Les derniers détracteurs du général de Gaulle rassemblent des héros de la Résistance, des anciens de l’OAS, des pieds-noirs, des harkis, des démocrates et des radicaux. Tous mènent le même et obsédant combat : faire entendre leur vérité sur le « fossoyeur » de l’Algérie française.
Ils n’aiment pas de Gaulle. D’ailleurs, ils disent toujours « de Gaulle » tout court. Pour eux, il n’y a pas de « Charles » ni de « général » qui tiennent. Quant au concert de louanges qui a salué en cette année 2020 trois événements marquants le concernant : sa naissance en 1890, l’appel de 1940 et sa disparition en 1970, il leur est insupportable. « Une boussole pour notre pays », a rappelé la droite, « l’un des grands serviteurs de la France », a renchéri la dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen, dont le parti a pourtant combattu le résistant, lui préférant Philippe Pétain. Même l’antigaullisme de gauche, longtemps incarné par Pierre Mendès France, François Mitterrand ou Régis Debray, a disparu. En juin 2016, François Hollande n’est-il pas allé se recueillir à Colombey-les-deux-Eglises (Haute-Marne), une première pour un président socialiste ?
Face à cette « gaullâtrie » ambiante, ainsi qu’ils la surnomment, les irréductibles opposants à la « voix du 18 juin » s’obstinent. Ils estiment que l’officier ne mérite pas autant d’honneurs car, clament-ils, il aurait trahi sa parole et renié ses engagements lors de la guerre d’Algérie, nœud gordien de leur rancœur. Ils ont cru qu’il choisirait un autre chemin, une association peut-être, une fédération pourquoi pas, afin de conserver ce morceau d’empire sous bannière tricolore.
Le dernier carré antigaulliste rassemble des vieux, des jeunes, des héros de la résistance, des anciens de l’Organisation armée secrète (OAS), des pieds-noirs, des harkis, des démocrates et des ultras. En dépit de ces différences, tous mènent le même et obsédant combat : faire entendre leur vérité sur de Gaulle et l’Algérie.
Les plaies algériennes suppurent encore. Les armes se sont tues mais la guerre des mémoires n’a jamais cessé
Le moment est bien choisi. 2020 n’est pas seulement l’année Charles de Gaulle. En juillet, Emmanuel Macron a confié à l’historien Benjamin Stora une mission sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie ». Le président de la République a fait du conflit méditerranéen le défi mémoriel de son quinquennat. La remise des recommandations était prévue pour décembre mais a été repoussée à janvier. L’Elysée a estimé inutile de souffler sur les braises d’une fin d’année déjà très enflammée entre crise sanitaire, attentats et manifestations contre la loi relative à la sécurité globale. Les plaies algériennes suppurent encore. Les armes se sont tues mais la guerre des mémoires n’a jamais cessé. Le rapport Stora devait attendre un peu.
Bernard Baudru, 76 ans, est l’un des premiers à avoir accepté de témoigner « afin de faire comprendre que de Gaulle n’était pas un homme merveilleux ». La rencontre a lieu à la fin de l’automne chez l’un de ses amis à Villeneuve-lès-Avignon, dans le Gard, un département ensoleillé où beaucoup de pieds-noirs se sont installés après l’indépendance algérienne. Au seul nom de Benjamin Stora, l’ancien banquier jette ses lunettes sur la table de la cuisine où il a empilé ses archives personnelles. L’homme pense que l’historien issu de l’extrême gauche va faire la part belle au FLN (Front de libération nationale) et appeler à la repentance. « Unilatérale la repentance, hein !, que du côté français. Tout cela m’exaspère », lâche-t-il en s’asseyant.
