Jean-Christophe Buisson est l'auteur d'une histoire passionnante des mondes communistes : il vient de publier un livre intitulé Le siècle rouge. Les mondes communistes 1919-1989...
Il est venu présenter son ouvrage lors du Festival de la Biographie à Nîmes...
"On arrive à une époque où le communisme est un mot qui ne sonne plus très familièrement à beaucoup d'oreilles, notamment aux jeunes gens pour qui la notion de Mur de Berlin est totalement étrangère, qui voyagent dans le monde entier grâce à la mondialisation, qui ne peuvent pas imaginer que l'Europe, à un moment donné, était partagée en deux par un rideau de fer...
J'ai deux filles qui ont 24 et 26 ans, c'est vrai qu'elles entendent dire que Mélenchon était communiste dans sa jeunesse, qu'il était trotskiste, mais elles ne savent pas trop bien ce que cela veut dire... avant-hier Alain Badiou disait qu'il fallait repenser l'hypothèse communiste, donc, c'est quelque chose qui reste quand même très imprégné dans notre mémoire mais qui a disparu dans la génération suivante...
Je me suis dit :"Il faut faire un livre qui soit une sorte de synthèse de tout ce qui était le communisme, d'un point de vue mondial... vous savez, la première phrase du Manifeste du parti communiste, c'était : "Un spectre hante l'Europe, le communisme."
En 1919, c'est la création de la troisième internationale : il est décidé que le communisme sera mondial ou ne sera pas... Pourquoi ? Parce qu'on est en pleine guerre entre les Rouges et les Blancs en Russie, les Bolchéviques ne sont pas du tout sûrs de garder le pouvoir... ils se disent : "Le seul moyen de garder le pouvoir, c'est que d'autres pays dans le monde fassent aussi une révolution, comme ça, on se mettra ensemble et on abattra dans le monde entier le capitalisme."
Donc, on crée cette troisième internationale, une structure qui a pour but d'exporter l'idée de révolution dans le monde entier....
Très vite, en 1919, on l'a complètement oublié, il y a des révolutions qui éclatent en Allemagne, en Bavière, en Hongrie, en Slovaquie, en Ukraine, en Roumanie, en Iran qui s'appelle la Perse à l'époque, en Italie avec des grèves insurrectionnelles, où des communistes sont sur le point de prendre le pouvoir... ils sont très violemment réprimés, ils échouent.
Très vite, Staline prend le pouvoir en Russie et considère qu'il faut d'abord consolider le communisme dans l'Union Soviétique... mais il garde quand même un oeil sur cette idée qu'on peut exporter la révolution à droite, à gauche..
Le message communiste est relayé par cette structure de la troisième internationale, pas pour une victoire politique, mais pour une victoire quasiment intellectuelle, morale, en ce sens que la troisième internationale, c'est le sommet d'une pyramide, avec en-dessous, l'internationale syndicale rouge, l'internationale sportive, qui organisait des jeux olympiques prolétaires, les spartakiades, l'internationale paysanne, le secours international rouge, l'union des écrivains internationaux qui vont alimenter l'idée communiste dans le monde entier...
L'Union soviétique est la grande gagnante de la guerre contre le nazisme, elle instaure des régimes communistes dans l'est de l'Europe, et la complaisance dans les milieux intellectuels français vient de ces structures créées dans les années 20-30.
Le communisme va triompher dans le monde entier, dans les années 40-50, puis il va connaître des premières ruptures, fractures, avec Tito, avec la Chine, puis il va décliner, péricliter et quasiment s'effondrer avec la chute du Mur de Berlin, en tout cas, dans sa vocation à s'extérioriser dans le monde entier.
Après, le communisme reste présent, la Chine est encore communiste, Cuba est communiste, la Corée du Nord, le Laos, le Vietnam...
Mais grosso modo, l'idée qu'on va refaire un monde communiste a disparu.
On voit que structurellement, le communisme est fait de scissions, puisque c'est la révolution permanente.
