Henri Teissier retourne à Alger pour un repos éternel dans sa terre de Notre-Dame d’Afrique tant aimée
«Le culte du souvenir est la condition de survie d’un peuple.» Marcel Proust
C’est un juste, viscéralement humaniste, d’âme de paix et de foi d’élévation éclairée, qui est revenu auprès des siens pour y reposer d’un sommeil d’éternité à côté de son guide spirituel qu’a été l’emblématique archevêque d’Alger, Léon Etienne Duval. Ceci après une pénible maladie qui fut malheureusement un signe prémonitoire où il a tenu à rendre visite à sa famille à Lyon, en France, suivi d’un foudroyant AVC, qui hélas a fini par l’emporter le 3 décembre 2020 à l’âge de 91 ans.
Pour l’histoire de l’Algérie, sa patrie, où son nom est gravé, Monseigneur Henri Teissier fut un repère d’humanisme, d’universalité chevillé en la profondeur de son être intimement tramé de bonté, de fraternité, de solidarité, d’amour de l’autre pour un vivre-ensemble en paix à l’infini de l’entraide et de l’engagement pour le triomphe des causes justes des humbles et des opprimés. Vertus sacerdotales qui furent les siennes pour ainsi constituer fondamentalement la véritable dimension existentielle de la plénitude du sens de sa vie. Avec une vaste culture d’érudition accomplie après de hautes études philosophiques et théologiques en un parfait bilinguisme, en langue française et arabe, Monseigneur Teissier a dans son prodigieux parcours ecclésiastique été le disciple de l’immense cardinal Léon Etienne Duval, évêque d’Alger pour lui succéder en 1988 à ce rang honorifique suprême de l’église en Algérie.
Dans ce contexte, sa vocation humaniste innée s’est traduite par une pratique sociale d’un dialogue permanent interreligieux, de rapprochement, d’amour et de tolérance sans cesse renouvelé et inlassablement entretenu à travers ses nombreuses conférences significativement instructives. Celles-ci animées avec sa démarche d’une pédagogie particulière d’ouverture et d’écoute en direction de l’auditoire toujours attentif, captivé et constamment sollicité par l’orateur à dessein d’une judicieuse implication complémentaire au développement collectif de la thématique traitée.
Une excellente opportunité culturelle que nous avions saisie, lors de plusieurs rencontres initiées en l’année 2017 par la moudjahida Mme Zoubida Amirat, présidente de la Fondation Slimane Amirat, et veuve de ce regretté moudjahid de la première heure de la Fédération de France du FLN historique, où étaient conviés un panel d’éminences de savoir théologique, adepte de foi et de profondes convictions du dialogue interreligieux, à l’instar de Monseigneur Teissier, Mohamed Assa, ancien ministre des Affaires religieuses, Ghaleb Bencheikh, islamologue de référence, président de la Fondation de l’islam de France, Mustapha Cherif, le philosophe-penseur, islamologue de notoriété qui a été reçue le 11 novembre 2016 par le Pape Benoit XVI au Saint Siège de la cité du Vatican à Rome pour un long entretien, objet d’un ouvrage intitulé Rencontre avec le Pape – Mettre fin aux préjugés paru aux éditions Al Bouraq à Paris en 2013 dont il est l’auteur.
Organisées symboliquement pendant les soirées du mois sacré du Ramadhan, ces véritables communions d’idées, de réflexions, d’échanges rehaussées par la présence de personnalités de référence du monde de la culture, et de la théologie ainsi que d’ambassadeurs accrédités à Alger ont constitué le centre d’intérêt majeur d’une assistance ravie par des pans de culture et de foi revisités avec une approche experte de ces intervenants de sommité qui ont su en une circonstance de convivialité religieuse rappeler et convaincre, que les religions monothéistes, christianisme, islam et judaïsme sont certes différentes mais avec une mission commune scellée à toutes dont la finalité suprême de sacralité demeure le bonheur de l’ensemble de l’humanité.
