Le terme oumma arabiya, à connotation religieuse, avait été emprunté pour rallier les peuples arabo-musulmans et les amener progressivement au rêve unificateur de la grande communauté des croyants. Une idéologie totalitaire à base de charia qui nargue toutes les frontières. Elle se nourrit principalement de nostalgies soigneusement sélectionnées à travers l’histoire.”
Ces dernières années, d’effroyables secousses font tanguer la destinée des peuples arabo-musulmans. Ce qui amène à poser beaucoup de questions dont la suivante : les pays du Golfe ont-ils reconquis l’espace arabo-musulman ? Al foutouhat al islamiya sonnent plus douces à certaines oreilles que conquête militaire ou colonisation. Les Arabes jouissent d’atouts majeures dans leur approche martiale du monde ; une langue qui s’est confondue jusqu’à la fusion à une religion, imposant au passage une rude mise en concurrence aux langues locales des conquis. Celles-ci se retrouvent obsolètes et méprisées. Elles traînent le poids de la mécréance et finissent volontairement marginalisées ou omises par les peuples soumis. De facto, la culture, l’autre pan que véhicule la langue, se greffe à l’effort de guerre et de conquête.
Comment refuser la langue que Dieu a choisie pour s’exprimer ? Ne résistent à cette domination absolue que les civilisations ayant fait preuve de la même fougue dominatrice. Les Perses et les Turcs n’ont pas renoncé à leurs langues respectives, néanmoins ils en ont arabisé les transcriptions pour mieux fédérer et soumettre par la religion. Au moins à certaines périodes de leurs histoires. Il ne serait pas non plus exagéré d’allouer au peuple d’Arabie une autre grande caractéristique ; elle se trouve dans le regard de l’autre.
En effet, l’homme du désert est souvent apprécié avec condescendance. Cette tendance au mépris persiste jusqu’à nos jours. L’attachement de l’Arabe à son mode de vie ancestral, ses chameaux, ses “khaïmas” et ses traditions font souvent oublier ses habilités foudroyantes à la conquête et à la soumission des autres peuples. Au lieu de questionner cette force de traverser les temps et de dominer avec des outils d’apparences arriérées, on verse dans le dédain. Ce qui entraîne un défaut fatal de jugement. Résultat, personne ne les voit venir ! L’effet de surprise est toujours garanti. Un avantage décisif dans toute entreprise prédatrice. Toutefois, il est primordial, avant d’aller plus loin dans l’analyse, de définir ce qui est désigné ci-dessous par le terme arabe.
Selon certaines définitions étymologiques, le mot arabe vient du grec Ereb, ce qui signifie ténèbres, ou occident. En sanscrit, le terme dérive d’Arvasthan, c’est-à-dire le pays des chevaux. Ethniquement, le terme définit les habitants de la péninsule Arabique. Historiquement, il englobe tous les pays ayant adopté l’arabe classique comme langue officielle. Ces pays seraient au nombre de vingt-cinq États dont l’Algérie.
Il s’agira dans cet écrit uniquement des Arabes de “souche”. Ceux issus précisément de la péninsule Arabique et dont l’Arabie Saoudite constitue les quatre-vingts pour cent. Les pays dits arabes subissent ces dernières décennies des spasmes continus. Après les heureux épisodes des guerres de libération émancipatrices des colonisations franco-britanniques, des territoires importants allant du Mashreq au Maghreb avaient adopté une administration séculière.
On a vu fleurir des républiques laïques qui s’imposaient en lieu et place d’anciennes gouvernances jugées archaïques et obsolètes car fabriquées sur mesure par les puissances étrangères. Les nouvelles républiques dites arabes, fortes de leurs victoires sur les anciens occupants, s’étaient vite opposées aux monarchies constitutionnelles de la région. Elles avaient poussé l’ambition jusqu’à vouloir éradiquer tout régime monarchique chez leurs voisins. Ces républiques ayant été situées dans le bloc Est de la guerre froide, le camp Ouest avait vite volé au secours des monarchies en danger de sécularisation.
Le terme oumma arabiya, à connotation religieuse, avait été emprunté pour rallier les peuples arabo-musulmans et les amener progressivement au rêve unificateur de la grande communauté des croyants. Une idéologie totalitaire à base de charia qui nargue toutes les frontières. Elle se nourrit principalement de nostalgies soigneusement sélectionnées à travers l’histoire. On y interprète au gré des fantasmes et surtout des besoins géostratégiques les ambitions des pays puissants et leurs vassaux dans la région.
Une armée d’imams serviles et repus de haine œuvrait à contrer les discours des taghouts ainsi que de toute velléité progressiste. Le panislamisme voulait contrer le panarabisme prôné par les nationalistes. Ce dernier, qui était tout aussi despotique, a fait émerger des régimes militaires auréolant des dictatures aussi cruelles qu’absolues. Les pays dits arabes étaient désormais libres, mais pas leurs peuples. L’effroi et la peur que faisaient régner les despotes localement finirent par s’étendre. Ils ont gangrené les relations des pays arabo-musulmans entre eux. Méfiances, complots et tentatives de coup d’État se tramaient allègrement.
