever les drapeaux. Les gens n’ayant pas le choix ils obtempéraient. Malgré les coups frappés une porte ne s’ouvrit pas. Tout simplement parce que l’habitant était chez ses voisins. Les coups contre la porte ont redoublé au point de risquer de l’enfoncer. Le propriétaire des lieux est sorti et a été molesté par le groupe.
Je n’ai pas pu m’empêcher de crier mon indignation d’un : « Chapeau l’armée française ! » qui a pu été entendu par tous et notamment par le lieutenant qui commandait notre section, un « deux barrettes », un certain Baguet. Ne sachant comment réagir il appela le capitaine par radio. Celui-ci ne tarda pas à venir sur les lieux et me demanda ce que j’avais dit. J’amputais un peu mon propos en reconnaissant que j’avais crié « Chapeau ! » et je complétais en déclarant que je trouvais indigne que l’armée ne respecte pas les engagements de notre gouvernement qui venait de signer les Accords d’Evian, lesquels se traduisaient par le cessez-le-feu.
A vrai dire le capitaine était embarrassé. Il savait que j’étais communiste mais me rendait justice, je ne lui avais jamais posé de problème particulier. Il ajouta qu’il m’avait même proposé pour être Premier canonnier ! Il faut vous préciser que j’étais pratiquement le plus ancien dans le grade le moins élevé ! En fait sa proposition n’était pas vraiment franche puisque, je l’ai appris par la suite, j’avais bien été inscrit sur une liste mais à la fin, de façon à ne pas être promu. J’ai donc fini mon service militaire comme Deuxième canonnier ce qui au demeurant n’avait aucune espèce d’importance!
Mais ce qui s’était passé dans les faubourgs de Géryville était sans commune mesure avec ce qui s’est déroulé au centre. Des fusillades ont éclaté pendant une partie de l’après-midi. Le bruit a couru que le commando Cobra, normalement basé à Saïda, avait ouvert le feu sur la population qui avait été appelée par le FLN à manifester. Il y avait une trentaine de morts a-t-il été dit. Je n’ai jamais pu établir la réalité ce qui a eu lieu. Je pense que le couvre-feu a été décrété par l’autorité militaire.
Il y a eu dans le secteur où opérait ma section un autre fait que je vais relater. Un officier, un lieutenant me semble-t-il, qui n’appartenait pas à notre unité, m’a apostrophé. Il tenait une MAT (mitraillette) à la main et était complètement paniqué, m’expliquant que pendant que nous regardions en face nous risquions d’être attaqués par l’arrière. Décidément encore un qui n’avait absolument rien compris. Je n’ai pas pu dialoguer vraiment avec lui tellement nous étions à des années lumière l’un de l’autre mais mon visage a dû être suffisamment expressif pour qu’il mesure le fossé qui nous séparait.
Le lendemain ma section était encore de service de maintien de l’ordre mais cette fois j’en ai été dispensé par le capitaine qui m’a affecté à la fonction de garde chambre. Chaque jour l’un d’entre nous restait en effet au cantonnement pour ce faire. Toutefois l’état d’esprit n’était plus à la soumission parmi le contingent et Jean-Pierre Valade, originaire de la Corrèze, avait déclaré : « S’il y a encore des choses qui ne vont pas il y en aura d’autres pour le dire ! »
Plus de 51 ans après le 19 mars 1962
Je suis en contact avec le webmestre du site Géryville Nostalgie qui avait mis en ligne il y a quelque temps le récit que j’avais rédigé des événements que j’avais vécus le 19 mars 1962 à Géryville.
Pour accéder à Géryville Nostalgie : cliquez sur ce lien :
http://steppe.doomby.com/pages/historique-geryville/le-19-mars-1962-a-geryville.html
Mon récit a donné lieu de la part d’internautes à quelques compléments ou correctifs. Ils me permettent d’ajouter divers éléments supplémentaires à mon histoire.
Des photos m’ont conduit à situer le quartier où ma section était en « maintien de l’ordre ». Selon toute vraisemblance il s’agit du quartier Legraba encore appelé « Village Nègre ». Oui, en Algérie des quartiers de maisons basses avec des toits en terrasse avaient été créés à la périphérie des villes au moment de l’expansion du colonialisme. Ils étaient occupés par les indigènes.
Sur ces photos on voit des personnes, hommes, femmes, enfants, qui quittent le quartier avec des drapeaux. Sans doute s’agit-il de gens qui vont manifester au centre ville pour exprimer leur joie du cessez-le-feu qui est entré en vigueur à midi et qui ouvre la voie à l’indépendance de l’Algérie.
J’avais fait état de la fusillade que nous avions entendue dans l’après-midi et des morts qu’elle avait à coup sûr engendrés, sans avoir de précision ni sur leur nombre ni sur qui a tiré.