Casbah d’El Djazaïr : Un creuset civilisationnel de culture et d’histoire
Dans la continuité de ces initiatives, notre Association des amis de la rampe Louni Arezki Casbah a célébré le 27 mai 2007 une journée pour la réappropriation didactique du souvenir dédié à La Casbah d’Alger au palais El Menzah actuellement baptisé espace Amar Ezzahi par l’Office national des droits d’auteur et droits voisins (ONDA) du ministère de la Culture devenu propriétaire de ce joyau patrimonial du XVIIIe siècle. Centrée sous la thématique évocatrice de La Casbah au XVIe siècle, une conférence-débat a été animée en la circonstance par l’historienne et auteure de notoriété, Corine Chevalier, qui a remémoré El Djazaïr dans un excellent et instructif ouvrage d’historicité au titre éloquent La nuit du corsaire paru en 2015 aux éditions Casbah et qui a poétiquement entamé son intervention par cette chaleureuse exclamation : «Je viens à La Casbah ma passion de toujours ! Pour parler de La Casbah aux gens de La Casbah», cela sous les applaudissements nourris d’une nombreuse assistance chaleureusement ravie par l’esthétique de cette superbe rime de convivialité émouvante à l’endroit de la Médina.
Monseigneur Teissier, comme à l’accoutumée, était présent pour partager avec une nombreuse assistance un moment de ressourcement mémoriel sur des lieux qui lui étaient familiers avec la proximité attenante de la bibliothèque diocésaine où il se rendait fréquemment pour devenir ainsi une silhouette connue et très appréciée pour son amabilité avenante de sympathie dans l’enceinte de la Cité antique. C’est ainsi qu’il n’a cessé de visiter ce précieux patrimoine multiséculaire, auquel il vouait un intérêt particulier avec comme guide son ami Hadj Zoubir, une mémoire des lieux, natif de La Casbah, aujourd’hui âgé de 85 ans.
Une œuvre de foi, d’humanisme et de culture
Très proche du mouvement associatif, Monseigneur Henri Teissier a participé au mois de mai 2017 à la commémoration du 60e anniversaire de la mort du moudjahid Mustapha Bouhired organisée par l’association Sauvons La Casbah, présidée par Houria Bouhired, la fille du célèbre chahid, qui a vu le jour à La Casbah au sein d’une lignée familiale de souche très connue dans la Vieille ville au souvenir de l’emblématique héroïne nationale Djamila Bouhired. C’est lors d’un déplacement de la pensée collective par autobus du siège de l’association à Bab Edjdid Casbah que les nombreux participants se sont recueillis à la mémoire de ce valeureux résistant au cimetière des chouhada des Eucalyptus dans la banlieue est d’Alger. Admiratif des grands savants d’érudition, Mohamed Bencheneb et Abdelhalim Ben Smaïa, des légendes de savoir et de culture, d’universalité de La Casbah pour lesquels une journée d’étude avec une conférence-débat a été initiée par l’association des amis de la Rampe Louni Arezki Casbah. Une action très appréciée par Monseigneur Teissier, qui, bien qu’absent ce jour-là, a tenu à se rapprocher de celle-ci pour nous exprimer sa satisfaction appuyée de ses vives félicitations et encouragements pour la pérennisation de la matrice mémorielle et culturelle de La Casbah d’Alger en direction de la jeunesse et des générations montantes. Egalement pour le regretté Père Marcel Bois, un de ses amis et éminent traducteur qui a savamment œuvré en «artiste» de la transposition linguistique au rayonnement universel de la littérature algérienne d’expression arabe et qui a été aussi un proche de notre association qui lui a consacré une vibrante évocation d’hommage lors de son décès par une contribution médiatique de reconnaissance à son œuvre et à son parcours publié sur la presse nationale.
L’auteur des écrits spirituels de l’émir Abdelkader
De son prodigieux parcours ecclésiastique, Monseigneur Teissier était par la même un intellectuel brillant de haut niveau et d’une grande perspicacité avec à son palmarès de nombreux ouvrages d’anthologie philosophiques pour la paix dont : Eglise et Islam 1984 – Lettre d’Algérie 1998 – Chrétiens en d’Algérie : un partage d’espérance 2002 – Histoire des chrétiens d’Afrique du Nord 1991 et Les écrits spirituels de l’Emir Abdelkader en 2018 pour lequel un prix de haute distinction et de reconnaissance, portant le nom de l’illustre résistant, lui a été décerné par l’association Sur les traces de l’Emir, de Ghris, une banlieue de la ville de Mascara au cours de festivités traditionnellement célébrées à son glorieux souvenir où Monseigneur Teissier, l’émérite récipiendaire, était l’invité d’honneur de l’événement. C’est par cette vision érudite que Monseigneur Teissier a été imprégné par l’acte de foi et d’humanisme de l’Emir Abdelkader, un exemple de courage, de concorde et de tolérance qui a épargné la vie de milliers de chrétiens d’un génocide certain à Damas et qui, à l’époque, avait répondu à l’archevêque d’Alger qui le remerciait pour cette historique épopée de grandeur d’âme salvatrice par cette formule de sublimité «que cette action a été accomplie au nom de sa foi et aussi au nom des principes de l’humanité». Une révélation inédite du professeur Mustapha Cherif dans son ouvrage précédemment cité et qui en la circonstance a offert une copie du manuscrit de cette lettre au Pape Benoît XVI, lors de sa rencontre avec ce dernier le 11 novembre 2016 à Rome.
