Les historiens écrivent l’histoire, et les philosophes de l’Histoire l’interprètent à la recherche du sens des événements marquants, des actes qui les façonnent et des idées qui les orientent vers des buts préconçus ou une finalité illisible.
Essayons, un court instant, de faire œuvre de philosophie de l’Histoire dans un style léger pour atténuer ce que le sujet comporte de triste, voire de tragique.
Ces dernières semaines, il a beaucoup été question dans les médias nationaux du refus de poste de ministre dans le gouvernement algérien par l’ancien journaliste et député Samir Chaabna s’il était subordonné au renoncement à la nationalité française, et de la demande de la nationalité turque par l’adjudant-chef Garmit Bounouira en échange de secrets militaires.
Si le choix du premier ne contrevient ni au droit algérien ni au droit français – pour nous en tenir à l’aspect strictement juridique des choses – la démarche du second constitue un crime pour le droit algérien qui le punit lourdement. Pour Samir Chaabna mieux vaut être chômeur à Marseille, le cas échéant, que ministre à Alger, et Garmit Bounouira préférait vivre en traitre à Istanbul plutôt qu’en retraité de l’armée à Tissemsilt.
En cela, ils sont loin d’être les seuls. Énormément de compatriotes, demandeurs de visas ou harragas en puissance, partagent ce sentiment. Non pas qu’ils soient candidats à la trahison, mais ils ne supportent plus les conditions de vie qui leur sont faites par la gestion incompétente de leurs dirigeants.
La Turquie a rendu au pouvoir algérien l’adjudant-chef Garmit, mais pas les secrets qu’il lui a livrés. La France n’a pas réagi au geste de Samir Chaabna, n’y voyant rien de nouveau.
Si la Turquie et la France savent ce qu’elles font et ce qu’elles veulent depuis un millénaire, l’Algérie ancienne – âgée d’à peine 58 ans – et l’Algérie nouvelle – âgée de fraîches promesses – se débattent avec l’inconscience imperturbable de toujours dans un Etat errant qui a généré d’innombrables histoires du genre de celles de Garmit et Chaabna.
Histoires qui ravivent en nous le souvenir de contes et légendes entendus dans notre enfance où il est question de personnages désignés par des noms énigmatiques comme Djouha, Z’it, M’it, Neggaz lhit et d’autres, issus de l’imaginaire arabe puisqu’on les retrouve pratiquement dans tous les pays maghrébins et arabes.
Ces personnages incarnant l’anarchie, l’illogisme, l’abrutissement et la fourberie se sont réincarnés dans l’Algérie actuelle sous les traits et avec le langage de « personnalités » vivantes dont j’ai le nom sur les lèvres mais que je préfère vous laisser deviner.
En tout cas, le vieux trio historique formé de l’Algérie, de la Turquie et de la France a de nouveau été réuni dans notre imaginaire par les petites histoires de Garmit et Samir et sur le terrain par leur aspiration commune à jouer les premiers rôles dans l’Histoire. En la circonstance, elles l’ont vu et trouvé en Libye, chacune d’un côté et nous au beau milieu.
Entre 1520 à 1962, notre histoire s’est confondue avec celle de la Turquie et de la France. L’empire ottoman, né avec le sultan Othman au XIIIe siècle, avait entrepris la conquête de l’ancien monde (Asie, Europe et Afrique) et, dans son élan, arriva dans les années 1520, sous le règne de Soliman le Magnifique, sur les rives orientales de la Méditerranée pour faire de la Libye, de la Tunisie et de l’Algérie des provinces avec l’assentiment des populations locales qui voyaient en l’islam un creuset familial et une nationalité dont le nom importait peu.
Trois siècles plus tard la France chassait militairement la Turquie d’Algérie dont elle fît une colonie. Après 130 ans de colonisation et une guerre de libération de sept ans, notre pays est devenu indépendant. Combien de temps va-t-il le rester ? Le maraboutisme qui prospère ces temps-ci répondrait, si la question lui était posée : « Dieu seul le sait !».
Comme pour le coronavirus, la pluie et les inévitables débâcles qui nous attendent du genre de celles qui sont en train de tuer l’une après l’autre le Liban frère : environnement hostile, cessation de paiement, classe politique obsolète, Hirak, corona virus, accidents majeurs dus au « Tgarmit » des gestionnaires comme celui d’hier qui a démoli la moitié de la capitale et détruit la vie de milliers d’innocents…
Parce qu’en fait nous n’avons n’a rien fait de décisif et de durable depuis l’indépendance en dehors de procréer, doublant notre population tous les vingt-cinq ans alors que celle de la France double tous les deux siècles. La Turquie, elle, compte en 2020 moins de 85 millions d’habitants.
De 1962 à ce jour, l’histoire de l’Algérie s’est confondue avec celle des hydrocarbures découverts en 1949 et mis en exploitation en 1956 par l’ancien colonisateur. Une histoire rythmée par le yoyo du prix du baril pour le pétrole et du million de BTU pour le gaz. On avait une agriculture exportatrice, Boumediene l’a ravagée au nom d’un fumeuse « révolution agraire » en quatre ou cinq ans.
Quand les prix étaient à la hausse, on faisait rentrer plus de devises que de besoin et pouvions ainsi financer les déficits des comptes publics et les pertes abyssales d’une économie étatique mise en place pour distribuer aux « travailleurs » une partie de la rente sous forme de salaires à peine justifiés.
Quand ils tendaient à la baisse et ne couvraient pas les importations alimentaires et les équipements destinés aux usines prédestinés à être déficitaires, on s’endettait en promettant aux créanciers de les rembourser lorsque la courbe des prix se redresserait. C’est ainsi qu’on est arrivés, pimpants et fiers de pas grand-chose, à l’an 2020.
Aujourd’hui les Français et les Turcs qui ont un vieux compte à régler à notre propos auquel se sont ajoutés avec le temps d’autres griefs de part et d’autre, s’affrontent politiquement en Libye et voudront tôt ou tard nous faire jouer un rôle en faveur de l’un ou de l’autre. De notre côté, nous nous apprêtons à amender sa constitution pour y introduire des dispositions autorisant l’ANP à intervenir à l’étranger.
Les deux puissances ont mis à profit cette période de reconfiguration géostratégique mondiale pour se positionner dans notre environnement immédiat, alors que le maraboutisme s’emploie à réinstaller au sein de notre peuple les structures mentales de l’esprit du douar et la culture des « mselmin mkattfin ». Bennabi ne définissait pas autrement la « colonisabilité » fataliste qui a ouvert la voie au colonialisme impitoyable.
Que fera l’Algérie, prise en étau entre ces deux puissances, sans parler des autres (Russie, Chine, USA) quand elle n’aura plus de gaz et de pétrole, ou qu’ils ne lui rapporteront plus assez pour vivre et s’assurer un niveau de défense dissuasif ?
Le compte à rebours a commencé : dans moins de deux ans nous n’aurons plus de réserves de change, et nous ne bénéficierons jamais d’un mouvement de solidarité internationale spontané comme celui que s’est déclenché en faveur du Liban qui le mérite.
Dans les années 1990 l’ONU avait sérieusement envisagé de placer notre pays sous sa tutelle, mais nous avons la mémoire courte.
https://oumma.com/lalgerie-nouvelle-entre-la-turquie-de-garmit-et-la-france-de-chaabna/
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