Roland Lombardi publie "Les 30 Honteuses" chez VA Editions. Cet ouvrage retrace l’histoire des relations entre la France, Israël et le Liban, entre la fin de la guerre d’Algérie (1962) et la fin de la guerre civile libanaise (1990). Ces trois décennies ont creusé le tombeau de l’influence française.
Less Trente Honteuses » de Roland Lombardi sont l’histoire des relations entre la France, Israël et le Liban, durant une période qui s’étend de la fin de la guerre d’Algérie (1962) à la fin de la guerre civile libanaise (1990). Mais elles sont aussi, l’histoire des trente années qui sont finalement à l’origine de la perte de l’influence française dans le monde arabo-musulman en général. Par ailleurs, l’auteur nous explique comment, durant ces trois décennies, les élites françaises sont peu à peu devenues hermétiques à une véritable compréhension des réalités de cette région. Extrait 2/2.
Si l’indépendance accordée à l’Algérie est aujourd’hui généralement admise en France comme une décision magnanime de la part de De Gaulle, pour une grande partie de l’opinion arabe et de ses dirigeants, elle ne fut qu’une preuve du déclin et de la faiblesse de la France. (...) Finalement, après la défaite de 1940, qui relégua déjà la France dans son rôle de puissance de second rang, l’issue de la guerre d’Algérie a paradoxalement fini de ruiner, et en profondeur, la politique de rayonnement de la France dans le monde arabe.
Bien entendu, d’autres raisons peuvent être avancées pour expliquer les échecs de la « politique arabe de la France ». En premier lieu, les chefs d’État français, de De Gaulle à Mitterrand, n’ont-ils pas manqué de connaissances et de discernements sur le sujet ? Il est vrai que De Gaulle, Pompidou, Giscard et Mitterrand n’étaient pas des Méditerranéens. Leurs origines venaient de la « France profonde » et ils étaient des hommes de leur époque, marqués par l’Europe et ses dangers (Première et Seconde guerres mondiales puis la Guerre froide). D’autre part, ils étaient étrangers aux mentalités de cette région. Ils n’ont pas compris qu’à partir du début de la Guerre froide jusqu’à sa fin (surtout à sa fin d’ailleurs), la Méditerranée deviendrait la frontière la plus importante pour la France. Malgré la guerre d’Algérie et du Liban, qui en étaient pourtant les annonciatrices, ils n’ont pas su déceler les défis et les enjeux à la fois démographiques, politiques, socio-économiques et surtout religieux qu’allaient affronter, à partir de la fin du XXe siècle, les rives sud et orientale de la Méditerranée.
Mais il est vrai que la « politique arabe de la France » fut portée par quelques-uns et si les présidents de la Ve République étaient, par essence, les chefs de la diplomatie, il ne faut pas négliger le rôle des diplomates. Nous avons pu apprécier, durant notre étude, l’influence de ces derniers. Il ne faut pas perdre de vue que les décisions importantes sont prises sur le fondement de leurs dépêches, de leurs télégrammes et de leurs analyses. Et si, il leur incombe la mise en œuvre des politiques décidées par les gouvernements ou les présidents, nous avons pu voir combien parfois, ils accéléraient ou bien freinaient certaines actions. Par ailleurs, nous avons évoqué l’influence de certains ministres des Affaires étrangères comme Jobert, Cheysson, Dumas ou encore, plus que tout autre, Couve de Murville. Nous avons même traité d’une sorte de « culture » ou de « tradition » du Quai d’Orsay. Mais, affirmer, comme le font certains Israéliens ou encore certains Juifs à travers le monde, que les diplomates du Quai d’Orsay sont antisémites puis antisionistes par culture, est une simplification abusive et aberrante. Il n’en demeure pas moins que leur « préférence arabe » était basée sur une vision d’abord mercantile, mais aussi des paradigmes traditionnels, ancestraux certes, mais depuis, erronés, mythifiés, voire fantasmés du monde arabe. Habités par le « syndrome de Saladin », la plupart des diplomates et des ministres qui étaient à leurs têtes, regardait le monde arabe tel un bloc monolithique et n’entendait finalement rien aux mentalités et à la psychologie DES peuples arabes. Par ailleurs, ceux qui conseillaient auparavant les décideurs français, les Européens arabisants, civils ou militaires, qui étaient nés ou avaient vécu en Afrique du Nord ou au Levant et avaient une expérience réelle des Arabes, ont été, pour la plupart, écartés après la fin de la guerre d’Algérie. Durant les années qui suivirent, il semblerait qu’ils aient été peu à peu remplacés par des énarques, des technocrates, peu ou prou déconnectés des réalités de ce monde, ou des intellectuels pétris d’exotisme, de mythes et d’idéologies. Ainsi, le monde universitaire français et le milieu de la recherche sur l’islam, le monde arabe et le terrorisme, n’ont-ils pas été, depuis des années maintenant, pris littéralement en otage par ceux que Gilles Kepel nomme les « islamo-gauchistes » ?