« Tout cela laisse des traces »
Devant lui, un exemplaire de Paris Match daté du 24 mars 1962. La guerre d’Algérie est terminée depuis six jours. Le magazine fait sa « une » sur la visite de Jackie Kennedy à New Delhi, en Inde. La « Reine d’Amérique » pose en tailleur Chanel rose bonbon aux côtés de Nehru, tout sourire : du rêve en kiosque. Mais dans les pages intérieures, le journal propose un reportage sur Alger qui compte ses morts à l’heure du cessez-le-feu. On découvre la photo d’une morgue où plusieurs linceuls sont exposés sur des tréteaux en bois. Et ces quelques lignes de l’envoyé spécial de l’hebdomadaire : « L’un des morts, âgé de 45 ans, a d’abord été lapidé puis achevé à coups de couteau. Il en a reçu vingt-sept. » Paris Match ne précise pas le nom de la victime. « C’était mon oncle, Léon, il avait trois enfants », murmure Bernard Baudru.
Le septuagénaire reste silencieux, puis les mots jaillissent. Le 12 mars 1962, alors que le FLN a décrété une grève générale, Léon Baudru part travailler sur l’un des chantiers de la PME familiale, une entreprise de plomberie. Sur la route du retour, son camion est arrêté à un barrage. « Vous connaissez la suite, il va être massacré. J’avais 17 ans à l’époque. Si j’avais eu des grenades avec moi, je pense que j’aurais fait un malheur. Alors bien sûr que tout cela laisse des traces. »
Les aïeux de Bernard Baudru se sont établis en Algérie dès 1840. Il raconte son grand-père maternel, un petit exploitant agricole tué pendant la première guerre mondiale à la bataille des Dardanelles, sa mère pupille de la nation, et puis lui, né à Alger en 1944 et dont la vie de jeune adulte « explose » quand ses parents décident de le mettre en juillet 1962 dans un avion pour la France où il n’était jamais allé, « ce n’était pas mon pays et ça ne l’est toujours pas », dit-il, poings serrés.
« Il nous a menti »
Repoussant le numéro de Paris Match, Bernard Baudru sort de l’un de ses classeurs le discours prononcé par le général de Gaulle le 6 juin 1958 à Mostaganem, près d’Oran. On connaît les mots qu’il veut nous faire lire. Ce jour-là, le géant en uniforme, bras en V, laisse échapper « Vive l’Algérie française ! », ce sera la seule et unique fois. Embarrassé, de Gaulle, le mémorialiste, ne fera pas figurer l’allocution dans ses Discours et messages (Plon, 1970). « S’il n’y croyait pas, pourquoi l’avoir dit ? Il nous a menti, fulmine l’ancien Algérois. Vu comment tout ça s’est terminé, il aurait mieux valu préparer la décolonisation dès l’après seconde guerre mondiale. » De Gaulle n’était plus au pouvoir, il y avait renoncé en 1946.
Sous la IVe République, le dossier algérien s’embourbe. Le sang avait pourtant coulé dès la Libération. Alors que partout dans le monde on célèbre la victoire contre le nazisme, des manifestations anticolonialistes sont réprimées par les forces de l’ordre françaises dans le Constantinois, à Sétif, Guelma et Kherrata. En quelques semaines, des milliers d’Algériens sont tués ainsi qu’une centaine d’Européens.
Quand de Gaulle revient aux affaires, en mai 1958, l’Algérie française brûle depuis longtemps. Personne ne semble avoir de prise sur les événements. Evoquant Mostaganem dans Le Monde daté du 28 octobre 2004, l’ancien journaliste Bertrand Le Gendre écrit dans la page « Histoire » : « Laisser entendre, ne rien promettre, satisfaire les uns sans mécontenter les autres, le de Gaulle de 1958 est tout entier dans cette équivoque. (…) Mais quatre ans plus tard, l’Algérie sera indépendante, un retournement inimaginable qui tient de l’exploit politique autant que de la lucidité historique. »
De Gaulle, le prince de l’équivoque ? C’est en tout cas ce que pense, en 1960, l’un de ses ministres, Robert Buron, à lire ses Carnets politiques de la guerre d’Algérie (Plon, 1965). Dans la famille Iacono di Cacito, établie dans un joli petit mas du Vaucluse, on préfère parler de « duplicité ». Et personne au sein du foyer pied-noir ne veut admettre une quelconque lucidité chez « de Gaulle, ce traître ». Au moins, c’est clair.