Il m’a été rapporté que ce seraient les hommes du commando Cobra ou du commando Georges (basés à Saïda), qui sont les responsables du drame. Je n’ai pas le moyen de vérifier. Si c’est exact on comprend la volonté de représailles de la population envers ceux de leurs compatriotes qui s’étaient mis au service de l’occupant.
Grâce au site que gère Monsieur Toumi Noureddine j’ai eu un échange avec Mme Fatima Esstitnia, une fille d’une victime. Celle-ci s’appelait Belaouni Mebarka et devait être… nous dirions aujourd’hui une militante de la cause algérienne. Fatima avait alors 17 ans et était restée à la maison, tandis que sa mère était partie manifester, drapeau en main, avec sa jeune sœur.
Hélas la mère n’est pas revenue ! On l’a retrouvée le lendemain, morte près du pont de Legraba nous a dit sa fille, en cherchant sans doute à entrer dans le bain maure dont la porte est restée désespérément fermée. Peut-être a-t-elle été tuée après le couvre-feu qui avait été décrété ?
Dans un café de Géryville
C’était quelques jours après le cessez-le-feu du 19 mars 1962 et je me trouvais dans un bistrot de Géryville, sans doute avec Jacques Flotté, comme moi à l’époque instituteur dans le civil.
Nous avons d’ailleurs deux souvenirs différents de ce qui s’est passé ce soir là dans ce café.
Pour ce qui me concerne je revois au comptoir un Maghrébin satisfait de la situation et déclarant que du Maroc à l’Egypte « ils » étaient chez eux à présent. Je revois aussi un Pied Noir particulièrement mécontent des propos qu’il venait d’entendre et qui s’était montré agressif à l’encontre du Maghrébin. Oui il devait y avoir dans la tête de la majorité des Européens cette idée que l’indépendance de l’Algérie n’était pas acceptable et qu’elle ne serait pas !
Je ne garantis pas que ce soit ce soir là et dans ce café qu’a eu lieu la scène que se rappelle Jacques Flotté. Nous avions été interpellés par un client maghrébin, le même peut-être que celui dont je viens de parler. Il avait déclaré être le responsable du FLN à Bou-Ktoub où nous avions étés cantonnés pendant de longs mois et que nous les appelés du contingent ne risquions rien. Il avait ajouté être chauffeur de poids lourd et précisé qu’il arrêtait son camion pour boire un coup dans un des deux cafés du village.
A Bou-Ktoub je ne suis jamais allé au café mais je me souviens d’un camion souvent stationné au petit matin, le moteur en marche, devant le bâtiment où l’autre maître-chien et moi logions, en face du bistrot que tenait un Européen qui s’appelait peut-être Martinez.
N’en sachant pas davantage je n’en dirai pas plus !
La quille
Je me trouvais à Ghassoul, une manière d’oasis située au sud est de Géryville quand a commencé mon long rapatriement vers la France.
Ghassoul ? Qu’en dire ? Il y avait je crois un oued avec dans la vallée quelques cultures. Nous étions en avril et le printemps était là.
A côté du casernement, un village, aujourd’hui une commune de la Wilaya de El Bayadh, ex Géryville.
Je me rappelle avoir proposé d’aller déposer un chargement de poutres résultant d’une démolition non pas à la décharge comme prévu mais sur la place de ce village. J’avais obtenu satisfaction !
Il me semble que bien que le cessez-le-feu soit intervenu le 19 mars nous avons encore effectué des « opérations » dans le secteur. Le mot « opération » me semble d’ailleurs usurpé car une opération donne un résultat et des résultats…
Dans l’armée c’est colossal finesse. Il y avait un code, par exemple on pouvait entendre dans le poste radio « De roulettes… à ventilateur ». Là c’était un message envoyé depuis un camion à un hélicoptère.
Des fois ça compliquait la vie de celui à qui il était adressé. Ainsi à l’interrogation « Carmen-bolivien 43 ? » qui signifiait que le récepteur devait être le chef de la troisième section de la quatrième batterie du 1/66ème Régiment d’Artillerie il avait été répondu « Non, ici le maréchal des logis Ziouane » !
Notre cantonnement était en aplomb d’une espèce de ravin. Naturellement je comptais le nombre de « jours au jus. » J’étais là quand est arrivé le moment du départ.
J’avais glissé une cartouche dans une enveloppe, mis comme adresse celle de notre adjudant et déposé le tout dans la boîte à lettres. Heureusement que le vaguemestre n’a pas dû donner suite, j’aurais pu avoir des ennuis !
Nous sommes partis pour Géryville où nous avons dû rendre nos armes. Nous avons dû y passer une nuit. J’ai d’ailleurs oublié là la plaque qui nous avait été remise au moment de notre incorporation. Elle était perforée par le milieu et en cas de décès l’autorité militaire en envoyait une moitié à notre famille, l’autre moitié étant clouée sur le cercueil !
