Le parcours d’un révolutionnaire oublié
LA REVUE NAQD CONSACRE UN NUMÉRO SPÉCIAL À ABDELKRIM EL-KHATTABI
Les contributions de plusieurs historiens, universitaires et professeurs marocains, algériens et espagnols retracent le parcours du révolutionnaire et la naissance de son mouvement de résistance qui en érigeant un “État rifain” constituait “la première étape vers la libération de l’ensemble du Maroc et du Maghreb”.
La revue d’études et de critique sociale Naqd consacre un numéro spécial (hors-série 5) au chef du mouvement de résistance rifain Abdelkrim El-Khattabi, intitulé Abdelkrim El-Khattabi et la libération du Maghreb (1921-2021), paru en juillet dernier. Les contributions de plusieurs historiens, universitaires et professeurs marocains, algériens et espagnols retracent le parcours du révolutionnaire et la naissance de son mouvement de résistance qui en érigeant un “État rifain” constituerait “la première étape vers la libération de l’ensemble du Maroc et du Maghreb”. Au premier quart du 20e siècle, les actes de résistance d’El-Khattabi “sont le couronnement des mouvements antérieurs de résistance à l’occupation étrangère.
Il n’est pas seulement une lutte contre l’envahisseur ‘chrétien’ comme les mouvements précédents, mais il les dépasse en quelque sorte, car c’est aussi une lutte contre l’exploitation des richesses du pays par les Européens et une pensée qui, par-dessus l’idée de tribu, incorpore l’idée de nation”, écrit dans sa contribution Maria Rosa de Madariaga, historienne espagnole spécialiste des relations maroco-espagnoles. Si, au début de sa carrière, Mohamed ben Abdelkrim de son vrai nom reçoit les honneurs espagnols pour ses services – il est enseignant, secrétaire-interprète du bureau des affaires indigènes, cadi puis premier juge de la ville de Mellila – les répercussions de la Première Guerre mondiale vont changer la donne. “L’incertitude quant à l’avenir de la zone du protectorat dans le cas d’une défaite de la France dans la guerre” incitent Abdelkrim El-Khattabi et son père faqih à rompre leurs liens avec les autorités coloniales. Sans les combattre, les deux érudits n’étaient plus “disposés à leur prêter leur appui comme auparavant”. Autre élément important de cette rupture, l’appui du père et du fils à l’Allemagne et à la Turquie durant la guerre, suscité par la confrontation de ces deux nations avec la France. Emprisonnement, représailles, pressions et menaces seront le lot de la famille rifaine, même si le juge en charge de l’affaire déclarera qu’aucun délit n’a été retenu à l’encontre des prévenus. Les autorités espagnoles maintiendront le père en prison en l’obligeant à apporter de nouveau sa collaboration.
L’exil et la naissance d’une résistance transmaghrébine
Quelques années après sa sortie de prison, le faqih Abdelkrim et ses enfants rejoignent la harka de Tafersit qui combattait les Espagnols. En 1926, Abdelkrim El-Khattabi se rend aux Français, qui s’étaient alliés aux Espagnols pour intervenir dans le Rif. Il est exilé à l’Ile de la Réunion au mois d’octobre. En 1947, soit après près de vingt ans d’exil, la France décide de l’assigner à résidence au sud de l’Hexagone. Mais alors que le bateau fait escale à Port Saïd en Égypte, il décide de descendre à terre et de demander l’asile politique au gouvernement égyptien. Durant cette période, il s’engage plus que jamais dans la lutte pour l’indépendance des pays du Maghreb. En décembre 1947, il est nommé président du Comité de libération du Maghreb arabe avec son jeune frère et un certain Habib Bourguiba comme secrétaire.
“Pour Mohamed ben Abdelkrim, l’indépendance du Maroc était indissociable de l’indépendance de deux autres pays du Maghreb, soit la Tunisie et l’Algérie”, écrit Madariaga. Précurseur, il allait devenir une figure de la lutte dans les pays de la région. Il déclarera à cet effet : “Je suis venu trop tôt !”, dans une interview accordée à la revue El-Manar. Son legs ne sera heureusement pas perdu quelques années plus tard. Malgré l’échec, sa contribution “devint le ferment de l’indépendance future des peuples colonisés de la rive sud de la Méditerranée et même d’autres continents”, remarque la contributrice.
Abondant dans ce sens, l’historien et directeur de la publication Naqd, Daho Djerbal, estime que l’historiographie contemporaine des pays du Maghreb montre que “de part et d’autre des frontières algéro-marocaines comme des frontières algéro-tunisiennes, des solidarités séculaires n’ont jamais cessé de se manifester entre populations apparentées”.
Et de poursuivre : “L’épisode de la guerre du Rif et le parti pris de l’émir Abdelkrim El-Khattabi de faire appel en août 1925 à la solidarité des peuples frères d’Algérie et de Tunisie n’est pas un fait du hasard. Une série d’événements répertoriés par l’historiographie maghrébine laisse à penser qu’une solidarité active des communautés frontalières existe de longue date.” Par ailleurs, l’épisode du rapprochement d’El-Khattabi avec le FLN est cité par le professeur d’histoire contemporaine de l’islam, Bernabé Lopez Garcia.
Selon le rapport de Fernando P. de Cambra, écrit-il, “El-Khattabi comptait sur la collaboration d’un secteur de l’Armée de libération et sur l’aide du FLN algérien, intéressé à l’ouverture d’un nouveau front à la frontière maroco-algérienne pour soulager le tension créée dans les confins algéro-tunisiens (…) Le rapport assure que lors d’une réunion de l’état-major du FLN au Caire en mai 1958, on était arrivé à un accord de combiner le soulèvement au Maroc et l’ouverture d’un deuxième front moyennant une action combinée”.
Yasmine Azzouz
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