Les partis islamistes algériens, proches des Frères musulmans, ont, sans surprise, condamné ce qu’ils qualifient de « coup d’État ».
Les soubresauts de la Tunisie ne cessent d’avoir des échos dans l’Algérie voisine et les récents développements au sein de la deuxième république post-révolution du Jasmin ne font pas exception. L’initiative du président Kaïs Saïed d’appliquer l’article 80 de la Constitution, s’imposant comme unique tête de l’exécutif, gelant le Parlement et démettant son chef de gouvernement, tout en neutralisant la majorité parlementaire d’Ennahdha, ce 25 juillet, a été abondamment commentée en Algérie, aussi bien dans les médias que dans les réseaux sociaux ou au sein d’une partie de la classe politique. Comme attendu, ce sont les deux branches algériennes des Frères musulmans (FM) qui ont le plus vivement critiqué le président tunisien. Geste de solidarité assumé avec leurs coreligionnaires tunisiens d’Ennahdha, comme ils l’ont fait lors du coup de force du maréchal Sissi contre les Frères musulmans, en Égypte, l’été 2013, ou lors du putsch raté, en Turquie, contre Recep Tayyip Erdogan, en 2016. À noter le silence des autres partis, notamment dits laïques ou progressistes, ou des partis proches du pouvoir.
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Les Frères musulmans algériens crient au « coup d’État »
Avant même que son parti ne prenne une position officielle, le président du Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance FM), Abderrazak Makri, s’est fendu d’une déclaration sur sa page Facebook : « Kaïs Saïed entraîne la Tunisie et toute la région dans une grande fitna [instabilité] en renversant la Constitution et la démocratie tunisiennes. » « Les puissances internationales et les dirigeants arabes qui l’ont planifiée et soutenue ainsi que les extrémistes laïques en Tunisie préfèrent le chaos à la démocratie, ceux-là sont tous au service du projet sioniste et colonial », ajoute le leader islamiste quelques heures après les annonces de Kaïs Saïed.
Cette diatribe a été suivie du communiqué officiel du bureau exécutif du MSP, qui a dénoncé « un coup d’État contre la Constitution tunisienne et la volonté du peuple tunisien », tout en appelant les autorités algériennes à « soutenir les institutions légales en Tunisie, à condamner le coup d’État, à considérer les décisions unilatérales et anticonstitutionnelles [de Saïed] comme étant un danger pour la Tunisie et pour son voisinage ».
Le même ton est de mise du côté de l’autre aile des Frères musulmans en Algérie, le Front de la justice et du développement (FJD, ou El Adala) : « Tous les éléments constitutifs d’un coup d’État sont réunis. Le président tunisien n’a pas le droit de geler ni de dissoudre le Parlement, de lever l’immunité des députés ou de dissoudre le gouvernement. L’armée n’a pas le droit de fermer les institutions devant des élus légitimes. »
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Les Émirats arabes unis ciblés
Car El Adala, comme l’assume son leader Abdallah Djaballah, considère que ce sont les généraux de l’armée tunisienne qui sont réellement derrière le « coup » de Kaïs Saïed, une manière – quelque peu forcée – de plaquer sur la Tunisie le schéma du coup de force d'Abdel Fattah al-Sissi en Égypte contre le défunt président Mohamed Morsi et les Frères musulmans.
« Au lieu de s’attacher aux acquis démocratiques, le despotisme a gagné [le président tunisien], ce qui a attiré l’armée vers lui, le convainquant d’abandonner sa neutralité et de devenir l’outil [de l’armée] pour réaliser un coup d’État », écrit Abdallah Djaballah sur les réseaux sociaux. Et, dans une déclaration à un média algérien, le président d’El Adala n’hésite pas à cibler le soutien à Kaïs Saïed « de la part des pays qui ont normalisé [avec Israël], particulièrement les Émirats arabes unis ». « Émirats arabes unis dont l’un des plus actifs porte-parole sur Twitter, le chef adjoint de la police de Dubaï [Dhahi Khalfan Tamim] a tweeté le 22 juillet, trois jours avant le coup d’État de Saïed : "Bonne nouvelle, un nouveau coup, très fort, va bientôt frapper les Frères musulmans" », confie un cadre d’un parti islamiste algérien pour incriminer cet émirat très hostile à la confrérie.
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L’ombre de 1992…
Pour en revenir à Abdallah Djaballah, il a fustigé des « juristes et des personnalités du hirak qui ont soutenu le président tunisien », considérant qu’il s’agit d’une « guerre du courant laïque contre l’islam » afin de « protéger les intérêts illégaux de l’Occident dans [leurs] contrées ». Ce tir ciblé du leader islamiste rappelle les débats houleux en Algérie dès qu’il s’agit de l’équation islamisme politique et conquête du pouvoir.
