Scène du film "De nos frères blessés" de Hélier Cisterne (2020) / Photo : D. R.
Avant-hier dimanche, l’Institut Français d’Oran a abrité une rencontre littéraire autour du roman «De nos frères blessés» de Joseph Andras, qui retrace la vie de Fernand Yveton, ce militant communiste, guillotiné à Alger en 1957 par la France coloniale «pour un crime qu’il n’avait pas commis».
Ce roman, rappelons-le, qui a eu un immense succès de librairie et glané plusieurs prix, est sorti presque simultanément en France et en Algérie en 2016, respectivement aux éditions Acte sud et Barzakh. Ont prit part à la rencontre de dimanche dernier, -qui s’est tenue en visioconférence à travers les 5 Instituts français d’Algérie, et modérée par Sofiane Hadjadj, des éditions Barzakh-, Salah Badis, journaliste, poète, écrivain et traducteur, du français vers l’arabe, de «De nos frères blessés», et Fabrice Henry, comédien et metteur en scène, connu notamment pour avoir adapté le roman d’Andras au théâtre en 2018-2019. Il faut savoir que la veille, soit samedi dernier, le public d’Alger, Oran, Annaba, Tlemcen et Constantine, a eu loisir de voir en avant-première le film adapté du même roman, du réalisateur Hélier Cisterne, qui devait sortir en ce début d’année 2021 en France si ce n’est la crise sanitaire qui a repoussé la sortie en salle aux calendes grecques.
A propos du roman de Joseph Andras, Sofiane Hadjadj dira en prenant la parole qu’il s’agit d’un roman qui revient sur la trajectoire, le profil, la biographie d’un personnage d’histoire, de l’histoire de l’Algérie, de la guerre d’indépendance algérienne, de l’histoire de la colonisation, et ce fait, il traverse plusieurs thématiques. «Il s’agit de Fernand Yveton, qui faisait partie de ces Européens d’Algérie, qui ont pris parti, soutenu, accompagné voir même combattu pour l’indépendance de l’Algérie. La particularité de Fernand Yveton est qu’il était un militant communiste de tradition familiale. Il était ouvrier dans une usine d’Alger et il a tenté d’organiser un attentat, un sabotage de l’usine en y plaçant une bombe. La bombe a été découverte avant même qu’elle n’explose. Il était prévu que la bombe explose le soir pour qu’elle ne fasse aucun dégât humain. La bombe a été découverte et il a été arrêté. Il s’en suivi un procès, du moins un simulacre de procès, dans le cadre de la justice militaire française de l’époque.
On est donc à la fin de l’année 56 et au début de l’année 57, c’est un moment très particulier car on est dans la guerre d’Algérie et plus seulement dans la colonisation. Et au moment où la guerre va s’intensifier et prendre un virage beaucoup plus violent, qui se manifestera symboliquement au printemps 57 par ce qu’on appelle la bataille d’Alger. Aussi, l’histoire d’Yveton prend place à ce moment là, et à la fin d’un procès d’une justice militaire, il va être exécuté et guillotiné. Il y a eu 200 algériens exécutés durant la guerre d’Algérie, et il a été le seul Européen à avoir été guillotiné», résumera-t-il.
En prenant la parole à partir de la France, le metteur en scène Fabrice Henry, appartenant à la compagnie théâtrale Satori, qui produit des pièces engagés et promeut «l’être-semble à travers le théâtre» a avoué ne pas connaître Fernand Yveton avant la lecture du roman de Joseph Andras. «Je ne savais que Fernand Yveton avait existé, j’en ai presque douté en découvrant le livre. C’est donc en plongeant là-dedans que j’ai découvert cet engagement-là d’un français en faveur d’une Algérie indépendante, et ça, c’est quelque chose dont on parle absolument jamais en France. Ce parcours-là m’a intéressé, la grande injustice qui arrive à Fernand Yveton, condamné à mort pour avoir pratiquement rien fait dans la réalité et le fait que ce soit complètement tu, l’attitude mutique de la France à ce moment-là, le fait que ce soit Mitterand qui était garde des seaux à l’époque, ça pose quand même beaucoup de questions sur les politiques qui ont été les nôtres jusqu’à récemment.
Ces personnages-là qu’on a taxé de terrorisme, je trouve ça problématique, car le choix des mots est important : aujourd’hui on ne peut comparer l’action de Fernand Yveton au terrorisme moderne, et pourtant c’est le mot qui a été posé sur son action à l’époque et qui a justifié sa condamnation à mort» Pour lui, le roman de Joseph Andras donne un souffle à l’histoire d’Yveton et d’Hélène sa compagne.
«Sa langue me paraissait faite pour les acteurs, pour être dite et pas seulement lue». Salah Badis, qui avait traduit «De nos frères blessés» en 2017 aux éditions Barzakh, a avoué que dès le début du roman, «par cette pluie franche et fière, non. Une pluie chiche. Mesquine Jouant petit.», il y avait de la fascination. «Traduire ce roman a été pour moi une expérience très forte», a-t-il reconnu avant d’expliquer que chez les traducteurs, toute action de traduction d’un roman, d’une langue vers une autre est préalablement précédé par de lancinants questionnements, à savoir va-t-on être fidèle au texte original ?», car le travail suppose une traduction non pas seulement des mots mais de tout un contexte vers un autre contexte. Le titre proposé en arabe, «3an ikhwanina el jarha» a été sujet d’un grand débat entre l’auteur Salah Badis et son éditeur Sofiane Hadjadj, étant entendu, comme l’a rappelé Badis que le mot frère, qui renvoie à la fraternité, a un grand sens en Algérie.
«Partout où vous allez en Algérie, on vous appellera kho, khouna, akh etc. Ce mot est très utilisé en Algérie malgré les dix années de guerre civile qui ont fait beaucoup de mal à cette fraternité. Ce mot pèse chez les Algériens. Encore fallait-il trouver le bon mot pour le titre. J’ai relu des poèmes et des chants de l’époque de la guerre de libération à la gloire des Moujahidines. A cette époque, le mot utilisé était ‘ikhwan’, aussi j’ai opté pour ce choix. En travaillant dans le livre et en découvrant ce contexte, des années 56-57, juste avant la bataille d’Alger, il y avait bien sûr ce contexte historique et cette charge politique mais en même temps la charge poétique était plus lourde».
Les commentaires récents