« Fi Djbel Bouzegza Ki djat Franssa testehza Hasbetna khobza Tahna aâliha berraffal ! » (Chanson populaire durant la guerre de Libération nationale)Le Bouzegza est ce massif bleu violacé, couleur qui lui a donné son nom (azegza veut dire bleu en tamazight) qui offre, à l’est de la Mitidja, son ubac à la mer.C’est ce dos de lion couché qui porte sur ses contreforts les gros bourgs voisins méridionaux et orientaux de la capitale. C’est ce lieu d’où ont déferlé les fantassins en armes, tout comme l’ont fait ceux de l’Ouarsenis et du Djurdjura pour courir au secours d’Alger, désertée par les Janissaires en déroute le 14 juin 1830, quand les armées coloniales se sont répandues sur la grève de Sidi Fredj. C’est ce djebel mythique où le prestigieux commando Ali Khodja, unité d’élite des combattants de la glorieuse ALN de la Wilaya IV, a écrit, les 4, 8 et 12 août 1957, des pages de légende parmi les plus illustres de la guerre de Libération nationale. Djebel qualifié de « pourri » par le général Jacques Massu dans ses mémoires en raison de la dérouillée qu’il y a écopé puisqu’il y a laissé plus de six cents morts dans les rangs de son armée ! Après le démantèlement de la première zone autonome d’Alger successif à l’arrestation de son chef Yacef Saâdi (23 septembre 1957) et la mort d’Ali La Pointe et de ses compagnons dans un refuge à La Casbah (8 octobre 1957), l’armée française a considérablement épaissi ses effectifs militaires dans les maquis, particulièrement les wilayas périmétriques de la capitale. La pression s’est particulièrement imposée sur la Wilaya IV, d’évidence en raison de sa contiguïté.
Dès lors qu’Alger a été éreintée et sa farouche résistance réduite, il ne se passait plus un jour sans que les armées coloniales en nombre, tous corps confondus, appuyées par des moyens aériens et terrestres considérables, ne se déploient comme la misère sur le monde à travers monts et talwegs. Un harcèlement permanent ! Il en sortait de partout. Les hélicoptères de transport, qu’on appelait les « bananes » (voir encadré), pondaient journellement des hommes en armes sur les crêtes et les pentes des reliefs les plus escarpés. Une crête occupée par l’adversaire était pour nous une bataille de perdue ! Le quadrillage était d’un tel maillage que la seule région de Ouled Moussa (ex-Saint-Pierre-Saint-Paul) était hérissée de pas moins de 58 postes militaires ! Une submersion asphyxiante qui nous contraignait à vivre en apnée. Alors que depuis les premières actions d’Ali Khodja et de son commando nous avions appris à opérer et nous mouvoir au grand jour, la constriction exercée sur nous par l’ennemi nous astreignait à une position défensive. L’initiative nous avait échappé et sans une réaction salutaire, nous risquions de perdre tout le terrain laborieusement gagné politiquement et militairement, après de durs combats souvent coûteux en vies humaines. Face à ce pressing mortel, le conseil de la Wilaya IV, alors présidé par le commandant Si M’hamed – qui assurait encore l’intérim du commandement après le départ pour Tunis du colonel Si Sadek – avait pris la décision historique et combien audacieuse de lancer une offensive généralisée contre les villes et villages relevant de sa compétence territoriale. Cette stratégie apparaissait comme la seule solution susceptible de desserrer l’étau létal qui nous étranglait. L’extension de nos capacités de nuisance et l’élargissement de notre champ d’intervention, la multiplication des points d’impact de nos raids allaient nécessairement fragmenter les rangs de l’adversaire et modérer la compacité de ses énormes moyens.
