Au 12 mars, à moins d’une semaine de l’instauration du confinement sanitaire, le décompte est macabre. Cinq femmes avaient été assassinées depuis le début de l’année en cours. Elles étaient 23, le 19 juin dernier et, un peu plus de dix jours après, elles étaient 33 à avoir été tuées.
La dernière en date est N. O., 40 ans, une mère de 4 enfants, abattue, le 1er août, d’un coup de fusil par son mari dans la wilaya de Guelma. La plupart de ces femmes ont été assassinées par leur conjoint. Pourquoi ce décompte macabre ? “Depuis 2012, le recueil des statistiques ne donne plus les causes de décès suite aux violences faites aux femmes.
Du coup, cette page donne des informations capitales sur la situation des violences faites aux femmes en Algérie”, répond Fatma Boufenik, fondatrice de l’association féministe Femmes revendiquant leurs droits (FARD). Pour elle, les raisons de cette interruption “coïncident avec le changement de tutelle passant en 2012 d’un ministère délégué à un ministère de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme. Mais de là à l’affirmer…”.
Commentant les statistiques d’avant 2012, elle explique qu’elle devait améliorer l’outil d’informations parce que, même avant cette période, il existait des féminicides qui n’étaient pas déclarés. “Officiellement, nous avons arrêté les statistiques pour améliorer les choses, mais cela n’a pas eu l’effet escompté. Nous n’avons ni amélioré l’outil ni gardé celui que nous avions”, regrette-t-elle.
Le décompte officiel s’étant arrêté, le féminicide, lui, n’a pas connu de répit bien qu’il soit relégué dans la case des tabous sociaux qui font des femmes leurs fonds de commerce. “À partir de ce décompte, nous avons le devoir et la mission de diffuser l’information. Le but n’étant pas de dire qu’il y a plus ou moins de féminicides, mais d’interpeller les pouvoirs publics pour que cette information revienne dans les données sur les violences faites aux femmes”, précise Fatma Boufenik.
Elle ajoute que dans la stratégie de lutte contre les violences faites aux femmes, la question principale est d’avoir une banque de données commune sur ce phénomène “pour améliorer l’intervention institutionnelle et des ONG par rapport à cette problématique”.
Cette initiative, tout en alertant l’opinion publique algérienne à travers les réseaux sociaux, a un effet de sensibilisation aussi bien auprès des citoyens que des pouvoirs publics, pense notre interlocutrice qui prétexte que le “travail qui commençait déjà à se faire sur les numéros verts — qui étaient souvent en dérangement — puisse devenir accessible aux mobiles”.
Comment peut-on franchir le pas, en faisant qu’une gifle ou un coup de poing se transforme en féminicide ? Pour la psychologue clinicienne, Leïla Merad, ce passage résulte “de la non-limite de l’acte, la victime ne met pas de barrières aux premières violences qu’elle subit. Et en l’absence de barrières, la violence se développe et ne limite pas à une gifle”. Elle souligne également le rôle inhibiteur de la société et de la famille puisque “la plupart des familles algériennes ne font pas sentir à la femme battue qu’elle est une victime du fait même d’une conception culturelle qui veut que l’homme ‘élève’ son épouse”.
Patience et obéissance sont ainsi inculquées aux femmes comme deux modèles d’une vie conjugale “réussie”. Leïla Merad pense que ce processus influe négativement jusque sur la volonté de la femme algérienne puisque “même si elle se considère comme victime, son entourage essaye de l’en dissuader et ainsi l’empêche de réagir en tant que telle”.
On considère qu’il y a violence quand l’acte se matérialise par le sang, explique la psychologue qui voit dans ce “déni” la porte ouverte à tous les abus. “Ça commence toujours petit par élever la voix, une bousculade, une gifle puis pas de limite, et ainsi de suite. Ça ne commence jamais par un acte extrêmement violent”, résume-t-elle l’aboutissement d’un féminicide.
06/08/2020
SAïD OUSSAD
https://www.liberte-algerie.com/actualite/le-feminicide-un-crime-silencieux-343352
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