Cinq ans à la tête de la Fédération de France. Omar Boudaoud. Du Ppa au Fln. Mémoires d'un combattant. Récit de Omar Boudaoud, Casbah Editions, 2007, 279 pages, 600 (?) dinars.
Omar Boudaoud est décédé très récemment en 2020, à l'âge de 96 ans. Peu d'Algériens, partie des nouvelles générations (les moins de 60 ans) le connaissent ou savent même ce qu'il a accompli au service de la Guerre de libération nationale. En raison d'une histoire mal enseignée ou incomplètement écrite quand elle n'a pas été simplement détournée par souci d'accaparement. En raison aussi d'un « défaut d'écriture » de la part de ceux-là mêmes qui l'ont faite. Ainsi beaucoup de héros , bien que vivant encore bien longtemps après l'indépendance, n'ont laissé aucun témoignage... En face, de l'autre côté de la mer Méditerranée, tous les « acteurs » du plus grand au plus minable, les tortionnaires y compris, ont écrit...écrit.
Omar Boudaoud s'est, heureusement, laissé convaincre qu'il fallait écrire « tant qu'il était encore temps ».
On a eu déjà pas mal d'écrits sur la VIIe Wilaya, représentée par la Fédération de France du Fln (un statut qui lui est reconnue par le Cnra en décembre 59 - janvier 60, ce qui fait que la Fédération est désormais représentée au Cnra par 5 délégués au même titre que chacune des six autres Wilayas).
Ne restait plus que celui d'un de ses chefs, le plus représentatif car, mine de rien, il est resté à sa tête cinq années (juin 57 - 1962, fin de la guerre), ce qui n'est pas rien.
Un exploit qui n'est pas né du néant, mais d'un itinéraire chargé de militance et d'engagement... dès l'âge de dix-sept ans, en 1942.
Tout a commencé avec la rencontre de Abane Ramdane à Tétouan (Maroc), en mai 1957. Il semblait alors que les directives pour des actions armées adaptées aux possibilités locales en France même « étaient demeurées sans effet... certains cadres de la Fédération étant influencés par une frange de la gauche française qui répugnait à l'action armée ». Un entretien qui dura deux heures. Deux jours plus tard, le Cce le « mutait » (voir document en annexe, daté du 15 juin et signé Ramdane avec cachet du Fln)) comme responsable de la Fédération de France... avec, pour tout bagage, un passeport marocain, 200 000 francs (anciens) et deux adresses pour le premier point du chute à Paris.
La suite est une grande, une belle et périlleuse aventure... avec un comité fédéral soudé : Abdelkrim Souici (Finances / Etudiants / Travailleurs / Suisse, 1 région), Kaddour Ladlani (Organisation politico-administrative / Comité d'organisation France), Saïd Bouaziz (Os / Logistique / Renseignements / Contacts divers) et Ali Haroun (Presse information. Organisation détentions / Ecole des cadres / Délégués presse information auprès des wilayas). Avec, aussi, se basant sur le fait que les responsables successifs avaient été arrêtés les uns après les autres et n'avaient pu tenir plus de six mois, un déménagement de la direction en Allemagne (printemps 1958).
Les exploits ? Il y en eut et pas des moindres : la lutte contre le Mna, l'action armée en France à partir d'août 58 (qui a réveillé le citoyen français intoxiqué par la propagande colonialiste officielle, prenant conscience du problème algérien) , les manifestations d'Octobre 1961, le soutien aux détenus et les grèves de la faim dans les prisons, l'organisation du collectif des avocats, la création de l'Ecole des cadres, l'action informative, le rapport avec les étudiants, la participation des femmes au combat, l'aide au départ de France des joueurs de la future équipe de football du Fln, les contacts avec les Français progressistes, l'aide et l'organisation des réseaux (Jeanson, Curiel, Raptis...), le soutien de pays limitrophes de la France... le financement des wilayas et leur ravitaillement en armes,....
Le reste, les Français commençant à « assouplir » leur position, est une tout autre histoire... faite de heurts et de crises. Fin 50 - début 60, on n'évoquait certes plus la disparition de Abane Ramdane ou l'affaire des « purges » dans quelques wilayas, mais leurs séquelles assombrissaient l'atmosphère de la session du Cnra tenue à Tripoli... qui devait durer 33 jours. Un grand tournant de la guerre... mais avec la lutte sourde pour parvenir aux responsabilités suprêmes, les perspectives de l'après-guerre s'annonçaient déjà assez douloureuses. Déjà, trop de calculs ? Ferhat Abbas avait eu alors cette formule : « Les hommes calculent et Dieu calcule. Mais Dieu ne se trompe jamais dans ses comptes ». Mai -juin 1962, la dernière session du Cnra, toujours à Tripoli se termina dans la confusion... et même l'invective
L'auteur : Né en 1924 à Azroubar (Tigzirt / Basse Kabylie). Ecole primaire à Taourga, Cep. Ecole d'arboriculture de Mechtras (Deux années d'études et stage à Bône / Annaba au domaine Bertagna)... Retour à Taourga... Adhésion au Ppa en 1942... Emprisonnement après Mai 45....46-50 : retour à l'action. Ppa, Mtld, Os... Fédération Fln du Maroc... Se réfugie en France où il devient responsable de la Fédération de France de 1957 à 1962. Membre du Cnra, puis membre de l'Assemblée constitutive après l'indépendance. Il préfère se retirer de la vie politique lors des évènements de 1965. Vit entre l'Allemagne et l'Algérie, qu'il a quittée avec sa famille durant la décennie noire. Il décède...2020.