Nous somme début août 1957, conformément à l’ordre du conseil de wilaya, toutes les unités combattantes que comptait la IV sont passées à l’action. Du fait de ma parfaite connaissance de la région de Tablat, de son relief et de ses installations militaires sensibles – je m’étais évadé de sa prison le 20 octobre 1956 – il échut au commando Ali Khodja, que je dirigeais depuis sa reformation à Boukrem en janvier 1957, la mission de mener une attaque et d’y faire le plus de tintouin possible pour y semer la panique dans les rangs et la peur dans les esprits. Malheureusement, en arrivant de nuit aux abords de ce gros bourg qu’il était à l’époque, contrôlant une position stratégique sur l’axe routier Alger-Bou Saâda après le col des Deux Bassins, notre déconvenue a été grande quand nous avons constaté une concentration massive de troupes ennemies fortement équipées. L’armée coloniale s’apprêtait visiblement à lancer un de ces terribles et redoutables ratissages qui n’épargnait rien, ni les hommes ni leur environnement. Audacieux mais surtout pas téméraires, nous avons évité l’objectif pour le contourner et nous diriger vers le nord, vers le massif de Bouzegza. Sans le savoir, nous allions à la rencontre de ce qu’un coup du destin va transformer en un véritable enfer sur la terre. Alors que nous faisions mouvement vers la région de Djebel Zima, au centre du triangle Khemis El Khechna-Tablat-Lakhdaria, éludant prudemment un affrontement défavorable pour nous contre un ennemi de loin supérieur en nombre et en moyens, les autres unités avait lancé des attaques foudroyantes sur toutes les cibles qui avaient été déterminées. L’écho a été puissant et à la hauteur de nos espérances. La section de Si Boualem avait opéré contre Palestro (aujourd’hui Lakhdaria) avec succès. Les djounoud avaient même pris le soin de vider une pharmacie, emportant médicaments et nécessaires de premiers secours. Cependant, jouant de malchance, lors de la retraite de nuit, l’infirmier de la section fut arrêté. Interrogé sur la destination du retrait de sa section, sauvagement torturé, épuisé, il finit par lâcher, tout à fait fortuitement, une destination : Bouzegza ! Il savait que c’était faux mais il pensait ainsi fourvoyer ses tortionnaires sur une fausse piste. Ce qu’il ne savait pas par contre, c’est que nous nous étions réfugiés dans cet endroit, convaincus que nous y serions à l’abri car loin des voies principales de communication. Il y a lieu de préciser qu’en 1957, les montagnes et les forêts d’Algérie n’avaient pas encore été balafrées de pistes, chemins et sentiers par les scrapers et les bulldozers du génie militaire.
Ainsi, ne sachant bien évidemment rien du sort cruel de l’infirmier malchanceux de la section de Si Boualem, nous pensions que nous étions loin d’une éventuelle opération des Français. La région de Djebel Zima où nous avions décidé de nous arrêter était traversée en son milieu par une ravine fortement encaissée. C’est un petit affluent de l’oued Corso, sec en cette période de l’été. Les versants de la montagne étaient inégalement couverts ; tandis que l’un présentait plutôt l’aspect d’un maquis plus ou moins buissonneux, l’autre qui lui faisait face était constitué de pierraille et de caillasse incandescente en ce mois d’août. Nous étions réfugiés dans les maisonnettes éparses de la dechra. Nous comptions les heures et, de manière générale, lorsqu’arrivait 13h, nous pouvions souffler car une attaque ennemie qui commençait à cette heure de la journée nous permettait souvent, après une résistance conséquente, de décrocher à la faveur de la nuit tombante. L’obscurité rendait l’intervention de l’aviation impossible et l’usage de l’artillerie inutile. Nous exploitions les ténèbres pour sortir du ratissage. Mais cela était valable pour les mois d’hiver, vu la courte durée du jour. En été, la nuit tombe tardivement. Ce qui faisait que ce n’est que sur les coups de 16h que la menace s’éloignait sans jamais disparaître et anesthésier notre vigilance. L’armée française ne sortait ordinairement pas une certaine heure passée. Alors, nous pouvions nous occuper des tâches d’hygiène et profiter de l’accalmie pour une petite toilette et/ou une lessive. Ce jour du 4 août 1957, il était approximativement 15h, tout paraissait tranquille. Subitement les cigales cessèrent de striduler… Brusquement comme surgit du silence et jaillit du néant, un déferlement d’hommes et d’armes emplit, dans un grondement tumultueux, le ciel et la terre. Le versant, qui faisait face aux masures dans lesquelles nous nous trouvions, a été littéralement dévasté par les tirs de l’aviation. De l’infirmerie tenue par Baya el Kahla, une infirmière digne de tous les éloges, où je rendais visite aux malades et aux blessés, j’observais le déluge de fer et de poudre qui s’abattait sur un espace qui ne mesurait pas plus de deux kilomètres carrés.
