« A présent, prenez un homme, enlevez-lui ce qui le rend homme, ses vêtements, ses chaussures, sa montre, sa voiture et pourquoi pas la parole. Que lui reste-t-il, s'il n'est pas Tarzan, qui est d'ailleurs plus singe qu'homme ? Rien » Pierre Boule - La planète des singes (1963)
Laboratoire d'expérimentations de toutes les idéologies et des théories venues d'ailleurs, l'Algérie peut s'enorgueillir d'avoir fait la preuve vivante de leur inefficacité et de leur perversité.
Le colonialisme français, le nationalisme arabe, le socialisme soviétique, l'islamisme politique, le terrorisme dévastateur, le libéralisme débridé. « On ne mesure pas la puissance d'une idéologie aux seules réponses qu'elle est capable de donner mais aussi aux questions qu'elle parvient à étouffer ». Le socialisme a « enterré » le travail de la terre pour « implanter » des « éléphants blancs » sur des terres cultivables ; le libéralisme l'a livré « pieds et poings liés » au marché mondial dominé par les puissances hégémoniques. Bref, les idéologies nous font croire à la magie des mots pour « masquer » la réalité des maux. « L'Etat de droit et des droits de l'homme sont d'abord une idéologie. Mais que celle-ci est d'autant plus dangereuse du fait que ses affidés ne la reconnaissent pas comme telle ; ils la perçoivent seulement comme l'expression du bien naturel » nous dit Eric Delacroix.
La démocratie, un miroir aux alouettes pour les uns et ce cheval de Troie pour les autres. Le peuple algérien s'est prêté à toutes les manipulations.
La démocratie suscite des convoitises sans les satisfaire. Quand on parle des droits de l'homme, il s'agit évidemment de l'homme occidental, les autres ne sont pas des êtres. Ce sont des bestioles qui polluent la Méditerranée. Des corps inertes flottent en surface, le pétrole et le gaz coulent à flux continu sans interruption en profondeur. Des conduites qui ne souffrent d'aucune corrosion à l'abri des regards et des vents. Elles sont là pour « l'éternité ! ». En outre la plupart des télécommunications mondiales transitent par des câbles marins. Ces câbles sont un enjeu stratégique et géopolitique de premier plan. L'information sur nous et sur les autres nous échappe. Derrière nos écrans, nous semblons être les maîtres du monde alors que nous en sommes que ses esclaves. Elle est belle la démocratie qui nous envoûte, nous ensorcelle, nous dénude.
De l'occupation des espaces à l'occupation des esprits, de l'obscurité de la nuit à la lumière du jour, de l'économie de bazar à une économie bizarre, de l'exportation des hydrocarbures à des exportations des déchets, des importations tous azimuts à des importations ciblées, d'un dépotoir du monde entier à l'importation de dépôts de stockage de carburants en attente de débouchés (le Covid-19 est passé par là !). « Le premier des droits de l'homme est celui de pouvoir manger à sa faim » note Franklin Roosevelt. Un ventre creux n'a point d'oreilles, un ventre plein a plusieurs « langues »... et... « langues ». Un peuple ne se nourrit d'amour (idéologies) et d'eau fraîche (théories).
Un peuple qui a faim a besoin de pain, un peuple malade a besoin d'hôpitaux, un peuple ignorant a besoin d'une école performante, un adolescent a besoin d'un Smartphone de dernier cri, un jeune adulte désœuvré a besoin d'un emploi productif durable, un couple marié a besoin de logement décent, une famille nombreuse a besoin d'une voiture « potable » pour se déplacer.
Aucune idéologie, aucune théorie, aucune religion ne remplit le couffin de la ménagère. Il est assuré par le travail de tous ses habitants sans distinction de race, de religion ou de langue.
