Connaissez-vous, Madame, assis au premier banc
Cet homme sénescent tout habillé de blanc ?
II est père des maux, des souffrances et larmes
De toutes les douleurs, et du secret des armes.
Des dettes sur le blé, qu'il ne voulut payer
Et des terres du Dey, qu'il semblait convoiter
Il s'offrit là raisons, invoquant le soufflet
D'envahir le pays pour venger camouflet.
Mais en la vérité, soufflet il n'y eut point.
Le Dey exacerbé de ne faire l'appoint
Rappela au commis arrogant et menteur
Que d'acquitter le dû était, en somme, honneur !
Impudence et orgueil furent seules réponses
Le consul réticent ajouta aux offenses,
Mépris de l'étiquette et de la bienséance
Dédain, hostilité et nulle bienveillance.
C'est alors, de raison, qu'éclata en les lieux
Ire, courroux royaux envers le licencieux.
Le maître de céans, armé d'un éventail,
Montra à l'impudent la sortie du sérail.
Le crime était commis et le motif trouvé
On cria outre-mer, au lèse-majesté
Au Grand Turc il fallait au moment rendre gorge
Afin qu'avec l'honneur on lui paya son orge,
A grands coups de canon et de sainte mitraille.
Dans les larmes et les feux on conquît la muraille
On y planta drapeau et du vaincu la tête,
Encor rouge de sang et on y fît la fête.
Et c'est en Algérie, îles aux quatre vents,
Que le monstre naissant allait faire ses dents !
Les terres il saisit, les maisons il brûla
Les hommes il tua, les femmes il viola.
De l'injustice il fît, sa raison et sa foi,
Son glaive sans balance, sa véritable loi.
Le colon était maître et l'indigène serf,
L'un était le chasseur et l'autre le grand cerf.
Comme Prométhéus, enchaîné au Caucase
A qui le grand faucon que la lumière embrase,
Dévore sans répit et sans cesse le foie,
L'Algérien ou l'esclave était une belle proie.
Contraint comme Sisyphe au tourment de la pierre,
Il devait en soumis, face contre la terre,
Porter le lourd fardeau des êtres inférieurs
Dominés, asservis par les nobles seigneurs.
Ainsi que vieil Atlas forcé à l'éternel
D'endosser noblement le billot rituel
Il croulait sous le poids des misères honteuses
Que l'on n'infligeait pas même aux chiennes galeuses !
Jusqu'au moment sacré où, de l'espoir, enfin
Se dessine un rayon encore pâle et fin
Qui toujours va grondant pour chasser d'un revers
L'obscurité, le mal, la froideur des hivers.
Liberté apparaît enfin à l'horizon,
A ceux qui la mandent, du fond de leur prison
Elle est comme maîtresse, orgueilleuse, éphémère
Capricieuse, rageuse, et parfois même amère.
Se donnant entière, et sans cérémonie
A celui qui lui sait sacrifier la vie.
Pour elle dédaigner bien plus que les honneurs,
Les titres, la fortune et même les bonheurs.
C'est ainsi qu'en ce temps, le joug on secoua.
Le monstre, sans répit mordit, frappa, roua
Suça le dernier sang mais n'eut le dernier mot
Il se dressa en vain sans mesurer le flot,
La vague le frappa, alors il chancela
Comme pantin tomba et sa tête roula !
Mais, des hommes libres, il en mangea millions
Sans que furent connus ces sombres tourbillons !
Des crimes évidents contre l'humanité,
Des meurtres d'innocents commis en vérité,
On ne connaît pourtant, comble de l'ironie
Point d'Inquisition brûlant l'ignominie !
De cela, la morale invite à la question :
Peut-on juger soldat, assassin sans raison
Des vains massacres faits sur les populations
Non de Septentrion mais des autres nations ?
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Connaissez-vous, Madame, assis au premier banc
Cet homme sénescent tout habillé de blanc ?
II est père des maux, des souffrances et larmes
De toutes les douleurs, et du secret des armes.
En pays déchiré non encore pansé
Des noires tourmentes subies du passé
Il pénètre, sournois, ne pouvant tolérer
Que l'ancien esclave puisse se libérer !
Il insuffle le mal, provoque les complots
Afin que la nation, ballottée par flots
Se brise sur la rive, en niant la raison,
De la haine, la rage ou encor la passion.
D'un peuple courageux, unique et valeureux,
Il en veut faire deux, ennemis, séditieux
Opposés en culture, en langue, en région
En us et coutumes sinon en religion.
Faisant de ses valets de faibles opprimés
Qu'il se plaît à montrer comme opposants brimés !
Ici, il fanatise et là crée un héros,
Qu'il impose à l'esprit tant le mensonge est gros,
Ignorant, malgré tout qu'en ces cœurs généreux
Sommeille un peuple grand, uni et orgueilleux,
De miracles, capable, et ne posant genoux
Pouvant mourir debout, face à haine et courroux.
En ce fier pays, qui de mal tant connut,
Qu'on ne laisse souffler, de peur qu'il ne vécut,
N'existe point Berbère et point d'Arabe fier,
Autre qu'un Algérien bienheureux, comme hier,
Capable tout autant, devant rancune vile,
De combattre toujours, cette bête subtile,
Et de donner leçons comme par le passé,
A qui s'y frotte trop, qui jadis fut chassé.
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Bagdad S. Maata
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