Des moyens démesurés, cyclopéens avaient été déployés contre ce qui en l’état de leur connaissance se voulait la simple section du capitaine si Boualem qui avait opéré son coup de force à Palestro. Sur les crêtes qui nous faisaient face, les « bananes », tels des oiseaux d’acier géants pondaient, dans la chaleur et la poussière épaisse soulevée par les rotors qui fouettaient l’air dans un sifflement sinistre, des couvées entières de soldats armés jusqu’aux dents qui, cassés en deux, s’éloignaient des pales, avant de prendre position. Une fois leur ponte au sol, les appareils frappés de la cocarde tricolore de l’armée colonialiste, amblaient, pour regagner de l’altitude dans le ciel irradiant, vibrant de réverbération, pour laisser d’autres autogyres épandre d’autres troupes. Très vite, je me suis rendu compte, au regard de cette débauche d’hommes et de matériel, en observant les mouvements tout à fait improvisés des troupes au sol, que cette opération avaient en fait été préparée à la hâte et qu’il n’y avait dans tout ce remue-ménage aucune tactique élaborée préalablement. Pourtant, apprendrons-nous plus tard, cette expédition était directement commandée sur le terrain par le général Jacques Massu lequel s’était vu confier en janvier par Robert Lacoste les pleins pouvoirs de police. Il était accompagné des généraux Allard, de Maisonrouge et Simon. A la manière d’une machine à coudre les avions surfilaient les flancs de la montagne. Mais ils avaient à faire à des hommes aguerris qui avaient l’instinct de guerre des combattants les plus expérimentés. Les djounoud du commando avaient eu l’extrême intelligence militaire de ne pas bouger pour tenter une sortie ou essayer de décrocher. S’ils avaient commis cette erreur, non seulement ils auraient été des cibles que l’aviation aurait vite repérées et taillées en pièces mais les hélicoptères au lieu d’atterrir sur le versant d’en face, auraient déposé les troupes sur la crête du même côté où nous nous trouvions. Ainsi ont-ils laissé passer le bombardement intensif comme on patiente que l’orage se vide et jusqu’à ce que les « bananes » se soient éloignées abandonnant leur pondaison sur l’autre versant. Nous étions en face d’eux. A peu près deux cents mètres, à vol d’oiseau, nous séparaient. Mais il fallait une bonne vingtaine de minutes pour aller d’un point à l’autre. Dans le ciel plombé, les Pipers, tels des vautours, décrivaient inlassablement leurs cercles excentriques.