Que les uns et les autres nous dévoilent leur part de lumière et leur part d'ombre. La laïcité n'est pas un cache-sexe et le hidjab n'est pas une ceinture de virginité. La plupart des Algériens n'aiment pas aller au paradis le ventre creux, ils préfèrent partir à l'enfer le ventre plein pour se nourrir du contenu de leurs entrailles. Le ventre est l'épicentre de tous les courants politiques islamistes ou laïcs qu'ils agissent au nom de la religion, de l'Etat ou des droits de l'homme. Ils sont tous animés par la volonté de faire fortune ou de se remplir le ventre sans investir et sans produire. Cette politique ne s'accommode pas de la présence d'économistes, ce sont des trouble-fêtes, il faut s'en débarrasser ; on leur préfère de loin les « gargantuas ». L'appétit venant en mangeant et la réussite matérielle en rampant.
C'est une politique dans laquelle on accepte toutes les compromissions, pourvu que le ventre soit plein. « Qui rentre fait ventre ». Qu'importe si plus tard on fera l'objet de chantage. Le chantage est une arme redoutable en politique. Personne ne peut y échapper. Le feu n'épargne que les ventres vides. Faut-il faire la grève du ventre pour s'en prémunir ? Qui en a le désir ? Ou plutôt qui a intérêt? Evidemment personne : « C'est le ventre qui porte les pieds et non le contraire ». C'est la poche saharienne qui finance la politique du ventre. « Quand le ventre est plein, il demande à la tête de chanter ».
De la danse du ventre au nu intégral, l'élite intellectuelle au pouvoir ou dans l'opposition ne séduit plus, elle se range du côté du vainqueur. Elle se donne au plus offrant. Le peuple est pauvre, l'élite est riche ; l'un est frais, il est puceau, « tout a un début » ; l'autre est âgé, il est usé ; le corps dépérit mais le désir ne s'éteint jamais. L'Occident et le monde arabe voient par le trou de la serrure. Ils sont dans le voyeurisme.
Les jeunes sont dans l'action, les vieux dans la contemplation. L'Algérien veut tout, tout de suite et sans effort. D'une main, il signe un pacte avec le diable et de l'autre main il prie Dieu de lui venir en aide. « Dieu nous donne des bras mais ne construit pas les ponts », lui rappelle un proverbe arabe. Les chrétiens diront « aide-toi, le ciel t'aideras ». Déçu par tant de forfaitures, demain ne l'intéresse pas, seul le présent compte. « Fais-moi vivre aujourd'hui et jette-moi dans l'enfer demain ». Hier, il avait le colon sur le dos, aujourd'hui il n'a personne sur le dos. Il s'est débarrassé du burnous trempé de sueur de la colonisation pour enfiler la djellaba blanche de l'indépendance. Ceux qui refusent de comprendre le passé sont condamnés à le revivre. D'une économie pastorale à une économie rentière, le pas est vite franchi, Hier, avec les moutons et les abeilles, aujourd'hui avec le pétrole et le gaz, l'argent vient en dormant. « Regda out manger ».
Albert Camus, un natif d'Alger, questionne : « Que préfères-tu, homme, celui qui veut te priver de pain au nom de la liberté ou celui qui veut t'enlever ta liberté pour assurer ton pain ? ». Avec le pétrole et le gaz, l'argent public vient en dormant ; avec l'endettement externe, l'argent public vient en rampant ; avec la sueur des habitants, l'argent public vient en suant. C'est la nature des ressources qui détermine le régime politique d'un pays. Dans le cas de l'Algérie contemporaine, ce sont les hydrocarbures. L'abondance de ressources en gaz et en pétrole « à bon marché » engendre des rentes rocardiennes pour le pays parce que leurs coûts et prix de revient sont très inférieurs aux prix de vente sur le marché international. L'économie locale se porte bien tant que le cours est élevé, le pays s'effondre en même temps que le cours. Il est à la merci d'un moindre clic. Certains pays comme l'Algérie fondent toute leur économie sur ces rentes et négligent le développement de leurs industries et surtout de l'agriculture. Ce qui à long terme pose des problèmes difficiles à résoudre. C'est ainsi que Etat et société sont devenus addictifs à la rente pétrolière et gazière. Le pétrole agit sur la société et sur l'économie comme de la cocaïne. Il provoque une dépendance physique et psychique forte à la fois sur l'Etat, la société et sur l'économie.
