« Pauvre amiral ! Philippe, le fils aîné, le fils unique, le marin, fut toujours très proche de son père, à qui il ressemblait de manière troublante. (…) Après la mort du Général, la figure écrasante du père continuera de peser sur lui. (…) Il devra consacrer un temps considérable à gérer les archives personnelles du grand homme. (…) Une obsession (…) : protéger l’image de son père et restituer ce qu’il estime être la vérité. » (Catherine Golliau, "Le Point", juin 2020).
L’amiral Philippe De Gaulle, le fils et l’aîné du Général Charles De Gaulle, fête ce lundi 28 décembre 2020 son 99e anniversaire. Philippe De Gaulle ressemble énormément à son père et cette ressemblance physique frappante a participé à la proximité entre les deux hommes. Charles De Gaulle se sentait à l’aise avec son fils, tous les deux grands, immenses, et un physique que lui, le père, considérait comme ingrat, comme une sorte de grand éléphant, ou de dinosaure, bien sûr issu des livres d’histoire. Ils ne se voyaient pas souvent car le fils aussi militaire était souvent en mission, ailleurs, mais lorsqu’ils se revoyaient, c’était souvent des dialogues intimes où le Général se confiait parfois, ce qui était rare.
C’est très troublant d’imaginer De Gaulle centenaire. L’existence de Philippe De Gaulle aurait même nourri quelques espoirs paternels de continuer l’œuvre inachevée. Il fut toutefois élu sénateur de Paris deux fois, de septembre 1986 à septembre 2004, chose qui pouvait être invraisemblable puisque son père est parti sur sa volonté avortée de supprimer le Sénat, du moins tel qu’il se dessine encore aujourd’hui (Sénat d’ailleurs présidé aujourd’hui par un gaulliste, et cela depuis 1998, sans discontinuité sauf entre 2011 et 2014).
Certaines lettres du Général De Gaulle à son fils sont quand même étonnantes. Le 28 avril 1951 : « Tu feras honneur à tout ce que, désormais, notre famille représente et qui sera un jour sans doute ta propre charge. ». Le 15 décembre 1951 : « Si je suis mort ou hors de course lors de l’éruption du volcan, c’est toi, mon fils, qui devras devenir le De Gaulle du nouveau drame. ». Le 4 mai 1961 : « Les événements m’amènent à réfléchir à ce qui pourra peut-être prolonger ou reprendre ce que j’ai entrepris à la tête de notre pays et, par là même, Philippe De Gaulle ne manque pas de m’occuper. ». Le 12 avril 1964 : « J’espère qu’ensuite, c’est toi-même qui voudras et pourras assumer à ton tour la charge de conduire la France. ».
Alors, Philippe De Gaulle sacré empereur De Gaulle II ? Après tout, De Gaulle père avait entretenu des relations très courtoises avec le comte de Paris, au point que certains y voyaient la résurgence d’un certain monarchisme acquis lorsqu’il était, enfant, maurrassien. Après tout, De Gaulle fils n’a-t-il pas épousé le 31 décembre 1947 une filleule du même comte de Paris, Henriette de Montalembert de Cers (1929-2014) ?
Nul doute que ce serait une interprétation hâtive et erronée de faire imaginer par le père que le fils se transformât en héritier politique. Philippe De Gaulle n’a jamais eu qu’une activité militaire et pas politique du vivant de son père, il a été résistant (il avait 18 ans en 1940), il a participé à la Libération de Paris, et même du Palais-Bourbon (une plaque de marbre à l’hôtel de Lassay en garde le souvenir depuis le 27 novembre 2019), mais le Général De Gaulle a toujours refusé de le faire compagnon de la Libération (il n'en reste plus qu'un seul) et même, de lui donner la médaille de la Résistance, car il avait trop peur qu’on le soupçonnât de favoritisme.
Les retrouvailles entre le père et le fils à la Libération de Paris furent d’ailleurs très peu chaleureuses malgré l’importance du moment familial, le Général De Gaulle n’a pas accordé plus d’attention à son fils qu’à tous ses nombreux autres camarades combattants pour sauver l’honneur de la France.
Même s’il a eu une carrière très réussie dans la marine entre 1940 et 1982 (d’abord dans la France libre et en participant à huit grandes batailles), terminant avec le grade d’amiral en 1980 et la fonction d’inspecteur général de la marine, Philippe De Gaulle n’a jamais vraiment été privilégié par son nom, et même, on pourrait dire le contraire, son patronyme l’aurait plutôt desservi, notamment pendant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing.