Nous avons rejoint Oran en camions, faisant me semble-t-il étape à la base arrière près d’Aïn el Hadjar où nous avons dû remettre l’essentiel de notre paquetage. Je revois des Maghrébins, incorporés dans l’armée comme appelés du contingent, cuisinant des tripes de mouton dans une poêle. J’ai su qu’ils avaient pu déserter peu de temps après. La France avait réussi ce tour de force de faire se battre les Algériens entre eux !
A Oran nous avons été hébergés au District de Transit où j’étais arrivé 26 mois plus tôt ! Ben oui, c’était long !
Nous entendions des fusillades dans la ville et en écho cela était reproduit par les postes à transistors. L’OAS tentait désespérément de remettre en cause les accords d’Evian ! L’état d’esprit qui régnait parmi les libérables était que nous n’avions pas à nous en mêler. J’aurais volontiers accepté d’en découdre !
Le lendemain matin une colonne de camions, précédée et suivie d’un half-track, survolée par un hélicoptère, a emmené les 800 hommes qui allaient embarquer dans le port militaire de Mers el-Kebir. C’est que la ville et le port d’Oran n’étaient pas sûrs. Nous avons donc traversé le Murdjajo et… ouf, nous nous sommes trouvés en sécurité dans l’enceinte de Mers El-Kebir.
Vue du port de Mers-El-Kebir
C’était le 23 avril 1962 et je suis monté une nouvelle fois sur le « Ville d’Alger », direction Marseille où j’ai débarqué le 24.
Ah, il fallait changer la monnaie algérienne contre la monnaie française. Oui, l’Algérie c’était la France mais il y avait quand même une monnaie différente. A la descente du bateau il fallait donc faire la queue mais on n’avait droit qu’à changer 100 ou 200 f. Eh bien j’ai fait deux fois la queue et j’ai pu ainsi changer les deux billets algériens dont je disposais.
J’avais le projet de rendre visite aux parents de José Bianco qui habitaient le quartier des Crottes à Marseille. Comme je disposais d’un peu de temps avant le départ de mon train je m’y suis rendu. J’avais même offert une paire de babouches achetées à bon prix je ne sais plus où à la jeune sœur de José.
J’ai pris mon train et je suis arrivé dans la nuit à la gare de Béziers. Evidemment il n’y avait plus de car à cette heure là ! Je me suis arrêté à l’Agence de La Marseillaise et devant l’affiche : « Le fascisme ne passera pas ! » j’avais exprimé mon scepticisme. Il était déjà bien passé dans l’armée !
Comme je demandais à deux messieurs où on pouvait trouver un taxi, ils ont été super sympathiques et m’ont emmené à Cessenon avec leur voiture. C’est que j’avais hâte de renter chez moi.
Il était tard et la maison était naturellement fermée. J’étais jeune et j’ai escaladé la façade pour atteindre le premier étage où la fenêtre de la cuisine avait été laissée entrebâillée. J’ai donc pu rejoindre mon lit et la personne qui l’occupait !
Quelques jours plus tard les gendarmes de Saint-Chinian sont venus récupérer les affaires militaires que j’avais encore avec moi : un pantalon, un blouson, une chemise, une cravate et des chaussures. Il n’y a pas eu de problème avec le fait que je n’avais pas ma plaque matricule.
La vie est ainsi faite que j’ai fini par évacuer de mon esprit cette période de ma jeunesse. A l’occasion du récit que j’en fais les souvenirs reviennent !
Sur le camp de harkis du Plô de Mailhac
A la rentrée qui a suivi mon retour d’Algérie en 1962 (une guerre que nous n’avions pas gagnée tant je manquais d’enthousiasme !) j’ai pris mon poste d’instituteur à Saint-Pons de Thomières. J’avais la classe de Cours Moyen première année.
Au cours du troisième trimestre de l’année scolaire 1962 / 1963 l’école a organisé une sortie de la journée au Plô de Mailhac où avait été installé un camp de harkis. Trois classes y avaient participé : la Fin d’Etudes dans laquelle exerçait Marcel Collot le directeur, le Cours Moyen deuxième année que René Gleizes avait en charge, et le Cours Moyen première année.
Nous avions pris le pique-nique et avions atteint notre objectif par Teussine où se trouve une maison forestière.
Il n’y eut guère de contacts entre nos élèves et ceux de l’école du Plô de Mailhac. Il me semble qu’il y avait trois classes dans cette dernière école.
On avait reconduit avec les harkis rapatriés les mêmes mentalités qu’en Algérie : outre les conditions d’hébergement à coup sûr déplorables, c’étaient le même racisme, les mêmes structures qui avaient déjà cours à l’époque coloniale qui étaient toujours la règle.