Quand le prix baril du pétrole rit, la gestion pleure, l'Etat pavoise, la société se tait, le ciel s'éclaircit, les oiseaux gazouillent, la vie est belle, c'est l'ivresse. Elle est de courte durée. Le réveil est brutal. C'est la gueule de bois. Un bon café, les choses rentreront dans l'ordre. Le prix du brut s'effondre, les langues se délient, l'Etat s'affole, la société se meurt, le ciel s'assombrit, les oiseaux émigrent, la vie est terne, les funérailles s'organisent. La fin est proche.
Aujourd'hui le « pot de miel » s'est renversé, le patient est dans un coma profond. La solution médicale serait la désintoxication mais cela prendra nécessairement du temps qui fait cruellement défaut d'autant plus que le sujet n'est pas éveillé mais endormi. Deux techniques, soit l'hypnose, soit l'électrochoc. L'hypnose a fait la preuve de son inefficacité. Seul un électrochoc peut le faire sortir de son long sommeil. Un réveil qui peut lui être fatal ou salutaire. Beaucoup de gens pauvres se résignent pour une raison ou une autre et par désespoir de cause se remettent à Dieu. Alors que les riches « parvenus » produits se sentent souvent coupables de leur richesse sachant qu'ils ne l'ont pas méritée, c'est pourquoi ils sont pressés de s'en débarrasser soit en le dépensant de manière intempestive, soit en le plaçant à l'étranger de façon anonyme car une fortune acquise honnêtement ne fuit pas le pays et ne craint pas le regard de la société. Ce n'est pas la richesse ou la pauvreté qui posent problème mais l'origine de l'une comme de l'autre. Le problème n'est pas de perdre la partie mais de truquer le jeu. C'est la tricherie qui fait trébucher. On recourt à l'émission de billets (la facilité) au lieu de changer de billet (la difficulté) pour résorber le déficit budgétaire de l'Etat. Pourront-ils survivre en dehors de l'Etat et des hydrocarbures ? Evidemment, on ne guérit pas une plaie en y retournant le couteau comme on ne peut pas la laisser en l'état, elle risque de gangréner tout le corps d'autant plus qu'il est imprégné de miel.
On peut se relever d'un traumatisme certes mais jamais du royaume des morts. Il est vrai qu'après un traumatisme collectif, causé par deux guerres (guerre de libération et guerre civile) en l'espace de quelques années, plonge chaque Algérien dans un état de choc violent.
Après le choc, on redevient comme un enfant à la recherche d'un père protecteur. C'est la stratégie de choc, elle peut être salutaire comme elle peut être mortelle. Tout dépend de la conviction des leaders et de leurs capacités à mettre en œuvre des réformes structurelles profondes. On peut chercher les responsables sans jamais trouver des solutions. Il n'y a pas de solution individuelle à un problème collectif. Une cohésion sociale suppose la mise à nu des difficultés et la volonté d'y faire face sans échappatoire et sans faux-fuyant, de façon solidaire en faisant appel à la raison. La survie du patriarcat a très certainement intérêt à encourager le triomphe de la défaite. Cette mentalité qui consiste à se dire « après moi le déluge » ne peut durer. Elle pousse nos enfants au suicide dans des embarcations de fortune fuyant les interdits de la politique, de la religion et de la pauvreté. C'est dire que la situation est complexe et les causes multifactorielles. Nos problèmes ne tombent pas du ciel mais ont poussé sous nos pieds. Il suffit de jeter un regard furtif sur les détritus qui jonchent le sol et le mouvement incessant des gens qui circulent sans but pour se rendre compte de l'état de délabrement du pays du nord au sud, de l'est à l'ouest.
