Vingt ans de vie ! C'est long et c'est court. C'est court lorsqu'on les «écrit» à plus de 70 ans... mais c'est long lorsqu'on s'en souvient. De ce fait, tous les détails, petits et grands, deviennent importants. Pour nous... Pas pour tous ceux qui nous lisent... car, et ceci est bien connu, les années d'enfance et de jeunesse sont toujours les plus belles, même parsemées d'épines et de difficultés.
En tout cas, c'est ce que l'on peut tirer comme conclusion après avoir lu les «mémoires» de Said Sadi. Et pourtant, le parcours n'a pas été des plus faciles.
Premier hasard, le nom de son village Acrib veut dire exilé en berbère... Deuxième hasard, le village se situe sur une crête... où il suffisait de faire quelques pas pour atteindre le sommet forestier et découvrir la Méditerranée. Des signes annonciateurs d'un destin singulier.
Tout d'abord, «la guerre comme berceau», heureusement au sein d'une famille nombreuse, unie et chaleureuse... et d'une communauté aux traditions de solidarité affirmées. Il y avait aussi et surtout - en dépit d'une situation sociale particulièrement tendue - une volonté bien ancrée des parents à voir la descendance s'instruire et s'émanciper intellectuellement. D'où les multiples sacrifices.
Ensuite, l'après-guerre avec l'indépendance du pays et la découverte des autres (au collège), mais aussi, hélas, de réalités politiques souvent décevantes, parfois tragiques et douloureuses. Les adolescents découvrent que des hommes idéalisés peuvent infliger, à leurs frères, les abus qu'ils ont combattus... Il y aura, peu de temps après, l'insurrection du Ffs... Répression, punitions collectives... et tortures.
Enfin, au lycée, le temps des amours et des fantasmes (Ah ! la «bombe» Ludmila» l'Ukrainienne prof' de physique), du football, des réflexions collectives sur des séquences politiques taboues ou obscures de l'avant-Novembre 54 et de la prise de conscience des «fils du pauvre» et de l'action militante pour affirmer son identité et la pratique démocratique. La recherche des origines berbères et d'abord kabyles. Déjà ! Il y avait aussi la présence de l'équipe de foot du Brésil... et Boumediene qui renverse Ben Bella...
L'Auteur : Né le 26 août 1947, médecin psychiatre... Militant, déjà très jeune, pour la langue et la culture berbères, les Droits de l'homme et les libertés démocratiques. Il fonde, en février 1989, le Rcd, parti social-démocrate laïc qu'il présidera jusqu'en mars 2012. Il a été député (Apn) et, aussi, candidat à l'élection présidentielle. Auteur de plusieurs ouvrages.
Sommaire : Vingt chapitres... de 0 à vingt ans... de 1947 à décembre 1967!
Extraits : «Marginalisée et paupérisée par les expropriations de la colonisation, notre paysannerie s'est repliée sur ses propres traditions. C'est l'émigration (....) qui a ouvert les premières brèches dans ce monde clos. Et puis, il y a eu l'école pour les plus chanceux» (p 33), «Le chaudron social et culturel dans lequel a grandi ma génération était à la fois perturbant et formateur. Notre esprit était secoué par des valeurs et discours qui laissaient peu de place à la linéarité de la réflexion logique, le sempiternel balancier politique nous poursuivant de ses contradictions» (p 165), «Le début du règne de Ben Bella fut, en effet, à la fois folklorique et violent. Aux slogans populistes, caricaturaux et sommaires brocardés par la vox populi au bout de quelques mois d'exercice du pouvoir, faisaient écho des pratiques plus sombres» (p 261).
Avis : Quelle mémoire ! Que de détails ! Une démarche qui restitue tout ce qui fait la vie d'un être humain, de sa famille, de sa société, de ses rêves, de ses espoirs. Bref, pour beaucoup, il Nous raconte. Un ouvrage qui a couché sur papier des situations et un vécu mais surtout des «états d'âme»... et en les lisant, «nous sommes tous kabyles». Certes, beaucoup de longueurs, mais ne pas se décourager... pour mieux comprendre la suite... dans le Tome II.
Citations : «Entre nos jeunes qui pianotent sur les ordinateurs et le temps de mon enfance, il y a deux mille ans d'histoire» (p32), «Née dans une société paysanne patriarcale, la fille kabyle se savait davantage tolérée que vraiment désirée. Ce statut d'enfant subi était encore plus vrai pour celle qui arrivait dans le foyer avant les garçons» (p 74), «La guerre est toujours une voleuse d'enfance ; qu'elle la traumatise dans un bombardement, qu'elle la viole dans son innocence par sa cruauté ou qu'elle la prive de la progressivité de sa maturation. Mais dans un certain sens, on pouvait tirer quelques bénéfices de ces secousses. Les scènes de violences psychologiques provoquent un engourdissement des esprits et préparent à l'endurance et à la faim, comme la peur aide à repousser ses limites. Mais on sort rarement indemne de ces agressions quand elles instillent dans les âmes l'indifférence qui, à terme, peut muter en une forme d'insensibilité abolissant l'affectivité» (pp134-135), «Tamgut (le mont) ne s'interroge pas. On le vit et l'apprécie dans sa rassurante protection... Le site a survécu à tous les fléaux de la terre et de l'enfer. L'âme généreuse et éternelle de la montagne accueille toujours les fidèles avec leur foi inébranlable, leur ferveur crédule et leur souveraine reconnaissance» (p 306), «Intoxiquées par des slogans tôt ou tard démentis par ma réalité, les communautés asservies par des dictatures parviennent rarement à s'émanciper de leur aliénation» (p 371), «(Le football) est une belle et agréable illustration de ce que peut être une vie de libre intuition et de solidarité collective» (p 397)
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