Jusqu’en 1978, seize ans après l’indépendance, les essais ont continué sur une base secrète dans le Sahara. Comme l’avait révélé « le Nouvel Observateur » en 1997.
Le nom : B2-Namous. Le lieu : un gigantesque polygone de plusieurs milliers de kilomètres carrés dans le nord du Sahara. Là, les militaires français sont restés après 1962, sous l’uniforme puis sous couverture civile, avec l’autorisation des plus hauts responsables algériens. Ce secret d’Etat avait été révélé en octobre 1997 dans « le Nouvel Observateur », au terme d’une longue enquête de Vincent Jauvert. A l’occasion de notre dossier sur « Nos mémoires d’Algérie », nous republions cet article.
C’était le plus vaste centre d’expérimentation d’armes chimiques au monde. Russie exceptée. Un polygone d’essai, comme disent les spécialistes, de 100 kilomètres de long sur 60 de large. Cette base ultrasecrète (nom de code : B2-Namous) était contrôlée par l’armée française et se situait dans le nord du Sahara, près de la ville de Beni-Wenif, en Algérie. Là, les militaires français ont mené, sous leur uniforme puis sous couverture civile, des expériences jusqu’en 1978. A B2-Namous, ils ont testé des grenades, des mines, des obus, des bombes et même des missiles, tous porteurs de munitions chimiques. Ce secret d’Etat bien gardé et révélé ici a donc tenu, fait rarissime, pendant des décennies. Le gouvernement français ne voulait en aucun cas qu’il soit divulgué. Car derrière ce secret se cachent au moins trois mensonges d’Etat. D’abord, depuis 1945, la France a toujours nié avoir procédé où que ce soit à des expérimentations d’armes chimiques à l’air libre. Ensuite, Paris et Alger ont toujours affirmé que les dernières bases de l’armée française en Algérie avaient été fermées en 1968. Enfin les accords d’Evian, qui ont scellé l’indépendance de l’Algérie, ont été publiés incomplets : B2- Namous a fait l’objet d’une annexe secrète, renouvelée en 1967 et en 1972.
Pour connaître les détails de cette histoire, nous avons d’abord consulté plusieurs archives. Lesquelles ? Impossible de le dire : les administrations qui nous les ont ouvertes ne souhaitent pas être citées. Nous avons ensuite pris contact avec le ministère de la Défense, qui après plusieurs semaines a confirmé seulement quelques faits essentiels. Enfin nous avons cherché à interroger les rares diplomates, militaires et politiques qui ont traité cette affaire à l’époque et qui sont toujours en vie. Certains ont raconté des bribes, d’autres ont tout bonnement refusé de répondre ou fait semblant de ne rien savoir. Un ancien responsable important de l’armement chimique était prêt à nous raconter B2-Namous. Le ministère de la Défense l’en a dissuadé. Au total, cinq personnes ont parlé plus ou moins librement. Deux seulement ont accepté d’être identifiées : l’ambassadeur Philippe Rebeyrol, chargé d’affaires français à Alger en 1967, et surtout Pierre Messmer. Le ministre des Armées du général de Gaulle dit :
« B2-Namous ? C’était vraiment très secret, vous savez. »
Le choix du polygone de Beni-Wenif
L’histoire des essais chimiques dans le Sahara commence bien avant l’indépendance algérienne, en 1935 exactement. Dans une note confidentielle sur B2-Namous, le colonel Moulin, chef du groupement armes chimiques et biologiques en 1966, écrit : « Dès après la Première Guerre mondiale, le besoin s’est fait sentir d’un terrain offrant toutes les garanties de sécurité pour expérimenter les agents de la guerre chimique élaborés par les laboratoires, les matériels destinés à les disperser ainsi que les matériels de protection et de décontamination. » Il ajoute :
« Il fallait qu’un tel terrain soit peu accidenté, assez éloigné des régions habitées, qu’il puisse être relié facilement à la route et à la voie ferrée, qu’il ait enfin un climat pas trop différent du climat européen, tout au moins pendant une période importante de l’année. »
Les militaires choisissent donc en 1935 un plateau calcaire du Sahara algérien, « bordé à l’est et au nord par les hautes falaises de l’oued Namous ». Ainsi naît le centre d’expérimentation de Beni-Wenif, appelé plus tard B2-Namous. Là, juste avant la Seconde Guerre mondiale, la France a pu mettre au point une quantité importante d’armes chimiques : essentiellement à base de gaz moutarde et de phosgène. En 1940, Paris menaça de puiser dans ce stock si l’Allemagne utilisait la première, comme en 1915, les gaz toxiques. Mais, engagée dans une guerre de mouvement, où l’emploi de tels gaz est très aléatoire, la Wehrmacht n’en fit rien. Et le conflit aéro-chimique tant redouté dans les années 30 n’eut pas lieu.