Mostéfa Lacheraf avait prédit cela dans les années 70 « il arrivera un jour, dira-t-il, où l'Algérien ne saura même pas tenir un balai ». Ce jour-là est malheureusement arrivé. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les détritus qui jonchent le sol pour se rendre de la réalité de cette prophétie. Nous n'avons pas besoin d'être grand clerc pour savoir que l'Occident nous devance de plusieurs siècles de labeur, de savoir et de développement. Dans les sociétés occidentales, dès la fin du XVIIIème siècle, s'est imposée une idée neuve du bonheur immédiat. Ce bonheur se mesure à l'aune des biens consommés sur terre.
En contrepartie de ce bonheur matériel s'est développé simultanément une idéologie productiviste où le travail est une valeur sur laquelle se fonde les économies.
C'est à partir du moment où la société européenne est parvenue à dégager un surplus agricole lui permettant de libérer une partie de la population active pour asseoir une industrie qu'un pouvoir démocratique a pu émerger. Cette démocratie permet à celui qui fournit du travail de mieux saisir les contreparties de ses efforts tout en se libérant du pouvoir en place. Les régimes autoritaires ont été tenus en échec en Angleterre et en France parce qu'une classe sociale a pu entreprendre le développement industriel qui a fourni un surplus économique indépendamment de l'Etat.
Dans les sociétés traditionnelles, l'autosuffisance est l'idéal de vie qui donne accès à la vie éternelle. Il s'agit d'une économie de subsistance qui ne développe aucun surplus à écouler sur le marché. Elle est fondée sur une agriculture aux rendements dérisoires, le surplus vivrier reste faible. La division du travail est élémentaire répondant à des besoins strictement contenus à l'essentiel. Le surplus est de peu d'intérêt pour une société dont l'idéal de vie est la sobriété.
Avant l'avènement de l'islam, les dirigeants arabes étaient soit des chefs de tribus, soit des chefs de clans jouissant de la même autorité que les rois et une obéissance totale leur était due en temps de guerre comme en temps de paix. Les Arabes avaient avec leurs parents ainsi qu'avec leur clan des relations profondes, l'esprit de clan était leur raison de vivre ou de mourir. L'esprit de société qui régnait au sein de la tribu était exacerbé par le tribalisme. Les chefs de tribus s'arrogeaient une part considérable du butin. Les tribus arabes furent constamment jalonnées de troubles et de désordres. Les guerres intestines incessantes firent des peuples arabes et musulmans des proies faciles pour des invasions étrangères. C'est l'islam qui a unifié les tribus arabes et c'est sous sa bannière qu'ils se sont libérés du joug colonial. L'Etat postcolonial est né d'une contradiction externe et non interne d'où son autoritarisme foncier. Pour se légitimer aux yeux du peuple, il tente de promouvoir le développement économique, en réalité il étouffe la société civile. Cette vision des choses s'enracine dans la dichotomie société civile - société politique. Elle présente l'Etat comme source d'autoritarisme à laquelle s'opposent les aspirations démocratiques de l'ensemble des citoyens. Plus l'Etat est contre la société, moins il y a production, moins il y a adhésion et plus il y a frustration et humiliation. Or l'humiliation est peu productive économiquement mais remplit un rôle politique majeur pour le maintien au pouvoir de l'équipe dirigeante dans la mesure où elle démontre l'arbitraire qu'elle contient.