Comme le souligne Jacques Frémeaux, s’il existe bel et bien dans le monde arabe, « une certaine communauté de culture, de religion, d’histoire induit, entre les peuples, des liens de solidarité », l’ignorer, tout comme le surfaire, constituerait une erreur.
L’historien dénonce aussi une certaine forme d’idéalisme qui a habité les diplomates français (comme trop de nos chercheurs), « c’est-à-dire des représentations déformantes d’un monde arabe décrit comme entièrement pétri de valeurs positives, et ne faisant que réagir à des violences imposées de l’extérieur, à des héritages de la décolonisation ». Béchir Gemayel reprochait d’ailleurs aux Occidentaux de traiter avec les Syriens comme s’ils étaient des Suédois ! (...)
Au sud de la Méditerranée et au Moyen-Orient, on vit de dignité personnelle. Les peuples qui y vivent sont des gens fiers qui méprisent, plus que tout, ceux qui s’humilient ou ceux qui renient leurs propres croyances, valeurs ou principes, d’autant plus pour des histoires d’achats de pétrole ou de ventes d’armes. Une sorte de « raison mercantile » qui aurait peu à peu surpassé la « raison d’État ». Au Proche-Orient, plus qu’ailleurs, pour être adopté comme un partenaire à part entière, il faut être respecté.
Il semblerait que la diplomatie française, durant les trois décennies que nous venons d’évoquer, ait agi au mépris de ces réalités.
Ainsi, là où certains voyaient dans la politique française, magnanimité et subtilité, les dirigeants arabes comme israéliens d’ailleurs, eux, n’y ont vu que faiblesse et reniement.
Roland Lombardi
« Les Trente Honteuses » (1) de Roland Lombardi sont l’histoire des relations entre la France, Israël et le Liban, durant une période qui s’étend de la fin de la guerre d’Algérie (1962) à la fin de la guerre civile libanaise (1990). Mais elles sont aussi, l’histoire des trente années qui ont finalement creusé le tombeau de l’influence française dans le monde arabo-musulman en général. Cette étude est une analyse critique, pertinente et originale de cette période de l’histoire des relations diplomatiques de la France avec les États arabes et musulmans. Tout en essayant de battre en brèche les mythes historiques et d’éviter les travers trop rapides d’un certain « déclinisme », cet ouvrage est une observation sévère, mais non moins constructive d’une politique étrangère en Méditerranée et au Moyen-Orient héritée de la période gaullienne, trop souvent considérée comme un dogme intouchable. Extrait 1/2.
En dépit des discours officiels du Quai d’Orsay ou des responsables politiques (qui relèvent plus de la méthode Coué que du réalisme géopolitique), la France n’est plus écoutée au Moyen-Orient, elle ne pèse plus ! Première cible occidentale du terrorisme islamiste, hors-jeu dans le règlement actuel de la crise syrienne, inaudible dans la résolution du conflit israélo-palestinien, paralysée en politique intérieure (vis-à-vis de l’islam radical, des Frères musulmans comme des salafistes) et extérieure (positions inconséquentes en Syrie et au Liban) par ses « clients » du Golfe, la France, on le voit chaque jour, n’a plus aucune influence dans cette partie du monde. Certes, Paris fait de bonnes affaires, notamment dans le commerce des armes, mais qui connaît bien le monde arabe sait pertinemment que son image ne cesse pourtant de se détériorer. De fait, notre pays n’est plus que « considéré comme une petite puissance hautaine et moralisatrice, mais qui dans les faits, n’est qu’une marchande de canons (4e exportateur d’armes dans le monde), prisonnière de ses riches clients du Golfe ».
