Le Conseil national de la révolution algérienne, véritable Parlement statuant sur les décisions de la révolution, puis du Conseil de coordination et d’exécution agissant sous forme de représentation diplomatique et relais de la révolution à l’étranger et du gouvernement provisoire de la République algérienne, en tant qu’institution représentant les droits et aspirations d’un peuple en quête de son indépendance, ont fini par amener le colonisateur autour de la table des négociations.
El Moudjahid : Quelle est la signification de la commémoration de la date du 20 août ?
Mohamed Bounaâma : En commémorant le double anniversaire du 20 août (1955 et 1956), le peuple célèbre l’authenticité de son unité et celle du mouvement national qui a réussi par la clairvoyance de son élite et l’abnégation de ses militants à affaiblir la stratégie d’occupation militaire et politique du colonisateur et lui a fait renoncer à son rêve expansionniste hissé tel un étendard signifiant la puissance colonisatrice de la France depuis des siècles à travers les velléités d’occupation que menèrent Charles Quint, Napoléon et Louis IV contre l’Algérie.
C’est effectivement une date à haute symbolique dans la détermination du peuple algérien à travers les institutions de la révolution de mettre un terme à plus d’un siècle d’une occupation qui a voulu par sa politique d’expansion, asseoir un pouvoir hégémoniste et ségrégationniste. L’Algérie à travers son peuple, ses institutions et son patrimoine, a subi les affres des mesures iniques et coercitives prises par les autorités d’occupation française qui se sont succédé et scellé pendant toute cette période une stratégie préparée des siècles durant en accaparant les richesses et en exerçant leur pouvoir sur les destinées de l’Algérie.
Le projet expansionniste a pris son essor en décrétant l’annexion des territoires de l’Algérie, puis en commettant toutes les formes possibles d’actes génocidaires et mémoricidaire à l’encontre du peuple. Ce dernier, touché dans sa dignité, a résisté contre toutes les formes de sévices organisés par l’occupant, à commencer par les pires cruautés dont l'extermination des populations en égorgeant femmes, vieux et enfants sans défense, pour venger les soldats tués sur le terrain de la résistance, lequel terrain a démontré le caractère du peuple algérien et sa détermination à accéder à sa liberté.
En effet le peuple algérien a résisté héroïquement à ces crimes mus par la soif d’assouvir le désir d’expansion et du rêve napoléonien de l’empire français d’Afrique, en menant des révoltes successives, en faisant fi de la puissance du feu et de la logistique colonialiste regroupant différentes nationalités et enrôlés dans l’unique but de le soumettre au joug du colonisateur.
Ceci est d’autant plus vrai que les crimes commis par les autorités coloniales ont défrayé toutes les chroniques, et qui constituent aujourd’hui un point noir dans l’histoire de la France et une page humiliante pour son peuple. C’est tout ce combat mené par les jeunes hommes et femmes, vieux et vieilles de tout bord et de toutes les couches sociales pour reconquérir, non pas seulement un territoire, mais une dignité.
Une lutte acharnée et permanente qui déboucha sur le manifeste de la Révolution consacré par le déclenchement du premier novembre 1954, déclarant une guerre contre l’occupant impérialiste. Cette guerre a connu l’apogée de sa structuration et de sa dimension politico-militaire avec, en sus, un ascendant triomphal militaire et diplomatique qui mena à l’organisation de l’historique congrès de la Soummam, en passant par l’offensive du Nord-Constantinois.
Les historiens doivent puiser dans les éléments référentiels que constituent les archives loin de toute écriture parcellaire de l’histoire de la révolution algérienne contre l’occupant impérialiste français et ses soutiens puisés de la puissance militaire et logistique de l’OTAN. Ils doivent glorifier les hauts faits et stations historiques de ses deux dates qui constituent des maillons forts de la chaine de cette glorieuse épopée. Une lutte qui conduisit le peuple algérien à arracher son indépendance grâce à l'action militaire et diplomatique et à l’internalisation de sa cause auprès des organisations internationales.
Quels sont les impacts de ces deux dates sur les différentes phases dans le cheminement de la Révolution algérienne ?
Une analyse de ces deux dates charnières dans l’histoire de la Révolution algérienne, à savoir le 20 août 1955 et le 20 août 1956, nous conduit à éclairer des faits très importants liés à la stratégie de guerre conduite par une élite rompue à la lutte politique, à travers le parcours militant mené au sein du mouvement national.
La première date communément connu sous le vocable de l’offensive du Nord-constantinois est un haut fait de la guerre contre l’occupant. Il consista à mettre en échec la machine de guerre déployée par l’armée de l’occupant français, notamment l’encerclement des Aurès. L’offensive du Nord-Constantinois avait permis la consolidation des rangs des combattants de l’ALN et de raffermir les liens entre le peuple et le FLN.
En desserrant la pression et l’acharnement des troupes française de la colonisation à vouloir coute que coute étouffer l’élan de la révolution ; l’offensive préparée avec minutie, a fini par raviver la lutte pour l’indépendance et mit les centres de décision de l’ennemi dans son élan de répression aveugle, devant le fait accompli qu’imposa la réalité du terrain militaire.
