LE CLIN D’ŒIL DE SERGE RAFFY. Etrange débat télévisuel sur France 2, entre Gérald Darmanin, premier flic de France, et la présidente du Rassemblement national. Presque trop courtois, trop complaisant. Mettant Marine Le Pen quasiment sur orbite présidentielle. Erreur d’un soir ou calcul délibéré de l’Elysée ?
Marine Le Pen et Gérald Darmanin sur le plateau de « Vous avez la parole », sur France 2 le 11 février 2021. (Capture d'écran)
Fallait-il organiser ce duel entre la patronne du Rassemblement national (RN) et le ministre de l’Intérieur actuel, en pleine pandémie, alors que les Français ont le regard tétanisé, non pas sur les courbes des sondages, mais sur celles des admissions dans nos services d’urgence ? La réponse est dans la question. Derrière les clins d’œil, les sourires de complaisance, les haussements d’épaule, les chamailleries autour des chiffres sur l’immigration ou du nombre de fichés S, la foire d’empoigne tant vantée par les organisateurs s’est révélée une fontaine d’eau tiède. Comme si nos « combattants » discutaient hors sol d’un sujet pourtant capital pour l’avenir de notre République. Comme si leur passe d’armes, certes, à fleurets mouchetés, avait quelque chose de suranné, de terriblement daté, ou tout simplement d’impromptu, d’erreur de timing.
Cette étrange sensation d’assister à un « match amical », au sens sportif du terme, c’est-à-dire qui ne compte pas vraiment, s’explique pour plusieurs raisons. La première, évoquée par Marine Le Pen elle-même ? Sur le ring, le vrai adversaire de la dirigeante du Rassemblement national, Emmanuel Macron, était absent. Elle n’avait à se mettre sous la dent qu’un « sparring-partner », un rival de qualité mais qui, involontairement, l’a aidée à se préparer pour les joutes présidentielles à venir. Marine l’Indomptable devait donc ménager ce placide ministre de la macronie, travailler son image de femme modérée, prête à gouverner, poursuivant inlassablement son entreprise de dédiabolisation pour percer le fameux « plafond de verre » que tous les sondeurs prédisent comme étant de plus en plus fragile.
Pourquoi ne pas avoir poussé Marine Le Pen dans les cordes ?
Dans ce cadre, Gérald Darmanin a fait le job pour le président. Sérieux, précis, corrigeant calmement les énormités proférées par son interlocutrice, il n’a pas ménagé sa peine pour prouver qu’en matière de lutte contre l’islamisme, il n’avait pas de leçon à recevoir de sa voisine. Mais en prenant des gants, jouant la carte du gentleman débatteur. En affrontant, Marine Le Pen, le premier flic de France, en termes de poids politique, a franchi un palier, sans aucun doute, mais c’est un palier de verre sur lequel il s’est posé. Car, au fond, il a offert une forme d’adoubement macroniste à la pasionaria du RN. C’était sans doute même l’essentiel de ce combat plutôt fade, à dessein, pour ne pas dire insipide. L’objectif ? Faire infuser dans l’opinion l’idée que le vrai match, lui, était programmé pour le printemps 2022 et que ce duel-duo n’était qu’un amuse-gueule, un prologue pour rien, un match exhibition, si on peut dire. Le vrai match ? Macron-Le Pen, bien sûr. C’est cette musique, quasi subliminale, que l’on entendait à bas bruit, pendant plus d’une heure.
Gérald Darmanin aurait pu jouer les Bernard Tapie, qui avait atomisé Jean-Marie Le Pen, il aurait pu cogner comme un sourd, multiplier les uppercuts, qui auraient immanquablement fait grimper les audiences de France 2. Il aurait pu décocher des phrases assassines, afin d’exciter les réseaux sociaux. Pousser Marine « dans les cordes » ? Las, on sentait bien le malaise du débatteur, comme s’il ne devait surtout pas affaiblir la rivale programmée du locataire de l’Elysée, ne pas risquer le « knock-out », le K.-O. pour reprendre un terme pugilistique. A un moment clé de la soirée, il aurait pu l’humilier quand elle perdait pied, encore et toujours, sur les chiffres de l’immigration, ces satanés chiffres qui lui brouillent la vue dès qu’elle s’y aventure. Mais Gérald le Magnanime a simplement souri devant ce flot de balivernes. Pas question de se passer d’elle. Marine Le Pen, « l’idiote utile » du macronisme, selon l’expression léniniste ? C’est sans doute le principal enseignement qu’on peut tirer de cet étrange débat télévisuel. Est-ce vraiment glorieux ?
https://www.nouvelobs.com/chroniques/20210212.OBS40112/marine-le-pen-l-idiote-utile-du-macronisme.html
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