Des Algériens manifestent à Alger, rue Albin-Rozet, dans le quartier de Belcourt, le 11 décembre 1960, aux cris de « Yahia de Gaulle », « Algérie algérienne » et « vive le FLN » en réponse à une manifestation d'Européens opposés à la politique algérienne du général de Gaulle. AFP
C’est un cliché en noir et blanc qui figure dans la plupart des livres d’histoire algériens. On y voit des jeunes hommes accrochés à la rambarde d’un balcon, une foule compacte à perte de vue dans une rue en pente, des banderoles peintes à la main, de drapeaux algériens, et, au premier plan, les casques arrondis des forces de l’ordre françaises. L’image a été prise à Alger en décembre 1960
Très vite, des Algériens répliquent et, dès le lendemain, la mobilisation s’étend à d’autres arrondissements, à d’autres villes pour réclamer une « Algérie musulmane » et des « négociations ». La foule acclame le GPRA, le Gouvernement provisoire de la République algérienne, l’organisation politique du FLN.
Pendant ces journées, plus de 300 manifestants sont tués par les forces de l’ordre. Parmi eux, Saliha Ouatiki, 12 ans, touchée par balle le 11 décembre. Aujourd’hui, un petit centre commercial porte son nom dans le quartier de Belcourt à Alger. La date de sa mort est entrée dans l’Histoire.
Révolte infiltrée dans les esprits
Car l’impact de ces manifestations a été considérable. D’une part, elles se sont soldées, le 19 décembre 1960, par l’adoption d’une résolution reconnaissant le droit des Algériens à l’autodétermination et à l’indépendance à l’Assemblée générale des Nations unies. D’autre part, elles marquent l’échec du « plan Challe », destiné à détruire les groupes armés, en empêchant les ravitaillements depuis la Tunisie et en larguant du napalm sur les forêts pour tuer les combattants. En deux ans, ces opérations déciment la moitié des effectifs de l’Armée de libération nationale, selon les historiens. Mais la révolte s’est infiltrée dans les esprits.
Les Français « pensaient qu’en cassant les maquis, ils cassaient un espoir. Sauf que la société a été travaillée par la révolution. Les femmes qui partaient au maquis malgré les conventions sociales, la bataille d’Alger, les exécutions, les figures comme Djamila Bouhired… Tout ça a fait que le FLN est devenu un symbole », analyse Amar Mohand-Amer, historien et directeur de recherche au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle à Oran.
Alors que la politique de la France, pendant la guerre, a été de nier l’existence d’une nation algérienne ainsi que la représentativité du FLN, les manifestations de décembre sont une « victoire des nationalistes algériens sur le plan politique », estime le politologue allemand Hartmut Elsenhans. Mais elles ont aussi permis d’entendre les Algériens qui descendaient dans la rue. « Elles donnent à voir une opinion, abonde Arthur Asseraf, historien, maître de conférences à l’université de Cambridge. C’est pour ça qu’elles attirent les médias : elles correspondent à la vision euro-occidentale d’une mobilisation légitime. Plus que l’insurrection armée. »
Aujourd’hui, les médias publics et les autorités algériennes préfèrent insister sur l’unité du peuple, telle que l’auraient révélée les manifestations. Mais « en utilisant des expressions comme “Un seul héros, le peuple”, on efface les divergences politiques qui existaient à l’époque, souligne Nedjib Sidi Moussa, docteur en sciences politiques et auteur. Au nom du sacrifice d’un peuple, on s’empêche de poser les questions qui fâchent. »
Pour Arthur Asseraf, « cela veut dire également que nous avons réussi parce qu’il n’y avait pas de désaccord. Sous entendu, les désaccords nous affaiblissent ».
« Dépasser cette histoire »
Ce n’est pas un hasard si le parallèle avec les manifestations de décembre 1960 a souvent été fait dans les cortèges de protestation contre le cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Le Hirak, ce mouvement pour un changement de régime politique qui a débuté en février 2019, a pu être comparé, par son ampleur, à la lutte qui a mené à l’indépendance.
Mais la référence est à double tranchant. « Nous faisons peuple dans des occasions rares, comme lors du 22 février, observe Salah Badis, 26 ans, journaliste et écrivain. Mais on doit dépasser cette histoire. Le système comme l’opposition utilisent en permanence la référence à la révolution. Il faut rendre hommage aux martyrs par la vie. En développant une bonne justice sociale, une éducation à la hauteur, un système de santé adéquat. »
Pour ce qui est du passé, le président Abdelmadjid Tebboune a annoncé au printemps que le 8 mai deviendrait la Journée nationale de la mémoire, en référence aux massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata en 1945, où les manifestations pour fêter la victoire alliée ont tourné à l’affrontement et à la répression.
Le chef de l’Etat a aussi décidé du lancement d’une chaîne de télévision publique consacrée à l’histoire. Elle devra constituer, a-t-il déclaré, « un support pour le système éducatif dans l’enseignement de cette matière que nous voulons maintenir vivace pour toutes les générations ».
Un véritable marathon. Durant l’été 1960, pas moins de 12 des 54 Etats que compte l’Afrique aujourd’hui deviennent indépendants. Ils seront 17 sur l’ensemble de l’année, s’engageant sur une voie déjà empruntée par d’autres pays comme la Tunisie...
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