Avec sa fameuse préface de Jean-Paul Sartre, l'ouvrage est un manifeste théorique de lutte contre le colonialisme qui infuse toujours notre époque, cité à la fois par les opposants et les soutiens à l'anti-racisme le plus contemporain.
Les Damnés de la terre présente des enjeux théoriques et historiques de premier ordre : "le tiers monde se découvre et se parle par cette voix", annonçait Jean-Paul Sartre dans la préface. Car beaucoup attendaient du Sud qu'il fasse une percée décisive. Le tiers état avait libéré la France, le tiers monde devait libérer la terre.
Sachant à quel point l'oppression coloniale peut remplir les hôpitaux psychiatriques, le psychiatre et essayiste Frantz Fanon a accédé au militantisme via le soin des pathologies mentales. En 1952, peau noire masque blanc, une psychanalyse du racisme ordinaire, lui servit de préambule, mais il était d'avis que seul le combat peut exorciser les névroses de l'opprimé.
La race, chez Fanon, est une invention du colonisateur, c'est le colonisateur qui porte cette question. (Benjamin Stora)
Le livre est ambivalent lorsqu'on confronte son auteur à l'histoire qui lui succède. Même si la richesse de son oeuvre va dans le sens de sa bataille pour l'universalité et l'humanité, son héritage intellectuel est aussi celui des subaltern studies, des colonial studies et cultural studies, "études arrivées avec les mouvements civiques pour attraper la question de l'occidentalisme caché, des cultures de la résistance" d'après Cynthia Fleury.
En France, il est de tradition d'en rajouter tout en restant dans ses chaussons, mais c'est ne pas voir en Fanon l'universaliste qui répudiait l'entre-soi indigéniste, ce racisme à l'envers.
Tant les exégètes se contredisent au sujet de ce que Fanon aurait pensé de la culture "woke" d'aujourd'hui, Frantz Fanon transmet un héritage ambigu, marquant bien la force de sa matrice, Les Damnés de la terre, entre psychiatrie, universalisme, militantisme anti-colonial, violence et pensée philosophique.
Les commentaires récents