Le Cardinal Léon Etienne DUVAL et le grand mufti d’Alger Cheikh BABA AMEUR
On retrouvera bien plus tard dans le siècle, pendant la guerre de Libération, un enchaînement d’humanisme et d’engagement initié par le cardinal Leon Etienne Duval, archevêque d’Alger à travers une déclaration publique et officielle pour la paix en Algérie et à laquelle adhéra dans la spontanéité de l’empressement cheikh Baba Ameur, un repère de l’islam civilisationnel, grand mufti de la prestigieuse Mosquée d’Alger.
A ce propos, il y a également lieu de rappeler qu’auparavant et dans une conjoncture politique colonialiste périlleuse, le cardinal Duval a adressé une demande de grâce en faveur des premiers condamnés à mort, qui naturellement a été rejetée avec l’inauguration d’un cycle immonde d’exécutions barbares par le couperet criminel de la guillotine, une réponse de déni d’humanité de la France officielle, colonialiste sourde à un appel de la conscience pour la dignité de la condition humaine. Pour ce raffermissement des liens spirituels interreligieux de tolérance et de concorde, Monseigneur Teissier a créé un Centre de dialogue islamo-chrétien à Alger dès l’indépendance de l’Algérie au cours de l’année 1966 qui dispensait par ailleurs un enseignement des langues usitées en Algérie : arabe littéraire, arabe algérien «dialectal ou dardja», berbère, une initiative pédagogique orientée vers la stimulation et l’encouragement d’études universitaires et de la recherche scientifique pour une symbiose linguistique du rapprochement culturel.
Hélas, la trajectoire de la destinée de l’Algérie fut tout autre, elle qui a traversé une tragédie nationale de terrorisme armé et aveugle, inconnu jusque- là de sa plurimillénaire histoire avec les horreurs de la décennie de sinistre mémoire, un cruel déchirement pour Monseigneur Teissier, qui a refusé la fatalité pour agir courageusement et infatigablement au sein de son peuple au quotidien afin de contribuer de toutes ses forces à surmonter la tourmente périlleuse d’une nation lâchement meurtrie dans sa chair par une diabolique incarnation d’un mal de déshumanision et d’obscurantisme de l’âge de pierre.
Le choix de Mgr TESSIER : Mourir parmi les siens
Bien que menacé de mort, Monseigneur Teissier a fait un choix de foi et de courage au péril de sa vie pour rester dans son pays, au sein de son peuple pour protéger de nombreux Algériens musulmans, journalistes, écrivains, enseignants, universitaires, artistes intellectuels, cibles prioritaires du terrorisme. Ceci avec cette émouvante recommandation : «Priez pour nos martyrs chrétiens et musulmans» qui était en la circonstance son refrain habituel de fraternisation humaine compensatrice à la cruauté de l’épreuve. Les lieux de culte et sa maison étaient ainsi devenus le refuge de salut pour tous ces pourchassés en quête d’hébergement et de protection d’une mort certaine qui était le lot quotidien des femmes et des hommes de savoir, de culture ainsi que de l’élite algérienne. Dans un déluge de violence apocalyptique d’assassinats commis journellement où de nombreux religieux chrétiens et musulmans ont malheureusement péri et qui a culminé d’horreur avec le massacre des inoubliables moines de Tibhirine. Monseigneur Teissier répondait avec fermeté à tous ceux qui par affection le suppliaient de partir momentanément en l’attente d’une probable accalmie de la terreur : «Si je dois mourir, que je meure parmi les miens.»