Nous étions hors de portée de leurs mitraillettes (voir encadré) mais pas des fusils. Tandis que mes vêtements séchaient, habillé d’une simple gandoura, je me trouvais à quelques enjambées des maisons où étaient répartis les membres du commando. Je les rejoint à toute vitesse, et enfilait promptement mon treillis encore humide.Nous avons encore temporisé un moment pour bien situer les positions de l’ennemi. Puis, furtivement nous sommes sortis de nos abris et nous avons gagné la crête. Nous avions une vue synoptique de toute la région. A notre grande stupéfaction d’autres troupes escaladaient en ahanant la contre-pente. Half-tracks, véhicules blindés, camions de transport de troupes… se dirigeaient vers le lieu où nous avions pris position. A ce moment, j’ai réalisé que leur manœuvre, même impréparée, pouvait déboucher sur un encerclement qui nous serait fatal. Je me souviens de ce chef de section, ô combien courageux, qui avait sorti le drapeau national, décidé à partir à l’assaut de cette nuée en armes. D’un geste je l’en dissuadais. Il ne fallait surtout pas qu’ils nous repèrent. Pour l’heure la confusion était totale de leur côté. Nous étions vêtus des mêmes treillis que nous portions de la même façon au point que nous poussions le détail jusqu’à mettre, comme eux, le col de la chemise sur le revers de la vareuse du battle-dress. Comme eux, nous étions coiffés de chapeaux de brousse, ces couvre-chefs de toile, dont un bord est relevé à l’aide d’un bouton pression. Et pour cause, tout comme notre « usine d’armement », notre « atelier de confection » était la « route goudronnée » où nous montions nos embuscades. Nous recevions rarement des équipements de l’extérieur et nous ne les portions jamais. Que ce soit les armes ou les tenues, je ne me souviens pas que le commando en ait un jour fait usage. Face à l’ennemi, peu économe en matériel de combat, nous disposions nous aussi de mitrailleuses 30 (voir encadré). Toutefois, comme elles consommaient des quantités de munitions trop importantes nous avons dû renoncer à leur emploi. En revanche, nous avions des FM BAR, fusils-mitrailleurs de l’OTAN, des FM 24/29, fusils-mitrailleurs français, des mitraillettes Thomson, d’un calibre 11.43, comme celle des films noirs américains, des MAT 49 françaises, des fusils MAS français, armes de précision, des fusils américains Garand, des carabines US, etc. Pour tout dire, le commando était armé de 9 fusils-mitrailleurs. A ma connaissance, aucune compagnie de l’armée d’en face n’en disposait d’autant. Si nous ne comptons que les armes de poing et d’épaule, conventionnelles s’entend, notre puissance de feu dans les engagements était souvent supérieure à n’importe quelle équivalence numérale française. Cela signifie aussi que chaque groupe avait un FM soit un total de trois par section ! Neuf fusils-mitrailleurs qui aboient de concert est d’un effet déconcertant sur l’adversaire !
Lors de nos diverses opérations et embuscades nous récupérions beaucoup d’armements. Nous gardions les meilleurs et nous donnions à nos frères, des autres secteurs et régions ou aux moussebiline, celles dont nous n’avions pas besoin. Comme nous ne voulions pas dépasser la katiba de 110 hommes, nous ne conservions que les armes requises pour un tel effectif… Le petit incident du drapeau passé, nous nous sommes fondus dans terrain et observions les agissement des soldats à la jumelle. Au bout d’un moment, nous avons compté à première vue deux compagnies environ qui arrivaient du sud là-bas vers Palestro. Une compagnie française est composée de quelque 140 hommes. Vu la distance qui nous séparait, nous avions présumé qu’il s’agissait de la section de Si Boualem qui repliait. Mais très vite nous nous sommes rendus compte qu’il s’agissait aussi d’unités ennemies. Nous les avons laissés venir à nous, toujours tapis, nous confondant avec le relief et la végétation de broussailles et d’épineux. Subrepticement, avec un petit groupe de djounoud armés de mitraillettes nous allons à leur rencontre, laissant les fusils et six fusils-mitrailleurs sur la crête pour nous protéger d’un raid aérien éventuel. Nous allions résolument vers l’affrontement, sans trop d’agitation. Les hommes sur lesquels nous allions fondre étaient comme nous, jeunes, mais visiblement sans expérience, ils étaient hésitants, bavards, s’interpellaient sans cesse. Ils se tordaient les chevilles dans la caillasse, se plaignaient, puis repartaient sans trop savoir vers où ils se dirigeaient. Ils nous aperçoivent mais ils sont persuadés que nous étions des leurs, vu que ne tirions pas. Mais une fois à portée de nos MAT nous les arrosons copieusement…
- Bon Dieu nous sommes des dragons ne tirez pas ! Hurlaient-ils.
