FIGAROVOX/TRIBUNE - Mis en cause par Jean Sévillia dans un texte publié sur FigaroVox le 27 juillet, l’historien Benjamin Stora se défend de toute approche complaisante ou partielle à l’égard de la mémoire algérienne de la colonisation française et de la guerre d’Algérie. Ses travaux, rappelle-t-il, ont porté sur la mémoire des deux camps, y compris grâce à l’étude des archives militaires françaises.
Benjamin Stora est Professeur des universités et Inspecteur général de l’Education nationale. Il s’est vu confier par le Président de la République une mission sur «la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie».
Dans un long entretien au Figaro du 27 juillet 2020, Monsieur Jean Sévilla explique, à l’occasion de la mission que m’a confié le Président de la République pour «une réconciliation entre la France et l’Algérie», que j’ai adopté une attitude «partielle donc partiale» à propos de la guerre d’Algérie.
Il note, à l’appui de sa démonstration, que je n’ai pas parlé de l’enlèvement et la disparition des Européens à Oran en juillet 1962. J’ai traité de cette question dans un chapitre entier de La gangrène et l’oubli, livre paru en 1991 (Éd. La Découverte). Sur mon absence de référence dans mes travaux sur les Européens d’Algérie, je vous signale que j’ai été le conseiller scientifique du documentaire Les pieds-noirs d’Algérie. Une histoire française, diffusé sur France 2 en 2017 (Roche Productions). Dans l’entretien au Figaro, il n’est, d’autre part, jamais fait mention de mes écrits sur l’histoire de la communauté juive d’Algérie (Les trois exils, Éd Stock, 2006, ou Les clés retrouvées, Éd. Stock, 2014). Mais en évoquant l’histoire des juifs d’Algérie dans trois de mes ouvrages, n’est-il pas question des Français d’Algérie?
Le journaliste interrogé me reproche également d’avoir accordé trop d’importance à l’histoire du FLN algérien et ses divisions internes. Sur ce point précis, j’ai longuement évoqué le massacre de Melouza, des villageois messalistes, par une unité de l’ALN en mai 1957, dans ma thèse sur Messali Hadj, soutenue en... 1978 sous la direction du Professeur Ageron, thèse présidée par Jacques Berque. Et sur les déchirements internes qui ont affecté la société algérienne, il est possible de lire également mon long article paru dans Les Temps modernes sur la tragédie des harkis, article paru en 2012.
J’ai longuement travaillé sur les soldats, notamment dans mes ouvrages, Appelés en guerre d’Algérie (Éd. Gallimard, 1997, collection «Découverte), et Algérie, (Éd Les Arènes, 2013).
Par contre, je ne trouve rien dans les propos du journaliste interrogé sur la réalité du système colonial mis en place par la France en Algérie, sur les milliers d’Algériens disparus pendant la guerre, les «zones interdites» et les déplacements forcés de centaines de milliers de paysans, l’utilisation du napalm, ou la pose des mines aux frontières.
Comme vous le voyez, si, effectivement, j’ai traité de l’histoire du nationalisme algérien, avec notamment mes biographies de Messali Hadj ou de Ferhat Abbas (Éd Denoel, 1994, avec Zakya Daoud), ou mon Dictionnaire biographique des militants algériens paru en 1985, ma «mémoire» n’est pas «hémiplégique» comme le prouvent mes quarante années passées dans mes recherches sur l’histoire de l’Algérie.
Je voudrais attirer votre attention sur un autre aspect évoqué dans cet article, le rapport aux archives de l’armée française. Contrairement à ce qui est écrit, j’ai longuement travaillé à Aix-en-Provence, à Vincennes et à Ivry (depuis les années 1970) sur les archives écrites, et audiovisuelles de l’armée française, dont des pans entiers restent encore à découvrir pour les chercheurs. Notamment pour la rédaction de mon histoire de l’Algérie contemporaine, mon ouvrage sur la police (une publication d’un document des Renseignements généraux de 137 pages, dans RG contre le FLN, Éd. J. Duvernet, 2011), et les documentaires, Les années algériennes, (réalisation Bernard Fabre, 1991), La déchirure (réalisation Gabriel Le Bomin, 2012), et Notre histoire (réalisation Jean-Michel Meurice, diffusion en 2012).
Je dois également vous signaler que j’ai dirigé et présidé une vingtaine de thèses soutenues à l’université française (de 1985 à 2018), qui, toutes, ont été établies à partir, notamment, des archives de l’armée française, et des témoignages d’acteurs, français et algériens. Sur cette question de la non-consultation d’archives (à Aix en Provence, à Paris ou en Algérie), j’ai donc demandé à rectifier les affirmations sur mes travaux contenues dans cet entretien.
Bien entendu, Jean Sévilla peut être en désaccord avec mes travaux, mais il n’est pas possible d’en nier la pluralité, sur ces questions complexes, depuis plus de quarante ans.
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