1962 : une annexe secrète aux accords d’Evian
Dans les années 50, les expériences reprennent à B2-Namous. C’est la guerre froide, des manœuvres offensives de l’Otan avec armes chimiques sont exécutées sur la base secrète. Mais les recherches proprement dites d’armement et de produits sont en veilleuse. C’est l’atome – et non les gaz toxiques – qui mobilise désormais les ingénieurs militaires. En 1962, à la veille de l’indépendance algérienne, les généraux français veulent pourtant garder B2-Namous. Au cas où…
La base secrète est donc au menu des négociations d’Evian, comme tous les sites stratégiques français dans le Sahara. Car, pour de Gaulle, et son fidèle Debré, c’est dans le désert algérien que se fera la grandeur de la France. Le Général veut à tout prix y conserver quelques années encore les quatre centres français d’essais nucléaires et spatiaux (Reggane, In-Ekker, Colomb-Béchar et Hammaguir). Après des discussions très dures, les émissaires de l’Elysée obtiennent le maintien de la présence française sur ces quatre sites pendant cinq ans. Et B2-Namous ? Pierre Messmer dit seulement :
« A l’époque, Louis Joxe [le chef de la délégation française] m’a dit que les Algériens avaient accepté sans grande discussion le maintien de la base, également pour cinq ans. Et cet arrangement a fait l’objet d’une annexe secrète aux accords d’Evian. »
En 1967, à l’échéance du délai convenu, tous les sites officiels français du Sahara ferment. Devenus opérationnels, les centres de Kourou, de Mururoa et des Landes (pour l’essai des missiles) prennent le relais. Les sites d’Algérie ferment, sauf B2-Namous. De Gaulle ne le veut pas. Deux ans auparavant, il a secrètement ordonné la reprise des recherches sur la guerre chimique – et bactériologique. Pourquoi ? Pierre Messmer raconte : « A l’époque, nous sommes en plein conflit du Vietnam. Les Américains travaillent beaucoup sur les armes chimiques, et pas seulement sur le napalm. Les Soviétiques font la même chose, les services américains nous en ont apporté les preuves. Nous ne pouvions rester à l’écart. » Or, pour suivre les deux Grands, il faut un polygone d’essai. Où ? Forcément à B2-Namous, déclarent les militaires.
Le 16 janvier 1967, la division programme de l’état-major des Armées défend cette position dans une longue note classée secret-défense. Il y est tout dit ou presque sur la nouvelle politique de l’arme chimique de De Gaulle et sur les moyens à mettre en œuvre pour la réaliser. Un document exceptionnel.
Dans cette note, l’état-major rappelle d’abord les décisions du Général ? restées inconnues jusqu’à aujourd’hui : « Le conseil de défense [présidé par le chef de l’Etat] dans sa séance du 25 juin 1965 a décidé l’orientation à donner aux études sur l’armement chimique et bactériologique. L’effort doit porter essentiellement sur l’étude des agents chimiques, mortels et incapacitants, et des agents bactériologiques ; sur la protection contre ces agents ; et sur la définition de systèmes d’armes susceptibles de les mettre en œuvre. » Et la note précise : « La réalisation industrielle d’armes chimiques et bactériologiques sera éventuellement entreprise après l’achèvement du programme nucléaire. »
La France veut garder un lieu de tests en vraie grandeur
Le texte ultrasecret décrit ensuite les deux centres d’essais chimiques à la disposition de l’armée française. D’une part, Mourmelon, un camp militaire dans la Marne – là sont menées « les expérimentations de similis [produits proches des agents de guerre, mais pas ou peu toxiques] ou de petites quantités de produits fugaces [toxiques, mais très peu de temps] ». Et d’autre part, B2-Namous pour « les expérimentations en vraie grandeur des différents produits et surtout des persistants [dont l’effet nocif dure plusieurs heures voire plusieurs jours, NDLR]. » Autrement dit, explique la note, « les installations de B2-Namous ont été réalisées dans le but d’effectuer des tirs réels d’obus d’artillerie ou d’armes de saturation avec toxiques chimiques persistants ; des essais de bombes d’aviation et d’épandages d’agressifs chimiques et des essais biologiques ».