Il y a beaucoup de nuances dans le communisme : entre Staline, Trotsky, Mao, Tito, Che Guevara, les nuances sont fortes, elles sont souvent dépendantes du pays, de la structure, de la culture, de l'histoire du pays...
Il y a une culture de l'image assez impressionnante : très vite, il y a eu l'idée que par l'art, par l'image, la peinture, le cinéma, le théâtre, la littérature, on pourrait diffuser des messages de propagande.
L'image a été un vecteur à la fois du communisme et de l'anticommunisme : ce livre est aussi une histoire de l'anticommunisme : dès 1929, avec Hergé, Tintin chez les Soviets, Victor Serge, Boris Souvarine, se lèvent des gens qui condamnent, qui vont en URSS et qui disent : "Ce n'est pas ce vous croyez, c'est atroce."
On peut citer Kravchenko jusqu'à Soljenitsyne, Jean-Paul II, Simon Leys en Chine...
Et aussi André Gide et son ouvrage Retour de l'URSS... le lendemain de sa mort, l'humanité titre : "Un cadavre est mort", sous-entendu, depuis qu'il est devenu anticommuniste, il n'existe plus.
Pour revenir à l'image, ce qui est assez cocasse, par exemple dans le cinéma, en 1953, sort un film aux USA, Pickup on South Street, on est en pleine chasse aux sorcières, avec le maccarthysme, les Rosenberg viennent d'être condamnés à mort... Samuel Fuller qui est un grand réalisateur de films patriotiques, un peu militaires, fait ce film qui raconte cette histoire : le FBI suit une femme dans le métro, parce qu'on sait qu'elle est la maîtresse d'un agent communiste, et on pense que, dans son sac à mains, elle a un microfilm avec tous les noms des agents communistes qui se trouvent aux USA...
Le FBI s'apprête à capturer cette femme, mais pas de chance, un pickpocket lui vole son microfilm, donc ça devient un polar, une course-poursuite dans New-York, et à la fin, cette femme se rend compte qu'elle vivait avec un communiste et va le dénoncer : c'est donc un film très patriotique, anticommuniste.
En France, quand le PC fait 28% des voix, on se dit : "Si on montre ce film, ça va pas aller", on change le titre, le scénario, les dialogues, et le film s'appelle : Le port de la drogue, avec Richard Widmark... des trafiquants de drogue sont poursuivis par le FBI parce qu'une femme a dans son sac un microfilm avec la recette d'une nouvelle drogue...
Il ne faut pas oublier aussi que le pacte germano-soviétique de non agression permet à Hitler d'envahir paisiblement l'ouest de l'Europe sans crainte d'une contre attaque par la Russie : il y a une énorme responsabilité de la part de Moscou dans le déclenchement de la seconde guerre mondiale qui n'est possible que grâce à ce pacte de non agression...
Mais il faut rappeler qu'un certain nombre de communistes étaient horrifiés par ça, ils ont déchiré leur carte du parti, ils ont rejoint la résistance très vite, et ils ont refusé l'idée qu'ils soient alliés à Hitler. Rien n'est manichéen... des communistes ont été dissidents au sein de leur parti...
On ne peut pas résumer le communisme aux horreurs qui ont été commises en son nom, ni aux splendeurs, ni aux progrès sociaux qui ont été permis, à sa résistance parce qu'après 41, les communistes sont entrés en résistance, et pour la plupart, sans ambiguïté.
Ce n'est ni tout noir, ni tout rouge... Ce que j'a voulu faire dans ce livre, c'est mettre factuellement tout ce qui s'est passé...
Et puis, après, à chacun de se faire une opinion... si on préfère retenir les dizaines de millions de morts, si on préfère retenir quand même aussi les avancées sociales, ce que le communisme a permis dans notre société... on est encore le produit, qu'on le veuille ou non, du communisme.
Le spectre du communisme nous hante encore dans l'art, mais pas seulement, dans la politique, dans l'économie...
On a été bénéficiaire ou victime du communisme : à nous de faire la distinction..."
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-siecle-rouge-une-histoire-221976
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