- Mais alors que faites vous là-bas, si vous êtes des dragons Rejoignez-nous dans ce cas ! leur répondais-je, avec force gestes autoritaires, ajoutant ainsi à la confusion s’emparait d’eux.
- Vous êtes complètement barjos, vous avez abattu des hommes à moi, criait celui qui commandait la troupe. Alors qu’ils croyaient avoir affaire aux leurs, nous surgissions et en arrêtions par paquets dans cet embrouillamini total. On les arrête par sections entières. « Levez les mains ! » Délestés de leurs armes, paniqués, les prisonniers montent en courant la pente jusqu’à la crête où les cueillent les membres du commando restés en poste. Ils s’entassent, s’accroupissent dans les cours des maisons. Nous jetons en tas leurs armes et leurs munitions. « Quel pactole ! Jamais vu ça ! » A un moment donné l’aviation a survolé le champ de bataille, mais pour opérer il faut qu’une distance nous sépare et comme nous étions vêtus des mêmes uniformes, du ciel, les pilotes ne pouvaient pas nous distinguer les uns des autres. De même pour l’artillerie qui ne pouvait pas pilonner, tant que nous étions rivés à eux. Nous ne leur laissions pas le temps de se positionner loin de nous et dégager un espace qui nous séparerait suffisamment pour permettre un bombardement aérien ou un tir de barrage de l’artillerie. Mais au bout d’un instant, les appareils reviennent et l’artillerie se réveille. Les uns mitraillent, l’autre canonne, sans distinction. A l’aveugle. Nous reculons et nous dégageons pour rejoindre les fusils-mitrailleurs et les fusils embusqués sur la crête et les laissons faire un carnage dans leurs propres rangs. Le combat se déroulait à la mitraillette. Habitués au terrain et à ses accidents, nous nous déplacions plus rapidement et utilisions le moindre escarpement pour nous placer hors de portée de leurs tirs. A la décimation causée par l’aviation et l’artillerie, qui s’acharnent sur leurs propres troupes, s’ajoutent les giboulées de nos fusils mitrailleurs qui entrent en action… C’est une opération qui a débuté vers 15h et qui a duré jusqu’au début de la nuit.
Quoiqu’en dise, la propagande militaire française relayée par les journaux colonialistes de l’époque qui ont fait état de prétendues dizaines de morts dans nos rangs, j’affirme, en tant que responsable de ce commando d’élite dont l’héroïsme et la bravoure ont été chantés par le peuple qui l’a enfanté, et déclare devant les vingt témoins de cette bataille et qui sont toujours en vie (voir leur liste), que nous avons relevé hélas la mort de moussebilin et de pauvres civils sans arme et que le commando n’a enregistré qu’un blessé. Un courageux déserteur de l’armée française que nous surnommions Ahmed El Garand, qui est arrivé chez nous armé d’un fusil de cette marque. Le journal parisien Le Monde parlera, au lendemain de cette débâcle, de plus de 600 morts parmi les hommes des 4 généraux ! Les combats rapprochés ont fait rage jusqu’à ce que tombe la nuit. Aussitôt Baya El Kahla, qui avait organisé les femmes de la déchra, me rejoint et nous informe des multiples possibilités de retraite qu’elles avaient aménagées. Elles nous donnent les mots de passe. Et à mesure de notre progression protégée par la nuit, nous rencontrions des femmes postées en éclaireuses pour ouvrir le passage et nous prévenir de la présence éventuelle de groupes ennemis et des embuscades qu’il pouvait tenter. Rapidement, nous sommes sortis de l’encerclement emportant avec nous une soixantaine d’armes, car c’est tout ce que nous pouvions porter. Nous avons laissé sur place des dizaines d’autres que la population du douar devait récupérer pour les donner aux sections ou aux djounoud de leur région ou de leur zone. Ce fut la défaite de Massu et de ses trois généraux. Sans avoir l’honnêteté de reconnaître qu’il s’agissait d’une déconfiture, il ruminera jusqu’à la fin de ses jours son échec sur les cimes de Bouzegza. Je n’ai jamais raté l’occasion d’enfoncer davantage le clou en rappelant aux pires de ses mauvais souvenirs, comment il y mordit la poussière ! ça lui sapait son ego de grand stratège. Le fait d’avoir racolé quatre généraux comme lui, pour les convier à ce qu’il croyait être un pique-nique estival, ou une randonnée de montagne, ajoute à ses rots atrabilaires.