Comme Bernard Baudru, Henri Iacono, 78 ans, et sa femme Claude-Marie, 79 ans, ont été meurtris dans leur chair. Ils se marient très jeunes en Algérie, deux bébés suivent dans la foulée. En 1961, le père d’Henri, un sympathisant de l’OAS, décide d’envoyer son fils en métropole pour le mettre à l’abri, le ménage est séparé. A Montpellier, Henri commence des études de chirurgie dentaire. Il ne les terminera jamais et deviendra finalement antiquaire. Le déraciné, pro-Algérie française, ronéotype des tracts. Les Renseignements généraux le repèrent. La police débarque chez lui le 13 décembre 1961 à six heures du matin. « Les barbouzes ont fouillé mon appartement mais ils ne m’ont pas frappé », raconte-t-il aujourd’hui sans animosité. A ses côtés, on sent que son épouse, qui le rejoindra à Montpellier dès l’annonce de son arrestation, bouillonne.
« Les Arabes étaient neuf millions et nous seulement un million mais l’image des gros colons qui en profitent, ça suffit ça aussi ! »
Claude-Marie Iacono, pied-noire
Assis à la table du salon, le vieux couple évoque d’abord son Noël 1961 passé au commissariat central de Montpellier, « avec champagne et gâteaux », mais l’intermède est de courte durée. Début 1962, l’étudiant de 19 ans est transféré au camp militaire de Saint-Maurice-l’Ardoise, dans le Gard. Des CRS armés montent la garde du haut des miradors, tandis que chiens et barbelés dissuadent les plus téméraires de s’évader. Avant d’y interner des harkis, Paris y détient des prisonniers politiques. Henri Iacono croise de nombreux partisans de l’Algérie française : des paras, des anciens légionnaires, des civils membres des commandos Delta chargés par l’OAS des tortures et des assassinats.
Cinquante-huit ans se sont écoulés mais l’homme reconnaît immédiatement chacun de ses codétenus lorsque circulent autour de la table des clichés en noir et blanc. « Un jour, des gardes mobiles ont fait une descente dans le camp, ils nous ont tout pris, notre nourriture, nos gourmettes, personne n’est intervenu », confie-t-il dans un moment d’émotion.
A Pâques, les moins de 21 ans sont libérés. « M’avoir rendu mon mari en avril pour les fêtes, c’est la seule chose que je dois à de Gaulle », interrompt Claude-Marie Iacono, dont le père, sous-préfet en Algérie, était contre l’indépendance. « Nous n’aurions jamais dû partir. Nous étions là-bas depuis quatre générations », proteste-t-elle. On rappelle alors que beaucoup de peuples se battaient pour leur droit à l’autodétermination. Le Maroc, la Tunisie, la Guinée, le Congo belge avaient déjà acquis leur liberté. « Le Maroc et la Tunisie étaient des protectorats, l’Algérie, c’était trois départements français. Les Arabes étaient neuf millions et nous seulement un million mais l’image des gros colons qui en profitent, ça suffit ça aussi ! », poursuit la maîtresse de maison.
Pour elle, la colonisation est tout sauf un crime contre l’humanité, comme a osé le déclarer Emmanuel Macron, s’insurge-t-elle, insistant plutôt sur la valorisation agricole et économique du pays quand il était français. Le couple oublie au passage le statut juridique d’infériorité réservé aux indigènes musulmans jusqu’à la fin des années 1940, et les spoliations infligées aux paysans algériens dont Albert Camus a conté la misère.
Les Iacono ont l’habitude de dire « arabe » plutôt qu’algérien et « moukère » au lieu de femme voilée. Le vocabulaire est assumé, tout comme les idées qui auraient permis, selon Claude-Marie, de ne pas brader la colonie. « Il suffisait par exemple d’avoir un régime comme celui de l’Afrique du Sud », l’apartheid, en somme. Comment peut-elle imaginer un instant que le peuple algérien aurait accepté une telle humiliation ? Le tandem du Vaucluse vote Rassemblement national, « pas à cause de Marine, devenue gaulliste, une honte ! », mais par fidélité à Jean-Marie que le ménage « a eu l’honneur de recevoir chez lui ».