Comment sont menées les opérations ? L’état-major précise : à B2-Namous travaillent jusqu’à 400 personnes pendant les campagnes d’essais et « le champ de tir est équipé de 2 tours de 20 mètres (tirs et observation), de 50 pylônes de prélèvement, de 10 kilomètres de canalisations enterrées, de deux abris pour caméras… » Un investissement considérable. Aussi, déclarent les généraux, « la fermeture du centre du B2 poserait un problème très grave pour les armées, car elle risque d’entraîner l’arrêt du développement de l’armement chimique français et de la mise au point de l’équipement de protection contre les toxiques persistants ».
Pourquoi ne pas installer un centre d’essai ailleurs ? La note de 1967 explique : « Des prospections ont été effectuées outre-mer, car il ne peut être question de trouver en métropole une zone suffisamment vaste (50 kilomètres sur 50) pour assurer la sûreté nécessaire. » Plusieurs sites ont été étudiés : la Guyane et la Polynésie, mais « les conditions climatiques sont très défavorables » ; la côte des Somalis, « solution rejetée pour des questions politiques et climatiques » ; enfin le Tchad et le Niger, qui « présentent certaines conditions techniques acceptables », cependant « le coût d’une telle installation a été chiffrée à 40-50 millions de francs (non prévus) et les délais de réalisation estimés à trois ou quatre ans ».
Une autre raison pour garder B2-Namous ? L’état-major explique : « La dernière campagne de tirs, fin 1966, a donné des premiers résultats très convaincants qui devraient permettre la définition d’un projectile de 155 à charge chimique. » Et – argument décisif pour de Gaulle – « les obus expérimentés ont une efficacité comparable aux munitions américaines ». Le Général est convaincu : la France doit conserver sa base secrète dans le Sahara.
1967 : le oui ultrasecret de Boumediene à de Gaulle
Reste à négocier ce maintien avec les Algériens. Que va-t-on leur proposer en échange ? Le 31 janvier 1967, la division Afrique du Nord du Quai-d’Orsay adresse à ce propos une note secrète à Maurice Couve de Murville, le ministre des Affaires étrangères. En substance : négocions notre départ des autres sites sahariens. Comment ? Le gouvernement algérien « s’attend à devoir payer les matériels [de ces sites] qu’il désire conserver. […] L’abandon de tout ou partie de ces matériels à titre gratuit peut donc constituer une contrepartie aux engagements que nous demanderions aux Algériens de souscrire ». Et de fait ces équipements militaires, évalués à 50 millions, seront cédés à l’armée algérienne pour 21 millions, payables sur trois ans.
Mais l’argent ne suffit pas à expliquer l’accord du colonel Boumediene. Homme austère et inflexible, le nouveau président algérien a pris le pouvoir deux ans auparavant. Il s’affirme nationaliste et anti-impérialiste. Pourquoi accepte-t-il le maintien de cette base secrète de l’armée française et ses expériences effrayantes ? Pour au moins deux raisons. D’abord, les Français ne révèlent pas aux Algériens, semble-t-il, la portée exacte des expérimentations à B2-Namous : une réunion à l’état-major a lieu le 7 mars 1967 sur la négociation à mener avec Alger ; selon son compte rendu, on demandera le maintien de B2-Namous « sous couvert d’études de protection contre les agressifs chimiques ».
Seconde raison du oui de Boumediene, la plus importante : « C’était une affaire personnelle entre deux militaires chefs d’Etat : de Gaulle et Boumediene. Et le président algérien ne voulait pas dire non au Général. C’est aussi simple que cela. » Qui parle ? L’ambassadeur Philippe Rebeyrol [L’ambassadeur en titre à l’époque était Georges Gorse, mais il avait demandé un congé de longue durée. NDLR], qui a négocié l’accord sur B2-Namous avec le confident de Boumediene, le commandant Chabou (qui mourra deux ans plus tard dans un mystérieux accident d’hélicoptère). Le diplomate ajoute : « Comme beaucoup d’officiers algériens, Chabou avait été militaire dans l’armée française. Ce lien affectif a joué aussi. »
Au cours des discussions, l’homme de Boumediene n’exige qu’une seule chose du chargé d’affaires français : le respect du secret absolu. « Je devais prendre des précautions extrêmes chaque fois que nous allions nous rencontrer, explique Philippe Rebeyrol. Le commandant Chabou ne voulait en aucun cas que les civils soient au courant. Et surtout pas le ministre des Affaires étrangères, Bouteflika. » Et l’ambassadeur conclut : « Vous savez, c’est la première fois que je parle de cette affaire depuis trente ans. »
Des militaires français sous couverture civile
Le 27 mai 1967, un accord-cadre sur B2-Namous est signé, en catimini, par le nouvel ambassadeur de France à Alger, Pierre de Leusse, et le commandant Chabou, « au nom du président Boumediene ». Par cet échange de lettres secrètes, les militaires français obtiennent un nouveau délai de cinq ans. Mais les conditions ont changé. Ils doivent travailler sous couverture civile. Une filiale de Thomson, la Sodeteg, sera leur employeur officiel. Et les officiers deviendront des cadres de cette unité de travail. Evidemment, précise une note de l’état-major du 16 mai 1967, « c’est en fait l’autorité militaire française qui conservera le contrôle des opérations à B2-Namous ».
