Le collectif 61 à Metz vient d'officialiser sa fondation. Son objectif: entretenir la mémoire de la "Nuit des Paras" du 23 juillet 1961, en pleine guerre d'Algérie. Cette nuit-là, des centaines de parachutistes lancent une chasse à l'homme visant les Algériens. Certains furent jetés dans la Moselle.
Il s'agit d'un événement dramatique qui a profondément marqué l'histoire de Metz et l'histoire de France. Pourtant, elle reste méconnue aujourd'hui, y compris par les Mosellans. "La nuit des Paras" du 23 juillet 1961, il y a 59 ans, en pleine guerre d'Algérie. Cette nuit-là, une altercation meurtrière entre Algériens et militaires français embrase la ville de Metz.
Ratonnade et chasse à l'immigré
Nous sommes au Trianon, un dancing de Montigny-lès-Metz. Une bagarre éclate entre Algériens et militaires français. Un ou plusieurs militants du FLN, Front de libération nationale, ouvrent le feu. Le barman et deux soldats sont tués. "A partir de ce moment-là, tous les militaires rentrent dans leur caserne, s'arment et déboulent à plus de 300 dans les quartiers de Metz, à la gare et au Pontiffroy, raconte Pierre Hanot, écrivain messin invité à l'officialisation de la fondation du collectif 61 ce jeudi 23 juillet 2020. Ils exercent une ratonnade, une chasse à l'Arabe et des témoins racontent avoir vu des Algériens balancés dans la Moselle. Aujourd'hui, le bilan reste largement sous-estimé."
On oublie facilement les choses qui dérangent
Cette "Nuit des Paras" reste encore méconnue, essentiellement pour des raisons historiques. "A l'époque, Metz était une ville de garnison et quelques sommités dirigeaient la politique ainsi que la vie quotidienne : l'armée, la police, le clergé, explique l'écrivain. Quelques mois après, il y a les répressions à Paris, il y a Charonne et cela a occulté, en partie, ce qu'il se passait en province. Et puis, on oublie facilement les choses qui dérangent. Parce que le bilan de cette ratonnade, de cette chasse à l'immigré est resté largement sous-estimé par les autorités et la population locale qui a voulu tourner la page très rapidement."
Assumer et lutter
Pierre Hanot a vécu deux rues au-dessus du Trianon. Il avait huit ans au moment des faits. De ce souvenir et après de nombreuses recherches, il tire aujourd’hui un roman intitulé "Aux vagabonds l'immensité" (éditions de La Manufacture du Livre). "La résonance de cet événement m'est apparue tellement évidente avec ce qu'on vit actuellement. A l'époque, il y avait le ghetto du Pontiffroy dans lequel les Algériens vivaient dans des conditions hallucinantes. Et puis, la population restait, pour la plupart, du côté de l'ordre. Et maintenant, la question que je me pose, c'est comment on fait, en 2020, pour continuer à vivre ensemble ?"
Il ne faut pas fermer les yeux sur l'histoire qu'on a vécue
"C'est important de ne pas oublier cet événement, déclare Didier Doumergue, membre actif du collectif 61. Si nous voulons vivre ensemble, il ne faut pas fermer les yeux sur l'histoire qu'on a vécue. On ne peut pas se projeter dans l'avenir si on ne reprend pas tout ce qu'il s'est passé dans l'histoire. Bien sûr, c'est dramatique, mais il faut l'assumer. Il faut comprendre pourquoi on en est arrivé à cette violence. En tout cas, les récentes manifestations contre les violences policières, ou les manifestations aux Etats-Unis à propos de la mort de George Floyd, nous montrent qu'il faut remettre sur le métier à chaque fois. Il faut continuer à lutter contre le racisme. Et il faut rester très vigilant parce que la violence peut nous emporter très loin."
Je tenais un établissement dans le Pontiffroy, un client est arrivé et m’a dit de tout fermer. Heureusement, les militaires ont fait demi-tour juste avant, ça aurait été un carnage ! » Tahar
C’est très ému que Tahar se rappelle ce soir-là. Avec son oncle, ils tiennent un établissement dans le Pontiffroy, où vivent 68 personnes à cette époque là. Il se rappelle encore les scènes décrites par ses amis.
« Au Buffet de la Gare, les clients ont tous été mis contre le mur, et dès que les paras voyaient un visage basané, ils l’embarquaient ou le massacraient, y compris un italien et un espagnol » Tahar
Reportage : l'hommage rendu aux victimes du 23 juillet 1961 à Metz
Reportage : l'hommage rendu aux victimes du 23 juillet 1961 à Metz
Un devoir de mémoire, pour l’avenir
Le collectif Juillet 61 a donc déposé une gerbe de fleurs en hommage aux victimes ce samedi 23 juillet,. D’abord à Montigny-lès-Metz, puis sur le Pont St-Georges près du Pontiffroy. Des fleurs pour "toutes les victimes de ce drame", précisent les membres du collectif. Car aujourd’hui, aucun d’entre eux ne cherchent à accabler tel ou tel camp, ni à rétablir de vérité. L’objectif du collectif est plutôt d’informer et de prévenir, rappeler que ce qui s’est passé ne doit pas se reproduire à l’avenir. "Le contexte actuel mérite qu'on se plonge dans l'histoire pour savoir ce qu'on ne doit pas faire" explique Anifa, membre du collectif.
« On voudrait éviter que si demain, il y a de nouveaux attentats, la population ne se substitue aux juges et ne trouve un bouc émissaire, c’est trop facile de trouver un bouc émissaire » Yvon Scheleret membre
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