Elle a constitué, d’autre part, un facteur déterminant qui permit aux combattants de l’ALN de concrétiser la justesse du combat du peuple algérien pour le recouvrement de sa souveraineté. Il est important de souligner que l’offensive du Nord-Constantinois ne s’est pas limitée aux circonscriptions territoriales de la ville ; mais a touché des zones limitrophes embrassant l’Est algérien, allant de Guelma à Bordj Bou Arreridj. C’est une véritable stratégie de guerre mise en exergue par les hommes du chahid Zighout Youcef. S’agissant de la seconde date relative au Congrès de la Soummam ; il convient de préciser la justesse et l’expérience des dirigeants de la révolution qui ont su mettre en œuvre les facteurs de sa réussite. Le génie des stratèges de la Révolution apparait dans la mise en place d’une organisation judicieuse et sans faille qui structura les objectifs par étapes et les moyens à mettre à disposition de lutte pour les atteindre et de lui permettre de réussir à franchir les obstacles dressés par le colonisateur. Le Congrès de la Soummam constitue à mon avis le second Manifeste après la Déclaration du 1er Novembre, qui précisa les fondements de la Révolution et les moyens à mettre en avant pour concrétiser les aspirations du peuple algérien dans la reconquête de son indépendance.
Le Congrès a de ce fait scellé la feuille de route de la Révolution et les moyens de mener les combats sur plusieurs fronts, notamment militaires et diplomatiques.
Ces assises ont par ailleurs constitué l’édifice légal au regard du droit international, confortant la légitimité de la lutte du peuple algérien pour son indépendance, en créant les institutions efficaces qui ont conduit par la suite à l’internationalisation de la cause algérienne auprès des Nations unies.
Le Conseil national de la révolution algérienne, véritable Parlement statuant sur les décisions de la révolution, puis du Conseil de coordination et d’exécution agissant sous forme de représentation diplomatique et relais de la révolution à l’étranger et du gouvernement provisoire de la République algérienne, en tant qu’institution représentant les droits et aspirations d’un peuple en quête de son indépendance, ont fini par amener le colonisateur autour de la table des négociations.
La commémoration des hauts faits de la révolution du 1er Novembre au-delà de la symbolique constitue un levier catalyseur et pour l'écriture de l'histoire et pour la valorisation de la mémoire de la nation. En ce sens, qu'en est-il de votre appréciation du travail de mémoire que devra mener l’Algérie avec la partie française dans ce domaine ?
Les responsables en charge de la mission liée au travail de mémoire, et en particulier à la négociation des termes du contentieux archivistique et patrimonial algérien déplacé en France et qui regroupe la panoplie des supports et objets relevant de ce qui est communément appelé GLAM (Galery, Library, Archives and Museums), doivent impérativement se hisser au diapason du droit international en matière de protection et de revendication de ce qui est désigné dans les conventions internationales comme «biens culturels». Par conséquent, ils sont dans l’obligation de mettre en avant et de concrétiser une démarche institutionnelle qui permettra d’unifier la notion du fonds du patrimoine national, au plan de la terminologie, au plan légal et au plan normatif, tout en scellant cette approche par un arsenal juridique actualisé qui mettra l’accent sur cette notion commune que regroupe la mémoire de la nation, émanation de la conscience et des attentes de la collectivité nationale. Ils doivent continuer sur la dynamique enclenchée par les hautes autorités de l’État algérien dans la restitution des restes de nos martyrs. La démarche doit être suivie par la récupération des différents rapports concernant les actes génocidaires commis par le Duc De Rovigo, Saint Arnaud, Pélissier, Clauzel, Herbillion, Montagnac, ainsi que les actes mémoricidaires commis par Berbrugger et Devoulx, sans oublier le trésor d’Alger pris par De Bourmont.
Il s’agit, en définitive, de créer les fondements d’une politique nationale qui entamera le travail inhérent à la réforme du système national d’information ; et qui englobera, entre autres, les éléments que je viens de citer en substance ; et en particulier la question des archives qui doit être ; en raison de leurs aspects techniques, traitée par les experts en la matière et non pas par des décisions.
Par ailleurs, l’Algérie n’attendra pas la finalisation du rapport sur le travail de mémoire que présentera l’historien et professeur à l’université, Benjamin Stora, au président français. Nous devons préparer, à mon sens, notre rapport national sous forme de plateforme comportant les mécanismes techniques, les étapes et les mesures tant légales que normatives à finaliser dans ce cadre. Le dossier inhérent à la mémoire de la nation comporte plusieurs volets et doit, à mon avis, être traité par une commission ad hoc qui présentera un travail et une expertise basés sur une double portée, celle relative à la situation actuelle du secteur patrimonial au niveau national, et celle en rapport avec le travail à mener avec l’ex-puissance colonisatrice. Mais, avant d’aborder cette mission, il faut analyser les carences dans le secteur, pour dégager une stratégie multidimensionnelle et intersectorielle à même de concrétiser les objectifs prônés par l’Algérie dans ce domaine.
PUBLIE LE : 20-08-2020
Entretien réalisé par : Karim Aoudia
httpsEntretien réalisé par : Karim Aoudia://elmoudjahid.com/fr/actualites/158089
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