L'Etat en Algérie n'est pas encore un Etat au sens moderne du terme car il n'a pas les caractéristiques. Pour la science politique, l'Etat est un système politique lié à un univers culturel et spirituel occidental : la religion catholique et l'histoire du Moyen Age. L'Etat est né de la conjugaison de toutes ces variables qui ont abouti au milieu du XIIIème siècle à la formation d'un Etat embryonnaire centralisé par la confiscation des ressources politico-juridiques dispersées à la périphérie aux mains des seigneurs féodaux, de façon autoritaire. L'Etat va alors défendre cet espace politique par un droit administratif, qui protège ses agents, lesquels sont recrutés sur des critères méritocratiques, formés dans des écoles spécifiques où ils intériorisent les valeurs de l'Etat : l'idéologie de l'intérêt général. Un Etat omniprésent et omnipotent ; il dirige par des lois et des décrets ; il s'impose à la société d'en haut. Il oriente la société avec un droit dont il est le seul maître. Cette logique centralisatrice s'oppose à la logique clanique et tribale des pays arabes et africains. En imposant donc au cours de la colonisation des institutions dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société africaine, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l'échec de la modernisation politique. D'autant plus qu'il manque aux institutions de cette dernière société la dimension mythologique, très conscientisée en Occident, qui sert à les faire fonctionner.
C'est pourquoi ces institutions ressemblent à des outils rouillés, abandonnés sur le chantier d'une exploitation minière à ciel ouvert, et qui s'avèrent inadaptées pour mettre en œuvre le développement de l'Afrique et du monde arabe.
Dans ce contexte, on cherche un recours, un point d'appui, un espoir. Entre les valeurs traditionnelles perdues et les valeurs modernes mal assimilées, les sociétés arabes se recherchent, victimes du paradigme consumériste occidental et les pesanteurs sociologiques du passé. Elles n'arrivent ni à assumer leur passé glorieux ni à se frayer un chemin parmi les nations modernes. Les désillusions du progrès gagnent de plus en plus les esprits. Le refuge dans la religion musulmane apparaît plus plausible que le consumérisme occidental. Des populations entières se trouvent désemparées, n'ont plus de repère. Les voici, de plus en plus nombreux, au milieu du gué menaçant de s'écrouler, ayant abandonné les acquis de la société traditionnelle sans avoir accédé aux promesses de la société occidentale. Partant du principe sacro-saint que tout problème politique, économique ou social a une solution budgétaire.
Comme le budget est constitué essentiellement de recettes fiscales pétrolières, l'Etat jouit d'une grande autonomie par rapport à la population puisqu'il est capable de fonctionner et de renforcer ses services sans recourir à l'impôt ordinaire. L'essentiel du jeu économique et sociopolitique consiste donc à capturer une part toujours plus importante de cette rente et à déterminer les groupes qui vont en bénéficier. Il donne à l'Etat les moyens d'une redistribution clientéliste. Il affranchit l'Etat de toute dépendance fiscale vis-à-vis de la population et permet à l'élite dirigeante de se dispenser de tout besoin de légitimation populaire. Elle dispose des capacités de retournement extraordinaire étouffant toute velléité de contestation de la société. Il sera le moteur de la corruption dans les affaires et le carburant des violences sociales. Il a l'art de faire la guerre et d'initier la paix. Il est à la fois le feu et l'eau. Il agit tantôt en pyromane, tantôt en pompier. Il est une chose et son contraire ; la richesse et la pauvreté, les deux sont des illusions. « Ce sont les mouches qui vont vers le pot de miel et non le pot de miel qui se déplace vers les mouches ». Les forces de changement n'existent que dans les discours et jamais dans les faits. Le défi majeur à relever est d'empêcher qu'une population qui a goûté à la sécurité, au confort et à la facilité de sombrer dans la peur, la famine et le chaos.
Car un faible niveau de développement et/ou de modernisation n'apporterait qu'amertume et désespoir. Faut-il faire appel aux morts pour résoudre les problèmes des vivants ou sommes-nous condamnés à être des fantômes parmi les vivants ?