Charles de Gaulle se méfiait des pieds-noirs dont un grand nombre avait été pétainiste ou favorable, dans les années 1940, au général Giraud, son grand rival pour la direction des Forces françaises libres. Il ne montra guère d’empathie à leur égard quand près de 800 000 d’entre eux quittèrent l’Algérie à la hâte, en 1962, et se réfugièrent en métropole où certains repartiront de zéro. A l’époque, n’était-ce pas « la valise ou le cercueil » ?
Le regret d’une Algérie éternelle
La « nostAlgérie » si puissante chez les anciens colons n’est pas la source du ressentiment que Blandine Greyfié de Bellecombe éprouve vis-à-vis du général de Gaulle. C’est plutôt la mémoire de son père qui la hante, son père « à qui de Gaulle a menti ». Née à Alger en 1958, la psychopédagogue est la fille aînée du commandant Hélie Denoix de Saint Marc (1922-2013). Ce résistant de la première heure fut déporté à Buchenwald puis à Langenstein-Zwieberge. Après l’Indochine, où il reçut sept citations pour son héroïsme au combat, le légionnaire prit part au putsch d’Alger, en avril 1961, à la tête du 1er régiment étranger de parachutistes, mais il refusa d’entrer dans la clandestinité après l’échec du pronunciamiento. Emportée dans la tourmente algérienne, la petite Blandine quitta les rives de la Méditerranée à l’âge de 3 ans et se souvient seulement « de sa maison carrée avec les peaux de mouton » et « des babouches qui dépassaient des djellabas ».
Le regret d’une Algérie éternelle n’inspire pas non plus le dédain que Dominique Salan éprouve pour de Gaulle. Née en 1946 à Hanoï, l’élégante septuagénaire aux faux airs de Ludmila Mikaël porte le nom de l’un des organisateurs du putsch de 1961, le général Raoul Salan (1899-1984), l’officier le plus décoré de l’armée française, un père à qui elle est toujours restée fidèle et dont elle veut, elle aussi, réhabiliter le souvenir. L’exercice est délicat. Après l’échec du coup d’Etat militaire, Salan devint le chef de l’OAS et, selon sa propre expression, « donna le feu en Algérie et en métropole ».
Remettre « l’histoire à l’endroit »
Denoix de Saint Marc et Salan furent jugés, condamnés, incarcérés à la prison de Tulle, en Corrèze, graciés par de Gaulle, leur ennemi, puis réhabilités. L’un comme l’autre mourront grand-croix de la Légion d’honneur, la plus haute distinction de l’ordre napoléonien. Il n’empêche. Comme l’explique Blandine Greyfié de Bellecombe, il reste à remettre « l’histoire à l’endroit ». Pour chacune de ces femmes, c’est une question d’honneur, une « affaire d’hommes », aurait dit Michel Audiard. Pourtant, toutes deux savent qu’aucun gouvernement ne peut tolérer que des officiers retournent leurs régiments contre la République.
Ce jour-là, avec la complicité de l’armée, les partisans de l’Algérie française s’emparent du pouvoir à Alger. Ils entrent en rébellion contre le nouveau gouvernement de la IVe République en cours de formation à Paris – le vingt et unième en onze ans – et dont ils redoutent l’indulgence vis-à-vis du FLN. Les conjurés sont prêts à faire sauter les paras sur la capitale. Reclus à Colombey, le général ne désavoue pas le coup de force. Le 15 mai, Raoul Salan, commandant en chef en Algérie, s’écrie, face à la foule massée sur le Forum à Alger : « Vive la France ! Vive l’Algérie ! » puis, après une courte pause, ajoute : « Vive de Gaulle ! ». Dans les heures qui suivent, ce dernier publie un communiqué où il se déclare « prêt à assumer les pouvoirs de la République ». Le quasi-coup d’Etat l’a remis en selle.
