Charles Bonn est un universitaire reconnu dans le milieu scientifique d’Afrique du Nord où il est apprécié, sollicité pour des interventions scientifiques : colloques, conférences et soutenances de thèses.
Des trois pays, c’est l’Algérie qui l’aura marqué et aura fait de lui «l’homme qu’il est devenu». Mon propos est de montrer l’évolution de son attachement à l’Algérie, les raisons de sa relation particulière avec ce pays. Je m’appuie pour cela sur un ouvrage qu’il a publié en 2019 sous le titre Littérature algérienne, itinéraire d’un lecteur, qui se présente sous forme d’un entretien avec Amel Maafa avec une postface de Naget Khadda.
Cet ouvrage établit avec force l’impact de l’Algérie sur sa vie. Je connais la gentillesse, la spontanéité et l’honnêteté intellectuelle de Charles Bonn l’enseignant chercheur qui développa un lien spécifique avec l’Algérie. Le jeune enseignant qui a débuté du côté de Lille fut muté en 1969, au département de français de l’université de Constantine, dans le cadre de la coopération technique. Il n’avait jamais visité l’Algérie mais il n’a pas accepté ce poste par hasard. En effet, il a beaucoup milité en France en manifestant «contre la ‘guerre d’Algérie en 1961», toujours assumant ses convictions politiques anti-coloniales.
Son départ pour l’Algérie fut «décisif» pour lui, d’autant plus que cela correspondait à ses rêves politiques : aider un pays nouvellement indépendant et si proche. Charles Bonn a fait partie donc de cette vague de ‘pieds-rouges’ ; il a enseigné six ans à l’université de Constantine dont il a vu l’évolution architecturale menée par des architectes chiliens «fuyant la dictature de Pinochet» sous la houlette du grand Niemeyer.
A travers sa personne, il a incarné cette «relation complexe et affective» qui existe entre l’Algérie et la France. Sans surprise, il «dédie son livre à l’Algérie» en confirmant combien ce séjour professionnel a influencé le cours de sa vie ;il donne des détails anodins qui sont significatifs comme lorsqu’il raconte que le lendemain de son arrivée à Constantine, il se rend rue Abane Ramdane où se trouve «la plus belle librairie»de la ville, «devenue depuis une épicerie». Il y acheta Le polygone étoilé de Kateb Yacine, une révélation sur le plan littéraire mais si difficile à analyser, n’ayant pas tout compris.
C’est précisément grâce à ce texte fort difficile d’accès, dont il n’avait pas toutes les clés, qu’il est entré en littérature algérienne. Au fil des ans, il développa sa théorique critique pour analyser la littérature algérienne.
Le point de départ fut sa soutenance de thèse de doctorat sur la question de l’espace dans la littérature algérienne. Ceci explique sa déclaration sans ambiguïté sur l’importance de l’Algérie qui a forgé «l’homme qu’il est devenu», elle a fait «l’homme qu’il est». Sa longue carrière d’enseignant-chercheur fut construite à partir de ses recherches sur le roman algérien. Il a publié de très nombreux ouvrages critiques, il a fait soutenir des centaines de thèses des deux côtés de la Méditerranée et il a organisé de nombreux colloques.
Il continue car dans le cadre du centenaire de la naissance de Mohammed Dib il prépare une rencontre scientifique à Cerisy sur la question du théâtre chez Dib. En septembre dernier, nous étions dans un même jury de thèse à l’université de Metz, thèse dont le sujet était les littératures algériennes. 1969, était l’année de son arrivée en Algérie, celle de tous les espoirs : le grandiose Premier Festival panafricain en Algérie,les lendemains des événements de 1968, les émissions littéraires libres de Jean Sénac à la Chaîne III «Poésie sur tous les fronts», la visite de Fidel Castro à l’université de Constantine, l’arrivée des révolutionnaires en Algérie comme Eldridge Cleaver.
Son implication littéraire a fait qu’il a travaillé sur Mohammed Dib dont la rencontre fut très «importante» et dont «l’influence» fut énorme sur sa vie «personnelle autant que professionnelle». Dib est l’écrivain algérien qu’il admire le plus, en rapport avec la question de la folie telle que décrite dans son œuvre et qui fait écho avec sa propre histoire sentimentale lors de ses ruptures avec deux de ses compagnes et la figure du dédoublement qu’il a analysé chez Mohammed Dib lui parlait au-delà de la critique théorique des textes. Par ailleurs, Charles Bonn a beaucoup publié sur Kateb Yacine, en particulier sur Nedjma. L’œuvre de Kateb Yacine a contribué à sa «théorisation du littéraire».
Avec Rachid Boudjedra la relation fut «plus compliquée» comme il l’affirme. Le roman La répudiation qui date de 1968 marque une rupture avec la première génération d’écrivains algériens tout en étant un «brûlot contre la révolution avortée», écrit Charles Bonn, qui pense que Nabile Farès, le romancier de la migration, a l’œuvre la «plus novatrice et la plus marginale» de la littérature algérienne. Sur le plan théorique il a toujours voulu dépasser le rôle social des personnages, la question de l’oralité dans l’écrit, la question de l’utilisation de l’Autre, un point qui lui parle, car dans sa prime enfance, Charles Bonn parlait l’alsacien et le français était une langue autre qu’il a appris à l’école.
Ce fait est fondamental d’où sa proximité avec Kateb Yacine qui avait déclaré s’être jeté «dans la gueule du loup», de même donc pour Charles Bonn. La littérarité, les réflexions sur la francophonie, la relation France/Algérie, les théories post-coloniales, les «scénographies», les questions des hybridités, les circulations d’idées, les paroles déplacées, sont à lire dans cet ouvrage autobiographique. Avec la retraite, le plus grand regret de Charles Bonn est qu’il n’a pas trouvé de chercheur qui prenne en charge le site «Limag» qu’il a créé.
Ce site répertorie toutes les recherches, les parutions, les événements scientifiques, en rapport avec les littératures d’Afrique du Nord. Charles Bonn se sent comme étant un trait d’union entre l’Algérie et la France. En effet, «la modernité se caractérise par les déplacements, les ruptures, les reformulations, les réagencements. Déplacements de populations d’une rive à l’autre des expressions culturelles et plus particulièrement littéraires».
Il plaide le fait que «d’une rive à l’autre de la Méditerranée, les déplacements son polysémiques et engendrent des expressions surprenantes» ! Ainsi, Charles Bonn défend l’importance de la littérature pour un vivre ensemble. Il faut dire qu’il a eu du mal à quitter l’Algérie qui reste son «pays maghrébin de cœur».
Les commentaires récents