Quelle lumineuse leçon de foi et d’amour vouée à sa patrie l’Algérie et son peuple auquel il était lié par un destin commun à vivre pour le meilleur et pour le pire dans l’accomplissement du devoir de fidélité et de générosité envers les siens. C’est en apôtre de la foi, de la générosité et de la concorde qu’il a essaimé l’amour du vivre-ensemble en paix dans les profondeurs de son Algérie où son œuvre d’humanisme est devenue une référence chaleureusement relayée au sein des populations dans toutes ses catégories sociales pour l’évoquer après sa disparition douloureusement ressentie certes, mais compensée par la pérennité de son souvenir, un legs pour les générations futures, la mémoire collective et l’histoire. Cette dimension de la vie pleine et du parcours dense et intense de Monseigneur Teissier est aussi un véritable message de foi et de devoir pour l’accomplissement d’actions unificatrices du genre humain de la planète entière. Son exemple révèle aussi l’ardeur d’engagement qui a donné un sens à sa vie en s’investissant avec abnégation, courage et sacrifice pour contribuer au bonheur de l’humanité dans la concorde de l’épanouissement interreligieux.
Le repos éternel à Alger dans l’enceinte de la Basilique de Notre-dame d’Afrique
Rapatrié dans son pays à Alger le 8 décembre 2020, date de la célébration de la Journée internationale du vivre- ensemble en paix et de la béatification des moines de Tibehirine et des 12 autres religieux, victimes innocentes de la barbarie. Monseigneur Teissier repose désormais paisiblement dans la paix divine de l’au-delà à côté de son compagnon, l’illustre cardinal Léon Etienne Duval au sein de la chapelle Sainte-Monique de la basilique de Notre-Dame d’Afrique.
Ce patrimoine symbolique de concorde religieuse éclatant de toute beauté qui surplombe majestueusement le bleu azur de la Méditerranée à travers ses flots scintillants d’espoir à l’humanité entière pour un vivre-ensemble en paix, civilisationnel d’amour, de fraternité, de tolérance et de respect de l’autre. C’est en ce lieu de béatitude et de recueillement et en dépit des restrictions du protocole de la crise sanitaire qui a réduit l’affluence du nombre de ceux qui voulaient dédier un dernier hommage à Monseigneur Teissier qu’un émouvant adieu d’affection lui a été rendu dans une chaleureuse solennité des cœurs.
Ces cœurs de celles et ceux qui nombreux et visiblement affectés ont dans une communion de pensée collective fait retentir un hymne de l’âme, de la sensibilité humaine pour une fraternisation interreligieuse islamo-chrétienne qui était la raison existentielle de l’illustre disparu passionnément attaché à la sève de la terre d’Algérie, la sienne qu’il a aimée et pour laquelle il a donné le meilleur de lui-même avec le vœu sacré d’y reposer pour l’éternité. Ce qui a significativement été illustré par les propos de sa sœur qui a accompagné sa dépouille de Lyon et présente à la cérémonie par cette pathétique affirmation : «Il ne pouvait se reposer qu’à Alger, telle était sa volonté.»
Dans son paisible sommeil d’éternité d’un Juste à Notre-Dame d’Afrique qu’il a tant aimée, que Monseigneur Henri Teissier et ses compagnons prêtres disparus, sachent que leur pays l’Algérie et son peuple perpétueront à jamais leur souvenir impérissable. Celui-ci est désormais au Panthéon de la mémoire collective de la nation où sont gravés à jamais les noms de ces religieuses et religieux pour la générosité, la fidélité, la solidarité et la fraternité qui furent les leurs dans les terribles et dramatiques épreuves de la colonisation et de la tragédie nationale.
à Mgr TESSIER et tous les autres : l’Algérie leur patrie
à l’éternité reconnaissante
Pour ne pouvoir les citer tous ici, nous évoquerons avec reconnaissance et gratitude la mémoire de certains, à l’instar du cardinal Léon Etienne Duval, les pères Berenguer, Denis Gonzalez, Monseigneur Pierre Claverie, l’abbé Scotto, Marcel Bois, Bernard Boudouresques, Robert Davezies de Paris, ainsi que le professeur Pierre Chaulet, un repère de notoriété historique de la Révolution algérienne qui était un ami et proche collaborateur scientifique de Monseigneur Teissier en matière de réflexion, d’études et de recherches universitaires, de textes et d’archives sur l’histoire de l’Eglise en Algérie.
A Monseigneur Teissier qui demeurera un exemple d’humanisme et de foi, avec une pieuse pensée à sa mémoire appuyée d’une haute reconnaissance de pérennité à l’endroit de tous ses compagnons qui ont œuvré pour le rayonnement de la prospérité et du bien-être avec le respect de l’autre et sa différence, dans la voie du dialogue interreligieux du vivre-ensemble en paix.
Par Lounis Aït Aoudia
Président de l’association des Amis de la Rampe Louni Arezki Casbah
https://www.elwatan.com/edition/culture/casbah-del-djazair-hommage-a-monseigneur-henri-teissier-05-01-2021
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