Le documentariste, fils d’un psychiatre qui a soigné les traumas de la guerre d’indépendance à Constantine, considère que l’Agérie est restée « enfermée dans le chiffre 1 : une histoire, un peuple, un parti ».
A l’approche du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, une semaine après la remise du rapport Stora, « l’Obs » publie une trentaine de témoignages de personnalités dont l’histoire s’entremêle avec celle du pays. L’album complet « Nos mémoires d’Algérie », en kiosques le 28 janvier, est à consulter ici. Lisez les souvenirs de Faïza Guène, Alice Zeniter, Arnaud Montebourg. Ou de Malek Bensmaïl, qui regrette que l’Algérie « se réfère toujours aux héros de la révolution ».
« A Constantine, où je suis né, en 1966, mon père était professeur de psychiatrie. Dans le service qu’il dirigeait à l’hôpital, il avait pris en charge les traumatismes de la guerre de libération. C’était un militant de la première heure du Front de Libération nationale (FLN). Dans la famille, étudier était un luxe. Une sorte d’investissement. Cela devait “rapporter” un métier qui soit utile à la communauté. Ma tante a été désignée comme future avocate, mon oncle comme pharmacien, mon père, médecin. Il est parti étudier de l’autre côté de la Méditerranée, à la faculté de médecine de Toulouse. Il a adhéré à la Fédération française du FLN, a participé à la grève des étudiants de 1956 et a été arrêté par la DST [Direction de la Surveillance du Territoire, NDLR]. Il m’a beaucoup parlé de son engagement. Pour lui, cela passait par une bataille de la pensée.
J’essaie d’ouvrir ces fenêtres
Après l’indépendance, mon père a aussi pris en charge les traumatismes créés par le nationalisme et par l’autoritarisme de Houari Boumediene, arrivé à la présidence en 1965 par un coup d’Etat, puis ceux de la décennie noire. Ce sont des points noirs de notre histoire. On parle beaucoup de la guerre, peu de la période de la décolonisation, de la violence de l’islamisme. J’essaie, avec mon travail de documentariste, d’ouvrir aussi ces fenêtres. En Algérie, on ne questionne jamais les failles contemporaines, on a l’impression d’être dans un musée dédié à la grande guerre d’indépendance. On se réfère toujours aux héros de la révolution, l’Algérien d’aujourd’hui n’existe pas. Comme si les vivants étaient quasiment morts. On nous a enfermés dans le chiffre 1 − une histoire, un peuple, un parti. Il est vrai que les mythes provoquent une sorte de maladie.
Il est important que l’histoire soit écrite avec les témoins encore vivants. Il faut aller sur le terrain, faire parler, enregistrer, filmer, laisser la porte ouverte, sans censure. La question de la terre, par exemple. Les Algériens ont été exilés de leurs terres, leurs fermes ont été réquisitionnées, utilisées par l’armée pendant la guerre. La terre a été malmenée de façon tragique. Cette question est un prisme fondamental de la colonisation, peu connu en France, évidemment, mais aussi peu étudié en Algérie. Il y a toujours eu, des deux côtés, une utilisation politique de l’histoire. Et aujourd’hui, pour la France, il y a clairement un enjeu électoral autour des mémoires de la colonisation et de la guerre, avec la présidentielle dans un an. »
Propos recueillis par Nathalie Funès
https://www.nouvelobs.com/memoires-d-algerie/20210125.OBS39345/mon-algerie-par-malek-bensmail-l-algerien-d-aujourd-hui-n-existe-pas.html#modal-msg
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