Les premières victoires électorales du parti islamiste tunisien post-2011 avaient poussé des Algériens, en un effet de miroir historique, à réanalyser les scénarios d’une prise du pouvoir par le Front islamique du salut (FIS, parti dissous) après les premières législatives pluralistes algériennes de 1992.
Cette méfiance de l’islamisme politique se reflète très clairement dans certains éditoriaux de la presse algéroise en ce mardi 27 juillet, et même chez des intellectuels comme l’écrivain Amin Zaoui. Ce dernier poste sur sa page Facebook : « Je suis du côté de la Tunisie de la modernité, de l’égalité homme-femme, de la justice, de la diversité et de l’ouverture… Défendre l’avenir de la Tunisie menacée passe avant le ramassis d’institutions préfabriquées et budgétivores. »
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« Un acte salvateur »
L’écrivain, très critique envers les conservateurs et les islamistes, ne dit pas autre chose que l’éditorialiste d’El Watan qui titre « Sauver la Tunisie d’abord » : « La jeune démocratie tunisienne souffrira peut-être d’une crise constitutionnelle et le chemin sur lequel s’engage le pays est incertain, mais l’indéniable légalisme du constitutionnaliste Saïed et l’adhésion populaire à sa démarche, surtout, désarment ses adversaires d’Ennahdha et leurs alliés. » Optimiste, le grand quotidien assène : « Ces Tunisiens qui ont ébloui le monde par leur révolution en 2011 contre le régime autoritaire et corrompu de Ben Ali, et résisté par la suite face au projet islamiste, sont certes fatigués par les coups successifs de la contre-révolution soutenue par le capitalisme mondial et l’internationale des Frères musulmans, mais ces Tunisiens sont capables du meilleur face aux défis actuels. »
Dans la même famille idéologique qu’El Watan, Le Soir d’Algérie y va aussi de son soutien au président tunisien : « Sur ordre de Kaïs Saïed, l’armée tunisienne a bouclé le Parlement. C’est antidémocratique, diront certains, écrit l’éditorialiste Maâmar Farah. Pour nous, il s’agit d’un acte salvateur qui protège la Tunisie contre les démons de la déstabilisation. À cause d’un parlementarisme mal adapté à nos pays, notre voisin a failli s’effondrer, d’autant plus que les Frères musulmans au pouvoir n’ont pas joué le jeu de la démocratie. »
« Ghannouchi a livré la Tunisie à la Turquie »
Plus radicale, la journaliste et directrice du quotidien El Fadjr, Hadda Hazem, ne mâche pas ses mots contre les kh’wandjiya (les « frérots »), pour reprendre ses termes, ciblant les Frères musulmans et leurs branches politiques à travers le monde arabe et en Turquie. « Le président tunisien n’est plus, après les décisions prises, une poupée entre les mains de Rached Ghannouchi [leader historique d’Ennahdha] pour gouverner la Tunisie à sa guise, comme ce fut le cas avec l’ex-président Moncef Marzouki », écrit-elle dans son éditorial. « Le président tunisien ne fait que répondre aux revendications du peuple tunisien qui a fait dégager la corruption de Ben Ali par la porte qui est revenue par la fenêtre sous la tunique de Ghannouchi et de ses hommes, Ghannouchi qui a livré la Tunisie, sa sécurité et ses secrets à la Turquie pour s’en disposer comme cela lui plaît », poursuit Hadda Hazem.
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Coup de téléphone de Saïed à Tebboune
Pour sa part, l’éditorialiste de Liberté aborde un autre angle : « L’incapacité des dirigeants à contenir leurs conflits à l’intérieur des institutions est le signe de la faiblesse des forces politiques nationales. Mais aussi et surtout le fait d’influences d’acteurs extérieurs. La Tunisie est aussi le terrain où se jouent des rivalités régionales. Il faut dire que nombre de régimes du Proche et du Moyen-Orient voyaient d’un mauvais œil la réussite de la révolution du Jasmin, abandonnée économiquement. Ils se sont, en revanche, ingéniés à nourrir les tensions entre courants politiques locaux. »
Du côté officiel, rien ne filtre sur l’analyse faite par les autorités algériennes de la nouvelle situation en Tunisie. On saura néanmoins que Kaïs Saïed a appelé, lundi 26 juillet, son homologue algérien pour évoquer « les développements de la situation en Tunisie » et que le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, a visité Tunis ce mardi pour rencontrer le président tunisien. Mais, pour le moment, Alger s’abstient de commenter officiellement l’évolution des événements chez le voisin.
Publié le
Adlène Meddi
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