J’ai une anecdote à ce sujet qui m’a été rapportée par un camarade qui a enseigné quelques jours dans cette école. Il faisait chaud et un des instituteurs avait mis ses pieds dans une bassine d’eau fraîche et avait demandé à un de ses élèves de changer l’eau quand il jugeait qu’elle devenait chaude !
Bien sûr je n’avais pas approuvé le choix des Algériens qui avaient pris les armes contre leur peuple dans la lutte courageuse que celui-ci avait engagée pour l’indépendance de l’Algérie.
Mais ce qui l’emportait alors c’est la pitié que j’avais pour ces gens que l’on continuait à mépriser. Comme quoi il vaut mieux ne pas pactiser avec l’ennemi, que ce soit la puissance coloniale ou le patronat, on n’y gagne rien !
La photo qui illustre le présent article fait état de la prise de conscience de descendants de harkis qui en mai 2010 ont campé place Edouard Herriot près de l'Assemblée nationale.
Plus tard en 1968, aidé par un Maghrébin nous avions exhorté les harkis qui travaillaient comme forestiers à participer à la grève qui s’était développée en France. Je n’ai aucun souvenir du résultat de notre démarche.
La suite dans le documentaire de Samia Arhab...
Houtaud : à 18 ans, il fait avec les souvenirs de son grand-père
Thibaut Garcia, jeune réalisateur et Gaby, son grand-père : une tendre complicité sur fond de guerre d’Algérie. Photo ER
Thibaut Garcia, 18 ans, écrit et réalise un film de 52 minutes d’après les souvenirs de son grand-père, Gabriel, un jeune agriculteur du Haut-Doubs. Le documentaire se nomme « Mémoire d’appelé ».
Ces deux hommes ont sensiblement le même âge à quelque soixante-dix ans d’écart. 18 ans pour Thibaut Garcia en 2021 et 21 ans pour Gabriel quand ce dernier, tout jeune homme, part pour l’Algérie en décembre 1956. Petit-fils et grand-père se rejoignent sur ces huit années d’affrontements et de cruautés encore largement ignorées par les manuels scolaires.
Gabriel raconte alors son quotidien dans le désert saharien à Aïn-Sefra et Thibaut construit un documentaire, intime et historique. Un film de qualité qui confirme la vocation du lycéen pour le cinéma, surtout pour la direction de la photo puisque tel est son objectif : le cadre et la lumière.
Un an et demi de travail
Thibaut a consacré toutes ses « petites » vacances scolaires et ses week-ends à l’élaboration du film au cours de sa Première et de sa Terminale à Pontarlier. Le classement des lettres, des photos, de mots annotés, la recherche des faits de l’histoire officielle, tout un long travail de préparation a précédé l’écriture du scénario. Ont suivi les six interviews de son grand-père puis la laborieuse période de montage. Sur fond de musique originale et de narrations, une multitude de photos et de documents appuient le témoignage de Gabriel et retracent chronologiquement la guerre d’Algérie et le vécu d’un jeune agriculteur du Haut-Doubs parachuté dans le conflit.
« Sur fond de musique originale et de narrations, une multitude de photos et de documents appuient le témoignage de Gabriel et retracent chronologiquement la guerre d’Algérie et le vécu d’un jeune agriculteur du Haut-Doubs parachuté dans le conflit. »
« Je n’avais rien vu d’autre que mon chez-moi »
« J’avais pris le train une fois pour aller aux trois jours à Mâcon mais n’avais jamais vu la mer ». Il connaîtra le train, les convois, la traversée de la Méditerranée, le désert à l’infini, la faim, la soif, l’ennui des siens, les embuscades, la solitude, les gardes de jour et de nuit, la peur de sauter sur une mine, les 48° à l’ombre sans ombre, l’amitié. Il verra la torture. Il perdra des copains. Il jugera de l’absurdité de la guerre comme bon nombre des trois millions d’hommes qui ont été mobilisés de 1954 à 1962. Il entendra De Gaulle clamer à la foule « Je vous ai compris ». En 21 mois, une seule perm. Dur, dur. Et le 5 octobre 1958, à l’aube de fêter son 23e anniversaire, il montera à bord de l’Athos 2 et quittera Oran pour Marseille et rejoindra les siens à Houtaud.
« On est même retourné là-bas en 1990 »
Pendant 30 ans, il s’ensuivra les retrouvailles avec les copains. « Ça, c’était formidable ! On est même retourné là-bas en 1990. Peu de choses avaient changé. On a retrouvé d’anciens fellagas qui nous ont dit qu’ils avaient ordre de nous laisser tranquilles. Ils visaient les légionnaires et les pieds noirs. Et c’était vrai ».
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