«Bicots», «youpins», «guerre civile» : des fragments de conversations d’une poignée de policiers sur WhatsApp révèlent soudain une inquiétante convergence entre racisme et survivalisme.
Jusqu’à ces toutes dernières semaines, le racisme de la police française pouvait être analysé comme un racisme systémique, fonctionnel, ce qui est à la fois pire et moins grave. Un racisme sans racistes. La police est là pour maintenir l’ordre. L’ordre public, mais aussi l’ordre économique et social. Elle réprime donc fonctionnellement les perdants de cet ordre-là, manifestants, habitants des quartiers populaires, tous ceux qui le contestent. Et parmi ceux-là, se trouvent tout simplement davantage de Noirs et d’Arabes. C’est ainsi. Ni haine ni racisme dans les contrôles au faciès. Entrez donc dans un commissariat, par exemple en cas de perte de carte d’identité : quoi de plus multiracial ?
Et puis, vient un jour où on entend le mot «bicots». Il est prononcé par des policiers qui viennent de repêcher dans la Seine un fugitif, qui s’y est jeté parce qu’ils le poursuivaient. «Les bicots, ça sait pas nager.» Et soudain, on replonge dans les années FLN. On réalise que quelque chose d’étrange, une drôle d’odeur de rance et de moisi et de ratonnades s’est accrochée aux murs de la maison, qu’on pensait lessivés par deux générations successives. Ce n’est pas la semaine dernière, la guerre d’Algérie. Soixante ans tout de même. On a beau lessiver, il subsiste quelque part une odeur qui ne disparaîtra pas. Et puis, survient l’effet Floyd et son bouquet de scoops nauséeux autour du racisme policier. Arte Radio met en ligne les conversations WhatsApp d’une poignée de policiers de Rouen, appartenant à la même unité. On entend «bougnoules». On entend «nègres». On entend «pute à nègres». On entend «race blanche». OK. Ils écoutent Zemmour. Sources repérables. Et puis, on entend «youpins», dans le groupe WhatsApp des policiers de Rouen. WhatsApp, youpins : pour le coup, ce sont quatre ou cinq générations, qui séparent ces deux termes. Des ligues maurassiennes des années 30 à aujourd’hui : presque un siècle.
Et ce n’est pas le plus étonnant. Soudain, dans ce cloaque raciste des conversations WhatsApp des policiers de Rouen, survient l’effondrement. Citons : «Vivement la guerre civile, vivement l’effondrement, il n’y a pas que la diversité qui va prendre cher, la gauche aussi, il va falloir éliminer ces fils de pute. Une fois que l’effondrement commencera, ils font partie des faibles, ils vont forcément disparaître. Ce pays mérite une guerre civile raciale bien sale. Il reste quelques années avant l’effondrement, mais la guerre raciale est inévitable. Bon, je viens d’effectuer le paiement pour mon fusil d’assaut.» Etc, etc.
Dans la période récente, le thème de l’effondrement n’est pas apparu comme un thème fasciste, ni néonazi, ni trumpien. C’est plutôt un thème écolo, popularisé en France par l’ex-ministre de Jospin Yves Cochet, qui s’est construit une propriété autosuffisante ultramédiatisée, avec calèche et potager, ou par l’intellectuel installé dans la Drôme Pablo Servigne. Du côté de chez Zemmour, on parle plus généralement de grand remplacement. Et là, dans ces morceaux de conversations, on réalise ce que ni les reportages, ni les enquêtes sociologiques n’avaient encore mis en évidence : que le racisme zemmourien est en train de muter survivaliste. Et dans la police. Dans certains cerveaux de flics de base, les deux angoisses convergent, confluent, se rejoignent. Peut-être pas davantage que huit. Peut-être bien davantage. C’est un Covid-19 de la pensée, venu d’on ne sait quels pangolins hibernant depuis les années 30, agressif, imprévisible, inconnu. On n’a pas fini de se prendre des vagues.
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