Alors, d’aucuns accusent les deux derniers septennats de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande d’être à l’origine de l’affadissement du rayonnement français. Toutefois, si les deux derniers présidents français ont certes leurs parts de responsabilité dans l’état actuel de notre diplomatie au Moyen-Orient, à leur décharge, le mal est beaucoup plus ancien. En effet, le déclin de l’influence française au Moyen-Orient et dans le monde arabo-musulman a commencé, aussi paradoxalement que cela puisse paraître et comme certains veulent encore trop souvent dire le contraire, depuis la fin de la guerre d’Algérie.
(...) En mettant fin à la guerre d’Algérie, De Gaulle souhaitait que la France trouve son chemin dans un monde arabe décolonisé et y reprenne une place de choix. Conseillé par Couve de Murville, De Gaulle va alors mettre sur pied une véritable « politique (pro) arabe » à grande échelle. Certes, les raisons qui le poussent sont d’abord essentiellement liées à des projets géopolitiques, selon une approche rationnelle. En effet, deux postulats motivent cette ligne stratégique nouvelle : d’abord, l’approvisionnement en hydrocarbures dans cette période de croissance économique et industrielle devient une question primordiale ; ensuite, les perspectives de développement économique et démographique arabe semblent annoncer l’émergence de marchés attractifs que peut capter la France. Approvisionnement en matières premières et débouchés commerciaux restent donc l’approche « mercantile » dont la France a appris à actionner les leviers depuis le temps de Colbert.
Mais cette « nouvelle » politique arabe de Paris est également motivée par une vision de grandeur. Comme on l’a vu, dans cette optique de rayonnement, De Gaulle s’appuie sur le fait qu’à cette époque un certain nombre d’États arabes ne soient pas durablement alignés sur l’un des deux supergrands. Jouer la carte des États non alignés, en premier lieu ceux du monde arabe, lui permet de redonner à la France un rôle international de premier plan tout en apparaissant lui-même, comme grand architecte d’une troisième voie, se plaçant aux yeux de l’opinion publique « à la tête du Tiers-monde » . Grandeur de la France et de son dirigeant semble alors synonyme dans cette approche gaullienne.
Afin de mener ce grand projet, il a semblé nécessaire de sacrifier l’alliance entretenue depuis des années avec Israël. (...) Le général De Gaulle voulait que la France reprenne sa place dans cette région de la Méditerranée. L’histoire l’y poussait, mais surtout la volonté de ne pas laisser les États-Unis et l’URSS seuls gérer les affaires du monde ; tout en espérant devenir le grand leader du Tiers-monde et d’une Troisième voie. De Gaulle voulait que la France « reprenne » ou « garde son rang », mais ce fut un échec. La politique de ses successeurs, de Pompidou à Mitterrand, n’a plus comme objectif que d’être la voix d’une ancienne puissance perdue dans le désert et surtout de payer le pétrole moins cher tout en attirant des pétrodollars. La politique de grandeur rêvée par De Gaulle évolue vers une « politique arabe de la France » basée sur des idées erronées, des mythes, des fantasmes et surtout l’esprit de commerce.
Certes, cette politique permit à la France de recevoir le pétrole arabe et de développer ses positions commerciales notamment dans le très fructueux commerce des armes et des équipements militaires. Le rêve d’indépendance de De Gaulle s’est donc rapidement estompé puisque Paris est passé ainsi d’une dépendance énergétique à une autre, commerciale et industrielle.
(1) En opposition aux « Trente glorieuses », expression créée par l’économiste Jean Fourastié et qui définit la période de forte croissance et de prospérité qui touchent de la plupart des pays développés, de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au premier choc pétrolier de 1973.
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