Sommaire : Avant-propos / Première partie (Cinq chapitres) : éveil et engagement à la cause nationaliste (1942-1957) / Deuxième partie (Quatre chapitres) : la Fédération de France du Fln (1957-1962) / Troisième partie (Deux chapitres) : la Fédération et la Direction supérieure du Fln / Epilogue / Annexes / Liste des sigles cités / Index des noms de personnes.
Extraits : « Le caïd, le garde-champêtre et l'amin formaient à eux trois les couleurs du drapeau français :le burnous du garde-champêtre était bleu, celui de l'amin, blanc et celui du caïd, rouge .L'administration coloniale avait de l'imagination ! » (p 21). « La prison a été une extraordinaire école de patriotisme qui a renouvelé nos convictions... Nous avions appris à nous connaître, à nous comprendre, à partager la même vision du Ppa, c'est-à-dire l'objectif commun de lutter pour l'indépendance du pays... » (p 47). « Paradoxalement, en procédant au détournement de l'avion marocain du 22 octobre 1956, l'armée française avait rendu un immense service à la cause de l'indépendance. Elle n'avait pas « coupé la tête de l'hydre » comme l'annonçaient triomphalement les médias français, au contraire, elle avait fortifié la volonté des combattants, renforcé leurs rangs et, de la sorte, radicalisé le combat » (p 96). « Celui qui luttait pour l'indépendance de l'Algérie était le bienvenu. Il parlait la langue qu'il connaissait, l'essentiel était de comprendre afin de récupérer son identité... S'agissant de religion, personne ne posait de problème... l'on se battait tous pour l'indépendance de cette Algérie-là, c'est-à-dire l'Algérie dans sa riche diversité, avec toutes ses composantes... sans jamais rejeter, par orgueil ou suffisance, ce que d'autres avaient découvert avant nous » (p 122). « La Fédération n'aurait pas pu accomplir aussi bien sa mission sans les réseaux de soutien. Elle aurait rencontré de grandes difficultés, certes pas insurmontables , mais tout de même sérieuses » (p 147). « L'histoire de Messali est celle d'un grand drame national dont l'Algérie subit encore les séquelles... Comme, par ailleurs, l'adoration des militants avait fait de lui un Zaïm unique et incontournable, il ne put résister à la mégalomanie développée par tout leader qui cède au culte de la personnalité » (pp 208-209). « Qu'il l'ait voulu ou non, le Mna s'était retrouvé en position d'allié objectif du colonialisme » (p 212). « Aujourd'hui encore, l'affaire Abane influence gravement notre véritable Histoire » (p 218). « La mort d'Abane est liée à l'exercice du pouvoir au sommet. Un problème récurrent qui devait d'ailleurs se poser à nouveau lors de la crise de l'été 1962 » (p 220). « Quand le pouvoir politique au sein du parti se trouve contesté, il fait l'objet de convoitises et se voit accaparé en définitive par l'organe le mieux structuré, c'est-à-dire celui qui détient la force... Disciplinée, structurée et supérieurement armée au moment de l'indépendance, l'Aln des frontières devait prendre le pouvoir : c'était écrit dans l'histoire du mouvement national » (p 226). « L'Algérie colonisée a connu « le père du nationalisme », la révolution n'a pas accepté de leader. Chaque dirigeant de l'Algérie naissante espérait pouvoir s'emparer de ce rôle. Mis aux enchères, le poste échut au dernier surenchérisseur, c'est-à-dire au mieux armé. Et ce fut Boumediene » (p 229).
Avis : une autobiographie et un récit de grande valeur historique... bien écrits , ce qui ne gâche rien.
Citations : « En matière de justice, l'équité s'impose, quels que soient les sentiments nourris » (p 15). « Alors qu'en France, et partout ailleurs chez les Alliés, on fêtait la chute du régime nazi, les Algériens qui avaient combattu le nazisme dans les rangs de l'armée française et contribué avec leur sang à la libération de la France, découvraient avec consternation les massacres de leurs familles à Sétif, à Kherrata, à Guelma. La goutte fit déborder le vase » (pp 75-76). « Vous m'avez élu président avec une mission précise : me confiant trois lions en cage, je devais veiller et sans fouet à ce qu'ils ne se dévorent pas entre eux (Krim, Boussouf et Bentobbal). Les voici bien portants et vivants devant vous. Mission accomplie » (Ferhat Abbas, président du Gpra, réunion du Cnra, décembre 1959 - janvier 1960, p 224).