Un autre accord secret entre Paris et Alger (4 décembre 1967) détaille les modalités du camouflage. D’abord, la garde extérieure de la base sera assurée par l’armée algérienne, et la Sodeteg sera officiellement considérée « comme travaillant pour le compte de l’autorité militaire algérienne. » En outre, « les marques d’appartenance des véhicules à l’armée française seront effacées ». Pour éviter tout contrôle douanier, « les matériels et produits spéciaux ne seront pas déclarés ». Enfin l’aérodrome de Namous « ne sera pas répertorié dans la documentation aéronautique, son existence ne devant pas être dévoilée aux organismes de circulation aérienne générale ».
Dernière précaution, décidée celle-là par l’ambassade de France à Alger. Dans un télégramme « très secret », l’ambassadeur de Leusse explique : « Les personnels de la Sodeteg pourront évidemment utiliser la voie aérienne militaire pour leur liaison urgente avec la France. Mais, dans ce cas, il conviendra qu’ils l’utilisent dans les deux sens, à l’aller et au retour. » Pourquoi ? Parce qu’il « serait fâcheux qu’ils se présentent à la police des frontières comme rentrant en Algérie (ou en sortant) alors que leur passeport et les archives de la police de l’air n’indiquent pas de sortie (ou d’entrée). » L’ambassadeur a raison : le diable est dans les détails ? surtout dans les affaires occultes…
1972 : Alger exige une coopération et un crédit de dix ans
A l’échéance des cinq ans, en 1972, le même problème se pose : les militaires veulent garder encore et toujours B2-Namous. Pourtant l’arme chimique a, en ce début des années 70, plus mauvaise presse que jamais. Des livres, des rapports d’organisations internationales (l’ONU et l’OMS) condamnent ces expériences. Des accidents sur le polygone d’expérimentation de Dugway, aux Etats-Unis, sont rendus publics. Et une loi américaine réduit considérablement les possibilités pour l’US Army de tester les armes chimiques à l’air libre. Washington décide même de « suspendre » l’emploi de défoliants au Vietnam. Mais rien n’y fait : l’état-major entend conserver son polygone d’essai.
Une négociation difficile se prépare : les relations franco-algériennes ne sont plus du tout au beau fixe. En février 1971, le président Boumediene a nationalisé les avoirs des sociétés pétrolières françaises. Les rapports diplomatiques sont exécrables. Pourtant Michel Debré, ministre de la Défense, demande à son collègue des Affaires étrangères, Maurice Schumann, d’intervenir. Dans une lettre secret-défense du 3 janvier 1972, Schumann écrit :
« La disposition du centreB2-Namous est indispensable pour la poursuite des études relatives à la guerre chimique, qu’il s’agisse de matériels de protection ou des moyens de riposte [autrement dit, des armes], et il s’est avéré quasiment impossible de lui trouver une autre implantation en territoire français. »
Et Michel Debré conclut : « J’attache en ce qui me concerne une très grande importance à un aboutissement rapide de cette affaire, pour laquelle les Algériens se montrent compréhensifs. »
Compréhensifs, mais exigeants. Le 1er février 1972, l’ambassadeur de France à Alger, Jean-Marie Soutou, écrit au secrétaire général du Quai-d’Orsay, Hervé Alphand. Il raconte : l’attaché militaire de l’ambassade a « aujourd’hui rendu visite au secrétaire général de la Défense nationale d’Algérie pour l’entretenir de nos ventes d’armes ». Et, surprise, « son interlocuteur a spontanément évoqué la possibilité d’une participation de techniciens algériens à nos essais de B2. Il a ajouté que cette coopération pourrait commencer dès la prochaine campagne d’essais, autrement dit avant l’expiration de l’accord ». Et l’ambassadeur demande : « L’exigence du secret des expériences est-elle compatible avec une participation algérienne ? »
Dans une certaine mesure, oui, répond Paris, qui est prêt à faire beaucoup de concessions pour garder B2-Namous. Hervé Alphand câble à l’ambassadeur :
« Il me paraît, comme au ministre de la Défense nationale, nécessaire d’accueillir avec la plus grande ouverture d’esprit possible les demandes algériennes, afin de ne pas risquer de voir mettre prématurément un terme à des essais indispensables au développement de nos matériels de défense. »
Le diplomate en chef précise : « La préservation du secret commande que la participation algérienne soit limitée à la présence sur le site de cinq à six spécialistes. » Qui sauraient tout ? Non, bien sûr. « Ils seraient associés au déroulement des expérimentations, explique Hervé Alphand, et recevraient communication des résultats, étant entendu que les informations transmises auraient été filtrées au préalable. » Les Algériens veulent aussi que la France forme des spécialistes à la guerre chimique. D’accord, dit Alphand, mais « cette formation ne peut être envisagée qu’en France, à l’Ecole militaire des Armes spéciales de Grenoble ».