Le ralliement de Philippe De Gaulle au Sénat avait un certain sens : depuis la victoire de la gauche socialo-communiste en 1981, les gaullistes (RPR) et les centristes (UDF), qui, historiquement, étaient souvent opposés entre 1946 et 1981, parfois de manière très véhémente (en 1969 par exemple, aussi en 1977), ont dû se rassembler pour faire cause commune face à cette nouvelle majorité hostile au régime gaullien. Le Sénat, paradoxalement, est devenu alors l’institution d’opposition par excellence et un moyen, pour les gaullistes, d’y retrouver l’esprit de résistance.
Mais politiquement, ce n’est pas sa présence au Sénat qui fut la part la plus importante de Philippe De Gaulle. C’est la publication de très longs entretiens avec le journaliste Michel Tauriac répartis dans deux tomes "De Gaulle mon père" sortis respectivement le 13 novembre 2003 et le 26 février 2004 chez Plon. Bien que contestés par plusieurs historiens sur des points spécifiques, ces deux ouvrages sont une mine intéressante d’informations de première main sur la pensée "brut" (c’est-à-dire, sans emballage pour son expression publique) du Général De Gaulle.
Cette masse d’informations est intéressante aussi pour pondérer un autre témoignage précieux, celui du ministre Alain Peyrefitte, qui a eu le privilège de le questionner souvent sur de très nombreux sujets pendant une dizaine d’années. Or, parfois, les deux ne sont pas forcément avec le même contexte, le même son de "cloche".
Ainsi, Alain Peyrefitte a rapporté en 1994 dans son "C’était De Gaulle" (éd. Gallimard) les mots que le Général De Gaulle lui a confiés le 5 mars 1959 lors d’une discussion personnelle : « Il ne faut pas se payer de mots ! C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoires ! Les musulmans, vous êtes allé les voir ? Vous les avez regardés, avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants [il doit penser à Soustelle]. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nos faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcheraient-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! ».
Il n’est pas le lieu, ici, de commenter ces paroles (qui n’étaient pas polémiques puisque pas publiques), ni le contexte dans lequel elles ont été prononcées, ni non plus leurs multiples récupérations politiciennes par des militants d’une extrême droite très peu gaulliste à l’époque où elles ont été prononcées (en pleine guerre d’Algérie), mais il est intéressant de rappeler que, dans les ouvrages cités, Philippe De Gaulle a voulu donner une image très différente de son père que celle qui ressort de la tirade très crûe de Colombey-les-Deux-Mosquées (dont je ne remets pas en cause la véracité même si c’est "juste" le témoignage d’une conversation sans témoin) : « Mon père avait au contraire un grand respect pour les Arabes. Il avait aussi beaucoup d’estime pour leur courage au cours de l’histoire. Avec quelle flamme il m’apprenait, enfant, comment ils avaient été des conquérants inégalés, comment ils avaient soumis le Maghreb, la péninsule Ibérique et même une partie de la Gaule méridionale. Je l’entends encore me conter l’histoire de Schéhérazade, d’Aladdin et la lampe merveilleuse, me décrire avec force détails l’épopée de l’empire fameux des Omeyades, du khalife de Bagdad entouré de ses esclaves turcs et berbères… ».
On ne savait jamais quelle était la pensée réelle de Charles De Gaulle sur un sujet donné. Il ne donnait jamais ses éléments de réflexion et prêchait souvent le faux pour avoir une idée plus large d’un sujet. Or, cette pensée sincère, profonde, il l’a gardée pour lui dans toutes les circonstances, même auprès de ses proches. Néanmoins, si une personne pouvait s’approcher le plus de cette pensée profonde, c’était bien son fils Philippe qui, dès l’âge adulte, fut associé à toutes les réflexions et décisions importantes du Général. Son témoignage, en ce sens, paraît donc essentiel, même s’il ne reste qu’une petite parcelle de vérité, qu’un point de vue parmi d’autres. Lorsqu’on approche un si grand homme, c’est comme en haute montagne, il y a plusieurs chemins…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 décembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Philippe De Gaulle, entre père et mer.
Philippe De Gaulle.
Deux ou trois choses encore sur De Gaulle.
La France, 50 ans après De Gaulle : 5 idées fausses.
Daniel Cordier.
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