Mémoires d'une combattante de l'Aln. Zone autonome d'Alger - Livre d'Histoire de Zohra Drif . Chihab Editions, Alger 2013. 607 pages, 1.450 dinars (déjà publiée... en 2013)
Elle ne voulait rien dire, rien écrire sur son engagement dans la Guerre de libération armée et ses actions au sein de la fameuse Zaa. Durant de longues années, sans doute déçue par les « jeux » politiciens post-indépendance, certainement pour oublier le cauchemar vécu alors en pleine jeunesse, et les épreuves traversées, et pour ne plus penser qu'intimement à ses ami(e)s perdus à jamais, elle avait préféré se retirer de la vie politique en se consacrant à sa famille et à la défense, en tant qu'avocate, des citoyens. Puis, petit à petit, elle « revient à la vie », confortée en cela par l'émergence ou l'existence d'autres « femmes de liberté », et par une conjoncture politique nouvelle, correspondant parfaitement à son caractère et à son expérience ; la libération du paysage politique après Octobre 88 et le retour de la liberté d'expression longtemps écrasée.
Mais, il lui fallait bien plus pour « passer à confesse » et écrire ses mémoires... qui, pour un résistant de guerre (par pour les tortionnaires), sont, toujours, un accouchement douloureux. Un évènement ! Un jour, il n'y pas très longtemps, au cours d'un débat public à Marseille, 50 ans après la fin de l'occupation du pays par la puissance étrangère qu'était la France, elle découvre « abasourdie » (un terme qui étonne ! mais il est vrai qu'elle avait rarement, sinon jamais, assisté à de telles rencontres outre-mer) « que la guerre dont nous étions censés célébrer le cinquantenaire de la fin n'avait jamais cessé de l'autre côté de la Méditerranée ». Le déclic. Ajoutez-y des amis qui vous encouragent du début à la fin.
Ça, c'est l'avant-propos !
La suite : Mon Dieu ! Quelles histoires. Quelle Histoire. Pour les moins de la soixantaine, la Révolution avec sa lutte armée urbaine telle qu'ils ne l'ont jamais imaginée. Des récits de vie décrits avec minutie. Des héros (on les connaît, car jusqu'ici, ils ont eu la part belle dans l'histoire de la Révolution : Yacef, Ali la Pointe, Larbi Ben M'hidi, Fettal, Petit Omar, Taleb Abderrahmane, Oussedik Boualem, Habib Reda, Ramel, Debbih Chérif, Louni Arezki, Rachid Kouache, Abdelghani Marsali...), mais aussi et surtout des héroïnes. Jeunes, très jeunes même, instruites (ou non, lessentiel étant l'éducation et la culture), issues de milieux aisés (presque petite bourgeoise), résolument engagées, courageuses jusqu'à l'inconscience : Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouhired, Djamila Bouazza, Samia Lakhdari (celle-ci, un véritable « exemple » d'engagement et de courage,... avec sa maman qu'il faut imaginer, assise à la Cafet', en tailleur de « gaouriate », elle, l'épouse d'un notable quelque peu conservateur, attendant sa fille qui doit déposer la bombe. Un film, à elles deux !), Danièle Mine, Drif Zohra, Gueddroudj Jacqueline, Peschard Raymonde,... et toutes les autres, toujours là, toujours prêtes : la maman de Samia Lakhdari, Khalti Zohra, Belhaffaf Lalla, Khalti Baya, Khalti Zaghla, Drif Leila, Khalti Fettouma, Bouhamidi,... les femmes artistes comme Fadhila Dziria, Farida, Fatiha Hattali...
Des actions. Des portraits. Des situations. On apprend plus qu'il n'en faut sur l'état de la société de l'époque et l'état de ses combattants, hommes et femmes. On comprend mieux les ressorts des engagements révolutionnaires..., des peurs, des « faiblesses », des lâchetés, et, hélas, des traîtrises.
Avis : un véritable ouvrage de psycho-sociologie politique , mais aussi d'histoire... véritable «concurrent» des livres et du film sur «La Bataille d'Alger».
A noter l'humilité de notre auteure qui, en présentant les autres, se place toujours en retrait.
Dommage, qu'il y ait beaucoup de digressions... qui auraient pu faire l'objet d'un ouvrage à part. Encore qu'il fallait les faire afin de « mettre les points sur les i ».
Madame, merci ! Car, si vous avez permis à beaucoup d'entre nous de nous remémorer certaines atmosphères (heureuses ou dramatiques et tragiques) du passé, votre « confession » sera le livre de chevet de nos enfants et de nos petits-enfants.., etc.
Extraits : « L'Histoire ne leur (les jeunes d'aujourd'hui) est enseignée ou présentée que sous une forme abstraite, dogmatique, stéréotypée, bref rebutante. Je voudrais leur raconter, non pas l'Histoire, mais des histoires vécues, dans l'espoir de donner à rêver et à réfléchir...» (p 14). « (A propos de Camus). Pour lui, des réformes du système suffisent alors que pour nous, la solution réside dans la mort de ce système dont il fait partie » (p 114).
par Belkacem Ahcene-Djaballah
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