Alger veut plus encore. L’ambassadeur Soutou écrit le 2 mai 1972 : « Le colonel Latrache [le patron du ministère algérien de la Défense] cherche à établir un lien entre trois affaires : achat de Fouga Magister, B2-Namous et accord sur les survols [la France demande à pouvoir encore survoler facilement le territoire algérien en direction de l’Afrique]. » Que veut exactement le militaire algérien ? Pour les Fouga Magister, « il souhaite bénéficier d’un crédit de dix années au moins et ne payer que le plus petit acompte possible, au maximum cinq pour cent ». Obtiendra-t-il ces conditions exceptionnelles ? Ni les archives ni les témoins ne le disent. En tout cas, le 12 mai 1972, les Algériens sont, écrit l’ambassadeur Soutou, « d’accord pour renouveler au plus vite l’accord de 1967 ». Ce qui sera fait quelques jours plus tard.
1978 : fermeture de la base. Et après ?
Que s’est-il passé ensuite ? Il est probable que la France a testé à B2-Namous, outre un matériel de protection très sophistiqué, les premières munitions chimiques dites binaires. Il s’agit de deux produits peu toxiques dont le mélange dans l’obus ou le missile, juste avant l’explosion, est, lui, extrêmement dangereux. Au ministère de la Défense, on se contente de dire : « L’installation de B2-Namous a été détruite en 1978 et a été rendue à son état naturel. » Autrement dit, les militaires du génie ont nettoyé des centaines de kilomètres carrés. N’ont-ils rien laissé, rien enfoui ? Officiellement, non. Y a-t-il eu des accidents au cours de ces quarante ans d’expériences ? Mystère…
En tout cas, les essais chimiques de l’armée française n’ont pas cessé en 1978. Un ingénieur général de l’armement à la retraite explique : « Nous les avons poursuivis en France jusqu’à leur abandon définitif en 1987. » Où ? D’abord, dans des chambres fermées, notamment celles du fameux centre de recherche du Bouchet. Et toujours à Mourmelon, où, comme dans les années 60, seuls des produits peu toxiques et très volatiles ont été répandus. C’est en tout cas ce qu’affirme cet ingénieur général.
Dernier mystère : après tous ces essais, la France a-t-elle produit en série des munitions chimiques ? Le Sipri, un centre de recherche sur le désarmement à Stockholm, évaluait, en 1980, le stock français à au moins 1 000 tonnes de gaz toxiques (contre 30 000 pour les Etats-Unis et 40 000 pour l’URSS). L’information est démentie en 1989 par le président de la République lui-même. A la tribune de l’ONU – et à la surprise générale –, François Mitterrand affirme alors que la France n’a jamais disposé de stocks d’armes chimiques. Bluff ? En mai dernier, le gouvernement français a dû répondre à la même question. A qui ? A la commission chargée d’appliquer la convention internationale sur l’interdiction des armes chimiques ? convention signée en 1993 à… Paris.
Comme tous les pays signataires, la France devait, en 1997, remettre à cette commission (siégeant à La Haye) une déclaration très précise sur ses activités en matière de guerre chimique depuis 1946. Dans ce document, qui sert à préparer les visites des inspecteurs internationaux, il est notamment question des stocks passés et présents. Et que déclare la France dans ce texte confidentiel dont on nous a lu des extraits ? En substance, qu’elle n’a jamais possédé de tels stocks. Autrement dit, les tests grandeur nature de B2-Namous n’auraient finalement pas abouti à une production industrielle d’armes chimiques, mais seulement à la fabrication en série de matériel de protection. Pourquoi pas, après tout ?
https://www.nouvelobs.com/histoire/20210131.OBS39590/quand-la-france-testait-des-armes-chimiques-en-algerie.html
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