« Je vous ai compris ! »
Même si tout cela lui paraît loin maintenant, Dominique Salan se souvient de la suite des événements. Le 4 juin, de Gaulle, tout nouveau président du Conseil, se rend à Alger et, devant des dizaines de milliers d’Algérois enthousiastes, lance son fameux « Je vous ai compris ! ». Militaires et pieds-noirs imaginent, à tort, que la partie est gagnée et que l’Algérie restera française. « Papa a alors pensé qu’il avait bien fait de lui accorder sa confiance. Maman, elle, n’a jamais été dupe. » Installée à Paris, l’ancienne éditrice, passionnée par les civilisations orientales, ne perd son calme à aucun moment, même quand elle repense à son père menotté par les gendarmes ou à sa mère accusée « d’atteinte à la sécurité de l’Etat » et emprisonnée à Fresnes pendant dix jours. Mais l’OAS ? Les bombes ? La torture ? Les innocents sacrifiés ? « La guerre, c’est sale, les atrocités ont eu lieu des deux côtés. Et puis, c’est facile d’en parler quand on est assis tranquillement dans un fauteuil. » La politique ne l’intéresse pas, elle préfère les livres et son chat « Hapiru » dont le nom acadien fait référence à une peuplade marginale et rebelle.
De son côté, Blandine Greyfié de Bellecombe partage son temps entre Versailles où elle travaille et la Drôme provençale, une terre aride pour laquelle son père a eu le coup de foudre. Elle vit avec son mari à Chantemerle-lès-Grignan, dans une bastide du XVIIIe siècle agrémentée en gîte rural. Le commandant de Saint Marc est enterré à quelques kilomètres de là dans l’un des plus beaux villages de France, La Garde-Adhémar. Sa fille veille sur la tombe. Les obsèques du soldat furent célébrées le 30 août 2013 à la cathédrale Saint-Jean de Lyon. Le cardinal Barbarin officia et le général Bruno Dary, ancien gouverneur militaire de Paris et coorganisateur de La Manif pour tous, prononça l’homélie.
Frères d’armes musulmans
« Papa n’était ni un extrémiste ni une tête brûlée », plaide Mme Greyfié de Bellecombe, persuadée que l’une des clés du ralliement de son père aux putschistes d’Alger tient à « sa blessure jaune ». Engagé dans le brasier indochinois, le jeune lieutenant reçoit l’ordre d’abandonner les populations qui avaient soutenu le camp tricolore. La défaite française est proche. Il obéit à contrecœur, contraint de frapper à coups de crosse les mains qui s’agrippent aux camions militaires. Le Vietminh massacrera des milliers de civils. Face à ses juges en juin 1961, Hélie de Saint Marc déclare qu’il s’est opposé à de Gaulle en Algérie pour ne pas se parjurer de nouveau en trahissant les harkis, ses frères d’armes musulmans que la France avait promis de protéger, eux et leurs familles.
Dans un rapport officiel daté de juillet 2018 et intitulé « Aux harkis, la France reconnaissante », le préfet Dominique Ceaux affirme que l’histoire des harkis est bien celle d’un « abandon ». L’armée française recruta en Algérie près de 150 000 auxiliaires qui payèrent cher cet engagement. Après l’indépendance, entre 60 000 et 80 000 furent massacrés par le FLN qui fit aussi la chasse à tous les musulmans pro-français. Quelques dizaines de milliers de persécutés réussirent à trouver asile avec femmes et enfants en France où ils furent enfermés dans six camps de transit insalubres et coupés du monde. Des centaines y périrent.
« Et vous pensez qu’avec tout ça on peut l’aimer, nous, de Gaulle ? Il a liquidé le dossier algérien d’une manière scandaleuse », s’emporte Moussa Abdellatif, 71 ans, dont la famille, pro-française, dut quitter urgemment la Kabylie en 1962 et échoua en Picardie, « du soleil au brouillard », rigole-t-il. « Mon père était le maire d’un petit village et le FLN exécutait en priorité les autorités locales favorables à Paris », raconte l’ancien restaurateur basé à Amiens, où il est le président de l’association interculturelle « Rencontre et dialogue ». « On discute entre juifs, chrétiens et musulmans, c’est important, en ce moment, non ? »
« Pétain, le seul résistant de France »
Deux télégrammes expliquent la rancœur de Moussa Abdellatif. Datés des 12 et 16 mai 1962 et signés par le ministre des affaires algériennes Louis Joxe, ils ordonnent de ne plus autoriser les transferts désordonnés de harkis organisés par des officiers. Et exigent que ces derniers soient recherchés et sanctionnés. « Non, mais c’est pire que ça, insiste l’homme en colère. L’armée française n’est pas intervenue face aux exactions du FLN et les harkis avaient été désarmés ! » Le rapport du préfet Ceaux fait état d’une note du 24 août 1962 interdisant en effet tout soutien. Et atteste que ces dispositions relayaient « les instructions du chef de l’Etat, Charles de Gaulle, qui estimait le risque de relancer un conflit avec l’Algérie trop élevé ».
