« Nous avons arraché l'indépendance, elle ne nous a pas été octroyée »
Ancien membre de l'état-major de l'Armée de libération nationale, le commandant Azzedine analyse la récente polémique sur la colonisation.
Héros de l'indépendance, le commandant Azzedine a rejoint le maquis en mars 1955, à l'âge de vin gt ans.
Il est l'ancien chef du commando Ali Khodja, une unité d'élite de la wilaya 4 (Algérois), et fut adjoint de Houari Boumediène, chef d'état-major
de l'ALN. Arrêté dès 1962 par ses camarades, il a été mis à la retraite à l'âge de vingt-huit ans. Il retrace son parcours dans On nous appelait fellaghas, un livre qui a inspiré le film C'était la guerre,
de Maurice Failevic et Ahmed Rachdi.
Comment expliquez-vous le retour périodique des débats sur la colonisation ou la guerre d'Algérie ?
Commandant Azzedine. À chaque tentative de rapprochement entre la France et l'Algérie, chaque fois qu'une volonté politique s'est dessinée pour l'amélioration des relations entre les deux pays, nous assistons à une offensive des nostalgiques de l'Algérie française. Ce n'est pas nouveau. Ce vieux contentieux n'a pas été réglé politiquement.
C'est donc, à mon avis, l'annoncede la signature d'un traité d'amitié qui a suscité des remous en France, avec bien sûr la loi du 23 février, mais aussi, rappelons-le, l'édification, dans certaines villes, de stèles à la gloire de l'OAS.
Que signifie cette sempiternelle litanie ? « Nous avons construit ceci, nous avons fait cela... » C'est vrai. Mais qui a profité de ces réalisations ? Ces infrastructures ont profité aux Européens ! L'école ?
Les Algériens qui poursuivaient au-delà du certificat d'études se comptaient
sur les doigts de la main. Et la plupart d'entre nous n'étaient formés
qu'à des métiers qui pouvaient être utiles au système colonial. L'Algérie n'est pas exempte de réactions d'hostilité au rapprochement entre les deux pays. Certains rétrogrades, ici, voient dans toute affirmation de modernité ou d'ouverture sur la culture universelle un ralliement à ce qu'ils appellent « hizb França », « le parti de la France ».
Ce traité d'amitié, qui fait actuellement l'objet de pourparlers, peut-il être le socle d'une authentique réconciliation ?
Commandant Azzedine. Ce que nous demandons, aujourd'hui, c'est simplement que l'on nous considère comme un peuple qui a acquis son indépendance. Cette indépendance, nous l'avons arrachée. Elle ne nous a pas été octroyée, comme le prétendent certains. Grâce au fusil de chasse, à nos actions politiques et diplomatiques, et au sacrifice de notre peuple, nous avons contraint le pouvoir colonial à s'asseoir autour de la table de négociation.
Il a fallu près d'un demi-siècle pour que la France ne parle plus officiellement d'« événements » mais bien de « guerre ». Mais les obstacles à une véritable réconciliation et à un travail de mémoire digne de ce nom existent des deux côtés de la Méditerranée. Je me souviens d'une interview du général Bigeard parue,
au début des années quatre-vingt, dans l'hebdomadaire Algérie Actualités. Bigeard, interrogé sur la liquidation de Larbi Ben M'Hidi, assurait alors l'avoir remis au pouvoir politique. Pour moi, c'était l'aveu, très important, que la torture était institutionnalisée.
Cet entretien a provoqué un tollé :la polémique portait sur le simple faitde donner la parole au général Bigeard.
Je fus alors l'un des rares à défendre le principe de cette interview, même si je n'étais pas d'accord sur la forme, qui apparaissait à l'avantage de Bigeart.
Vous dites souvent ne nourrir aucune rancune à l'endroit de la France. L'engagement de Français à vos côtés dans le combat pour l'indépendancea-t-il compté ?
Commandant Azzedine. Incontestablement. L'honneur de la France a été sauvé par les objecteurs de conscience, par les porteurs de valises, par mes camarades communistes, en Algérie comme en France. Notre guerre de libération nationale, que je préfère appeler révolution, n'était pas une guerre religieuse. Il y avait, dans les rangs des combattants, des athées, des communistes, dont certains, comme Fernand Yveton, ont été guillotinés. Je pense aussi à Maurice Laban, tombé au maquis dans les Aurès, à Maurice Audin, disparu. Je tiens à leur rendre hommage aujourd'hui. Ce sont eux qui ont sauvé les grandes valeurs de la France de 1789 et qui nous font aimer ce pays.
La jeunesse algérienne s'intéresse-t-elle suffisamment, à vos yeux, à cette histoire coloniale ?
Commandant Azzedine. C'est l'un des reproches que je fais au pouvoir, qui n'a tenu aucune des promesses faites lors du déclenchement de la lutte armée et au congrès de la Soummam en 1956. L'histoire de notre pays n'a pas été écrite. Ou alors elle a été écrite avec une gomme. Aujourd'hui, lorsque vous demandez à un jeune, dans les rues d'Alger, s'il sait qui est le héros de l'indépendance qui a donné son nom à la rue qu'il arpente, le plus souvent il l'ignore. Nos jeunes, même s'ils s'y intéressent, ne connaissent pas assez notre histoire. Le drame de l'Algérie, c'est que le pouvoir n'a jamais voulu d'une authentique écriture de cette histoire. Elle a été tronquée, car elle implique, encore aujourd'hui, des enjeux de pouvoir.
Entretien réalisé par R.
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