Il ignorait et il a compris que tout ce qu’il savait de la guerre révolutionnaire, c’était celle qu’il menait jusque-là contre le peuple désarmé. Que ce qu’il savait de la guerre tout court, c’était ce qu’il avait accompli sous le bouclier tutélaire et protecteur des alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Anglais dans le Fezzan en Libye en 1941 et Américain au sein de la deuxième DB de Leclerc en 1944. Les quatre généraux n’avaient rien cogité, rien préparé, convaincus qu’ils étaient, qu’ils allaient « casser du fell comme on va aux fraises ». Le commando Ali Khodja leur a prouvé ce jour-là que la guerre n’est pas une promenade de santé. Ils avaient sous-estimé la combativité de leur adversaire, ils avaient méjugé la réactivité des djounoud de l’ALN, tout comme ils avaient surévalué leur capacité d’organisation qu’ils croyaient naturellement supérieures à celles des indigènes que nous étions. Par ricochet, notre victoire revient aussi et indirectement à ce jeune infirmier courageux de la section de Si Boualem qui les a involontairement jetés dans un guêpier. Le 4 août à Bouzegza, la victoire a été celle du remarquable commando Ali Khodja. C’est aussi celle de tous les moussebilin et de toute la population de la région de Zima. Mais ce qu’on appelle la bataille de Bouzegza, ne s’arrête pas à la journée du 4 août 1957… Le 8 août, soit trois jours plus tard, persuadée que comme la foudre qui ne frappe pas deux fois au même endroit, l’armée française ne repassera pas là où elle a déjà opéré, d’autant qu’elle en garde un souvenir plutôt affligeant. Nous sommes donc revenus dans ce massif, après nous être reposés et repris des forces non loin de là. Mais ils ont eu exactement la même réaction et nous n’avions pas posé nos bardas que…
« El Askar ! El Askar ! »
Des deux versants montaient des colonnes de soldats. Nous nous trouvions entre les deux. Armés et comme toujours en tenue impeccable, nous sommes sortis et nous nous sommes engagés en colonne tout comme eux sur un sentier qui allait en direction de taillis assez touffus pour nous permettre de décrocher. Les avions arrivaient derrière nous. C’étaient des T6, « es seffra » (jaune), armés de mitrailleuses 12/7, qui approchaient en piqué sans tirer. Leur altitude n’était pas fort élevée et leur vitesse modérée (environ 250 km/h). Nous distinguions parfaitement les pilotes qui jetaient des regards à partir de leur cockpit. Cette fois encore, notre sang-froid sera à l’origine de notre succès. Alors que les appareils menaçants arrivaient dans notre dos en hurlant, sans nous démonter, nous leur faisions des signes amis de la main pour leur signifier que nous étions « des leurs ». Alors que les deux colonnes, nous « encadraient » mais à distance, les avions poursuivaient leur noria menaçante au-dessus de nos têtes. Tireront-ils, ne tireront-ils pas ? Au bout d’un moment, qui nous a semblé un siècle, nous nous sommes mis hors de vue, sous le couvert végétal avant de nous disperser. Aussitôt, les pilotes comprennent qu’ils avaient été leurrés. Cette fois-ci, il n’y a pas eu d’engagement et nous avons réussi à nous faufiler à travers bois et ravines pour nous éloigner du théâtre du ratissage. Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous sommes revenus au même endroit le 12 août, croyant dur comme fer qu’un lieu que les Français ont ratissé, brûlé, bombardé, pilonné, « napalmé », serait le meilleur des abris. Mais la loi des probabilités a été bousculée et pour la troisième fois, en une semaine, nous sommes tombés nez à nez sur l’ennemi. Nous venions d’ouvrir les portes de l’enfer. Ce n’étaient plus des dragons, mais des paras. Tôt, les affrontements ont commencé avec l’engagement des ferka de si Boualem encerclé, sur une position qui lui était défavorable. Elles ont été pratiquement décimées, les pertes ont été considérables. Nous avons perdu des hommes tout comme nous avons enregistré une dizaine de blessés. Notre connaissance du terrain nous a sauvés d’un immense péril. Tout ce que l’ALN comptait dans cette zone de commissaires politiques, de responsables des renseignements, de chargés de la logistique, des agents de liaison, et toute la population avaient été sollicités pour nous permettre de sortir de la nasse avec le moins de dégâts possibles. Tirant les enseignements des deux précédents affrontements, cette fois les « léopards » ont mis pour ainsi dire le paquet et se sont ingéniés à tenter de redorer le blason terni des quatre généraux. Un feu roulant ininterrompu, des pluies de grenades, que nous réexpédions d’ailleurs, car dans leur hâte de se débarrasser de l’engin explosif, ils lançaient aussitôt la goupille retirée, ce qui nous donnait souvent le temps de les renvoyer à l’expéditeur. Ce que m’a appris mon expérience au maquis, c’est que si la peur est contagieuse, le courage l’est tout autant. Lorsque vous savez que vous pouvez compter sur ceux qui se trouvent à votre droite et à votre gauche, eux aussi sont convaincus qu’ils peuvent compter sur vous. Ce que j’ai appris à Bouzegza, c’est qu’au combat comme dans la vie, il ne faut jamais sous-estimer l’autre.(El Watan-20.08.09.)
Liste des membres du commando Ali Khodja
- Zerari Rabah dit Si Azzedine
- Yahi Ahmed dit Ali Berianou
- Aït Idir Hocine dit Hocine
- Tounsi Djilali dit Abdelkader
- El Kahlaoui Abdelkader dit El Kahlaoui
- Rafaâ Louennass dit Rouget
- Kouar Hocine dit Hocine
- Blidi Abdelkader dit Mustapha Blidi
- Ben Salah Ammar dit Nachet
- Boulis Lakhdar dit Lakhdar
- Ladjali Mohamed dit Hamid Doz
- Rahim Mohand dit Bédja
- Si Athman
- Bachir Rouis dit Nehru
- Zerrouk
- Touhami Ali
- Nezlioui
- Kadi Mohamed-Chérif dit Chérif el Kbayli
- Hout Ahmed
Quelques action du commando Ali Khodja
- Juillet 1957 : accrochage à Djebel Belemou (Bou Zegza)
- 05 mars 1958 : accrochage à Belgroun
- 1958 : accrochage à Eryacha
- 1958 : accrochage à Lemchata
- 15 mai 1958 : accrochage à Maghraoua – 1958 : accrochage à Hadjra Essafra – 1958 : accrochage à Zaouïa (Soufflat)
- 1958 : attaque d’un camp près de Aomar
- 17 octobre 1958 : accrochage à Souflat
- 22 octobre 1958 : accrochage à Ouled Sidi Abdelaziz
- 06 janvier 1959 : accrochage à Tafoughalte (en Wilaya III)
- mai 1959 : accrochage des commandos des zones 1 et 2 près de Batna
- 1959 : embuscade à Aïn Oulmane (Sétif)
- 1959 : embuscade à Boutaleb (Aurès)
- Août 1959 : accrochage à Champlain.
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