“LE FOU DE LEÏLA”, DE J.-C. FOURNIER
Jean-Claude Fournier a travaillé entre 1983 et 1986 en tant que coopérant dans des lycées d’Amizour et de Béjaïa. De ses années est né un roman, Le Fou de Leïla, paru chez Tafat Éditions au second semestre 2020. Le roman, fortement inspiré de la réalité, commence avec l’arrivée du ferry au port de Béjaïa. À son bord, des enseignants, mais pas seulement.
Depuis un peu plus de vingt ans après l’indépendance de l’Algérie, des diplômés français avaient décidé de s’expatrier volontairement dans le cadre de la coopération bilatérale pour exercer dans l’ancienne zone coloniale les fonctions d’ingénieur, de médecin et, surtout, d’enseignant. Jean-Claude Fournier et ses principaux personnages appartiennent à cette dernière catégorie. Mais l’un d’eux, Serge en l’occurrence, y revient après y avoir effectué un premier voyage au lendemain du cessez-le-feu, à bord, cette fois, d’une frégate pour être affecté à la base navale de Mersa El-Kebir, dans l’Oranie.
C’est là qu’il fera connaissance avec Leïla, une fille originaire de Cap Aokas, qui, pour échapper à un mariage forcé, avait dû quitter son petit coin. Celle-ci a fini dans une maison close de Aïn El-Turk, où Serge avait été nommé comptable. Mais cette aventure amoureuse, naïve et tendre, a été interrompue par la maladie de Serge, qui avait dû regagner la France. Et c’est pour renouer avec cet amour, impossible, qu’il a choisi la coopération à Béjaïa où il espérait revoir Leïla. Cette histoire d’amour quasi impossible servira de fil d’Ariane à ce roman, où l’auteur prend le pari de “faire cohabiter peinture socioéconomique et culturelle, carnets de voyage et histoire d’amour/métaphore de la condition de la femme algérienne”. Il y avait, en effet, place pour deux, voire trois bouquins.
L’auteur, qui a assurément un talent de conteur, gagnerait à reprendre l’histoire d’amour séparément. Cependant, en faisant de l’une de ses héroïnes, Leïla, une ancienne péripatéticienne, il avait dû faire preuve de plus d’imagination pour pouvoir la réinsérer socialement, a fortiori dans une société conservatrice comme la nôtre. Si les plus âgés des lecteurs n’auront aucun mal à se remémorer l’Algérie du début des années 1980 que l’auteur a peinte tout au long des 335 pages avec la crise du logement – qui a atteint également les coopérants – mais aussi les pénuries, les files d’attente devant les galeries et autres souks el-fellah, dont les étals étaient désespérément vides, les plus jeunes auront du mal à le faire dans l’Algérie actuelle, où les rayons sont bien achalandés.Bien que ces coopérants français aient été surpris que “les haines accumulées pendant la guerre de Libération” “n’avaient pas laissé de trace dans le cœur des gens”, les rancœurs semblaient, ajoutera l’auteur, “abolies par la fierté d’être enfin libre de décider de soi-même de son destin”.
Et qu’importait, poursuit-il, “si l’indépendance n’avait pas encore changé significativement la vie des populations rurales et citadines”. L’auteur écrit, page 73, qu’“ici, en terre d’Islam”, ces naufragés de la vie “croyaient avoir trouvé l’ultime étape de leur errance. Ils rêvaient de rencontrer celle qui leur serait servie sur un plateau par un père prêt à promettre sa fille à un Occidental”. Propos qui témoignent, si besoin est, de l’absence d’intégration d’une bonne partie de cette fournée annuelle d’enseignants. D’ailleurs, ils vivaient essentiellement en communauté.
M. Ouyougoute
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