La crise du Coronavirus est grave et impose des mesures d’exception. Mais nous ne sommes pas en guerre. Prétendre le contraire pourrait être une erreur, historique, politique et sémantique...
La répétition à outrance, dans un discours public — comme l’a fait le président français Emmanuel Macron lundi (16 mars) de façon très appuyée — est pour le moins troublante.
La banalisation d’un mot
Il y a cinq ans, nous étions en guerre contre le terrorisme. Aujourd’hui c’est contre le coronavirus. Demain contre quoi ? Cette absence d’inventivité dans la terminologie de crise prête pour le moins à interrogation. Quel mot utiliserons-nous quand nous serons réellement en guerre, avec mobilisation générale de la population, engagement au front, bombardements et tueries, etc ? Si un journaliste, un écrivain peut employer cette terminologie dans un langage de tous les jours, ou que les hôpitaux sont sur le pied de guerre, on peut s’interroger si c’est bien le rôle d’un chef d’État, également chef des armées, de proclamer cet état de guerre, sans pour autant déclencher la guerre.
Une terminologie contradictoire avec l’objectif
Tout d’abord, cette évocation prête à confusion. Elle est contradictoire avec le mot d’ordre ‘ne vous affolez pas’, ‘réfléchissez’, penser autrement. Au lieu de rassurer, ce discours contribue à l’anxiété générale. Le rôle d’un président n’est-il pas plutôt d’être là, de prévoir, de décider, de donner des orientations, des consignes ou des ordres ? Il n’est pas de générer et entretenir les peurs. En revanche, il peut reconnaître des erreurs. Avoir convoqué la population à un premier tour des élections était ainsi d’une inconséquence notable (1).
Une erreur de définition
Ensuite, si on prend la définition de Carl (von Clausewitz), un des penseurs ‘de la guerre’, il y a une erreur lexicale. Certes le « but premier » de la guerre est de « terrasser l’adversaire afin de le mettre hors d’état de résister ». Mais il ne faut pas en rester à ce premier élément, c’est la suite qu’il faut lire. La guerre est « un acte de violence dont l’objet est de contraindre l’adversaire à se plier à notre volonté ». Or, jusqu’à nouvel ordre, le virus n’a pas vraiment de volonté à imposer ni de régime précis qu’il entend mettre en place. C’est comme un incendie contre lequel on doit résister en mettant en vigueur les meilleurs pare-feux. Nous ne sommes pas en guerre.
Un manque de respect par rapport aux victimes de guerre
Utiliser ce mot dans ce contexte parait ressembler comme un exécutoire d’une génération (la nôtre) qui n’a pas vraiment connu la guerre. C’est un certain manque de respect par rapport aux générations qui ont vraiment connu les affres de la guerre (celle de nos parents ou grands-parents) ou vis-à-vis des populations qui la subissent encore (Syrie, Somalie, Yémen) ou l’ont connu récemment (Balkans, RD Congo, Algérie, etc). On ne peut pas comparer nos souffrances, même graves, avec un état de guerre. On ne peut pas ainsi comparer les ravages de la grippe espagnole en 1918-1919, aux traumatismes de la guerre 1914-1918, même si le rythme de mortalité a pu être identique.
Un état d’esprit différent
Rester chez soi confiné est certes astreignant, oblige à des changements de mentalité, d’organisation et de fonctionnement. Mais l’alimentation, l’eau, l’électricité et le chauffage tout comme le téléphone, restent fournis. Nous continuons d’être libres de dire ce que nous pensons partout. Nos enfants, nos amis, nos jeunes ne sont pas mobilisés pour aller risquer leur vie sur le front. Personne n’est soumis à la torture, etc. Rester ainsi confiné même de longs mois est sûrement moins ennuyeux que d’être contraint de vivre dans un camp de personnes déplacés dans les environs d’Idlib sous les bombardements russo-syriens. Les personnes mobilisées, comme le personnel sanitaire, sont soumis à rude épreuve et exposés au risque de maladie. Mais ils n’opèrent tout de même pas dans des souterrains, sous la contrainte ou dans l’angle de viseurs de snippers, comme en ex-Yougoslavie il y a quelques dizaines d’années ou en Syrie encore aujourd’hui…
Non, résolument non, nous ne sommes pas en guerre. Et heureusement…
(Nicolas Gros-Verheyde)
- On peut railler et moquer une population pour s’être promenée dans les parcs. Mais elle n’a fait qu’appliquer un mot d’ordre venu d’en haut : vous pouvez y aller.
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