Le pétrole cimente la société à l'Etat. La sécurité et les « transferts sociaux » sont assurés par les revenus pétroliers et gaziers et non par les contribuables ou la solidarité intergénérationnelle rendue indigente. Un Etat providence pour soumettre la population et un Etat écran pour la passation des contrats avec les partenaires étrangers. Le pétrole et le gaz aiguisent les appétits nationaux et internationaux. Mirabeau disait « la corruption est dans l'homme comme l'eau est dans la mer ». La corruption fait partie de l'économie moderne. Elle est visible dans les dictatures et les monarchies et invisible en Europe et aux Etats-Unis. Les deux évidemment se tiennent la main mais en dessous de table. Des mains visibles non pas comme celles de Dieu qui sont invisibles. L'islamisme a été dilué dans un baril de plus de 100 dollars et le terrorisme noyé dans une mer sans eau.
L'argent a eu raison sur les ambitions des islamistes d'accéder au pouvoir par la voie de la religion. « Les Arabes ne veulent plus aller au paradis le ventre vide ». (Même s'ils devaient pactiser avec le diable pour le remplir !!!).
D'ailleurs, ils ont cessé de regarder le ciel, ils ont les yeux rivés sur l'écran. Un écran en couleurs et non en noir et blanc comme l'enfer ou le paradis Il est joyeux et non lugubre, attractif et non répulsif, il est nu et non en hidjab, il est en liberté et non emprisonné. Il est virtuel et non réel. Il nous fait rêver éveillés. Il est disponible H24. On le transporte partout avec nous-mêmes dans les endroits les plus intimes. D'ailleurs, il n'y a plus de jardin secret, tout se partage y compris le lit. C'est une arme redoutable, elle atteint l'âme.
L'argent n'a ni sentiments, ni patrie, ni religion. Là où il va, il est chez lui. Et partout on déroule à ses pieds le tapis vert. La couleur du « paradis ». Les financiers n'ont aucun patriotisme et pas la moindre décence. Leur seul but est le gain. L'économie rentière est la base sur laquelle reposent les régimes arabes et la prospérité occidentale. « On ne crache pas dans la soupe ». Le pétrole a transformé le pays en une vaste caserne à ciel ouvert où chacun attend son virement du mois en fonction de son grade (attribué ou mérité ?) et de sa disponibilité à servir loyalement ses supérieurs. Le « décideur » dans sa gouvernance est informé par le renseignement et protégé par la baïonnette dans le fonctionnement et la pérennisation du régime en place. Pris en tenaille entre la volonté populaire de changement et le statu quo suicidaire du régime, on s'interroge : que faire dans un pays où régime et Etat sont cimentés par le pétrole ? Animés par des hommes qui n'ont pour tout programme : « j'y suis, j'y reste » ou « ôte-toi que je m'y mette ». Une question à deux sous : est-ce pour se servir du peuple ou pour servir le peuple ? Le peuple algérien, vacciné par tant de forfaitures, n'est plus dupe, il est conscient que le dirigeant dit ce qu'il ne fait pas et fait ce qu'il ne dit pas. On comprend mieux maintenant pourquoi personne ne se bouscule au portillon, c'est pour ne pas endosser la responsabilité d'un échec recommencé. Aucune force sociale n'est à même de formuler et encore moins de mettre en œuvre une proposition d'ensemble en vue de sortir le pays de la crise actuelle, c'est-à-dire être en mesure de s'opposer au règne sans partage et sans limite du pétrole et du gaz sur l'économie, la société et la marche du monde. D'autant plus que ni l'économie mondiale ne peut s'en passer de son énergie, ni les pays producteurs de ses revenus, blé pour les uns et énergie pour les autres. Ils forment un mariage chrétien : « jusqu'à ce que la mort vous sépare » dira le curé.
Il est admis que le prix du brut est un baromètre de la santé de l'économie mondiale et un facteur de stabilisation des régimes politiques menacés.