Il existe une figure à part dans la galaxie antigaulliste : Louis Honorat de Condé. A 81 ans, sa haine pour de Gaulle est si forte qu’il en oublie l’histoire, affirmant sans vergogne que « Pétain fut le seul résistant de France car jamais il ne cessa de s’opposer aux Allemands ». Le 22 août 1962, l’aristocrate a voulu tuer le chef de l’Etat. Il est l’un des derniers survivants du commando de l’attentat du Petit-Clamart et réfute le terme de terroriste, il se vit comme un « patriote ». Condamné à quinze ans de réclusion criminelle, le conjuré est gracié par de Gaulle « oui, mais sans l’avoir demandé ».
Le vieil homme arbore une cravate verte à fleurs de lys et porte à la boutonnière la flamme tricolore du Front national, « celui de Bruno Gollnisch, pas celui de Marine ». Désormais, trois passions l’animent. Monica, sa femme italienne, elle aussi d’extrême droite, la poésie et « son devoir de vérité sur l’Algérie ». Libraire, il a transformé sa petite propriété de Charmeil, près de Vichy, en caverne à ouvrages anciens. Il en attrape un à la couverture vert émeraude, Aspects véritables de la rébellion algérienne, publié en 1957 par le ministère de l’Algérie. Au fil des pages se succèdent des images insoutenables de suppliciés torturés par le FLN. « C’est pour cela que je suis parti me battre en devançant l’appel, explique-t-il. Comment de Gaulle a-t-il pu laisser le pouvoir à des gens comme ça ? » Pour lui, le putsch « était un sursaut démocratique » face aux communistes du FLN, « dont les enfants immigrés déclencheront bientôt une guerre civile en France ».
Accents de la vieille droite maurassienne française
Directeur du département « Opinion » de l’IFOP, Jérôme Fourquet reconnaît dans le discours de Louis de Condé les accents de la vieille droite maurassienne française qui cherche à réhabiliter des fantômes. L’expert s’intéresse davantage au présent. « Prenez Robert Ménard, le maire populiste de Béziers, ou Julien Sanchez, le maire (RN) de Beaucaire. Les deux ont des origines pieds-noirs et le font savoir. » Dans sa ville, le premier a débaptisé la rue du 19-mars-1962, date du cessez-le-feu en Algérie, pour l’appeler rue du Commandant-Denoix-de-Saint-Marc. Et à Beaucaire, le second a choisi de remplacer la plaque rappelant la date du 19 mars par une autre dédiée au 5 juillet 1962, une journée effroyable où des Européens et des Algériens pro-français furent massacrés à Oran.
Ces initiatives réjouissent Hervé Pignel-Dupont, président de l’association Les amis de Raoul Salan, tout aussi décidé à animer davantage la flamme de l’Algérie française. L’homme de 75 ans, qui possède la plus grande collection privée sur l’Indochine et l’Algérie, est au cœur de nombreux réseaux. Les 24 et 25 juillet 2021, il organisera à Tulle, où les putschistes furent incarcérés, une « cousinade ». Enfants et petits-enfants des officiers rebelles ont été conviés. Une centaine d’entre eux se sont déjà inscrits. Les blessures du passé ont la vie longue.
2020 12 28
Par Marie-Béatrice Baudet
https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/29/de-gaulle-ce-traitre-la-ranc-ur-tenace-des-partisans-de-l-algerie-francaise_6064702_3232.html4
L’autre De Gaulle
https://tipaza.typepad.fr/mon_weblog/2020/12/lautre-de-gaulle.html
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