Les discours des nationalistes étaient belliqueux et enflammés. Staliniens. La volonté d’en finir avec les vieilles monarchies du Golfe était devenue un secret de Polichinelle. La méfiance et la suspicion atteignirent leur paroxysme parmi les souverains wahhabites et chérifiens. La haine de Khaddafi et de Nasser pour les Saoudiens était connue de tous les observateurs.
Celle de Saddam envers la monarchie du Koweït avait fourni le casus belli rêvé à la première guerre du Golfe.
La revanche des autocrates
Ce fut la guerre, non pas froide mais givrée, des pays dits arabes entre eux. La vénérable Ligue arabe était devenue la scène ubuesque des relations empoisonnées qu’entretenaient les dirigeants entre eux. Une institution stérile que cimentaient artificiellement la cause palestinienne et un simulacre de solidarité.
La suite, tout le monde la connaît ! Les interventions musclées des Occidentaux suivies des mal nommés “printemps” arabes ont éliminé les despotes dans les pires circonstances. Ils ruinèrent les infrastructures et les institutions des jeunes républiques pour des décennies. Le chaos et l’islamisme sous ses formes les plus fascisantes s’y sont implantés tels des phytoplasmes. À l’instar de cette bactérie capable de transformer les plantes en zombies, l’extrémisme religieux a vidé les nations dites arabes de leur sève créatrice. La “oumma” n’est plus qu’un immense marché idéologique mercenaire que se disputent des autoproclamés modérés et des terroristes sanguinaires qui sèment la terreur dans leur pays et à l’étranger.
La paternité de ce monstre qui gangrène des territoires aussi vastes que désolés échoit ici et là dans le cynisme et l’hypocrisie. Les autocrates du Golfe ont remporté la partie contre les anciens dictateurs. Ils ont eu leur revanche. Toutes les têtes qui leur cherchaient des noises ont été éliminées, mais à quel prix ! Tous ceux qui ont voyagé à travers le monde dit arabe ont pu constater les différences flagrantes entre pays du Golfe et ceux dits républicains. Tout dénote l’urbanisme, la propreté, la gestion des différents corps de métier. Les questions des droits de l’homme mises à part, presque tout est géré dans le professionnalisme et l’exigence les plus pointus.
Les pays dits républicains du Liban à l’Algérie, en passant par l’Égypte croulent sous des tonnes de déchets domestiques et autant de corruption. Hormis cette administration optimale dont ont fait preuve les dirigeant khalijis à l’intérieur de leur pays, d’autres projets plus ambitieux les uns que les autres ont vu le jour. Les pétromonarchies cumulent des intérêts économiques dans les plus grandes capitales du monde. Elles règnent sur le secteur médiatique sans concurrents dans tout le monde arabo-musulman. Qu’il soit destiné à l’information ou au divertissement d’ailleurs. Prêches ou clips dénudés, les monarchies ont la tolérance magnanime quand il s’agit de gérer les affaires. Des annexes d’universités prestigieuses mondiales sont implantées pour dynamiser l’enseignement supérieur.
Des musées avec des collections de tableaux à faire pâlir le Louvre ou le Tate Modern. L’anglais est en passe de supplanter la langue arabe à Dubaï, quand dans nos pays plongés dans la médiocrité on polémique et on vocifère contre les langues déjà possédées. On ne compte plus les festivals du cinéma de renommée mondiale. Les salons et les compétitions sportives internationales. Bref, les pays du Golfe font preuve d’une flexibilité et d’un dynamisme cruellement absents en Algérie et dans le reste des pays dit arabes.
“C’est grâce au pétrole”, diraient certains. Nous sommes aussi un pays de pétrodollars, nonobstant les slogans gauchistes dont on nous a bernés pendant des décennies. La différence est que les monarchies compensent le manque de liberté individuelle de leur population par la distribution de la richesse nationale et le développement structurel afin de légitimer leur pouvoir. Les systèmes républicains des pays dits arabes subissent le syndrome du pilleur.
Ils sont gangrenés de responsables chapardeurs s’évertuant à planquer leur butin dans les paradis fiscaux. Il ne s’agit pas de tresser des lauriers sur la tête des autocrates arabes, mais de souligner le pragmatisme politique de ces pays. Ils pèsent actuellement sur le sort de tous les pays dit arabo-musulmans et même au-delà. Qu’ils soutiennent les Frères musulmans ou les groupes les plus obscurs. Ce n’est là qu’un marché idéologique mercenaire au service de leurs intérêts et de ceux qui les protègent. L’implantation de l’islam politique en Europe prouve qu’à travers le prosélytisme religieux ils réussissent à marquer leur influence partout dans le monde. Ils ne craignent pas les alliances quelle qu’en soit leur nature.
En somme, il faudrait sortir des schémas et stéréotypes réducteurs auxquels on se livre en parlant des Arabes du Golfe. Ils sont bien plus rompus aux affaires du monde et à la realpolitik que nous le sommes. Le terme “bédouinisation” qu’on entend ici et là pour qualifier nos dérives gestionnaires et nos incivismes n’est ni juste ni approprié. C’est une errance sémantique qui n’empêchera pas nos responsabilités. “Connais l’adversaire et surtout connais-toi toi-même et tu seras invincible”, disait San Tzu, le célèbre général chinois.
Par : Myassa Messaoudi
Écrivaine
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