L'objectif de l'Occident, c'est la sécurité des approvisionnements en énergie. Il y va de la survie de la civilisation du monde moderne. Le prix est une arme redoutable de domestication des peuples et d'asservissement des élites au pouvoir. Le prix élevé du pétrole a structurellement pour effet pervers de perpétuer à l'infini le système mis en place. C'est dans la pérennité des régimes autocratiques que l'Occident trouve sa prospérité et sa sécurité. C'est pourquoi la liberté des peuples est inversement proportionnelle au prix du baril. Plus le prix est bas, moins il y a d'importations, plus les pénuries s'installent, des émeutes éclatent et la répression s'abat sur la population.
Les marchés se referment, la récession s'annonce, le FMI pointe son nez, la spirale de l'endettement s'engage, les peuples se plient. L'Occident vient à la rescousse. Les crédits se débloquent, les fonds affluent, le régime menacé retrouve sa santé. Le prix du brut connaît une hausse, les pays producteurs relancent les exportations des biens manufacturés des pays industriels, la croissance de l'économie mondiale reprend. Ainsi l'Occident donne d'une main ce qu'il reprend de l'autre. « El manchar, habet yakoul, talaa yakoul».
Pris en tenaille entre la volonté populaire de changement et le statu quo suicidaire du régime, on s'interroge: que faire dans un pays où régime et Etat sont cimentés par le pétrole ? Animés par des hommes qui n'ont pour tout programme : « j'y suis, j'y reste » ou « ôte-toi que je m'y mette ». Le peuple algérien, vacciné par tant de forfaitures, n'est plus dupe, il est conscient que le dirigeant dit ce qu'il ne fait pas et fait ce qu'il ne dit pas.
On comprend mieux maintenant pourquoi personne ne se bouscule au portillon, c'est pour ne pas endosser la responsabilité d'un échec recommencé. Alors on reporte le moment fatidique. On oublie qu'au crépuscule de notre vie « Si nous tuons le temps, le temps nous le rend bien ». La vie est une longue conversation qui semble toujours trop brève. Mais me diriez-vous : « Encore des mots (maux), toujours des mots (maux), les mêmes mots (maux), rien que des mots (maux)... » (*)
Notes de lecture : « Les Habits neufs de l'empereur » est un conte d'Hans Christian Andersen publié pour la première fois en 1837 dont voici le résumé (Wikipédia) : « Il y a de longues années vivait un empereur qui aimait par-dessus tout être bien habillé. Il avait un habit pour chaque heure du jour. Un beau jour, deux escrocs arrivèrent dans la grande ville de l'empereur. Ils prétendaient savoir tisser une étoffe que seules les personnes sottes ou incapables dans leurs fonctions ne pouvaient pas voir et proposèrent au souverain de lui en confectionner un habit. L'empereur pensa qu'il serait exceptionnel et qu'il pourrait ainsi repérer les personnes intelligentes de son royaume. Les deux charlatans se mirent alors au travail.
Quelques jours plus tard, l'empereur curieux vint voir où en était le tissage de ce fameux tissu. Il ne vit rien car il n'y avait rien. Troublé, il décida de n'en parler à personne, car personne ne voulait d'un empereur sot. Il envoya plusieurs ministres inspecter l'avancement des travaux, ils ne virent pas plus que le souverain, mais n'osèrent pas non plus l'avouer, de peur de paraître imbécile. Tout le royaume parlait de cette étoffe extraordinaire. Le jour où les deux escrocs décidèrent que l'habit était achevé, ils aidèrent l'empereur à l'enfiler. Ainsi « vêtu » et accompagné de ses ministres, le souverain se présenta à son peuple qui lui aussi prétendit voir et admirer ses vêtements. Seul un petit garçon osa dire la vérité : « Mais il n'a pas d'habits du tout ! » ou dans une autre traduction « le roi est nu ! ». Et tout le monde lui donna raison. L'empereur comprit que son peuple avait raison.» (paru en 1837)
(*) Le titre et la conclusion sont des refrains de la chanson du duo Dalida-Delon.
par Dr A. Boumezrag*
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5295473
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