"Sur l’Algérie, Macron prend un risque"
Paris Match |A l’approche des 60 ans des accords d’Evian, le chef de l’Etat veut regarder avec « courage et lucidité » la guerre d’Algérie. Décryptage par Georges-Marc Benamou, qui travaille à une fresque sur ce conflit pour France Télévisions.
Paris Match. L’historien Benjamin Stora vient de rendre son rapport sur les “questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie” au chef de l’Etat. Quels sont les enjeux ?
Georges-Marc Benamou. La guerre d’Algérie est, comme on l’a dit de Vichy, “une histoire qui ne passe pas” et qui, à force d’être refoulée ou d’être vue sous le prisme de mémoires rivales, est un ferment de divisions dangereux pour notre société. Près de soixante ans après les accords d’Evian, pour pacifier, il faut ne plus être hémiplégique mais oser dire enfin toutes les vérités.
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Quelles sont-elles ?
Il convient de s’attaquer à tous les tabous ! A ceux de l’histoire française : les ravages de la première colonisation ; les promesses non tenues de la IIIe République ; la répression après l’émeute meurtrière de Sétif ; la guerre votée par la gauche et la torture couverte par ses ministres ; le mépris dans lequel ont été tenus les Européens d’Algérie par la classe politique ; ou encore l’abandon des harkis par de Gaulle. Comme aux tabous de l’histoire algérienne : une idéalisation du FLN au détriment des véritables pionniers (Ferhat Abbas ou Messali Hadj) ; une essence militaire de ce FLN (qui laisse des traces) ; la terrible guerre civile avec les messalistes, qui fera 10 000 morts ; et tant d’autres déchirements d’où sortiront vainqueurs les plus durs, les moins démocrates, comme le colonel Boumediene. Des zones d’ombres qu’il faut éclairer à distance des raisons d’Etat. Avec cette volonté de pacifier, de réconcilier.
Est-ce parce qu’Emmanuel Macron n’appartient pas à la génération de cette guerre qu’il peut s’en saisir ?
Oui, probablement. Le travail de mémoire sur le “tabou Vichy” a occupé les années 1980-1990. Sans faire de parallèle entre les deux périodes, le temps de se pencher sur la guerre d’Algérie est venu. Mais le président prend un risque à l’approche de la présidentielle. A lui de réussir à dépasser les tensions mémorielles en trouvant une cohérence à sa démarche.
La France n’était pas l’Allemagne nazie. Elle n’a pas à présenter d’excuses. Elle doit affronter son histoire
Le gouvernement algérien est-il prêt ?
Malheureusement, j’ai peu d’espoir. Pour les autorités algériennes, la mémoire de la guerre d’Algérie est le pilier du régime, la manière de légitimer son pouvoir. La France doit enclencher le mouvement, faire pression pour que la vérité soit dite et aider au renforcement des passerelles entre nos peuples – qui existent déjà avec les écrivains, les historiens...
La réconciliation peut-elle se faire sans repentance ?
Il faut dénoncer le système colonialiste, qui était insoutenable et indéfendable, et, comme le propose Emmanuel Macron, “déplier toutes les pages” de cette histoire tragique et complexe. Mais la France n’était pas l’Allemagne nazie. Elle n’a pas à présenter d’excuses. Elle doit affronter son histoire, rechercher et assumer la vérité des faits et considérer toutes les souffrances : celle des nationalistes algériens, des harkis trahis, des pieds-noirs maltraités par la France, des milliers de disparus, sans oublier le peuple des appelés et les militaires… Qu’Alger fasse de même.
Quand l'Algérie me manque, je relis “Noces”, d’Albert Camus
Vous avez quitté l’Algérie en 1962, à 5 ans. Quel est votre rapport avec elle ?
Lointain, étrange, en même temps si proche. Pour nombre de ceux qui y sont nés, c’est un pays qui était interdit. Quand il me manque, je relis “Noces”, d’Albert Camus. D’ailleurs, pour raconter cette guerre dans la vérité, dans l’humanité, il convient de chausser ses lunettes : Camus est un juste dans ce conflit. Il meurt deux ans avant les accords d’Evian, quand la véritable guerre s’embrase.
Quel sera le message de la fresque historique que vous écrivez avec Benjamin Stora ?
Curieusement, nous nous connaissions peu. Nous nous sommes retrouvés sur cette volonté d’ouvrir tous les placards de l’Histoire et de porter un regard camusien pour comprendre cette forme de guerre civile qu’elle fut aussi : une histoire de combats, mais également d’amitié entre deux peuples.
Georges-Marc Benamou a écrit l’ouvrage « Un mensonge français. Retours sur la guerre d’Algérie » (éd. Robert Laffont).
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